REVISTA N° 11 | AÑO 2012 / 1
Resumen
La pareja terapéutica en la coterapia: el trabajo intertransferencial
El autor, mediante la revisión de la literatura relacionada con el tema de la pareja terapéutica y de la coterapia, focaliza su atención en la noción teórica clínica de trabajo intertransferencial. Con la ayuda de un ejemplo clínico, tiene el objetivo de atraer la atención sobre la especificidad de la dinámica intersubjetiva puesta en juego por la pareja en terapia, así como en la pareja terapéutica. La hipótesis es que el trabajo sobre la intertransferencia, que llevan a cabo los analistas en la post-sesión, puede ayudar a la pareja a superar la tendencia a la repetición mortífera que se encuentra en el origen de la consulta y ayudarla a abrirse a posibles cambios evolutivos. En tal sentido, lo que es vivenciado en el vínculo intertransferencial puede ser leído como efectos del depósito de la materia psíquica bruta que la pareja les transfiere. El vínculo intertransferencial sería entonces el lugar del depósito, posteriormente el aparato de transformación y de simbolización de ésta materia psíquica bruta.
Palabras Clave: coterapia, intertransferencia, vínculo
Résumé
Le couple thérapeutique dans la cothérapie : le travail intertransférentiel
L’auteur, passant en revue la littérature portant sur le thème du couple thérapeutique et de la co-thérapie, focalise son attention sur la notion théorico-clinique de travail intertransférentiel. A l’aide d’un exemple clinique, il vise à attirer l’attention sur la spécificité de la dynamique intersubjective en jeu dans le couple en thérapie, aussi bien que dans le couple thérapeutique. Plus précisément, l’hypothèse est que le travail sur l’intertransfert, que conduisent les analystes dans la post-séance, peut aider le couple à surmonter la tendance à la répétition mortifère qui a été à l’origine de la demande, l’aider à s’ouvrir à des possibles changements évolutifs. En ce sens, ce qui est vécu dans le lien intertransférentiel peut être lu comme les effets du dépôt de la matière psychique brute que le couple y transfère. Le lien intertransférentiel serait alors successivement lieu de dépôt puis appareil de transformation et de symbolisation de cette matière psychique brute.
Mots-clés : cothérapie, intertransfert, lien
Summary
The therapeutic couple in co-therapy: the intertransference work
The author, reviewing the literature on the theme of therapeutic couple and of co-therapy, focalizes his attention on the theoretical-clinical notion of inter-transference work. By referring to a brief clinical example the aim is to lead the attention on the specificity of the intersubjective dynamics inside the couple in treatment as well as inside the therapeutic couple. More specifically, the hypothesis is that the inter-transference work, carried on in the post-session by the analysts can help the couple
in therapy to overcome that dimension of death repetition for which has formulated its help request, to open itself to possible developmental changes. In this sense, what is felt inside the inter-transference link can be read as an effect of the deposal of row psychic material that the couple transfers in. So the inter-transference link will be the place of deposal and afterwards apparatus of transformation and symbolization of this row psychic material.
Keywords: co-therapy, inter-transference, link
ARTÍCULO
Le couple therapeutique dans la cothérapie : le travail intertransférentiel
Massimiliano SOMMANTICO[*]
La cothérapie et l’intertransfert
Sans pouvoir m’attarder sur la complexité de la dynamique transférocontre-transférentielle dans le travail psychanalytique avec les couples, je voudrais attirer l’attention sur un aspect spécifique du dispositif de la cothérapie: l’intertransfert qui, comme le disent Riand et LarocheJoubert (2011), va constituer un «nouvel objet de travail pour les cliniciens […] qui se surajoute à l’analyse des processus transférocontre-transférentiels déjà modifiée et complexifiée par la situation groupale» (p. 176).
