REVISTA N° 19 | AÑO 2018 / 2

Cuestiones técnicas en terapia de pareja y de familia

Cuestiones técnicas en terapia de pareja y de familia

 

La terapia familiar psicoanalítica se desarrolló mucho en estos últimos años. Gozó particularmente de aportaciones teóricas y técnicas del psicoanálisis de grupo. Los parejas y las familias cambiaron mucho en el mismo período, interrogando particularmente la función paterna y las fronteras generacionales. Pero si los dispositivos debieron ser acondicionados, el objetivo se centra en la actualización de los procesos inconscientes en los lazos. Desde este punto de vista, un cierto número de invariantes debe ser recordado; conciernen al encuadre, los procesos transferocontra-transferenciales pero también el estilo del analista y su modo de estar en sesión. Esto necesita una formación psicoanalítica sólida y una formación específica.

Palabras clave: terapia familiar psicoanalítica, técnicas, invariantes, estilo, formación.


Questions techniques en thérapie familiale psychanalytique

La thérapie familiale psychanalytique s’est beaucoup développée ces dernières années. Elle a bénéficié notamment des apports théoriques et techniques de la psychanalyse de groupe. Les couples et les familles ont beaucoup changé dans cette même période, réinterrogeant notamment la fonction parentale et les frontières générationnelles. Mais si les dispositifs ont dû être aménagés, l’objectif reste la mise à jour des processus inconscients dans les liens. De ce point de vue, un certain nombre d’invariants doivent être rappelés; ils concernent le cadre, les processus transféro-contre-transférentiels mais aussi le style de l’analyste et sa façon d’être en séance. Cela nécessite une formation psychanalytique solide et une formation spécifique.

Mots-clés: thérapie familiale psychanalytique, techniques, invariants, style, formation.


Technical issues in psychoanalytic family therapy

 

Psychoanalytic family therapy has been expanding substantially in recent years. It has benefited in particular from theoretical and technical contributions from group psychoanalysis. Couples and families have changed a great deal during for the same period, re-opening especially questions of parental functioning and the generational boundaries. If methods are to be revised, the clinical objective remains the update of the unconscious processes in the links. From this point of view, a number of invariants must be remembered. These concern the frame, the transferential/countertransferential processes, as well as the style of the analyst and his way of being in the therapeutic session; it requires a solid psychoanalytic and specific training.

Keywords: psychoanalytic family therapy, techniques, invariants, style, training.


ARTÍCULO

La thérapie familiale psychanalytique (TFP) travaille essentiellement sur des croisements:

− croisements de l’alliance et de la filiation;

− croisement de la réalité et des fantasmes;

− croisement entre l’ici et maintenant de la séance et l’histoire de la famille dans sa dimension transgénérationnelle.

Le croisement le plus évident restant celui de l’individu et du groupe, question commune – s’il en est – à la TFP et à la thérapie de groupe.

Si les travaux mère/bébé, les apports sur la conjugalité et l’approche systémique ont influencé la thérapie familiale psychanalytique, c’est surtout la psychanalyse de groupe qui a constitué un point d’appui théorique et clinique à la thérapie familiale psychanalytique; s’il y a un risque à parler d’un Inconscient groupal, un certain consensus se dégage pour parler d’un appareil psychique groupal. Le terme “appareil” prend tout son sens dans sa dimension de fonctionnalité en particulier par son travail de mise en lien et de transformation. Je pense aux travaux de René Kaës (1997), mais aussi à ceux de Piera Aulagnier (1975) autour des alliances inconscientes, des contrats narcissiques, des pactes dénégatifs ou pactes de déni.

Mais on peut aussi se référer à Bion et d’une autre façon à Bleger pour lequel des parts de Moi, Non-Moi, non psychisées viendraient s’agglomérer au sein du groupe. Les éléments bêta, bruts, seraient “l’aliment” d’une trame commune.

Pour parler des questions techniques, nous aborderons d’abord les indications qui se sont partiellement élargies mais qui nous permettent de circonscrire nos champs d’intervention.

Nous traiterons ensuite la question du cadre avec ses capacités contenantes et transformatrices.

Puis nous aborderons les processus transféro-contre-transférentiels et insisterons sur le style et la “façon d’être” de l’analyste face à une famille.

Enfin nous réfléchirons sur les spécificités interprétatives dans ce cadre thérapeutique.

