REVISTA N° 25 | AÑO 2021 / 2

Puget J. (2020), Faire avec l’incertitude. Investir le présent du sujet


RESEÑA DE LIBROS

Janine Puget, Faire avec l’incertitude – Investir le présent du sujet.

Lyon, Chronique sociale, 2020
Note de lecture par Christiane Joubert[1]

 

La présentation de l’édition française par Rosa Jaitin nous fait découvrir Janine Puget, son parcours de migrante et ses rencontres, puis son livre. Nous sommes ainsi introduits avec des mots-clés dans la pensée foisonnante et novatrice de Janine Puget: le lien introduisant les «effets de présence», la constitution subjective et la subjectivité sociale, les liens familiaux avec la différence radicale, les discontinuités et enfin les figures d’exclusion.

«Nous vivons une période de découvertes merveilleuses et de violences barbares qui semblent impossibles à penser», écrit Janine Puget dans son avant-propos, nous incitant alors à «éveiller l’envie de vivre, la curiosité et la possibilité de s’engager dans le monde, en évitant conformisme et adaptation forcés», nous invitant à renforcer nos espaces relationnels.

Depuis son célèbre ouvrage, écrit en collaboration avec Isidoro Berenstein, La psychanalyse du lien, en 2008, traduit en français par Geneviève Richard, l’auteur ne cesse de nous présenter de nouveaux caps, différents espaces thérapeutiques, repris dans cet ouvrage en introduction.

Le chapitre 1 concerne la discontinuité entre le passé et le présent, la présentation et «les effets du présent» dans le jeu thérapeutique, le lien et le travail analytique.

Janine Puget évoque la dimension institutionnelle, introduit la notion de responsabilité avec un nouveau regard sur l’éthique et la psychanalyse, puis les relations entre les diverses disciplines, préconisant «d’entrecroiser nos idées avec celles des philosophes, sociologues, anthropologues et autres…». Les notions d’incertitude, de violence sociale et politique, sont posées, et l’auteure nous indique le chemin avec le concept de témoin.

Au chapitre 2, regardant le concept de lien, elle revient sur cette zone de rencontre de «l’entre-deux ou plusieurs personnes», avec ces concepts fondamentaux de différence radicale, d’altérité, d’étrangéité, et en rajoutant l’action commune, «coût à payer pour habiter et occuper ces liens». «La différence crée un espace où la diversité acquiert chaque fois plus de force», nous dit-elle. Sensible à la complexité, elle superpose la production dans le devenir à la conception classique structurale. Dans différentes perspectives, elle reprend la «spirale dialectique» de Pichon Rivière, les intersubjectivistes avec le modèle évolutif pour que le sujet advienne, et elle cite Levinas pour qui un «Autre qui fait irruption dans la totalité, y fait rentrer l’infini». Puis elle porte son intérêt sur la discontinuité, en présentant divers aspects: entre représentations, présentation et a-présence, entre l’attendu et l’imprévisible, la superposition des espaces; enfin la dimension temporelle, ajoutant la temporalité de l’instant «du présent absolu, de l’Aiôn» ouvrant vers l’imprévisible et l’infini, à la décision, celle de Kairos, à celle de Chronos incluant la temporalité circulaire, celle du mythe, de la culture gréco-romaine et la temporalité linéaire judéo-chrétienne. Elle propose de considérer la crise comme une expérience, incluant aussi la transmission avec la notion de «climat» de la transmission; cela fait écho, sur ce thème, aux travaux de René Kaës avec Crise, rupture et dépassement. Le lien analyste-patient avec la scène transférentielle est examiné avec l’idée de «deux présents et, peut-être, de deux passés» sur une scène imprévisible.

Le chapitre 3 introduit «le penser seul et le penser entre deux qui crée inévitablement des effets de présence, puis le penser créatif», issu de la conceptualisation du lien. Janine Puget s’arrête sur le penser dans la pratique analytique, «le champ interférentiel», étayés sur de nombreux exemples cliniques, découvrant toujours de nouvelles modalités, au cœur de la curiosité et à la recherche de la connaissance: ainsi, dans la séance, elle propose de reconnaître, certes, que le passé construit le présent, mais de reconnaître aussi la différence entre le nouveau et le connu, et de s’autoriser à habiter une relation et à légitimer les lieux que nous occupons ainsi que l’origine de cette légitimité .

