REVISTA N° 13 | AÑO 2013 / 1
Resumen
La bisexualidad psíquica en el psicoanálisis de pareja.
La pareja que consulta suele presentar trastornos de la diferenciación porque la elaboración del « nosotros », necesaria para que se forme, despierta la problemática fusional de la relación a la madre primitiva y afecta a las personas cuyo narcisismo y fronteras son frágiles (Lemaire). A esas personas les ha sido difícil estar en una relación con sus dos padres al mismo tiempo, y su Edipo ha sido poco estructurante en sus aspectos directo e invertido; las figuras de padre aparecen borradas, dejando todo el espacio a figuras de madre en continúa expansión, lo que provoca trastornos de la identificación sexual para los miembros de la pareja en terapia. Los conflictos que les oponen ponen en juego la diferencia de género (Eiguer), y más precisamente las oposiciones Freudianas clásicas: activo/pasivo, fálico/castrado, masculino/femenino.
A partir del ejemplo de una terapia de pareja en supervisión, las autoras, dos co-terapeutas, cuestionan los efectos de la bisexualidad psíquica en el transfer, contra-transfer y intertransfer: en qué medida la combinación del envolvimiento materno y de la firmeza paterna (Ciccone) puede sostener una restructuración de los vínculos de la pareja, favoreciendo en ambos la expresión de la bisexualidad psíquica, definida como una tensión hacia lo que no somos (DanonBoileau)?
Palabras claves: pareja, co-terapia, bisexualidad psíquica, procesos terapéuticos psicoanalíticos.
Résumé
Bisexualité psychique en thérapie de couple
Le couple qui consulte présente souvent des troubles de la différenciation car l’établissement du « nous » nécessaire à sa formation réveille la problématique fusionnelle de la relation à la mère primitive et éprouve les sujets dont le narcissisme et les frontières sont fragiles (Lemaire). Ceux-ci ont fréquemment connu des difficultés à être en relation avec leurs deux parents en même temps, et leur Oedipe a été peu structurant dans ses aspects direct et inversé ; les figures de père apparaissent en retrait, laissant toute la place à des figures de mère en expansion continue, source de troubles des identifications sexuées chez les partenaires du couple en thérapie. Les conflits qui les opposent mettent en jeu la différence des genres (Eiguer), et plus précisément les oppositions freudiennes classiques : actif/passif, phallique/castré, masculin/féminin.
A partir de l’exemple d’une thérapie de couple en cours de supervision, les auteurs, interrogent les effets de la prise en compte de la bisexualité psychique dans le transfert, le contre-transfert et l’intertransfert : dans quelle mesure la combinaison de l’enveloppement maternel et de la fermeté paternelle (Ciccone) peutelle soutenir une restructuration des liens du couple en favorisant chez les deux partenaires l’expression de la bi-sexualité psychique, définie comme tension vers ce que l’on n’est pas (Danon-Boileau) ?
Mots-clés : couple, co-thérapie, bi-sexualité psychique, processus thérapeutiques psychanalytiques.
Summary
Psychoanalysis of the couple and psychic bisexuality
Couples consulting a psychoanalyst frequently suffer from differentiation disorders, insofar as the establishment of the “us” underlying their very formation awakens the issue of the symbiotic relation with the primitive mother and tries the subjects whose narcissism and boundaries are fragile (Lemaire). The latter frequently found it difficult to be in relation with their two parents at the same time, and their Oedipus proved not to be structuring enough in either its direct or inverted aspects; the father figures are withdrawn, giving way to ever-expanding mother figures, source of sexual identification disorders in the partners forming the couple in therapy. The conflicts that oppose them revolve around gender differences (Eiguer), and more specifically around the classic Freudian oppositions between active and passive, phallic and castrated, masculine and feminine.
Starting from the example of a currently supervised couple, the authors, two female co-therapists, question the effects of psychic bisexuality in transfer, countertransfer and intertransfer: to what extent can the combination of maternal encompassing and paternal firmnes (Ciccone) promote a restructuration of the links within the couple, favoring in both partners the expression of their psychic bisexuality, defined as a tension towards what one is not (DanonBoileau)?