Indications

Classiquement l’indication des thérapies familiales analytiques concernait les familles dites psychotiques, c’est-à-dire où les frontières entre générations et même entre chaque membre sont floues. Il existe dans ces familles une sorte d’indifférenciation originelle. Aucun changement – ou presque – n’est possible; les mécanismes de collage et d’imitation ne permettent aucune identification véritable. Les frontières de chacun sont très peu marquées. Le fonctionnement de ces familles se répète à l’identique de génération en génération.

On s’intéresse aux trous, aux béances, venant témoigner par la négative, par des blancs de la pensée, de traumas non élaborés. Ce ne sont pas les traumas en eux-mêmes qui posent problème, mais l’incapacité de la communauté des appareils psychiques à les transformer.

La thérapie familiale peut être pertinente pour les familles où les mécanismes opératoires sont prévalents et empêchent une mentalisation du monde interne en utilisant éventuellement des techniques proches du psychodrame.

Le dispositif de la thérapie familiale analytique s’avère également opérant pour travailler avec des familles dites caractérielles ou délinquantes où là encore, mais sur un autre mode, les processus de mentalisation semblent faire défaut.

Mais les indications se sont étendues. Cela tient en partie à l’évolution et à l’expérience des thérapeutes familiaux eux-mêmes. Je ne suis pas certain qu’on puisse dresser un tableau “type” des indications. Ce qui va être surtout déterminant, c’est une souffrance psychique commune. Un véritable processus d’individuation a du mal à se produire tant qu’une base identitaire commune n’est pas suffisamment assurée.

L’indication d’une thérapie familiale n’est pas une indication comme une autre. Ce qu’on va soigner, ce n’est pas l’individu mais le groupe familial considéré comme une entité: «En analyse de groupe comme en psychodrame de groupe, l’indication porte sur un individu. Quand on travaille avec une famille, il convient d’écouter d’emblée l’ensemble du groupe comme une seule et même personne» (Robert, 2002, p. 73).

Il convient de préciser ce point de vue. Il ne s’agit pas de nier les pathologies individuelles ni de sous-estimer les souffrances plus ou moins fortes des uns ou des autres. Une demande individuelle peut également émerger dans la mesure où elle n’est pas contradictoire, ne se situant pas au même niveau. Dans la pratique, cette éventuelle demande s’exprime, le cas échéant, dans un deuxième temps.

Cadre et dispositif

C’est le thérapeute qui doit fixer le cadre. Il en sera le garant et doit, d’emblée, en assumer la responsabilité. Le thérapeute est inscrit dans une filiation et ce qu’il propose s’appuie sur le groupe de pairs qui l’entoure ou l’a précédé. Cela structure, au moins partiellement, son cadre interne.

Dans la mise en place du cadre, il y a nécessité de préfigurer le type de travail qui devra s’effectuer. Dans ce sens, la co-construction soutient une forme d’alliance nécessaire à la sécurité de base évoquée plus haut. Mais elle permet surtout une sorte de jeu, au sens winnicottien d’un espace dans lequel pourra se déployer le processus.

Souvent la question de qui faire venir est posée. La plupart du temps viennent les membres de la famille vivant sous le même toit. Dans le cas des familles recomposées, c’est parfois plus difficile. On peut envisager de recevoir le couple parental avec les enfants. Mais alors, quid de la conjugalité et de la séparation? Les enfants pourraient investir la thérapie comme un lieu réparateur et plein d’espérance. Nous pourrions recevoir la mère seule avec les enfants ou le père seul avec les enfants en fonction de leur lieu de résidence et pourquoi pas, dans un souci de “parité”, recevoir une fois le père avec les enfants, une fois la mère avec les enfants. Ajoutons enfin que, si le nouveau couple a eu d’autres enfants, faudrait-il les recevoir avec les demi-frères et sœurs?

Nous serions parfois poussés à légitimer telle ou telle configuration familiale à travers le cadre que nous posons.

Mais, au-delà des aspects manifestes, existent des entrecroisements d’investissements et de groupements. C’est bien dans les entretiens préliminaires que nous allons élaborer le sens du travail à venir au-delà des aspects phénoménologiques, aussi “bruyants” soientils. Il peut arriver ainsi de travailler avec des parents séparés dans la réalité – voire ayant eu d’autres enfants – alors que la séparation psychique n’avait jamais été possible. Marquant la spécificité générationnelle du groupe familial, le setting est souvent établi en demandant une présence bigénérationnelle des membres de la famille à chaque séance. Ruffiot postulait déjà, en 1981, que la première règle de la thérapie familiale analytique était la règle de présence bi (ou multi) générationnelle simultanée et que les séances n’avaient lieu que si deux générations étaient présentes.