Au chapitre 4, elle en vient au principe d’incertitude dans les transformations contemporaines. «En effet la technologie a produit une rupture dont nous sommes encore loin de pouvoir mesurer les conséquences», nous dit-elle. Elle cite, par exemple, les cours à distance, l’analyse par Skype, la modification des règles relatives au cadre et le déterminisme délogé de sa place centrale. Selon elle, il est impossible de prévoir ce qui se passera dans les rencontres qui sont le résultat de l’aléatoire et «du conflit entre de petites particules invisibles».

Elle fait allusion, sur le plan scientifique, entre autres, à Khun avec les théories sur l’indétermination, les structures dissipatives et les catastrophes, à Popper avec la probabilité et la vraisemblance relative, sur le plan sociétal à Bauman avec la notion de monde liquide, à Lewkowicz et la pensée sans État.

Puis elle traite du principe d’incertitude dans la psychanalyse, pointant les transformations théoriques et techniques. Partant de la théorie freudienne avec la croyance à un hasard externe (réel), mais pas à un fait de hasard (psychique) interne; elle dit alors que Freud aurait admis que le hasard a à voir avec les relations d’un sujet avec le monde extérieur et avec les autres. Quant à elle, elle signifie «que la recherche de reconnaissance devient une source d’insécurité alimentée par l’incertitude essentielle».

Elle donne en exemple que la prévisibilité peut nous transformer en sujets classés et prévisibles. Nous pensons, en effet, à la médecine prédictive, qui «nourrit la toutepuissance de la connaissance». S’arrêtant sur les effets de l’incertitude, elle dégage une gamme de moyens à notre disposition pour se défendre contre les événements imprévus (s’éloigner du présent, détourner le regard, réduire les domaines d’intérêts liés à l’appartenance sociale, saturer les pensées d’un excès d’explication).  Puis elle va du côté de l’incertitude dans les collectifs avec l’éventail de personnages créés par les médias à partir d’un climat général d’insécurité, voire de terreur associée. Dans les couples et les familles, l’infidélité est une figure qui rend compte de l’incertitude. Puis elle s’intéresse au contexte imposé par le travail pour ceux qu’elle nomme «touristes du monde, de la vie» circulant sans cesse d’un point à l’autre du monde, toujours en transit d’un prochain vol. Elle en donne un exemple clinique avec Pedro, puis Juan avec une recherche de la sécurité. Elle termine ce chapitre en disant qu’expliquer le présent n’est pas prédire l’avenir qui répond cependant à une préoccupation de l’humanité depuis l’Antiquité, et qui est source de nombreux conflits au sein des familles et des institutions. Nous retiendrons que «L’inattendu et l’énigmatique devraient être les moteurs de la créativité et de l’intérêt pour l’avenir». Courrier International (25-30 mars 2021), n°1586, consacre deux pages « aux bienfaits de l’incertitude, un tremplin vers l’épanouissement cognitif (p. 3839). «L’incertitude nous guide vers ce que nous ne savons pas et nous met sur la voie de la pensée critique», d’après les travaux de Sander van der Linden de l’Université de Cambridge.

La subjectivité sociale fait l’objet du chapitre 5. Janine Puget s’interroge: comment les productions sociales se manifestent-elles dans les séances de psychanalyse? Elle insiste pour que chaque espace constitutif de la subjectivité soit respecté dans sa singularité et dit que des événements sociaux traumatiques (elle fait allusion à la dictature argentine entre 1976 et 1983) l’ont amenée à conceptualiser ce qui relève de la subjectivité sociale (et, en extension, la biopolitique), qu’elle met en parallèle avec la notion de contrat narcissique de P. Aulagnier.

Elle nous propose une métapsychologie du lien social. Elle insiste sur le principe d’Incertitude «lié à la toujours imprévisible zone de rencontres», sur la différence radicale, qui engendre l’Incertitude, sur les discontinuités entre présent et passé. À propos de la transmission, elle regarde la transmission des enfants aux parents, donc de ce qui arrive dans la culture contemporaine. La “contemporanéité” produit un certain déphasage.