Keywords: couple, co-therapy, psychic bisexuality, psychoanalytical therapeutic processes
ARTÍCULO
LE TRAVAIL DE LA BISEXUALITÉ PSYCHIQUE EN PSYCHANALYSE DE COUPLE
GONTIER ELISABETH[1], GERSANT MICHÉLE[2], ROBERT PHILIPPE[3]
Introduction
Généralement, un couple vient consulter pour des troubles de la différenciation ; ce ne sont pas les thématiques de la relation d’objet libidinale ni de la différence des sexes qui sont au premier plan, mais les problématiques régressives du « nous » et c’est la relation à la mère primitive qui va d’abord être convoquée dans le transfert. Face à ce type de trouble nous cherchons à mettre en évidence les effets produits par le dispositif particulier d’un couple thérapeutique composé de co-thérapeutes femmes. Pour en traiter, une question nous servira de fil rouge : n’y a-t-il pas un paradoxe dans le fait que ce soit un couple thérapeutique homogenré qui se trouve devant la tâche de soutenir la différenciation dans le couple accueilli en thérapie ? Quel rôle le travail de la bisexualité psychique peut-il jouer dans la prise en charge, ce processus peut-il contribuer à diminuer la prégnance de la problématique narcissique et permettre un accès plus libre à la relation d’objet libidinale ? Nous écouterons les résonances de la bisexualité psychique dans notre contretransfert, mais aussi dans notre intertransfert ; rappelons que ce concept, spécifique à la co-thérapie, est défini par René Kaës (1976) comme « l’état de la réalité psychique des psychanalystes en ce qu’elle est induite par leurs liens dans la situation de groupe »[4] ; la pratique de la co-thérapie implique ainsi pour chaque thérapeute une attention particulière à sa propre bisexualité psychique.
1. Repères théoriques concernant le couple en thérapie
L’établissement du « nous » nécessaire à la formation du couple réveille la problématique fusionnelle de la relation à la mère primitive. C’est ainsi que Freud (1905) le formule par exemple dans Les trois essais : « ce n’est pas sans de bonnes raisons que la figure de l’enfant qui tète le sein de sa mère est devenu le modèle de tout rapport amoureux. La découverte de l’objet est à vrai dire une redécouverte »[5][6]. Jean Lemaire (1979) a ensuite été un des premiers à développer cette thématique qui établit comme modèle de la relation amoureuse la nostalgie de l’unité fusionnelle à jamais perdue et à jamais désirable entre le bébé et le sein, parlant à propos du couple d’une « fusion qui représente quelque chose de plus que la possession, une sorte de degré plus avancé dans la disparition des limites du moi »[7]. Un tel processus éprouve les sujets dont le narcissisme et les frontières sont fragiles, ceux dont la structure psychique ne présente pas un fonctionnement typiquement névrotique. Souvent, en effet, les couples qui consultent ont connu des difficultés à être en relation avec leurs deux parents en même temps, et leur petite enfance a été marquée sinon par l’exclusion psychotique du tiers, du moins par l’alternance entre l’expression d’une relation privilégiée à une figure de mère en expansion continue et d’une relation affaiblie à une figure de père en retrait. Ils ont vécu un Oedipe peu structurant dans ses aspects direct et inversé, ce qui a pu être source d’un développement insuffisant de leur bisexualité psychique et par suite de troubles à la fois du narcissisme et des identifications sexuées.
C’est ainsi que la différence des sexes, au lieu de rapprocher les deux sujets dans la tension désirante vers l’autre, devient une source de conflit car l’altérité est mal supportée, elle est ressentie comme un appel à rivaliser avec l’autre pour avoir le dessus et se montrer supérieur ; ils entrent durement en conflit sur la différence des genres dont la nature énigmatique vient, selon Alberto Eiguer (2010)[8], renforcer dans le couple la crainte de l’emprise, la rivalité et la jalousie. Mais parallèlement, si les deux partenaires essaient de gommer leurs différences, alors la menace de dissolution de soi dans l’autre passe au premier plan de façon insupportable. L’attrait de la dissymétrie radicale entre le masculin et le féminin ne se faisant pas sentir pour eux, ce sont les enjeux plus archaïques de la lutte pour la domination du phallique sur le castré, voire de l’actif sur le passif qui se trouvent réactivés. Toujours selon Alberto Eiguer (2010) : « La démarche phallique vise à ce que chacun réalise son propre projet narcissique en ignorant celui de l’autre. Quel est le but de la rivalité entre les genres ? Elle vise pour l’essentiel à pallier la peur qu’éveille l’autre genre. Tant que le sujet s’impose à l’autre, il a le sentiment qu’il échappera à sa castration. Nombre de fantasmes partagés éveillent ces craintes et dramatisent leur contenu. La crainte de l’effacement des limites est étroitement liée au fantasme partagé d’être dévoré par l’autre ou d’être écrasé par lui »8.