La séance pourrait donc avoir lieu même en l’absence d’un parent ou d’un enfant. Il est intéressant de noter que ce dispositif a été peu discuté. En ce qui me concerne, une fois que le cadre est mis en place, je demande la présence de tous les membres du groupe impliqués dans la thérapie, à chaque séance. Cela mérite discussion. Pour bon nombre de cliniciens, cette exigence ne serait pas tenable, ne serait-ce qu’en raison des activités et des occupations des uns et des autres. Dans ce que j’ai pu expérimenter avec un très grand nombre de familles, cela a cependant toujours été faisable. Cela tient sans doute au degré de conviction du thérapeute dans l’établissement de son dispositif.

La raison manifeste d’exiger la présence de tous les membres du groupe familial en thérapie à chaque séance s’appuierait sur le risque pour les membres absents de perdre le fil et de ne plus savoir où on en est. Mais le processus analytique ne consiste pas à raconter une histoire. Et la présence réelle des membres ne serait pas indispensable pour tenir le fil d’un récit.

Le véritable argument est ailleurs. Les familles que nous recevons ont de grandes carences de mentalisation et des pathologies narcissiques importantes. Le concret occupe le devant de la scène. Nous devons alors nous appuyer sur une présence physique réelle pour atteindre progressivement des processus de symbolisation. Si on laisse une chaise vide lorsqu’un des membres de la famille est absent – comme cela se pratique souvent – cette chaise, la plupart du temps, ne représente rien; le travail sur l’absence et le manque est parfois impossible, au moins dans un premier temps.

Si le cadre est posé avec une exigence de présence et qu’il y a tout de même des absences, elles peuvent être entendues alors comme des passages à l’acte à double potentialité: tentative de rupture d’une mentalisation qui s’ébauche et/ou attaque du cadre.

Famille D.

Il s’agit d’une famille composée des parents et de quatre enfants âgés respectivement de 19, 17, 14 et 10 ans. La famille est confrontée, notamment, à une problématique de contenance parentale. Le père, à tonalité obsessionnelle, peut avoir des comportements violents irradiant l’ensemble du groupe familial. Il révèle des antécédents anorexiques chez sa fille, Camille, âgée de 17 ans, révélation qu’elle vit comme une trahison à l’égard de ce qu’elle considérait comme un secret. Nous notons également une proximité importante, derrière des tensions manifestes, entre le père et Camille. Pendant un an et demi, la psychothérapie avance. Il est question des espaces privés de chacun à l’intérieur du groupe, de la confrontation aux conflits de dépendance et, de manière plus générale, de la problématique de la séparation. Chaque interruption des séances, à l’occasion de vacances, est vécue comme un abandon et suscite de forts mouvements agressifs. L’adolescente de 17 ans commence une psychothérapie individuelle. Au bout de quelques mois, elle dit ne plus vouloir participer à la thérapie familiale. Nous précisons alors que, conformément à ce que nous avions établi au départ, nous ne pourrions pas poursuivre. À la séance suivante, la famille vient sans elle et nous ne les recevons pas. Les parents sont furieux face à une telle rigidité. À la séance suivante, ils viennent tous ensemble. L’adolescente peut dire alors qu’elle est très heureuse que nous ne l’ayons pas laissée tomber. Et sa jeune sœur ajoute: “oui, parce que sinon ça pourrait partir dans tous les sens”. Au bout de quelques séances, Camille renouvelle son souhait de ne plus participer aux séances. Après tout un temps d’élaboration avec la famille et entre les thérapeutes, nous acceptons cette modification du dispositif. Par la suite, son absence a pu être éprouvée et pensée dans le processus.

Notre formation de psychanalystes nous pousse à une écoute individuelle. Nous visons à soutenir un processus d’autonomisation et cela est particulièrement prégnant lorsque nous travaillons avec des adolescents. Ressentant la pathologie familiale, nous pouvons confondre enveloppe – comme base identitaire – et emprise.

Il n’est pas exclu de pouvoir “théâtraliser” certaines interventions. Dans cette perspective, les expressions non verbales jouent un rôle très important: un regard, une mimique, ont souvent une valeur beaucoup plus grande qu’une longue intervention verbale.

Certaines médiations peuvent également être utilisées. Ces techniques médiatrices, pour utiles qu’elles soient, peuvent aussi avoir une fonction défensive de la part des thérapeutes. Il faut prendre garde à leur valeur séductrice qui aurait pour effet de vouloir éviter tous les mouvements agressifs de la part de la famille.

