REVISTA N° 24 | AÑO 2021 / 1

El juego y el trabajo psíquico sobre el trauma en un grupo de Photolangage© (Fotolenguaje) con madres de niños con trastornos de conducta

El juego y el trabajo psíquico sobre el trauma en un grupo de Photolangage© (Fotolenguaje) con madres de niños con trastornos de conducta

El trabajo tiene como objetivo profundizar la reflexión sobre el uso del método Photolangage© (Fotolenguaje) dentro de un grupo de padres, en particular de un grupo de madres, y describir los procesos de activación y transformación del imaginario del vínculo padre-hijo que puede lograrse a través de este método, haciendo que sea muy útil para abordar las dificultades de mentalización, simbolización y procesamiento psíquico de experiencias en familias disfuncionales.

Al considerar los diferentes tipos de imago materna como expresión de diferentes cualidades de la experiencia de maleabilidad y propiedades del medio maleable, la autora relatará algunas secuencias tomadas de un grupo de Photolangage© (Fotolenguaje) compuesto por madres de niños de entornos desfavorecidos y con problemas conductuales. Las secuencias muestran cómo los intercambios en torno a la presentación de fotografías para describir las relaciones infantiles vividas por las madres con sus propias madres hacen surgir imagos maternos y objetos internos que presentan diferentes niveles de vitalidad, flexibilidad, disponibilidad y, finalmente, diferentes tipos de experiencia de maleabilidad de objetos.

Concluyendo, el estudio muestra cómo el método Photolangage© (Fotolenguaje) apoyó la expresión y la circulación de estas imagos, y permitió, a través de la cadena asociativa de grupo, desarrollar un proceso de transformación psíquica.

 

Palabras clave: grupo de padres, trauma, Photolangage© (Fotolenguaje), objeto mediador, objeto maleable.


Jeu et travail psychique sur le traumatisme dans un groupe Photolangage© avec des mères d’enfants ayant des troubles comportementaux

Cet article vise à approfondir l’utilisation de la méthode Photolangage© au sein d’un groupe de parents, en particulier d’un groupe de mères, et à décrire les processus d’activation et de transformation de l’imaginaire du lien parent-enfant qui peuvent être suscités grâce à cette méthode, très utile pour aborder les difficultés de mentalisation, de symbolisation, et de traitement psychique des expériences dans les familles dysfonctionnelles.

En considérant les différents types d’imago maternelle en tant qu’expression de différentes qualités de l’expérience de malléabilité et de propriétés du médium malléable, l’auteur rapporte quelques séquences tirées d’un groupe Photolangage© composé de mères d’enfants ayant des problèmes comportementaux et issues de milieux défavorisés. Les vignettes montrent comment les échanges autour de la présentation de photos, pour décrire les relations infantiles vécues par les mères avec leurs propres mères, font ressortir des imagos maternelles et des objets internes qui présentent différents niveaux de vitalité, de flexibilité, de disponibilité et, enfin, différents types d’expérience de malléabilité de l’objet.

En conclusion, l’article montre comment la méthode Photolangage© a soutenu l’expression et la circulation de ces imagos, et a permis, à travers la chaîne associative de groupe, de développer un processus de transformation psychique.

Mots-clés: groupe de parents, trauma, Photolangage©, objet médiateur, objet malléable.

 


Play and psychic work on trauma in a Photolanguage© group with mothers of children with behavioural problems

 

The article aims to deepen the use of the Photolanguage© method within a group of parents, in particular a group of mothers, and to describe the processes of activation and transformation of what is imaginary in the parent-child bond which can be elicited through this method, and which makes it very useful in addressing the difficulties of mentalization, symbolisation, and psychic processing of experiences in dysfunctional families.

By considering the different types of maternal imago as an expression of different qualities of the experience of malleability and properties of the malleable medium, the author reports some sequences taken from a Photolanguage© group composed of mothers of children with behavioral problems. The vignettes show how the exchanges during the presentation of photos, in order to describe the infantile relationships experienced by mothers with their own mothers, bring out maternal imagos and internal objects that present different levels of vitality, flexibility, availability and, finally, different types of experience of the object’s malleability.

In conclusion, the study shows how the Photolanguage© method supported the expression and circulation of these imagos, and has allowed, through the group’s associative chain, the development of a process of psychic transformation.

Keywords: parent group, trauma, Photolanguage©, mediating object, malleable object.


ARTÍCULO

Groupe Photolangage© et imaginaire du lien parent-enfant

 

Le travail que je propose vise à approfondir l’utilisation de la méthode Photolangage© au sein d’un groupe de parents, en particulier d’un groupe de mères, et à décrire les processus d’activation et de transformation de l’imaginaire du lien parent-enfant qui peuvent être activés grâce à cette méthode, très utile pour aborder les difficultés de mentalisation, de symbolisation, et de traitement psychique des expériences dans les familles dysfonctionnelles.

Dans de nombreux cas, en effet, les relations familiales dysfonctionnelles se caractérisent par la présence de fantômes issus d’expériences traumatiques antérieures, qui sont vécues par les parents comme des violences et des intrusions capables de suspendre leur fonctionnement élaboratif et de favoriser l’utilisation massive de mécanismes défensifs primitifs.