Elle donne un exemple avec des réponses de répercussion sociale à un événement. On peut à tout fait appliquer les critères proposés par Janine Puget à la crise mondiale du

Covid: fragmentation de l’information, adaptation forcée à la pensée dominante, intolérance aux désaccords, angoisse de l’étrangeté, pour n’en citer que les plus marquants. La mode actuelle, nous dit Janine Puget, transforme l’actuel et l’étonnant; puis elle cite l’interdisciplinarité qui risque de confondre accumulation de connaissances et enrichissement.

Être fidèle à la tradition, ou, à l’inverse, regarder «l’incessante capacité de remise en question», de ruptures épistémologiques, ce qui est le cas de la psychanalyse groupale contemporaine, là est la question.

Au chapitre 6, Janine Puget interroge le rapport entre la violence politique et la psychanalyse, rappelant «Pourquoi la guerre» (1932), discussion entre Freud et Einstein, reprenant «l’union fait la force», et soulignant, au passage, le risque de division. Nous pensons, quant à nous, à la force du petit groupe et aux travaux fondateurs de Bion.

Elle propose une étape fondamentale qui est l’appartenance, le faire ensemble en devenir et le dilemme permanent entre “être responsable et non responsable”. Au sujet des violences sociales elle nous dit que l’excès actuel de la visibilité de la violence (via Internet, la télévision, etc.) les rend invisibles. Elle pointe trois catégories de violences politiques : celles qui tendent à araser, celles qui tendent à dévaster, celles qui tendent à expulser du corps social une de ses parties avec des effets de suppression de la capacité à réagir, une irritation permanente ou une adhésion acritique. Ce qui est très efficient actuellement avec les conséquences de la crise sanitaire sur la restriction des libertés individuelles et la coercition sociale. « L’unique réalité politique est le conflit dans le présent», écrit-elle.

Elle reprend, dans ce chapitre, une histoire des ravages sociaux évoquant l’étrangéité, la corruption comme un scénario violent, la cruauté, avec des textes psychanalytiques de référence, et la mondialisation comme un scénario violent invisible. Elle s’intéresse à la manière dont ces ravages sociaux agissent sur le sujet et leur impact dans les liens: le dés-existant, les expulsés du monde du travail, le disparu de la production et du sociétal et les effets dans les liens familiaux de ces dévastations. La clinique vient toujours en résonance avec ces nouvelles réflexions.

La responsabilité fait l’objet du chapitre 7. «Responsabilité et culpabilité appartiennent à des logiques différentes», nous rappelle l’auteure. En référence à Esposito, elle reprend que la responsabilité est un acte de dépossession à travers lequel se construit le bien commun, tentant d’inclure une éthique respectueuse des Droits de l’homme.          Au       niveau du        lien      analyste-patient,         il          s’agit          d’une   double opération  construire de la pensée, réfléchir à propos de cette construction et donner du sens à propos d’une situation, propose Janine Puget. Elle accorde de l’importance à la capacité de choisir, fonction fondamentale pour la constitution du moi et du lien. Le signifiant «non responsable» (de l’État, des institutions, des entreprises, des sujets, etc.) s’infiltre partout, dans un tissu social sans limites, dominé par le narcissisme et l’omnipotence, entraînant une souffrance actuelle d’une partie de la population, reprend l’auteur faisant allusion à la « dé-fondation de l’État » selon Lewkowicz. Elle insiste sur la notion de respect pour l’autre, position éthique et réciproque dans la situation analytique.