Pourtant, face aux carences de mentalisation, la thérapie familiale psychanalytique n’est pas qu’une cure de parole. Les expressions non verbales y jouent un rôle très important et les médiations y ont, parfois, une grande utilité. Je prendrai ici l’exemple du génogramme. Le génogramme pourrait constituer un schéma causal et explicatif. Le risque est alors qu’il consiste en une forme d’astuce, pour éviter le transfert et en particulier le transfert négatif. La médiation viendrait alors comme une attraction, dans tous les sens du terme, pour sortir de l’enlisement dépressif et du sentiment d’impuissance. Les informations que le génogramme fournit sont, en elles-mêmes, peu importantes. Cette médiation fonctionne comme surface projective et favorise la chaîne associative groupale.

Famille T.

Il s’agit d’une famille très carencée avec une mère mélancolique et un père ayant eu de graves problèmes d’alcool, très inhibé et très en retrait. Madame a eu deux garçons âgés aujourd’hui de 27 et 26 ans et le couple actuel a eu trois enfants: une fille de 20 ans et deux garçons, Vincent 12 ans et François 11 ans.

La mère a fait plusieurs tentatives de suicide et les deux garçons sont placés. À la rentrée 2001, il était question de leur retour à la maison mais la mère – très angoissée – ne l’a pas supporté.

À une séance, nous effectuons le génogramme. À la séance suivante, François vient s’asseoir sur une petite table à côté du génogramme. On lui demande s’il veut rajouter quelque chose (les séances ont lieu une fois tous les quinze jours sans la présence de Fanny – la fille de 20 ans – qui est fâchée avec son père).

À cette séance, François veut rajouter l’ami de Fanny. Celui-ci s’appelle Xavier. En mettant l’initiale du prénom sur le génogramme, François s’exclame: “Il n’est pas mort”. Il fait référence aux autres morts de la famille qui sont barrés d’une croix comme un X.

Son frère précise alors qu’il faut rajouter l’ancien copain de Fanny. Il s’agit de Christophe qui est décédé dans un accident de voiture. Ma cothérapeute se lance sur la “piste” de Fanny qui n’est plus à la maison et sur l’importance des conjoints.

En regardant le dessin de la famille, je dis: “En tout cas, ça fait un mort de plus”.

Les parents “s’emparent” de mon intervention en déclarant qu’à la séance précédente, il avait été question de nombreux décès. Vincent reste assis sur sa chaise et François commence à dessiner des voitures et des accidents. Puis Madame évoque la concomitance de deux décès entre la naissance de Vincent et celle de François: celui de Florence sa meilleure amie et celui de son père. Ce dernier a eu un accident de voiture suite à un infarctus et est mort quelques mois après. Elle se met alors à pleurer en évoquant l’incinération où, dit-elle, “c’est là qu’elle a pété les plombs”, “avant j’étais gaie et même exubérante, depuis ça ne m’est plus jamais arrivé”. François continue à dessiner au tableau et notamment un pendu, puis à nouveau une voiture, puis un pendu, etc.

Madame évoque alors le décès de son amie: c’était une personne très déprimée dont elle essayait constamment de soutenir le moral. Elle s’occupait en même temps pas mal de ses deux filles qu’elle considérait un peu comme les siennes. François dessine alors deux bonshommes qui pleurent à côté du pendu. Le tableau est légèrement de côté, ce qui fait que les parents ne voient pas ce que François dessine. Puis Madame, en pleurant, d’une toute petite voix, nous dit qu’un soir, en repartant de chez elle, Florence s’est pendue.

Nous faisons remarquer le lien entre les dessins de François et tout ce qu’elle raconte. Les parents paraissent sidérés en disant qu’ils n’avaient jamais révélé aux enfants que Florence s’était pendue. Puis Madame raconte que, quand Vincent avait 1 an ou un tout petit peu plus et qu’elle n’en pouvait plus, elle lui parlait de Florence et de son père. Nous relevons alors la culpabilité qu’elle devait éprouver et ses pleurs redoublent de plus belle. Mais Monsieur interroge: “De quelle culpabilité parlez-vous?”. Il souligne que sa femme a dû surtout se sentir coupable de n’avoir pu éviter le suicide de son amie.

Nous évoquons alors la culpabilité de monsieur qui, dans ces moments-là, avait été incapable d’aider sa femme. Il déclare alors: “C’est un escalier qu’on descend, ça descend sans cesse et on ne voit pas la possibilité de remonter”.