2. Proposition thérapeutique : le travail de la bisexualité psychique
Essayons maintenant de repérer et d’analyser certains des processus thérapeutiques qui ont pu se déployer dans le cadre d’une thérapie de couple menée dans un centre médico-psychologique pour enfants par deux co-thérapeutes femmes. Le cadre institutionnel étant très inhabituel, il nous faut d’abord expliciter l’indication. Le couple a été adressé parce que la consultante responsable du projet de soins de leur enfant de 6 ans a estimé que ses troubles, de type instabilité psychomotrice, trouvaient leur origine dans le conflit entre les parents, qui ne vivaient plus ensemble, mais paraissaient ne pas être séparés psychiquement. L’enfant qui venait à ses rendez-vous accompagné tantôt par son père, tantôt par sa mère avait d’ailleurs réalisé un dessin sur les deux faces de la même feuille de papier, l’un en présence de son père, et l’autre en présence de sa mère, les réunissant ainsi symboliquement. L’indication ne portait donc pas sur une guidance parentale à effectuer auprès d’un père et d’une mère ex-conjoints devenus indifférents ; elle portait clairement sur un travail de couple à mener auprès de deux partenaires ne se revendiquant plus comme tels, et pourtant encore unis par une haine bien perceptible dès la première rencontre que nous avons eue avec eux ; cette haine se manifestait par des mouvements d’emprise phallique de la jeune femme envers son ex-compagnon qui lui se déprimait de façon complémentaire ; les aspects sadiques et régressifs du lien pouvaient apparaître par exemple dans le fait qu’elle était susceptible de lui donner des claques sur l’arrière de la tête, comme elle évoquait le faire parfois sur leur fils désobéissant. Rappelons que pour Freud (1915), la haine du partenaire est liée à un déplaisir infligé par celui-ci et non pas à la fin de l’amour ; « il y a régression de l’aimer au stade préliminaire phallique »[9]. En effet, la haine correspond à un mouvement de conservation narcissique dans lequel le moi qui se sent menacé par l’altérité rejette l’objet parce qu’il génère des tensions.
Comme Freud (1913) le soulignait déjà, la bisexualité psychique permet de surmonter la haine dans la relation amoureuse, en effet, elle permet de réconcilier les exigences narcissiques et objectales en leur donnant également satisfaction ; je cite : « pour la plupart des gens normaux, aussi, l’objet est une réalisation de désir bisexuelle et il existe un déplacement continuel de l’homme sur la femme et viceversa »[10]. Nous comprenons bien en effet que l’amour du même doit être préservé à côté de l’amour de l’autre, comme le bébé doit d’abord unir les pulsions partielles dans l’amour de soi avant de pouvoir se tourner vers l’objet, et comme plus tard l’amour pour le parent du même sexe coexiste avec l’amour pour le parent du sexe opposé. Laurent Danon-Boileau (2001) explicite quant à lui la valeur structurante de la bisexualité psychique en ces termes : « notre richesse d’échange avec autrui, notre qualité dans les rapports banaux (mais aussi dans ceux d’amant ou de maîtresse) dépend pour une part non négligeable de la manière dont psychiquement nous avons pu aménager notre relation à notre corps sexué, c’est-à-dire prendre en compte également ce qu’il n’est pas ». Pour cet auteur, la bisexualité psychique peut en effet être définie comme la « tension vers ce que l’on n’est pas »[11], c’est-à-dire vers la possibilité fantasmatique d’aimer non pas simplement la personne du sexe opposé, mais COMME la personne du sexe opposé ; en soutenant notre narcissisme, la bisexualité psychique nous ouvre ainsi à la capacité de supporter l’altérité. Nous nous référons également à la conception lacanienne du désir en tant que « moment de la coupure » qui introduit le manque, défini comme « moins encore que le rien »12 : précisément, le jeu avec sa propre bisexualité psychique pourrait bien être ce qui permet au sujet de supporter sans manifester trop de haine à son partenaire la coupure, la « sexion », la solitude radicale, l’impossibilité radicale de retrouver l’objet premier dans l’objet d’amour, et l’impossibilité tout aussi radicale de rejoindre vraiment l’objet d’amour et de fusionner avec lui qui a fait dire à Lacan qu’ « il n’y a pas de rapport sexuel »[12].