C’est Kaës (1982, 1997) qui a introduit le concept d’intertransfert dans la pratique psychanalytique avec les ensembles plurisubjectifs, en le définissant comme l’ensemble constitué par le contre-transfert de chaque analyste inclus dans le dispositif et par son transfert sur le partenaire, sur l’équipe éventuelle, sur l’institution instituant. L’intertransfert – déjà présent avant que la cothérapie ne commence et à l’origine du choix mutuel des cothérapeutes – est le résultat du fait que les analystes, induits en cela par la situation groupale elle-même, «transfèrent» leur propre organisation intrapsychique sur les collègues en fonction des transferts qu’ils reçoivent et de leurs dispositions contretransférentielles. L’analyse de l’intertransfert conduit alors vers les positions transférentielles attribuées par chaque analyste à l’autre (ou aux autres s’ils sont plus de deux), aussi bien que sur les effets contretransférentiels de l’un sur l’autre.
Les difficultés de l’intertransfert sont augmentées par le fait que le couple thérapeutique (Decobert, Soulé, 1984) est le réceptacle qui recueille les ondes de choc provenant du transfert central et des autres transferts [transfert sur le groupe thérapeutique, transfert sur le cadre, transferts latéraux]. Au transfert des analystes les uns envers les autres, s’ajoutent les relations de transfert que ceux-ci entretiennent avec le couple et que les membres du couple entretiennent avec chacun d’entre eux et avec le couple thérapeutique dans sa globalité. L’intertransfert rendra compte d’une mise en résonance des projections du couple sur le couple thérapeutique avec ses tensions internes, ses conflits latents, ses failles possibles.
Pour synthétiser, il est possible de décrire trois moments successifs dans l’intertransfert, tels qu’ils ont été identifiés par Defontaine (2003): 1) une première phase, que l’on peut décrire en termes de «lune de miel» ; une sorte d’«illusion duelle, gémellaire» (Anzieu, 1971), caractérisé par un fantasme commun de génération du couple en analyse, alimentée par l’intense plaisir que peut donner le fait de travailler à deux à la «création fantasmée» de l’enfant-couple ; 2) une deuxième phase, qui représente aussi la difficulté majeure de la cothérapie, consiste en la découverte de l’altérité de l’autre et qui peut avoir des effets très critiques et demander un long travail élaboratif; une phase qui évoque l’introduction du tiers – c’est-à-dire le couple – dans la relation duelle; 3) enfin, une troisième phase, dans laquelle les deux analystes, ayant fait le deuil de l’«illusion gémellaire», d’une «peau commune» idéale, en percevant l’autre comme différent, sont au travail et effectuent une analyse périodique de leur propre intertransfert, en prenant toujours en compte la nature illusoire d’une transparence réciproque totale.
À partir de ce modèle, tout en s’en éloignant, Riand et Laroche-Joubert (2011) ont récemment proposé l’idée d’une évolution processuelle du travail du couple thérapeutique qui se déploie en passant d’un fonctionnement où dominent les fantasmes de fusion, base pour la création d’une enveloppe commune aux analystes – le couple thérapeutique comme «double indifférencié» –, a un fonctionnement où les analystes commencent à se percevoir comme différents et complémentaires. Ici le couple thérapeutique, comme «double différencié», peut travailler harmonieusement et «supporter la différence et le conflit, c’est-à-dire la différenciation» (p. 181).
En bref, l’analyse de l’intertransfert est ce travail accompli dans l’aprèscoup qui aide le couple thérapeutique à fonctionner, à considérer les différences de point de vue entre eux à propos de ce qui passe au travers des transferts du couple, chacun étant pénétré de sa façon d’avoir compris le matériel émergé, chacun ayant tendance à suivre son propre fil rouge ; c’est, en fait, la façon propre à chacun des partenaires du couple thérapeutique de vivre émotionnellement le transfert et le contre-transfert qui est l’objet de ce travail de «perlaboration à deux».