Nous soutenons beaucoup Vincent en disant que François exprime des choses par le dessin et que lui ne peut rien dire, ni rien dessiner. Il acquiesce et semble soulagé. Les enfants se mettent à s’exciter et François dessine un bonhomme avec une tête énorme et des oreilles immenses sur un siège éjectable. Vincent s’exclame alors: “c’est Einstein” et François ajoute “Allo, Houston”. Monsieur dit: “c’est dommage que les dessins ne restent pas et soient éphémères” et nous précisons: “même s’il y a des sièges éjectables, ce qui se passe ici ne se perd pas”.

Bien entendu, tout n’est pas dû au traumatisme lié au décès du père. On voit bien notamment chez la mère une collusion entre la perte de son amie et celle de son père, venant témoigner d’un Œdipe non dépassé.

Mais nous avons là une séquence intéressante. Quelque chose chez la mère est resté non transformé par l’appareil psychique et ce poids endommage son fonctionnement. Cela altère du même coup ses capacités de contenant et de conteneur – au sens transformationnel – du psychisme de ses enfants.

Monsieur a laissé tomber sa mère quand elle était très malade, ne pouvant s’y confronter. Il est dans un perpétuel mouvement d’auto-accusation. Une dimension masochiste est apparente dans le couple de façon plus ou moins manifeste venant ainsi contre-investir des sentiments de haine inélaborables.

Le dispositif de la thérapie familiale, en favorisant une chaîne associative groupale, peut permettre l’élaboration du traumatisme et, partant de là, un accès plus souple aux imagos et aux représentations de façon générale. Il est probable que le génogramme, par ses qualités figuratives, ait favorisé ce processus.

Transfert, contre-transfert et cothérapie

Chaque groupaliste sait être attentif aux effets de groupe plus qu’au contenu énoncé. Nous connaissons la contagiosité des affects dans un groupe et les effets de l’identification primaire. Cela est à rapprocher des mécanismes d’identification projective où l’analyste ressent des émotions brutes non pensables et non figurables par son patient. Cela renvoie aux capacités de régression formelle de l’analyste, j’y reviendrai.

Le groupe familial a la particularité d’être à la fois groupe primaire et groupe secondaire. Groupe primaire, il l’est assurément, par la contenance psychique qu’il offre à ses membres. L’enfant recevra et s’appropriera l’héritage de ses parents et des générations précédentes; les parents déplaceront sur leurs enfants ce qu’ils ont reçu comme ce qu’ils ont espéré.

Dans le nouage des alliances inconscientes qui préside à la constitution du couple, nous ne sommes plus dans un groupe primaire mais dans une répétition, plus ou moins élaborable, de l’infantile.

Dans ces conditions, les membres de la famille peuvent projeter sur tel ou tel autre membre des “qualités” dont il n’est pas porteur. Que pourrait alors être le contenu du transfert familial? Les productions psychiques ne se limitent pas à l’expression des éléments refoulés par la censure. Certains éléments bruts n’ont jamais frappé à la porte de la conscience et n’ont pas accédé à une forme leur donnant une représentation psychique. Si nous considérons la famille comme un groupe, ce sont les effets de la groupalisation que nous allons vivre dans le processus thérapeutique.

Je ne pense pas qu’on puisse véritablement parler de transfert, du moins au début d’une thérapie familiale. Nous avons davantage affaire à des “bombardements projectifs” sans possibilité d’un véritable déplacement. Cela ne veut pas dire que nous ne comptons pas pour la famille, bien au contraire. Il y a une sorte d’avidité, de collage, comme si nous devions “alimenter” la famille.

Le contre-transfert ne se réduit pas à ce que nous ressentons plus ou moins confusément à l’égard d’une famille. Nous projetons nous-mêmes sur la famille un certain nombre d’éléments à travers nos a priori, nos théories, nos idéaux thérapeutiques… Par définition, le contre-transfert est un processus inconscient qui vient se révéler dans l’après-coup, éventuellement dans l’espace de la cothérapie ou dans l’espace institutionnel. Nos mouvements de destructivité, d’emprise, ainsi que des “résidus” pervers, peuvent venir se révéler. Ils surviennent de façon inattendue et le plus souvent difficilement acceptable. Des sentiments de haine à l’égard de la famille peuvent parfois nous envahir. Ces ressentis s’adressent surtout aux parents, tant nous avons tendance à nous identifier à eux et à ce qu’ils subissent. C’est dans ces moments-là que le contretransfert tente d’éviter le groupe et sa massivité. Nous séparons alors l’enfant du groupe comme si on ne pouvait l’imaginer co-acteur, voire coauteur de cette situation, lui déniant alors ses liens d’appartenance. Une autre “ruse” consiste à rejeter toutes les horreurs sur les générations précédentes. Nous nous retrouvons ainsi dans une alliance de victimes malmenées par les ancêtres. Les imagos parentales maltraitantes constitueraient un exutoire soudant patient et thérapeute dans une illusion groupale réparatrice.