À cet égard, Selma Fraiberg (1980), en essayant d’identifier et de décrire les mécanismes psychiques qui peuvent produire la répétition des conflits et des traumatismes du passé d’un parent dans la relation avec son enfant, a souligné le rôle particulier joué dans ces cas par le sort des affects vécus dans l’enfance par les parents.

Dans les cas où l’expérience traumatique est restée inélaborée, le recours défensif à l’isolement des affects, à leur refoulement et à des mécanismes dissociatifs, ouvre la voie à des processus d’identification à l’agresseur et à des phénomènes de mise en acte, où seule la possibilité de retrouver l’accès aux difficultés, aux angoisses et aux peurs vécues dans l’enfance, et de favoriser les capacités d’autoréflexion des parents, peut créer une protection efficace contre le risque de répétition intergénérationnelle du traumatisme.

Dans son livre Trauma and Recovery, Judith Herman (1992), résumant les principales catégories de troubles et d’effets à long terme pouvant découler d’événements traumatisants de l’enfance touchant les adultes, a essentiellement mis en évidence trois catégories de troubles:

  • les troubles affectifs, c’est-à-dire les perturbations des relations affectives telles que l’instabilité des liens, l’évitement des liens, la méfiance, l’ambivalence accentuée, qui caractérisent les relations dans la vie adulte et qui caractérisaient les liens avec les parents pendant l’enfance;
  • les somatisations, qui peuvent résulter de l’amplification et de la généralisation des troubles de stress post-traumatique, et qui génèrent très souvent des états d’hyperactivation anxieuse, d’hypervigilance, de somatisations gastro-intestinales et abdominales, des céphalées, des insomnies, des tremblements, etc.
  • les dissociations, conséquence de l’activation de mécanismes défensifs qui altèrent le rapport à la réalité traumatique et la perception de l’objet auteur de la violence et de soi-même, et qui déterminent la structuration d’images contradictoires et inassimilables.

Dans le même sens, Manzano, Palacio Espasa et Zilkha (1999), lorsqu’ils décrivent le rôle des processus dissociatifs dans les liens parents-enfant, introduisent la notion de scénarios narcissiques de la parentalité, et celle de fonctionnement narcissique dissocié, pour décrire soit le rôle joué par le refus et l’attaque contre les liens et les représentations psychiques, soit les effets du vécu traumatique sur les liens narcissiques instaurés avec l’enfant.

Quand le lien actuel avec l’enfant, quand une situation dans le présent mobilise des aspects inconscients de la vie psychique particulièrement investis, potentiellement traumatiques, qui débordent les capacités de transformation et de symbolisation du parent, la reprise des processus de transformation de la trace mnésique, ou plutôt, comme le souligne René Roussillon (2013), la transformation du rapport du sujet à la trace mnésique devient nécessaire pour rendre possible le passage de la présentation hallucinatoire à la représentation symbolique, ansi que l’intégration de l’expérience.

Dans ces cas, la mise en place d’un dispositif du groupe et l’utilisation d’une médiation, telle que la photo dans les groupes Photolangage©, peuvent aider à promouvoir l’intégration des expériences traumatiques.

Je reprendrai, dans les pages suivantes, quelques repères méthodologiques, d’abord sur le dispositif du groupe de parents, et ensuite sur le dispositif du groupe Photolangage©. En particulier, je reprendrai quelques repères métapsychologiques pour la pratique des médiations thérapeutiques (Roussillon, 2013) pour interpréter les échanges dans un groupe Photolangage© avec des mères d’enfants ayant des troubles comportementaux, et pour décrire les tentatives et les difficultés qui sont apparues dans les processus d’intégration et de changement thérapeutique dans ce groupe.

 Le dispositif du groupe de parents

 Le groupe de parents peut être considéré comme un groupe multifamilial (García Badaracco, 2005) puisqu’il met en place un dispositif qui favorise le développement des processus psychiques dans l’articulation des dimensions individuelle, familiale, sociale et de groupe.

Le groupe de parents est un groupe de parole et d’échanges de parents sur leurs relations quotidiennes avec leurs enfants. Ce dispositif vise à proposer une expérience de partage des soucis et des difficultés de parents. Il sollicite une associativité groupale propre à mettre en lumière les souffrances familiales de manière diffractée mais aussi à en rendre possible une première élaboration et à entrevoir d’autres possibilités d’y faire face (Nanzer, 2012).

Au début de ces expériences, les paroles qui sont évoquées, échangées et déposées dans le groupe concernent surtout les relations quotidiennes entre parents et enfants. Cependant, au fur et à mesure des rencontres, la sécurité du contenant du groupe permet aux échanges de ne plus se limiter à la relation parent-enfant, mais aussi à celle de couple et à celle avec ses propres parents en tant que fils et filles.

La démarche de participation à ces groupes débute par une demande d’aide formulée par les parents d’un enfant en difficulté. Bien que ces groupes ne s’inscrivent pas dans une démarche explicitement psychothérapique, la participation à ces groupes implique la remise en cause et le développement d’une activité autoréflexive sur la dynamique des liens intrafamiliaux. Ce groupe va donc promouvoir la création d’un espace d’élaboration des difficultés des parents à travers une reprise, par les parents, d’un investissement à partir de et à travers l’histoire de leur propre enfance, de leur propre histoire infantile. Le renouage du fil intergénérationnel va ouvrir la possibilité d’identification des parents à leurs enfants, et va soutenir leurs capacités d’en contenir et de mieux en soutenir le développement.