Mais la cothérapie est matière à questionnement (Soulié, 2001). Chapelier, Avron et Privat (1985), ont été parmi les premiers à avoir mis l’accent sur le fait que la cothérapie peut être mise en place comme une défense contre les aspects les plus primitifs réactivés par le travail groupal; une défense définie par Robert (2007) comme «fonctionnelle», utile à la «sécurité de base» des analystes au travail. Sur la même ligne de pensée, Ramirez (2002) interprète un tel dispositif comme un acting out, notamment dans le cas où le couple thérapeutique est un couple hétérosexuel, en supposant que celui-ci, dans sa fonction rassurante pour les analystes «va «mettre en sourdine» les aspects les plus archaïques du fonctionnement du couple. Mais encore, l’auteur souligne avec force quelques aspects critiquables de la cothérapie: le fait que l’histoire du couple thérapeutique, constituée par les thérapies qu’il coanime, peut infiltrer l’analyse intertransférentielle qui risque alors de «ne rien avoir à voir avec ce qui se passe dans la séance» (p. 121); le risque que le couple en analyse puisse être court-circuité par la dynamique du couple thérapeutique, si elle n’est pas suffisamment analysée; le risque d’une facilitation d’un clivage des aspects bons et mauvais du transfert ; le risque, enfin, que le couple en thérapie puisse vivre le couple thérapeutique comme couple idéal, comme couple parental idéal, ce qui ne lui permettrait pas «d’effectuer une réélaboration fantasmatique de l’imago du couple
parental» (ibidem, p. 122). Par rapport à ce dernier point, et à partir d’une perspective théorique différente, Bigozzi et coll. (2005) soulignent, par contre, la fonction positive d’une telle dynamique. Selon les auteurs, le couple thérapeutique, nous seulement peut être vécu comme un couple parental, «mais aussi comme réalité qui peut déclencher des processus d’identification et d’internalisation du rapport (que les thérapeutes ont entre eux)» (p. 328).
De façon différente, Dupré La Tour (2002), tout en rappelant qu’à certains moments le couple thérapeutique peut se mettre «à fonctionner en miroir du couple-consultant» – dans une dynamique où les deux couples sont l’un et l’autre «le support des projections de l’autre» –, souligne comment, face à des tels moments de «blocage du couple thérapeutique», l’analyse intertransférentielle peut constituer un outil très important pour la compréhension du fonctionnement du couple thérapeutique, aussi bien que du couple-consultant. L’auteur souligne aussi la nécessité, dans les cas les plus difficiles, de faire recours à la tierceité d’un superviseur ou d’un groupe de supervision, la nécessité d’analyser ce qu’elle appelle le «pré-transfert sur la thérapie de couple», aussi bien que le «pré-transfert sur la cothérapie» et la nécessité, de tenir compte des parcours de formation et d’affiliation respectifs dans le choix du cothérapeute.
La position la plus voisine de la nôtre (Sommantico, Boscaino, 2006 et 2007), bien qu’issue du dispositif de la thérapie familiale psychanalytique, est celle d’André-Fustier et Dorey (2006), selon lesquels l’étayage de la cothérapie offre aux analystes une sécurité «face au débordement quantitatif» vécu en séance, en permettant à chaque analyste «d’accueillir de façon moins défensive les vécus bruts projetés» (p. 165). Les analystes pourraient ainsi «se laisser aller à une régression vers des niveaux de fonctionnements archaïques» avec l’assurance qu’en post-séance ils pourront transformer les projections et les vécus bruts «en vécus psychiques plus élaborés, en scénarios plus névrotisés» (ibidem, p. 166). En ce sens, l’analyse intertransférentielle est un espace de mise en forme, de figuration des vécus en quête de symbolisation.