C’est toujours en tentant d’analyser ces mouvements contre-transférentiels que les thérapeutes permettront le déploiement du processus transférentiel et l’accès à des répétitions potentiellement analysables.

Le dispositif de cothérapie a été critiqué du fait de la présence d’un couple dans la réalité, entravant la réélaboration fantasmatique de l’imago du couple parental. La fixation sur un couple idéalisé figerait, au moins partiellement, les mouvements psychiques. Cependant, si nous considérons que nous avons affaire à des pathologies d’indifférenciation et de carence de mentalisation, l’appui sur une réalité externe est peut-être un passage obligé. Cela renverrait à l’idée, évoquée plus haut, de la présence de tous les membres de la famille à chaque séance.

La cothérapie joue un rôle tout à fait essentiel. De façon très pragmatique, on pourrait dire que c’est moins lourd quand on est deux. C’est empiriquement vrai. Mais ce sentiment de porter à deux donne parfois l’illusion qu’il ne devrait pas exister de divergences entre les thérapeutes et qu’ils devraient nécessairement penser la même chose. Un signe positif de l’évolution de la thérapie est celui de la conflictualité. Il est très important d’avoir la capacité de ne pas être d’accord et parfois même un peu plus. Un désaccord, même sur des points mineurs, vient représenter une conflictualité psychique possible, c’est-à-dire non destructrice. Cela nécessite une confiance réciproque qui respecte le narcissisme de chacun.

Mais la cothérapie pose de facto la question de l’inter-transfert. «L’inter-transfert est l’état de la réalité psychique des psychanalystes en ce qu’elle est induite par leurs liens dans la situation de groupe. L’inter-transfert ne peut pas être considéré et traité indépendamment du (des) transfert(s) et du contre-transfert» (Kaës, 1997, p. 195). Mais s’il y a bien nécessité d’analyser l’inter-transfert dans ses différentes configurations, force est de reconnaître qu’un échange de quelques minutes entre chaque séance est insuffisant. Ainsi, si on travaille en cothérapie, il y aurait lieu de penser un dispositif avec l’intervention d’un autre analyste pour élaborer au mieux le processus inter-transférentiel.

Style

Jean Lemaire a beaucoup insisté dans ses enseignements sur le style et la façon d’être du thérapeute. En restant vivant, en acceptant de s’exposer, on crée des conditions favorables au processus thérapeutique. Différents analystes ont montré leur sensibilité aux notions de climat, d’ambiance, d’atmosphère… C’est sans doute plus marqué chez les analystes travaillant avec des groupes. On songe bien entendu à Michaël Balint mais aussi à Claudio Neri qui insiste sur la “façon d’être” du psychanalyste et sur son authenticité. Ces notions sont difficiles à appréhender; elles ont une “vérité clinique” et nous cherchons à les adosser à des repères théoriques. D’une certaine façon, le thérapeute est un passeur, un accompagnateur. Toute thérapie est une aventure humaine qui se joue entre les différents protagonistes. Le thérapeute a son propre vécu, ses souffrances, ses doutes… Il a fait lui-même l’expérience d’une analyse personnelle et a approché la complexité et la profondeur de l’Inconscient. Son attitude avec les patients s’accompagne nécessairement d’une reconnaissance: reconnaissance de l’autre avec sa souffrance et sa complexité mais aussi reconnaissance de soi-même en l’autre. Il s’agit alors de se découvrir dans les deux sens du terme.

Si la relation thérapeutique reste asymétrique, le thérapeute oscille constamment entre l’ici et l’ailleurs; entre une position de proximité et une position “méta”. Dans une conférence prononcée au centre Alfred Binet à Paris, Claudio Neri (2006) disait: «Être authentique signifie laisser émerger ses sentiments, y compris ceux qui sont négatifs, ne pas trop cacher, dissimuler ou inhiber ses états d’esprit, même s’ils sont contradictoires, mais au contraire les montrer. L’authenticité, toutefois, n’est pas la spontanéité tout court, mais une “spontanéité spéciale” que l’on peut atteindre au terme d’un parcours fait de nombreuses expériences significatives, qui comporte le renoncement à l’ingénuité et une certaine responsabilité par rapport aux relations» (communication personnelle).