Mais, dans les familles dysfonctionnelles, la présence de fantômes issus d’expériences traumatiques irrésolues antérieures empêche le fonctionnement psychique des parents, en débordant leurs capacités de symbolisation et de transformation. Dans ce type de situation, l’utilisation d’un dispositif de groupe à médiation comme le Photolangage© peut aider à dépasser les situations d’impasse, en facilitant et en soutenant les échanges et les processus d’assimilation psychique.

 Le Photolangage©: dispositif psychanalytique de groupe et fonctions de l’objet médiateur

Nous savons que le dispositif du Photolangage© utilise l’objet médiateur et le groupe pour faciliter les échanges de représentations, enrichir les capacités associatives, et favoriser les processus d’assimilation psychiques et de symbolisation (Vacheret, 2000).

Si l’hypothèse implicite de tous les dispositifs cliniques psychanalytiques, et des processus psychiques qu’ils cherchent à rendre possibles, est que, pour être intégrée, l’expérience subjective d’un sujet a besoin d’être communiquée et partagée par la psyché d’un autre sujet (Roussillon, 2006), dans les dispositifs de groupe, pour être intégrée, l’expérience subjective d’un sujet a besoin d’être communiquée et partagée par les psychés de plusieurs autres sujets, elle a besoin d’être transformée par un appareil psychique groupal (Kaës, 1976). Dans les dispositifs de groupe à médiation, le travail psychique suscité par la médiation se situe entre l’intrapsychique et l’intersubjectif, dans l’articulation entre contenus et formations relationnelles (dyadiques, triadiques et groupales) intrapsychiques, et formations intersubjectives. Et dans l’articulation de ces processus, les contenus intrapsychiques peuvent donc transiter par les psychés du groupe et dans le groupe pour que le sujet puisse se les approprier, pour qu’ils puissent être mentalisés, et ensuite symbolisés et reliés aux affects.

Dans les groupes Photolangage©, la médiation de la photographie sollicite l’assimilation psychique car elle favorise la perception conjointe et l’assemblage des éléments affectifs, sensoriels et représentatifs inconscients et/ou non liés les uns aux autres. De plus, la photo offre une base matérielle d’appui pour les représentations, en facilitant la communication. Enfin, la photo, en tant qu’objet culturel est un objet actif, qui peut être reconnu par l’ensemble du groupe, et qui opère sur l’ensemble du groupe en activant des processus de synthèse, de distinction et de différenciation, et en conduisant au possible développement de nouvelles connaissances et de processus d’insight.

En fait, dans le dispositif du Photolangage©, l’objet médiateur a des propriétés analogues à l’objet transitionnel, et il contient et médiatise la violence et l’excitation dans la relation. En même temps, les règles du dispositif de groupe offrent un contenant, favorisant l’émergence et la verbalisation des contenus affectifs et des scénarios internes dans un espace où la réflexion est facilitée car chaque participant est sûr de son espace, et de son espace de présentation.

Dans le groupe à médiation, le groupe et l’objet médiateur travaillent en synergie, en exerçant à la fois une fonction de contenance et une fonction de transformation.  À cet égard, René Roussillon (2013), en proposant une métapsychologie de la médiation dans les dispositifs cliniques, a souligné comment les dispositifs de groupe à médiation visent, comme tous les dispositifs psychanalytiques, à solliciter et à promouvoir un travail de symbolisation et d’appropriation subjective de l’expérience vécue, et présentent la spécificité d’utiliser les qualités de l’objet médiateur d’être vecteur du langage, afin de faciliter et de soutenir le développement du travail psychique d’appropriation subjective.

Roussillon souligne, donc, que «l’hypothèse implicite des dispositifs cliniques et du processus qu’ils cherchent à rendre possible est, en effet, que, pour être intégrée, l’expérience subjective d’un sujet a besoin d’être communiquée et partagée par un autre sujet et prendre valeur de langage pour un autre sujet» (Roussillon, 2013, p. 43).

Mais, pour que ces processus d’intégration se produisent, Roussillon souligne qu’il doit se produire, dans la psyché, une opération supplémentaire, une opération par laquelle on “représente qu’on représente”, c’est-à-dire une opération de métareprésentation.

Lorsque, donc, la question qui concerne le but de ces dispositifs devient celle de saisir et de décrire les conditions pour qu’une méta-représentation puisse se construire et se développer, Roussillon fait référence aux travaux de Donald Winnicott (1971) sur l’usage de l’objet et de Marion Milner (1952) sur l’objet malléable pour souligner l’importance d’une qualité spécifique des liens intersubjectifs précoces.