Si nous en revenons maintenant à notre questionnement sur les processus thérapeutiques, nous pensons d’abord avoir trouvé un facteur de changement pour le couple dans le jeu des identifications au couple de co-thérapeutes, dans lequel le travail de la bisexualité psychique était à l’œuvre par la mobilisation des identifications masculine et féminine, notamment sensitivité féminine et effort de maîtrise masculin. Le cadre de la co-thérapie pouvait en effet se présenter comme un « couplage de l’enveloppement maternel et de la fermeté paternelle », capable selon Albert Ciccone (2011) de favoriser « la constitution d’objets internes supports d’identité »14 chez chacun des deux membres du couple en thérapie. Nous nous sommes également demandées dans quelle mesure le jeu avec la bisexualité psychique présent dans ce dispositif (et déjà à l’œuvre dans le choix des co-thérapeutes de se coopter) pouvait induire une restructuration des liens dans le couple, en soutenant chez chacun des deux partenaires l’expression de sa propre bisexualité psychique. En effet, selon Patrick Miller (2002), la bisexualité psychique permet la « mobilité des positions identificatoires dans le fantasme de scène primitive » « entendue comme représentation originaire de la rencontre qui donne naissance à la vie psychique »[13]. Nous pensons ainsi que les liens que nous mobilisions dans l’intertransfert pouvaient être une figuration de la scène primitive et venir soutenir chez chaque membre du couple en thérapie une représentation positive du lien de couple, comme susceptible de conduire non pas à la destruction, mais à une renaissance de la vie psychique.
3. Analyse de la situation clinique
Le travail de la bisexualité psychique a pu diversifier et enrichir les identifications sexuées pour chacun des deux sujets consultant en couple que nous désignons ici par les prénoms de Bertrand et de Raphaëlle (pour la jeune femme dont le prénom réel est à consonance mixte). Au début de nos entretiens, Raphaëlle paraissait assumer le pôle actif du couple, gardant une attitude sthénique et rejetant les émotions dans un effort de maîtrise masculin ; Bertrand représentait de son côté le pôle réceptif et impressionnable, il manifestait une sensitivité féminine en se laissant aller à pleurer et en acceptant de se laisser affecter par ses sentiments. La jeune femme l’attaquait durement sur ce terrain, lui faisant de multiples reproches, notamment de ne pas se consoler de la séparation qu’elle avait voulue, tandis que lui semblait prêt, comme dans la chanson de Jacques Brel, à devenir l’ombre de son chien pour pouvoir rester auprès d’elle. L’une des co-thérapeutes intervint alors pour le soutenir en se positionnant de façon active : elle valorisa la possibilité d’exprimer ses sentiments en thérapie, et voulut montrer qu’il s’agissait d’une capacité intéressante pour le développement du travail thérapeutique. Ce mouvement sans doute un peu défensivement pédagogique fut ressenti par Raphaëlle comme une critique qui lui était destinée et déclencha sa colère, d’autant plus que cette première co-thérapeute se sentait agacée par les attaques de la jeune femme visant à rabaisser le masculin chez Bertrand. Dans ces conditions, la thérapie risquait de tourner court. Mais la deuxième cothérapeute se mit l’écoute de Raphaëlle sans intervenir, en se plaçant dans un état d’observation réceptive et en s’abstenant de tout jugement ; grâce à la relation intertransférentielle, la première cothérapeute éprouvait un vif l’intérêt pour l’activité thérapeutique déployée par sa collègue ce qui eut pour effet de transformer progressivement le contre-transfert maternel négatif qu’elle agissait vis-à-vis de Raphaëlle. C’est ce jeu des positions masculines et féminines dans le couple de co-thérapeutes qui permit le développement de la bisexualité psychique dans le couple en thérapie, Raphaëlle réussissant finalement à intégrer les émotions et à pleurer à son tour tandis que Bertrand parvenait à développer une maîtrise masculine de lui-même et de nombreuses situations dans lesquelles il montra sa fermeté.