Au chapitre 8, Janine Puget se recentre sur la pratique quotidienne du psychanalyste. Elle montre l’importance de la description, parce qu’elle produit des effets imprévisibles dans le présent des rencontres, introduisant une différence entre le présentationnel et le représentationnel. Elle s’arrête également sur les effets de la description dans le cadre des supervisions, avec l’illusion d’obtenir une version fidèle… Elle en donne un exemple clinique. Sur les traces de Georges Steiner et de Cécile Ladjali à propos de l’interprétation chère à la psychanalyse, elle la replace sur le plan de la construction des sens et des significations , mais en insistant sur le fait que l’analyste y donne sa propre signification (comme un acteur ou un musicien interprétant une œuvre).Quant à elle, elle propose la métaphore qui peut ouvrir le chemin des interprétations et introduit le champ de l’interférence qui concerne les nombreuses vicissitudes naissant de la différence radicale , et propre à la dynamique des liens dans ce que l’altérité de l’autre et des autres impose. De nombreuses vignettes cliniques courtes illustrent «la complexité de ce qu’implique habiter des mondes qui ne coïncident pas entre eux». Elle termine ce chapitre sur la pratique quotidienne en donnant comme objectif aux cliniciens que nous sommes de

«redonner de l’air aux relations»… pour «permettre de respirer, d’élargir le regard et d’incorporer l’idée d’une incomplétude inquiétante et revitalisante ». Le dernier chapitre (9) est consacré au «devenir témoin» pour chacun de nous volontaire ou involontaire de multiples situations auxquelles nous sommes exposés. Elle propose des perspectives, en notant les différences entre témoigner, proposer et intervenir, et parmi celles-ci, elle reprend celle de l’analyste simplement témoin ou celle de l’analyste qui témoigne…

Elle pose le problème de «comment transformer un positionnement de récepteur passif et créer une distance réflexive avec le vécu jusqu’à arriver à un autre qui puisse l’utiliser». Elle avance que «dans certaines occasions, une interprétation prend la forme d’un témoignage».

Témoigner met un écart, crée une frontière entre dedans et dehors de la scène qui sera, de ce fait, modifiée; dans l’espace analytique, elle invite à ne pas confondre «l’analyste du transfert et celui de l’interférence avec le témoin capable de témoigner sans prendre parti. Elle dit que, dans certaines occasions, le témoignage du thérapeute ira jusqu’à la dénonciation de graves fautes éthiques, d’abus, d’attaques aux Droits de l’homme (corruptions, tortionnaires). Elle montre aussi que la fonction de témoin de l’analyste est d’aider les «analysants à se transformer en sujets capables de témoigner». Nous pensons, dans cette voie, aux travaux de Régine Waintrater. Ainsi les sujets pourraient récupérer la capacité de penser, de s’indigner et donc de construire une nouvelle posture sociale: «transformer la subjectivité de la victime en une subjectivité de sujet responsable et pensant».

Janine Puget va nous donner plusieurs exemples de situations cliniques, de témoin: – dans des sphères corrompues (où il n’est pas possible de faire autre chose que d’observer, sur un fond d’impuissance). Comment alors construire des espaces

«d’immunité» ?, comme le propose Esposito;

  • un symptôme de la consultation des liens: la dénonciation;
  • les témoins de la violence quotidienne (par exemple, dans les écoles);
  • le témoin et les camps de concentration; elle souligne l’importance de tenir compte, alors, du respect de l’intimité et de la souffrance de la victime (de «ce quelque chose d’ineffable qui ne peut pas être transformé en mots»);
  • les victimes – témoins – musulmans;
  • les victimes de dictatures et le dilemme de témoigner.

Enfin, Janine Puget termine avec celui qui regarde sans voir et dit que «détourner le regard coûte cher dans diverses circonstances» …

Pour l’avenir, elle invite les cliniciens que nous sommes à considérer la violence sociale et spécifiquement la violence politique, à continuer à interroger ces nouveaux concepts et à créer des dispositifs de soins adéquats, nous mettant toujours sur la voie de la curiosité, de l’expérimentation et de la créativité.

Un ouvrage qui témoigne de l’implication et de l’engagement de l’analyste dans le monde contemporain.


[1] Psychologue clinicienne, Psychothérapeute, Psychanalyste-Famille, Groupe, Couple. Membre de la Société Française de Thérapie Familiale Psychanalytique, de l’Association Internationale de Psychanalyse de Couple et de Famille, de Société Française de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe. Professeur Émérite des Universités, en Psychopathologie Clinique – Université Toulouse 2, Jean Jaurès, membre du laboratoire LCPI. christianejoubert@netcourrier.com

Revista Internacional de Psicoanálisis de Familia y Pareja

AIPPF

ISSN 2105-1038