En proposant une reconstruction de l’histoire du concept de malléabilité, Roussillon retrouve déjà en Freud, dans l’essai sur Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient (Freud, 1905), l’idée d’une malléabilité du langage, l’idée que le langage, les mots sont “un matériau avec lequel on peut faire toutes sortes de choses”, et il reprend aussi la conception introduite par Freud dans Note sur le bloc-notes magique (Freud, 1924) d’un fonctionnement de l’appareil psychique analogue à celui d’un bloc-notes magique, c’est-à-dire d’un fonctionnement centré sur la malléabilité. Mais c’est surtout en reprenant le concept de médium malléable formulé par Marion Milner (1952) que Roussillon souligne que l’objet médiateur, en étant malléable, c’est-à-dire en pouvant assumer toutes les formes, incarne, matérialise l’activité de représentation et de symbolisation. L’objet médiateur, donc, est un objet malléable parce qu’il “symbolise la symbolisation”, et l’utilisation de l’objet médiateur dans les groupes à médiation facilite et soutient la construction d’une activité symbolisante parce que l’usage de l’objet dans le groupe symbolise la malléabilité, symbolise l’activité symbolisante.

En considérant, donc, l’intérêt de saisir et d’observer l’émergence d’une expérience de malléabilité de l’objet, et d’un vécu de transformation de l’expérience subjective de l’objet, je reprendrai ces éléments d’une métapsychologie de la médiation en tant que métapsychologie du médium malléable, pour décrire en particulier, pendant des séquences d’une séance de Photolangage©, différentes qualités et propriétés du médium malléable qui ont émergé dans les échanges entre les membres du groupe. En particulier, je ferai référence aux réflexions de Roussillon (2001) sur les différents types de rencontre avec l’objet qui peuvent dériver des différentes façons de la mère de présenter l’objet et la réalité à l’enfant (c’est-à-dire les façons de la mère d’exercer la fonction de object presenting décrite par Winnicott) et, donc, à la description que Roussillon a faite de différents types d’imago maternelle, qui correspondent à différentes expériences de l’enfant concernant la malléabilité de l’objet. Aux différents types d’imago maternelle peuvent, en effet, correspondre différentes expériences de malléabilité, qui peuvent favoriser ou, par contre, être un obstacle au développement de l’activité de symbolisation.

Roussillon décrit:

  1. une imago maternelle narcissique, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être informe, et donc, à l’expérience de l’enfant que l’objet peut assumer toute forme que l’enfant peut spontanément lui donner;
  2. une imago insaisissable, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être saisissable par l’enfant;
  3. une imago détruite, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être indestructible, de résister aux attaques de l’enfant;
  4. une imago maternelle excitante, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être transformable par le sujet, en permettant l’expression spontanée de sa créativité;
  5. une imago maternelle rigide, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être transformable, malléable;
  6. une imago maternelle froide, indifférente, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être sensible;
  7. une imago maternelle bouchée, fermée, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être disponible;
  8. une imago maternelle imprévisible, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être prévisible;
  9. une imago maternelle intouchable, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être transformable;
  10. une imago maternelle morte, qui s’oppose à l’expérience de la propriété du médium malléable d’être auto-animé.

Groupe Photolangage© avec des mères: imagos maternelles et transformations des vécus de malléabilité de l’objet

En considérant les différents types d’imago maternelle en tant qu’expression de différents vécus concernant les propriétés du médium malléable, nous allons rapporter quelques séquences tirées d’un groupe Photolangage© composé de mères d’enfants avec troubles comportementaux, issues d’un milieu défavorisé.

Nous verrons comment les échanges autour de la présentation des photos, pour décrire les relations vécues par ces mères avec leurs propres mères pendant l’enfance, feront émerger différentes imagos maternelles, qui correspondaient à des expériences d’absence de vitalité, ou de flexibilité, ou de disponibilité, et, enfin, à des expériences précoces d’un manque de malléabilité de l’objet.

Nous verrons également comment la méthode a soutenu l’expression et les échanges sur ces imagos, en favorisant, à travers la chaîne associative groupale, la prise de conscience et la réflexion sur les différentes qualités de ces relations, et l’amorce d’une expérience de malléabilité de l’objet, de transformation et d’autoreprésentation qui a permis, dans certains cas, la réappropriation de ces expériences vécues par les membres du groupe.

Ce qui m’a intéressée surtout, ce à quoi je vise, c’est une description et une analyse des processus à travers lesquels peut se développer, dans un groupe à médiation Photolangage©, un jeu intériorisable, un jeu transformatif, une expérience de malléabilité capable de favoriser des processus de subjectivation chez des patients qui – comme la plupart des mères du groupe dont je parlerai – ont vécu des expériences de carence et de traumatismes pendant l’enfance.

La séance de groupe Photolangage© fait partie d’un dispositif de groupe de mères d’enfants en âge de latence que j’ai mis en place depuis plusieurs années.

Le groupe se déroule en milieu scolaire, et les mères qui ont participé au groupe ont des enfants qui présentent des difficultés relationnelles et d’apprentissages significatives. L’expérience de groupe est financée par le service public, et le dispositif que j’ai mis en place prévoit de proposer d’y participer aux mères d’enfants avec troubles comportementaux et d’apprentissage qui ont demandé de l’aide pour comprendre et mieux soutenir le développement de leurs enfants. Donc, les mères dont je parlerai étaient informées que la consigne était de partager avec les autres membres du groupe leurs expériences de relation parent-enfant pour essayer de mieux comprendre leurs enfants et leurs propres relations avec eux. Le groupe était composé de 15 mères, et il s’est déroulé pendant 3 mois, au cours de 12 séances.