Plus en particulier, et en accord avec Didillon et al. (1996), je fais l’hypothèse que dans le travail psychanalytique avec le couple, les thérapeutes peuvent être amenés à leur insu « à soutenir le pacte dénégatif du couple » sur une zone commune d’impensé. Cette collusion génère souvent des phénomènes d’attaque de la pensée menaçant la poursuite du travail, de graves désaccords entre les analystes entraînant parfois un échec du traitement, ou provoque des phénomènes de reproduction en miroir du fonctionnement du couple consultant dans la dynamique intertransférentielle. C’est un tel type de fonctionnement intertransférentiel que je voudrais montrer, analyser et synthétiquement discuter au travers un bref exemple clinique.
Dans le dispositif que je présente ici, il y a deux thérapeutes, une collègue et moi-même; une femme et un homme, dont chacun prête son écoute au matériel, perçoit l’atmosphère et entend la situation sur la base de sa propre sensibilité d’homme ou de femme. Nous sommes donc dans un dispositif à l’intérieur duquel un couple thérapeutique hétérosexué traite un couple de patients, dispositif caractérisé par ce que Losso (2000) définit comme une «relation tetracorporelle et multipersonnelle» (p. 89).
L’intertransfert se réfère alors à la partie inconsciente des réactions de chaque analyste aux interventions et aux interprétations de l’autre analyste (Houzel, Catoire, 1994).
Après chaque séance, un quart d’heure est consacré à la discussion de ce qui c’est passé pendant la séance, de façon à favoriser la perception et l’élaboration de l’intertransfert. Ce travail pourra contribuer, je pense, à la compréhension de l’organisation latente du couple en analyse, aussi bien que du couple thérapeutique lui- même.
Le couple B.
- B, héritier d’une entreprise industrielle familiale, ne peut faire le deuil de cette société qui a fait faillite. Il semble également dans l’impossibilité d’accorder une sépulture psychique à son grand-père, le fondateur de cette affaire, qu’il a aimé de manière très ambivalente, pas plus qu’à son père, mort quand il avait 16 ans. Nous en viendrons aussi à connaître une particularité complexe au sein de la fratrie : selon M. B, l’aîné serait responsable de la dilapidation du patrimoine familial, de sa destruction. Le plus jeune n’aurait échappé à l’emprise familiale, notamment de la mère, perpétuellement déprimée, qu’en quittant la ville.
Mme B est la fille d’un riche avocat. Elle a suivi les traces de ce père fortement idéalisé qui répond à cette idéalisation et l’entretient en affichant sa prédilection pour elle. La situation des parents nous est relatée comme un rapport-non rapport. Ils ne se sont jamais mariés –le couple B fera de même- et vivent séparés sous le même toit depuis des années. Du père, elle nous dit qu’il a eu deux, voire trois familles, ce qui a conduit à une autre variante complexe dans la fratrie. Elle évoque un jeune avocat, associé de l’étude paternelle depuis quelques années, qui serait son demi-frère conçu d’une seconde union et très aimé par cette famille bis. On soupçonne aussi qu’une sœur de Mme, la benjamine de sa fratrie, serait née d’une relation adultérine de la mère. Une tante aurait par ailleurs mentionné l’existence d’une autre sœur (réelle ou imaginaire ? en tout cas jamais rencontrée par la patiente), fille de la troisième relation du père.
Les partenaires du couple se présentent comme les héritiers de mandats familiaux implacables. M. B, prisonnier d’un rêve de reconstruction de l’entreprise familiale ne travaille plus depuis des années ; il tire de cette situation un fort sentiment de déchéance personnelle face auquel il ne sait ni ne peut réagir. Mme s’interroge sur son choix professionnel : estelle devenue avocate pour suivre la voie de ce père auquel elle s’est identifiée ? A-t-elle voulu répondre au désir de réussite qui guide la famille depuis la génération de son grand-père, homme autant idéalisé que redouté ?