Le travail de la bisexualité psychique a également pu modifier les relations interpersonnelles dans le couple en thérapie en opérant un remaniement des imagos parentales pré-oedipiennes. Nous avons repéré chez Raphaëlle et chez Bertrand un manque d’articulation harmonieuse des parents internes, avec une défaillance notable des pères dont les imagos étaient marquées par la faiblesse, et une surpuissance des mères, dont les imagos phalliques étaient données par le couple pour avoir été à l’origine de la séparation, soit par leur dureté castratrice, pour ce qui concerne la mère de Bertrand, soit par leur caractère intrusif, pour ce qui concerne la mère de Raphaëlle. Cette dernière était par exemple décrite comme susceptible de « passer devant » Bertrand, au sens physique du terme, pour s’emparer de l’enfant et résoudre à sa façon à elle le problème éducatif que le père avait commencé à régler. Celle des deux cothérapeute qui avait écouté Raphaëlle sans discuter au début de la prise en charge put ainsi figurer une mère renonçant au pouvoir phallique, acceptant de perdre, tandis que l’autre co-thérapeute représentait possiblement un père transmettant un héritage venant renforcer l’avoir de Bertrand.
L’analyste, objet contenant, ne peut l’être qu’en rassemblant pour luimême les qualités bisexuelles d’être « réceptif-féminin » et « consistant-masculin » (Albert Ciccone 2011). La bi-sexualité psychique porte le petit garçon non seulement à désirer la mère dans l’Oedipe direct, mais aussi à envier le pénis adulte et à désirer être inséminé du masculin par son père dans l’Oedipe inversé. Or, dans les débuts de la prise en charge, l’une des co-thérapeutes se sentait exclue de la relation privilégiée que l’autre avait établie avec Bertrand ; il lui semblait être privée de quelque chose d’enviable, que sa co-thérapeute avait et qu’elle acceptait de transmettre au jeune homme. Mais dans le même temps, cette deuxième co-thérapeute se sentait au contraire vis-à-vis de Bertrand dans une position féminine d’attente que quelque chose de fort et de solaire se manifeste chez lui, et qu’il puisse montrer ce qu’il avait. Elle craignit d’abord de prendre la place de Raphaëlle au travers de cette attente quasidésirante qu’elle se reprochait comme un non-respect de la neutralité, jusqu’à ce qu’elle se souvienne que le désir de la petite fille ne s’éveille pas directement pour le père mais triangule par le désir que la mère éprouve pour le père ; elle pensa alors que si quelque chose transparaissait de son mouvement contre-
transférentiel pour Bertrand, cela pouvait contribuer à réveiller le désir chez Raphaëlle. Par ailleurs, la première co-thérapeute était celle qui avait tissé un lien privilégié avec la jeune femme, par laquelle elle ne tarda pas à se sentir regardée de façon insistante et assez érotisée. Sa collègue, quant à elle, ressentait plutôt que Raphaëlle voulait par là s’identifier à une femme détentrice d’une supposée puissance et cherchait en même temps un modèle de féminité à imiter, de la même manière que la petite fille voudrait à la fois garder un lien régressif à la mère primitive, phallique et non castrée, mais aussi être comme l’amante du père sur un mode beaucoup plus œdipien.
Enfin, le jeu avec la bisexualité psychique permet de prendre en compte ce que l’on n’a pas, et de penser la séparation, possibilité qui se manifesta dans une séance réalisée au bout de 18 mois de prise en charge, alors que le couple « se refréquentait », selon l’expression de Raphaëlle. A la faveur de cette séance, particulière parce que l’une des co-thérapeutes était absente, le couple évoqua l’aggravation des symptômes de leur fils, exprimant le regret de n’avoir pas clairement parlé avec lui de « la nouvelle situation », c’est-à-dire de la reconstitution du couple conjugal. L’institutrice avait en effet attiré l’attention des deux parents sur la manière obsédante par laquelle l’enfant les représentait graphiquement en dessin, ou symboliquement par des phrases identiques « papa je t’aime » et « maman je t’aime » puis découpait les feuilles en morceaux de plus en plus petits, les recollait au plus près et recommençait à nouveau… Après cette évocation du fils recollant les morceaux des parents voire du couple, Raphaëlle put enfin verbaliser : « on n’est pas comme une famille normale, pendant ces 2 ans, je me rends compte aujourd’hui qu’on n’a pas eu de vraie séparation, c’est pour ça que c’est difficile d’en parler avec lui », Bertrand confirmant « c’est vrai, c’est comme si on n’avait jamais été séparés ». Le fait que le couple de cothérapeutes se soit trouvé lui-même dans une « nouvelle situation », où l’absente était représentée spatialement par la chaise vide et psychiquement par le jeu de la bisexualité psychique chez sa collègue, semblait bien soutenir chez le couple en thérapie l’élaboration sur la réalité de la séparation qu’il avait traversée. Raphaëlle et Bertrand témoignaient en cela d’une capacité nouvelle à pouvoir penser leur union à travers une représentation de l’absence qui leur avait fait défaut jusque-là. Dès lors, la thérapie allait pouvoir évoluer vers la possibilité d’une meilleure différenciation, ce qui permit à la problématique narcissique-phallique de passer au second plan ; l’Œdipe et notamment la place de l’enfant entre ses parents put ainsi être abordée, permettant au petit garçon de se situer moins à l’interface du couple parental et davantage comme sujet pour luimême.