L’intervention de groupe était centrée sur la relation parent-enfant, sur les problèmes et les difficultés rencontrées, et l’objectif principal était d’essayer de réduire chez ces mères le sentiment d’être inadéquates, et d’améliorer la qualité de la relation avec leurs enfants en favorisant leur capacité de s’identifier à l’enfant et de lui fournir un soutien psychologique.

Mais, dès la première séance, les difficultés de fonctionnement du groupe étaient devenues de plus en plus significatives. Toute tentative de création d’un espace de parole échouait, l’excitation suscitée par le partage des expériences relationnelles ne réussissait pas à être contenue, et semblait renvoyer à des expériences traumatiques antérieures, qui reproduisaient, dans le groupe, des dynamiques désorganisatrices et empêchaient tout travail d’élaboration. La réflexion sur la relation actuelle avec leurs enfants impliquait constamment la réactivation de fantômes du passé, qui étaient présents dans le groupe sans pouvoir être transformés et verbalisés.

Les difficultés qui sont apparues ont donc amené à proposer la médiation du Photolangage© qui a permis, comme nous le verrons, de faire réémerger des images et des affects, d’amorcer, dans certains cas, des processus d’appropriation subjective des vécus réactivés, et d’accéder, dans d’autres, à l’intégration et à la symbolisation de ces contenus psychiques.

Quelques séquences cliniques: figurations de la mère inintériorisable

Je rapporterai ci-dessous quelques séquences de cette séance de groupe Photolangage©.

Nous verrons comment la méthode a permis de faire émerger des expériences précoces de carences ou traumatiques, et a favorisé les processus de mentalisation et de figuration du traumatisme, et, donc, des processus d’appropriation subjective. En effet, dans la succession des rencontres, la présence d’expériences très douloureuses et inexprimables dans l’enfance de beaucoup de ces femmes, et la présence d’expériences traumatiques qui se répétaient dans les relations avec leurs enfants, se firent jour de façon de plus en plus évidente sans qu’elles puissent devenir objet de réflexion et de verbalisation. Dans le groupe, par conséquent, le processus de pensée et de symbolisation apparaissait bloqué, et des significations faisant référence à des dynamiques intergénérationnelles traumatiques et non résolues se manifestaient à travers des excès d’excitation contenus avec beaucoup de difficultés, de fréquents moments de confusion, des phrases qui se chevauchaient, et, en résumé, dans une situation d’impasse dans le travail du groupe.

Dans ce contexte, la méthode Photolangage© a été proposée lors de la troisième réunion du groupe, dans le but d’essayer de promouvoir et de faciliter – à travers le soutien et la médiation de l’image introduite dans l’expérience de groupe – l’élaboration de ces contenus traumatiques qui semblait influencer profondément les relations avec les enfants sans pouvoir devenir l’objet de symbolisation, de verbalisation et de réflexion partagées.

La question posée pour lancer la séance Photolangage© était: “Ma mère et moi, quand j’étais enfant: parlons-en à l’aide d’une ou deux photos”.

Je vais décrire ces séquences pour les commenter en référence à trois éléments théoriques et cliniques:

  • les trois niveaux de travail de symbolisation décrits par René Roussillon, et, donc, les vicissitudes des processus de symbolisation promus dans le groupe par la méthode:
    • niveau de différenciation de la matière première de la psyché;
    • niveau de la symbolisation primaire, de production de représentations de choses;
    • niveau de symbolisation secondaire, de transformation de la représentation de chose en représentation de mots;
  • le rôle du jeu, et, surtout, du jeu avec l’autre, dans le dispositif du groupe, pour favoriser l’internalisation et l’introjection d’un espace de jeu interne, d’un espace transitionnel pour promouvoir un fonctionnement psychique capable de réduire les failles des processus d’identification et de mieux soutenir le développement psychique de leurs enfants;
  • l’importance d’acceder à une expérience de malléabilité de l’objet et de transformation des representation au sein du groupe. Pour cette raison, je reprendrai, pour interpréter en particulier des séquences de la séance de Photolangage©, les différents types d’imago maternelle, et leur contraste avec l’expérience de différentes propriétés du médium malléable, qui ont été décrites par René Roussillon (1991).

Le nid sans la poule: l’imago de la mère absente et l’imago de la mère non disponible inconditionnellement

La première photo présentée dans le groupe représente un nid dans lequel seulement 5 œufs sont visibles, la mère qui a choisi cette photo en présente l’image en disant d’une voix basse: “Sur cette photo, je vois le nid… l’unité familiale… mais nous sommes tous les mêmes. Je ne la vois pas supérieure à moi, c’est une amie… en fait, la poule n’est pas là… Pour moi, l’image représente le désir d’avoir un nid…”

Le groupe est frappé par ce choix. Une autre mère observe qu’“il n’y a pas la mère!”. Une autre mère ajoute: “Ça ne me donne aucune émotion”. Alors la mère qui a présenté la photo dit: “Oui, il y a la poule… mais elle est ailleurs”. D’autres participantes ajoutent que “c’est froid…”, une autre dit: “Je ne vois que des frères et des petites sœurs, sans parents…”, une autre mère ajoute que le tableau la rend mélancolique.