Dans les premiers temps de la prise en charge il nous a semblé que nous représentions pour les patients un modèle identificatoire inaccessible ; nous formions à leurs yeux un couple uni, fonctionnant harmonieusement, donc objet d’une envie intense qui a pu mettre en péril la poursuite du travail thérapeutique. En écho, dans un mouvement d’idéalisation de nos propres qualités de soignants et de notre capacité à travailler ensemble, nous nous vivions nous-mêmes comme un couple thérapeutique exemplaire. Cette impasse s’est manifestée contretransférentiellement par notre difficulté à écouter les plaintes des patients, et par une forte antipathie envers eux ; réaction en miroir, réponse aux attaques que les B dirigeaient contre nous et contre le néogroupe (Granjon, 1987)[1].
Dans les premiers temps du travail nous avons compris comment, pour Mme B, le fait de se considérer comme une femme brillante, dans le sillage du père sur le plan professionnel et comment, pour lui, la tentative de réparer son échec en s’affirmant dans son identité masculine s’exprimaient dans la relation conjugale. Ces deux pôles nourrissaient une dynamique intersubjective marquée par la dévalorisation, les attaques, les récriminations et la violence qui empêchaient M. et Mme B de se reconnaître comme des partenaires adultes, conscients de la réalité de l’autre, c’est-à-dire du différent qui toujours les ramenait à l’image du frère et de la sœur, rivaux, haïs et critiqués. Nous étions alors placés en position de parents-juges de ce conflit fraternel permanent qui ne pouvait être apaisé du fait d’une colère insatiable (Kancyper, 2003).
Durant la première année du traitement nous avons cherché à comprendre la manière dont les liens fraternels des partenaires infiltraient leur choix amoureux et envahissaient leur relation de couple. En progressant dans le travail, la réactualisation de ces complexes fraternels non résolus et leur signification nouvelle (Kaës, 2008 ; Sommantico, 2008) nous sont apparus de plus en plus évidentes.
Dans l’analyse intertransférentielle de post-séance, nous nous sommes longuement interrogés sur cette dynamique qui venait se rejouer dans notre couple thérapeutique. Comme les B en séance, nous étions incapables de nous écouter. Nous adoptions des positions qui visaient à « défendre » l’un ou l’autre des partenaires, via des réactions « intransigeantes » et « revendicatives », en miroir de celles des patients. Nous-mêmes, comme les B, nous sentions et comportions comme un frère et une sœur en lutte pour que chacun fasse triompher sa « vérité ». C’est alors seulement en élaborant ces vécus, en les envisageant comme des déplacements de l’envie et de la jalousie fraternelles de M. et Mme B, que nous avons alors saisi leur importance dans les liens conjugaux et dans les transferts latéraux, notamment sur d’autres patients. Sur ce point les B nous demanderont à plusieurs reprises d’intervertir l’heure de leur rendez-vous avec celle d’un autre couple que nous recevions avant eux et qu’ils avaient croisé.
Dans leur imaginaire ces personnes qui les précédaient représentaient le couple parfait ou notre « enfant » préféré.
Elaborés dans notre contre-transfert, nos sentiments hostiles ont pu s’apaiser ce qui nous a permis de comprendre, de donner sens et forme à la douleur et aux regrets que vivaient les patients. Ainsi nous avons réussi à comprendre que nous étions en présence de ce que j’appellerai des échos, voire des résurgences dans la dynamique du couple des complexes et des liens fraternels (Sommantico, 2012) fortement déniés. C’est alors, comme j’ai dit, seulement en pouvant reconnaitre singulièrement en nous, mais encore plus dans la dynamique de notre couple thérapeutique, les mêmes résurgences qu’on a pu les écouter, les accueillir, les contenir, voire les transformer dans le travail avec le couple. C’est-à-dire encore, que seulement la possibilité de reconnaitre dans le couple thérapeutique ces échos, parfois très douloureux, dans leur charge d’amour et de haine, a pu permettre au couple en thérapie de ne plus dénier, donc de se réapproprier et en même temps de commencer à transformer ces éléments de leurs histoires singulières qui avaient infiltrée leur histoire de couple.
