REVISTA N° 12 | AÑO 2012 / 2

Défis techniques : co-thérapie, transfert et techniques médiatrices, « des images pour Tisser une histoire »

Los autores reflexionan sobre la experiencia de terapia de una pareja cuya alianza matrimonial fue sacudida con la paternidad. La falta de límites y la confusión de identidad, el non lugar de esta familia, encontrar un lugar en el continente a la vez flexible y creativo de la escucha en coterapia. El uso de ciertas técnicas de mediación, como el dibujo y el psicodrama, introduce límites, estimula la libre asociación y ofrece equivalentes interpretativos; la división y negación de las primeras experiencias se transforma y una historia comienza a vislumbrarse. El análisis de la contra y inter-transferencia permite al equipo mantener la capacidad necesaria al proceso de desarrollo y a la simbolización.

Palabras clave: pareja, enlace, perversión narcisista, mediación, psicodrama


Les auteurs réfléchissent à partir de l’expérience de la thérapie d’un couple dont l’alliance conjugale a été ébranlée avec la parentalité. L’absence de limites et les confusions identitaires, le non lieu de cette famille, trouve accueil dans le contenant ferme, en même temps souple et créatif, de l’écoute en co-thérapie. L’emploi de certaines techniques de médiation, comme le dessin et le psychodrame, introduit des limites, stimule l’association libre et propose des équivalents d’interprétation, de telle façon que le clivage et la négation des vécus précoces se transforment et qu’un récit commence à se tisser. L’analyse du contre et intertransfert permet à l’équipe de garder la capacité de penser nécessaire au développement du processus et de la symbolisation.

Mots-clés: couple, lien, perversion narcissique, médiation, psychodrame


The authors describe the path of a couple whose marriage conveyance has been shaken by parenting. The lack of boundaries and identity confusion, the lack of place for this family, find a holding place in the container closed and at the same time flexible and creative, tuned to cotherapy. The analysis of counter and inter-transference, allows the team to keep the capacity of thinking, so that one may find the family ties construction and transformation of early experiences into a real story.

Keywords: couple, link, narcissistic perversion, mediation, psychodrama


ARTÍCULO

Défis techniques : co-thérapie, transfert et techniques médiatrices, « des images pour Tisser une histoire »

CONSTANTE -PEREIRA R. Y GRAÇA

 

Présentation du couple

 

Un loup, voyant un agneau qui buvait à une rivière, voulut alléguer un prétexte pour le dévorer. C’est pourquoi, bien qu’il fût lui-même en amont, il l’accusa de troubler l’eau et de l’empêcher de boire. L’agneau répondit qu’étant à l’aval, il ne pouvait troubler l’eau à l’amont. Le loup, ayant manqué son effet, reprit : « Mais l’an passé tu as insulté mon père. — Mais je n’étais même pas né à cette époque !, » répondit l’agneau. Alors le loup reprit : « Quelle que soit ta facilité à te justifier, je ne vais pas m’empêcher de te manger. »[1] 

Le couple est venu nous voir en raison de difficultés avec leur enfant de 8 ans. Après quelques séances d’observation de la famille, nous avons compris que l’enfant était objet d’une délégation omnipotente[2] de la part des parents et risquait de devenir psychotique. Il a donc commencé une psychothérapie individuelle avec une collègue et nous avons proposé aux parents de les prendre dans une perspective de conjugalité, en raison du manque de limites dans la famille, de leurs disputes permanentes et du lien pervers narcissique qui les unissait.

Tous les deux sont fils d’émigrants, ayant vécu la plupart de leur enfance et de leur adolescence en pays étranger.

Les changements dus aux migrations affectent profondément la cohésion du self et l’identité du sujet ; selon L. et R. Grinberg,[3] il y a la perte d’objets significatifs comme la langue, les lieux et les coutumes, auxquels se relient des souvenirs et affects, ainsi que des parties du self et des liens attachés à ces objets. Malgré des vécus différents, les deux partenaires du couple présentaient des failles identitaires importantes, que l’on peut rattacher partiellement aux effets de déracinement et de changement d’habitat.

Quand ils se sont connus, ce fut la rencontre de deux « âmes perdues » et de deux solitudes ; chacun est devenu le refuge, le cocon, l’enveloppe de l’autre. Après ce temps fusionnel, d’illusion mutuelle et de dépendance extrême, le couple n’a pas réussi à évoluer dans le sens d’une reconnaissance mutuelle[4]; les liens pervers narcissiques, les fantasmes et les affects de l’enfance les hantaient et se reproduisaient dans le lien de couple.