L’image avait été simplement proposée et décrite par la mère qui l’avait choisie, et les affects, le sentiment de manque, d’absence, évoqué par l’image proposée, s’expriment progressivement à travers la chaîne associative groupale.

À un certain moment, la mère qui a présenté la photo est frappée par les émotions mises en mots par les autres, elle se ressent mise en question par ce que les autres participantes au groupe viennent de dire, et elle ajoute: “mais je n’ai rien à reprocher à ma mère… Les œufs sont encore vivants, ils ne sont pas dans un réfrigérateur!”. Une participante répète qu’elle ressent de la tristesse, de la mélancolie. J’interviens alors pour reprendre les contenus exprimés par le groupe en disant que, parfois, il arrive que la mère ne puisse pas être avec ses petits. Je verbalise les affects de tristesse et de mélancolie que le groupe avait exprimés par rapport au vécu d’une mère absente que l’image évoquait.

Après ces interventions des membres du groupe, la mère qui a présenté la photo intervient à nouveau. Alors que, dans son intervention précédente, elle paraissait plus sur la défensive, maintenant elle semble plus détendue et elle nous raconte quelques éléments de son histoire: “Quand j’avais 8 ou 9 ans, ma mère, qui était infirmière, je la voyais comme quelqu’un qui me protégeait, mais à distance… même si je savais qu’elle le faisait pour moi, pour nous… ce n’est pas qu’elle m’avait abandonnée… mais, aujourd’hui, j’ai choisi de ne pas travailler… J’ai fait un autre choix. Oui… mes enfants je ne veux pas les laisser seuls”.

Je partage ce que Winnicott (1971) dit dans Jeu et réalité: le jeu est le centre de toute thérapie, et la création d’un espace de jeu est essentielle pour toute thérapie.

J’ai choisi d’utiliser la méthode Photolangage© dans ce groupe parce qu’il n’y avait pas d’espace de jeu dans ce groupe de mères, et cela avait des effets significatifs sur le développement de leurs enfants.

Je voudrais donc commenter les échanges qui se sont déroulés autour de cette photo à partir d’une perspective qui vise à observer le développement d’un espace de jeu et d’une activité transformative dans l’articulation de la chaîne associative groupale. Pour essayer de décrire le développement d’une aire transitionnelle aux niveaux intrapsychique et intersubjectif dans ce groupe, j’ai trouvé très utile de reprendre les propriétés du médium malléable qui ont été décrites par René Roussillon par rapport aux particularités des imagos reliées à ses propriétés.

Au début, nous avons vu que la photo évoquait une imago maternelle froide, indifférente, insensible et imprévisible; ensuite l’imago évoquée est devenue celle du manque de disponibilité. La chaîne associative groupale permet la verbalisation de ces caractéristiques du lien, et le contenu de la photo est modelé, transformé dans la succession des interventions des membres du groupe.

L’imago de la mère froide et insensible du début est transformée, en devenant un objet pensable parce qu’il devient progressivement un objet présent dans l’absence. Cela permet à la mère qui présente la photo de réfléchir sur le manque de sécurité et de disponibilité qu’elle a vécu: un vécu de manque qu’elle veut donc éviter à ses enfants en étant plus présente dans leur vie.

Dans cette séquence d’échanges dans le groupe, nous voyons comment l’imago froide est manipulée, transformée. Le groupe semble faire une expérience transformative à partir d’un objet absent, en le rendant malléable, jusqu’à permettre à la mère qui a présenté la photo d’exprimer un mouvement de réparation et d’autoréparation, et d’ajouter qu’elle ne veut pas que le vécu d’indisponibilité qu’elle a vécu puisse se répéter dans l’expérience de son enfant.

La mère morte/détruite

 La séquence que j’ai intitulée La mère morte, en référence à André Green (1980), est une séquence que je décris parce qu’elle exprime – en revanche – le bloc des capacités de traitement créé par le traumatisme, en montrant un processus initial de recherche d’un objet et de la présence d’un autre (de l’autre dans le groupe) pour amorcer un processus de symbolisation.

L’échange se déroule autour d’une photo d’une personne hospitalisée, sous respirateur dans une chambre d’hôpital faiblement éclairée. La mère qui a choisi cette photo dit seulement: “Cette image me fait penser à ma mère quand elle a été hospitalisée…”. Mais elle ne peut rien ajouter. Elle demande à la mère assise à côté d’elle de garder la photo car “elle ne peut pas la regarder, elle ne peut pas la garder”. “Gardez-la”, dit-elle à la participante assise à ses côtés. Puis elle se lève, elle est très agitée, elle prend la photo des mains de l’autre mère à qui elle l’avait confiée, et la pose à l’envers sur une table derrière sa chaise, avec l’image vers la table, couverte. Puis elle sort, en disant qu’elle ne peut pas rester assise et dans le groupe à ce moment-là. Elle reviendra ensuite et demeurera silencieuse jusqu’à la fin de la séance.

Cette séquence montre, à mon avis, comme la scène du traumatisme se représente à nouveau, elle est revécue, sans pouvoir être transformée, apprivoisée, représentée. La femme révèle un comportement phobique envers l’expérience traumatique et vers tout ce qui peut lui rappeler le traumatisme, comme la photo.