Dans le travail avec les groupes et les familles, nos référents théoriques s’expriment en termes d’enveloppe, de contenant et de fonction alpha des thérapeutes. Cela rejoint pour partie la régression formelle. Si nous sommes fixés sur un axe de compréhension, nous ne pouvons plus être perméables aux “émotions brutes”.

Il ne faut pas confondre des mouvements régressifs défensifs qui peuvent surgir de part et d’autre et un lâcher-prise, un flottement permettant une perméabilité et une disponibilité psychiques. Il ne suffit pas à l’analyste face à une famille de comprendre, d’expliciter et de faire expliciter tel ou tel mode de fonctionnement. Il faut qu’une aire d’inconnu puisse surgir. Mais, à propos de la régression formelle, nous rencontrons une butée liée en partie au cadre de la thérapie familiale. Comme je l’avais signalé (Robert, 1996) en thérapie familiale, le face à face, la dimension interactionnelle où se télescopent fantasme et réalité rendent ce type de régression chez le thérapeute plus difficilement accessible.

L’activité produite par la famille en séance laisse peu d’espace à la capacité de rêverie des thérapeutes. Face à tout flottement, la famille peut se sentir “lâchée”. Je pense que la régression formelle est difficilement atteignable. Comme l’écrit Roussillon (1991), cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de régression. L’écoute en thérapie familiale ne prend pas la même forme que dans la cure type et le thérapeute a nul intérêt à vouloir “singer” une attitude de prétendue neutralité. La régression peut venir dans le “contact”, dans la participation du thérapeute et dans les émotions partagées: on ne régresse pas davantage en étant loin.

Par ailleurs, et peut-être surtout, le travail de perlaboration va jouer un rôle très important. C’est comme si, dans la séance elle-même, il y avait un trop-plein de pensées, de sentiments, d’idées, d’émotions… que ni la famille ni les thérapeutes ne pouvaient “digérer” sur le moment. Il est important que le thérapeute sache attendre et laisse se déployer le processus.

Les différents niveaux et les étapes de l’interprétation

Jean Claude Rouchy (1998) a beaucoup travaillé la question des incorporats. Il distingue les incorporats tels qu’ils ont été appréhendés par Nicolas Abraham et Maria Torok (1978) de ce qu’il appelle “les incorporats culturels”. L’incorporat culturel est bien un mécanisme d’incorporation mais il n’est pas pathologique, il est antérieur à la relation d’objet, il n’est pas inconscient mais non conscient. L’incorporat culturel signe une appartenance et une sorte de base nécessaire au processus d’individuation. En famille il y a des mécanismes, codés plus ou moins clairement comme des habitudes, des formes de communication et de conduites partagées par l’ensemble des membres. Il y a ainsi une sorte de langage familier aux membres du groupe primaire mais étranger aux thérapeutes. Dans la rencontre et la constitution du couple, ces incorporats, ces signes d’appartenance s’entrechoquent et peuvent donner lieu non seulement à de profondes incompréhensions mais aussi à des craintes de perdre ses repères, voire à une peur de trahir son groupe d’origine.

Le travail interprétatif va porter d’abord sur la mise à jour de ces mécanismes, mise à jour qui procède davantage de la traduction que de l’interprétation.

C’est un point extrêmement important ; même, et surtout, si les niveaux inconscients et non conscients sont imbriqués, il est indispensable de distinguer signification et sens ou encore décodage et interprétation.

La plainte manifeste des patients s’exprime autour de leur problème de communication. Une forme d’étayage des fonctions du Moi et du fonctionnement mental de façon plus générale est nécessaire à une réflexivité. Renvoyer à la famille un “état des lieux” de son fonctionnement favorise une alliance thérapeutique co-interprétante. Il est ainsi possible de faire remarquer à la famille les alliances, les rôles, les attitudes répétitives… C’est un temps préalable et indispensable d’une durée variable et imprévisible.

Interpréter les processus à l’œuvre est d’un autre ordre mais non contradictoire. Il y aura une succession d’étapes, de la plainte à la répétition d’une souffrance et à son élaboration. La plainte se vectorise progressivement pour atteindre les objets de transfert.

Famille E.

Il s’agit d’une famille composée des parents et de deux enfants, Johnny, 11 ans, et Franck, 5 ans. Les parents ont eu tous deux une histoire familiale faite de carences et de violences. Franck a des troubles du langage (et de la parole) très importants. Les parents, de milieu très modeste, courent ici et là de spécialiste en spécialiste et éprouvent de grandes difficultés quant à l’orientation scolaire de leur second fils. Ils semblent passifs et abattus face à la situation, perdus dans les conseils des uns et des autres. Au bout de nombreuses séances, on a le sentiment de tourner en rond. Nous leur disons: “c’est insupportable, toutes ces portes fermées”. Cela a pour effet de susciter une très grande agressivité jusque-là recouverte.