Laissée avec une tante à l’âge de 3 ans, Marta a rejoint ses parents un an après dans un pays étranger et y a vécu le reste de son enfance et son adolescence. Elle se souvient d’un froid glacial, d’être laissée seule avec sa sœur à la maison, d’un père agressif et alcoolique et de violentes discussions entre les parents. Les vacances passées au Portugal sont obscurcies par des épisodes (ou fantasmes) d’abus sexuels. Son passé est marqué par la détresse et l’abandon, dont elle se plaint aujourd’hui, ainsi que de ne pas être reconnue et d’être disqualifiée par son mari et par son fils. Jamais satisfaite, elle est tout le temps disqualifiante et destructive.

Cláudio est un enfant adopté. Incapable de faire le deuil de l’abandon précoce, il dénie ses origines et s’enferme dans le souvenir grandiose d’une enfance merveilleuse passée dans un pays chaud, où il a eu une éducation parfaite et des jouets magnifiques (l’équation symbolique qu’il établit entre « amour » et « argent » se répète tout le temps). Le père était un père absent et Cláudio vénère sa mère d’adoption à laquelle il est fortement identifié.

Cláudio et Marta ont en couple un fonctionnement pervers narcissique. Selon A. Eiguer[5], le pervers narcissique cherche à créer un lien avec une personne dont il puisse attaquer l’intégrité narcissique. Il réussit à ce que l’autre croie que son lien de dépendance envers lui est irremplaçable et que c’est l’autre qui le désire : « … la relation entre le pervers et son objet (extérieur) devient un miroir négatif. (…) Ce qui devrait être amour de soi chez l’autre devient une constante réactivation du sentiment de non-amour de soi. Ce qui devrait être occupé par la constitution de son espace intrapsychique est occupé par la destruction de cet espace, lequel est remplacé par une pseudo spatialité interne où la pensée ne parvient pas à devenir symbolique.”[6]

Marta éprouve des sentiments d’abandon et d’exclusion œdipienne; dans le lien avec son mari, elle projette tout le temps sa faille narcissique et l’échec de la relation idéalisée père/fille. Ayant son espace interne occupé et usé par le lien haineux avec un père brutal, disqualifiant et agressif, qu’elle ne peut pas pardonner, elle vit dans la projection et ne peut pas s’empêcher de détruire. Dans le manque d’une peau qui la contienne, elle n’arrête pas, elle court tout le temps, persécutée par l’angoisse, la culpabilité et la crainte de tomber dans le gouffre du lien intersubjectif, car les introjections, vécues comme un viol, pourraient « l’éventrer » ou la forcer à un deuil impossible.

Cláudio se sert du déni, de l’idéalisation et du contrôle omnipotent pour éviter la conscience de sa réalité interne et de son passé. Il lutte contre l’émergence de sentiments dépressifs et le besoin de faire le deuil. Il a fallu plus d’un an de thérapie pour qu’il envisage de penser à sa filiation biologique.

Marta et Cláudio ont eu plusieurs années de vie à deux et de complicité dans la tâche d’annulation du temps, des espaces individuels, des différences de sexes et de l’enchaînement des générations, ainsi que dans la tâche de destruction interne des figures parentales et d’annulation de leurs rôles familiaux. On pourrait donc se demander : qui est le pervers narcissique et qui est son complice ? Ou, pour reprendre la fable, qui est le loup et qui est l’agneau ? Qui est en amont et qui est en aval ? Les rôles se renversent tout le temps, avec des expressions différentes ; mais à travers le lien pervers narcissique le couple reste uni, chacun dépendant de l’autre, ancrés et étayés par le pacte dénégatif de la véritable scène primitive.

 

La thérapie : transferts et médiation

 

L’évolution de la fonction thérapeutique est fondamentale pour le processus de subjectivation. La compréhension du cas, discuté entre nous chaque semaine, se trouvait renforcée par la réflexion sur les aspects du transfert et du contretransfert, ainsi que par l’analyse de l’Intertransfert ; mais c’était notre première co-thérapie (à nous deux) et nous avions des inquiétudes identitaires, chacune hésitant quant à sa place, craignant les mégardes et de s’imposer à l’autre ; les mêmes mouvements pouvaient être observés dans notre relation avec le couple, dans lequel régnait l’absence de limites et les confusions de rôles et d’identité : pendant longtemps nous craignions de les “effrayer” par la parole et de blesser leur narcissisme.