Cependant, même si le processus est interrompu, cette séquence met en évidence plus qu’un mouvement significatif:

  • le saisissement d’une photo qui exprime la scène du traumatisme, c’est-àdire le saisissement d’une image, d’un objet, pour loger le vécu traumatique: un processus qui peut être interprété comme un premier repérage d’une représentation de chose;
  • et la remise de la photo à un autre membre du groupe, dans un processus qui peut être interprété comme le début d’une recherche d’un autre, comme recherche d’un contenant psychique, comme un mouvement initial de recherche d’un espace transformatif externe. Mais, comme nous l’avons vu, ce mouvement va échouer, et nous assistons à la reprise de la contre-charge défensive, de la défense phobique.

Cette séquence exprime le caractère sans vie et intransformable de l’imago maternelle morte à ce moment.

L’imago de la mère insaisissable et insensible

 

Dans une autre séquence, une autre mère qui participe au groupe présente les 2 photos qu’elle a choisies. La première image représente une femme avec un visage peint à moitié en blanc et à moitié en noir, et elle dit qu’elle l’a choisie parce que “ma mère a deux personnalités, deux visages… elle réagit de manière contradictoire et je n’arrive pas à la comprendre”.

Elle montre ensuite l’autre photo: il y a une femme et une fille qui se regardent de façon très chaleureuse, et elle dit l’avoir choisie parce que “c’est ce que je n’ai pas eu et qui m’a manqué, parce que ma mère a été loin de la maison pendant 15 ans, pour s’occuper de mon frère”.

Une autre mère intervient pour parler de la première des deux images présentées: “Je n’ai pas choisi cette photo. Cependant, en la regardant maintenant, je pense qu’elle reflète ma relation avec ma mère pendant mon adolescence: une relation difficile et conflictuelle, qui, plus tard, s’est résolue après mon mariage”.

Une autre mère intervient à propos de la même photo. En se référant au masque sur le visage représenté sur la photo, elle dit l’avoir choisie aussi, parce “je pense que ma mère ne m’a pas donné beaucoup d’attention, elle n’a jamais compris que j’avais peur des poupées, des marionnettes, des masques… elle ne m’aidait pas, ne m’encourageait pas, je devais tout faire moi-même…”.

Une autre mère prend la parole pour dire qu’elle aussi a choisi la photo avec l’image de la relation chaleureuse mère-fille: “J’ai un amour viscéral pour ma mère, je suis très attachée à elle… Je n’ai pas encore coupé mon cordon ombilical…”. Cette mère dira plus tard: “J’ai une relation viscérale avec ma mère… Je ne peux même pas me fâcher avec elle, entrer en conflit avec elle… j’ai besoin d’elle, il peut arriver même que nous parlions par téléphone 10 fois par jour…”.

La mère, qui avait déjà dit que, pendant l’enfance, elle avait peur des marionnettes et des masques, présente sa photo, qui représente quatre marionnettes. Elle raconte au groupe: “Je suis frappée par le fait que ces marionnettes ont toutes les yeux fixes, et que le regard de chaque personnage va dans une direction différente”. Une autre mère intervient pour dire que cette photo l’effraie, car, ajoute-t-elle, les yeux de la marionnette font penser à la folie: “Les fous me font peur… Comment un être humain peut-il devenir comme ça?”. La mère qui a choisi la photo ajoute: “Pour moi aussi, ces yeux avec un regard figé sont effrayants”.

Le groupe continue à s’associer sur cette photo, devenue porteuse de contenus dérangeants et angoissants évoquant l’imago maternelle. Une participante dit que la photo lui fait penser à quelque chose d’inconnu et de dérangeant; une autre intervient en disant que l’image semble se référer à “un passé… que le personnage pense à quelque chose qui est passé, il semble un peu effrayé car l’image renvoie à quelque chose de mauvais du passé”.

Dans le groupe, le caractère familier et étranger évoqué par la photo est repris.

Dans les échanges suivants, la photo de la femme au visage bicolore est reprise. Une participante dit: “C’est ambigu, il y a une double face”; une autre ajoute: “C’est vraiment moche”; à cette intervention, la femme qui avait initialement présenté la photo se sent attaquée par les autres membres du groupe, et elle intervient en demandant: “Pourquoi, tu as eu une relation meilleure avec ta mère?”. Une autre participante prend la parole pour dire que l’image lui donne une sensation de froid, de distance. En écoutant cette phrase, la mère qui avait choisi et présenté cette photo hoche tristement la tête.

Dans cette séquence, la chaîne associative groupale articule l’expression de différents vécus de relations mère-fille très ambivalentes, et des différentes imagos d’une mère non intériorisable.

On voit aussi émerger, d’abord à travers la description des affects suscités par les photos, et ensuite au niveau verbal, des images de plus en plus inquiétantes de la relation mère-fille.

La photo évoque des vécus d’ambivalence, de peur de la folie, de manque de syntonisation affective et de capacité organisatrice qui expliquent les difficultés initiales de verbalisation au sein du groupe. Mais la séquence présentée montre aussi comment, grâce au soutien du groupe et de l’objet médiateur, progressivement, de tels contenus difficiles prennent forme au sein de la chaîne associative groupale, en soutenant les processus de subjectivation.