Conclusions
Il me semble que ce bref exemple clinique montre bien comment dans le dispositif de co-thérapie, défini par Lemaire comme un « cadre fantôme » (J-G Lemaire, 1998), s’actualisent de manière inconsciente les parties les plus indifférenciées ou symbiotiques des protagonistes de la situation. Le couple thérapeutique peut reproduire en séance, dans son associativité, un fonctionnement semblable à celui du couple qui consulte et avoir ainsi des difficultés à reconnaître la différence et l’altérité, vécues comme des menaces pour le lien conjugal[2]. Cette difficulté à reconnaitre l’altérité c’est un propre du fraternel qu’on a bien vu à l’œuvre dans le couple B aussi bien que dans notre couple thérapeutique. A été la reconnaissance préalable de la part de cothérapeutes, dan leur travail intertransférentiel, ce qu’a permis, à mon avis, que le couple B soit sortie d’un pacte dénégatif sur le fraternel, si intensément à l’œuvre dans sa dynamique intersubjective.
Il me semble également que cette vignette montre comment le couple thérapeutique peut être violemment sollicité dans ses vécus les plus archaïques. Dans le travail de post séance ceux-ci pourront être élaborés « dans l’étayage du lien inter transférentiel » (Aubertel, 2012), lien qui comme le rappellent André-Fustier et Dorey (2006, p. 167) « est le lieu de dépôt et de mise en mouvement d’une matière psychique propre à symboliser ce qui est transmis de façon brute, à travers une sensorialité en attente de liaison et de symbolisation ». C’est alors seulement, en retrouvant une « fonction contenante », que le couple thérapeutique peut essayer de créer un espace de symbolisation et d’ouverture vers un travail de subjectivation.
Je crois que cet brève exemplification clinique montre aussi comment le temps de réflexion commun après la séance, outre l’analyse de ces phénomènes, peut permettre aux co-thérapeutes de repérer les organisateurs inconscients du lien dans le couple thérapeutique luimême afin de mieux comprendre la dynamique des échanges, des liens affectifs et des statuts que chacun assume consciemment ou non dans la conjugalité. Pour le couple B, on l’a vu, un des organisateur plus actif était le fraternel, tantôt plus actif en tant que fortement dénié en même temps que projeté, voire rejeté et expulsé dans le couple thérapeutique. Son repérage, avant tout dans le fonctionnement de cette dernière a été le travail préalable à sa reconnaissance et possible transformation pour le couple en thérapie.
L’écoute de l’associativité du couple et de ses plaintes reflétant la souffrance partagée, associée à l’attention portée aux processus intertransférentiels, permette alors d’aider le couple à se dégager de la répétition mortifère qui avait initié sa demande : ce qui est vécu dans le lien intertransférentiel peut être lu comme les effets du dépôt de matière psychique brute par le couple en thérapie. La transformation et la symbolisation de ces dépôts dépendront pour partie de l’analyse intertransférentielle.
Bibliographie
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[*]Massimiliano Sommantico. Psychologue, Psychothérapeute Familial Psychanalytique, Chercheur en Psychologie Clinique à l’Université de Naples “Federico II”, Membre fondateur du Département de Psychanalyse Appliquée au Couple et à la Famille (ISPPREF, Naples), Membre du Bureau et du Conseil Scientifique de l’Association Internationale de Psychanalyse de Couple et de Famille. Via S. Caterina da Siena, 39, 80132 Napoli sommanti@unina.it
[1] Nous partageons le point de vue de Norsa et Zavattini (1997) qui indiquent qu’en co-thérapie le maniement du contre-transfert s’effectue « au travers des moments de différenciation entre les thérapeutes ».
[2] Ce point de vue est exprimé par Rusczynski (1993) qui, dans une approche théorique différente, recommande le travail en co-thérapie pour les couples dont le fonctionnement est caractérisé par l’action de mécanismes de défense primitifs.