Conclusion
La co-thérapie est un aspect essentiel du dispositif sans doute encore insuffisamment travaillé. Ce dispositif est parfois critiqué, le couple de co-thérapeutes pouvant représenter « pour de vrai » le couple parental. Le travail d’analyse de l’inter-transfert, dans la pratique, n’est certainement pas assez élaboré (Robert, 2007). Le terme « d’intertransfert » est lui-même discutable dans la mesure où les processus de déplacement et de figuration ne sont pas les mêmes entre la famille – ou le couple – et les thérapeutes que ceux existant entre les thérapeutes.
La co-thérapie est davantage utilisée en thérapie familiale. Ici, en thérapie de couple, nous espérons avoir montré comment pouvaient s’imbriquer les contre-transferts individuels à travers la bisexualité psychique de chacun.
Bibliographie
Ciccone, Albert, 2011, La psychanalyse à l’épreuve du bébé.
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Robert Philippe, 2007, « La thérapie familiale psychanalytique : questions techniques » in L’inconscient dans la famille, dir. Lemaire Jean-G., Paris, Dunod.
[1] Thérapeute de famille et de couple membre de Psyfa, psychologue clinicienne, 11 avenue du Général de Gaulle 37300 Joué-lès-Tours, France.
[2] Conseillère conjugale et familiale membre de Psyfa, Centre périnatal de proximité d’Aunaysur-Odon, 5 rue de l’Hôpital, 14260 Aunay-sur-Odon, France.
[3] Maître de conférences HDR en psychologie clinique, LPCP Université Paris Descartes, psychanalyste, thérapeute de famille, président d’honneur de PSYFA3.
[4] cité par Riand Raphaël et Laroche-Joubert Mathilde, 2011, « Du double indifférencié eu double différencié » in Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe n°57 Mise en jeu et enjeu du corps, Toulouse, Erès, p.172
[5] Freud, Sigmund, 1905, Les trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard,
[6] , p.165
[7] Lemaire, Jean, 1979, Le Couple, sa vie, sa mort, Paris, Payot et Rivages, 2005, p.160
[8] Eiguer, Alberto, 2010, « Liens narcissiques et objectaux du couple et leur articulation avec la différence des genres » in Le Divan familial 2010/1 n°24, In press, pp.147-165 8 ibid.p.160
[9] Freud, Sigmund, 1915, « Pulsions et destins des pulsions », in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 2000, p.42
[10] Freud, Sigmund, 1913, Correspondance avec Binswanger, Lettre du 20-02-1913, Paris, 1995
[11] Danon-Boileau, Laurent, « Trouble dans le féminin de l’homme », Conférence d’introduction à la psychanalyse de l’adulte du 21 novembre 2002, Conférences en ligne de la SPP, disponible à la page : www.spp.asso.fr/main/conferencesenligne/Items/24.htm 12 Lacan, Jacques, 1966, « La direction dans la cure dans les principes de son pouvoir, 5, Il faut prendre le désir à la lettre » in Ecrits Tome 2, Paris, Seuil, 1999, p.107
[12] Lacan, Séminaire XIX, Ou pire, séance du 17 mai 1972, texte disponible en ligne à la page http://espace.freud.pagesperso-orange.fr/topos/psycha/psysem/oupire10.htm 14Ciccone, Albert, 2011, La psychanalyse à l’épreuve du bébé. Fondements de la position clinique, Paris, Dunod. Chapitre 11 : Bisexualité, bisensualité, biparentalité et bigénérationnalité psychiques p.177.
[13] Miller, Patrick, 2002, « Formes élémentaires de la bisexualité psychique », in Topiques, 2002/1 no 78, pp. 7-19, p.15