Les dynamiques décrites seront importantes pour la mère qui avait proposé la photo des marionnettes. En fait, au début de la séance suivante, elle prend la parole pour dire que l’expérience de la semaine précédente, et ce qui avait été dit en parlant de la photo, l’avait amenée à une réflexion très importante pour elle. Elle dit qu’elle avait réfléchi sur son expérience d’être l’aînée de cinq enfants et sur le fait que sa mère n’avait jamais eu du temps à passer avec elle quand elle était enfant. Mais, en regardant la photo, elle ajoute que, pendant la séance précédente du groupe, elle avait pu comparer sa mère, elle-même et sa fille. Elle s’était alors rendu compte que, tout comme sa mère ne l’aidait pas à comprendre ses craintes, il lui arrivait aussi d’avoir le même comportement avec sa fille. Elle raconte qu’elle avait réalisé que ce qui lui était arrivé dans son enfance avait des effets sur sa vie actuelle, et qu’elle avait des difficultés à se rapprocher de sa fille pour des raisons liées à son enfance et à la relation difficile qu’elle avait eue avec sa mère. Elle dit qu’elle voulait partager cette réflexion avec le groupe parce qu’elle voulait essayer de comprendre pour éviter de répéter les mêmes erreurs.

Cette séquence montre comment le groupe s’est confronté à des imagos maternelles froides, indifférentes, insensibles, et comment ces imagos ont pu se transformer, et devenir pensables et verbalisables grâce à l’expérience du groupe Photolangage©.

La porte vitrée: transformations de l’imago de la mère indifférente ou bouchée, fermée

 

Un dernier échange significatif a eu lieu autour de la présentation de la photo d’une femme dans une cuisine, occupée à préparer un plat. En arrière-plan, on voyait une porte vitrée derrière laquelle il y avait un enfant. En décrivant les raisons qui l’avaient amenée à choisir cette photo pour parler d’elle et de sa mère, la participante au groupe dit: “Ma mère était tout le temps en cuisine ou à faire la lessive”.

Une autre mère intervient pour dire que l’enfant est derrière la porte vitrée et que cela le sépare de la mère. Un échange se développe alors à la fois sur la position de l’enfant par rapport à la mère et sur la porte vitrée qui les sépare: “À mon avis, l’enfant réussit à entrer!”, dit une mère; “Moi, le fait qu’il y a cette porte vitrée qui les sépare… ça je ne l’aime pas”, dit une autre. “Il réussit à entrer, il a les bras levés!”, dit une autre. “Il a faim”, ajoute une autre. “Et s’il était là pour espionner sa mère?”, propose une autre participante. “À mon avis, la mère ne veut pas le laisser entrer, sinon elle aurait ouvert la porte”, conclut une autre. L’ambivalence dans la relation mère-enfant – entre le besoin d’être accueilli et le risque du rejet – est clairement exprimée. À un certain moment, le groupe se demande si l’enfant réussit, ou pas, à entrer, à accéder à la mère. Alors une des mères s’exclame: “Mais la porte est un peu ouverte! Regardez bien!”. À cette déclaration, le groupe éclate de rire et semble réconforté par cette ouverture possible dans la relation.

Dans cette séquence, le groupe est confronté à une imago maternelle fermée, bouchée, et on voit comme cette imago vient se transformer, va devenir malléable et trouver une ouverture grâce au travail psychique du groupe.

Conclusion

Les séquences rapportées ont montré comment le Photolangage© peut aider à établir un espace de jeu qui favorise en même temps la mobilisation d’une pensée à travers des images – qui soumettent les contenus mobilisés à un processus de représentation qui se réfère plus directement au processus primaire – et une pensée verbale, organisée selon le processus secondaire, qui est activé pour répondre à la question posée à l’aide de la photo.

Dans l’articulation entre formations imaginaires individuelles et collectives, et entre élaborations et verbalisations au sein de la chaîne associative groupale (Kaës, 1986; 1994), cette méthode aide à créer des liens de pensée entre contenus qui sont gardés séparés de la conscience, dissociés, et permet à chaque participant de saisir sa propre réalité psychique, et de faire émerger et élaborer expériences et contenus affectifs impensables conservés dans la mémoire.

D’ailleurs, je tiens à préciser que ces expériences d’organisation et de mise en place de dispositifs de groupe en milieux défavorisés, qui sont adressés à des sujets confrontés à l’exclusion et à l’abandon social, représentent, pour la plupart des participants, des occasions uniques de création d’un espace de jeu à vivre en sécurité, un espace de jeu qu’ils reconnaissent et utilisent.

Cette possibilité de reprise d’une activité de jeu exerce un rôle significatif dans la transformation des modalités de relation entre mères et enfants, et dans la possibilité de développer les capacités de rêverie, d’écoute empathique et de création d’une situation de sécurité qui puisse favoriser le développement de leurs enfants. En fait, les séquences reportées mettent en évidence le rôle de l’expérience du jeu, et, surtout, du jeu avec l’autre – dans le dispositif du groupe – ainsi que le rôle de l’introjection d’un espace de jeu pour favoriser un fonctionnement psychique maternel capable de mieux soutenir le développement psychique de l’enfant.


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Revista Internacional de Psicoanálisis de Familia y Pareja

AIPPF

ISSN 2105-1038