S’ensuit alors toute une période où il sera question des familles d’origine et des événements dramatiques qui s’y étaient produits. Les enfants, qui, jusque-là, se disputaient fréquemment, se mettent à faire des constructions avec des cubes et à créer des histoires avec des animaux. Nous laissons se dérouler les séances sans intervenir, en pointant simplement que les enfants semblent avoir beaucoup de choses à dire. À travers les récits, l’agressivité à l’égard des familles d’origine est soigneusement évitée: “Ils étaient comme ça, ce n’est pas de leur faute…”. Peu à peu, l’hostilité du fils aîné à notre égard se manifeste de façon de plus en plus importante. Cela conduit à une explosion très violente de la mère envers nous: “Y’en a marre, vous faites semblant de nous aider, mais finalement vous n’en avez rien à f… de nous!”. Nous avons pu alors interpréter le mouvement du groupe familial: “Tous les parents du monde sont, comme nous, des incapables qui n’en ont rien à f… de leurs enfants”.

L’interprétation n’est pas une et intangible. Il faut distinguer des niveaux comme des moments dans le processus. La parole de l’analyste est tantôt un étayage, tantôt une construction, tantôt une interprétation, tantôt un silence. Le but de cette parole est le changement, tout changement véritable ne pouvant se faire que sur un mode appropriatif. L’interprétation n’est pas un “flottement romantique” ni seulement une co-création mais un acte effectué par le psychanalyste.

Les psychanalystes, les patients et la psychanalyse elle-même ont évolué. Les situations sont plus lourdes et les cures plus longues. Déjà, dans Construction dans l’analyse en 1937, Freud se posait la question de la “vérité” de l’infantile.

En 1970, Serge Viderman a écrit La construction de l’espace analytique. Faut-il retrouver la “vérité” du patient ou lui permettre de construire une historicité permettant de donner un sens à sa réalité psychique?

Il en va de même avec les familles. Le but est que l’enveloppe familiale puisse retrouver ses capacités contenantes et perméables, et que la famille puisse (re)devenir historienne d’elle-même en vivant pleinement son actualité.

Une famille, au cours d’une séance, raconte les événements de la dernière quinzaine. Ma cothérapeute et moi-même essayons de faire des liens. Au bout d’un moment, je dis: “Qu’est-ce qui fait qu’on ne parle pas aujourd’hui?”. S’ensuit un soulagement correspondant à une réduction de tensions et l’interprétation de la défense permet de commencer à parler “vraiment”.

En TFP, nous n’intervenons pas sur les contenus mais sur les contenants ou, pour le dire autrement, sur la forme du message plutôt que sur le message lui-même. De la même façon, nous n’interprétons pas le sens mais la potentialité de sens. C’est dans ces conditions que le groupe peut trouver sa fonction co-interprétante.

Conclusion

Il y a maintenant plusieurs dizaines d’années qu’il est question de nouveaux couples et de nouvelles familles. D’un point de vue “morphologique”, ces changements sont évidents et donnent lieu à des aménagements en impliquant notamment davantage d’autres professionnels; de nouveaux dispositifs, comme le psychodrame familial ou la thérapie multifamiliale, se développent de façon tout à fait intéressante. Mais cela ne doit pas recouvrir les invariants cliniques et techniques qui reposent essentiellement sur le cadre et le processus. Ce qui doit rester intangible est la prise en compte de l’Inconscient dans la configuration des liens conjugaux et familiaux.

La formation est, de ce point de vue, primordiale. Les modifications d’état d’esprit privilégiant l’immédiateté et l’efficacité visibles recouvrent la complexité du monde interne. Il ne s’agit pas de se plaindre mais d’être réaliste. La formation des analystes est longue et exigeante. La formation du travail spécifique avec les couples et les familles l’est encore davantage. Ces formations, qui plus est, rencontrent des résistances externes mais aussi internes, avec les réticences que nous éprouvons à penser notre propre groupe primaire. Pour paraphraser Freud, la théorie et la technique sont importantes, mais cela ne doit pas nous empêcher d’exister.


Bibliographie

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Viderman, S. (1970). La construction de l’espace analytique. Paris: Denoël.

Revista Internacional de Psicoanálisis de Familia y Pareja

AIPPF

ISSN 2105-1038