Malgré leurs difficultés, au bout de quelques mois le couple a commencé à supporter un peu mieux la frustration de nous écouter et « d’avaler » une interprétation. Petit à petit le cadre a été accepté et respecté. Chaque semaine ils venaient nous voir à la même heure, dans cet « espace de pénombre favorable à l’intimité », disait Marta. Dans cet espace, le groupe famille d’étayage espère parvenir à créer une peau de couple habitable, qui devienne fertile et engendre l’appartenance. Ce cadre solide, délimitant un espace d’accueil, en même temps « souple et ouvert »[7], pourrait devenir peut-être, quelques mois plus tard, le terrain où le couple aurait la possibilité de construire son « habitat intérieur »8. Il s’agit d’un couple qui se bagarre tout le temps ; la culpabilité et l’excitation de Marta, ainsi que la démission et le silence de Cláudio, excluaient la tiercéité dont nous étions porteurs, nous transformant souvent en témoins impuissants de leur lien pervers. Ils n’écoutaient pas nos interprétations ou bien ils faisaient semblant de les écouter, mais il n’y avait aucun espoir d’introjection.

Nous avons donc commencé à proposer des figurations, dans le but de nous inclure, de stimuler l’association libre dans le groupe (large) et comme équivalents d’interprétation. Dans les premiers temps, il s’agissait surtout d’arrêter leurs disputes et d’introduire des limites. D’abord nous avons proposé des dessins individuels et collectifs – de la maison, de l’arbre généalogique, entre autres – et plus tard nous avons employé quelques techniques de psychodrame très simples.

Ils ont accepté ces propositions tout d’abord pour le plaisir du jeu, qui adoucissait la violence de l’interprétation verbale. Ils se laissaient séduire par « des aventures dont ils ne connaissaient pas l’issue », mais qui leur procuraient la possibilité de s’exprimer assez librement et de se projeter.

Avec le temps ils s’aperçurent que ces procédés faisaient surgir des mouvements spontanés, d’autres horizons et des découvertes surprenantes, des façons d’être et de sentir tout à fait nouvelles. Mais surtout au fur et à mesure des réalisations dramatiques, ils ont commencé  à vivre et à supporter le danger de la soumission inévitable à un autre type de violence – celle d’être pénétrés par leur propre geste dans l’espace, par la peau et le corps de l’un, de l’autre et du groupe, ainsi que par les effets inconscients de toutes ces rencontres, de l’interfantasmatisation qui les transformait malgré eux. Cependant, il leur était quand même difficile de supporter les associations finales, circulant entre nous tous, par leur issue interprétative, c’est-à-dire, la parole unifiante, métaphorique et réflexive.

 

Le corps et le geste dans l’espace ; l’exigence de figurabilité

Les modèles de moi-peau[8] et d’enveloppe psychique[9] permettent de comprendre le lien entre la construction de l’appareil psychique et l’expérience du corps. J. Doron[10] souligne que le moi-peau décrit une expérience concrète et intime, liant les pensées à l’expérience de la surface du corps. Comme le dira à la fin d’une séance  un de mes patients, un adolescent de 15 ans en groupe de psychodrame: « J’ai senti que mes pensées enveloppaient tout mon corps. »

Le concept de moi-peau correspond à une expérience corporelle et tactile fondamentale : la peau limite, protège et contient le corps. L’enveloppe psychique peut être imaginée comme une membrane souple qui sépare les domaines du dedans et du dehors et en même temps permet les échanges entre ces deux espaces. Il s’agit d’une limite non fermée, qui est le support, le lieu de passage entre différents phénomènes, et qui permet de filtrer et de différencier le monde interne et le monde externe.  R. Kaës souligne que l’activité de transformation du pré-conscient s’effectue « grâce à la remobilisation de la motricité, de l’image et de la parole sur la scène de figurabilité que construit le psychodrame. »[11] P. Aulagnier pense que le figuré est essentiel : « … de l’ordre du besoin, du fondamental, du sentiment d’exister et d’être, qui constitue l’espace corporel dans lequel la pensée pourra se déployer. »[12]

Prenons comme exemple une séance où Marta se plaignait de l’attitude glaciale de son mari. Nous leur proposons de jouer la scène suivante: Cláudio est un frigo et Marta doit ranger les aliments dans le frigo. Cela se passe très bien et le corps de Cláudio est couvert par sa femme de morceaux de tissu en couleur qui symbolisent les légumes, la viande, les œufs, etc. Ils s’amusent tous les deux, Marta est ravie parce qu’elle a le contrôle de l’action. Subitement nous annonçons qu’il ya eu un courtcircuit et que le frigo ne marche plus. Que faire ?… Petit à petit, elle retire et range ailleurs soigneusement les « aliments/morceaux » de son mari. Puis ils se regardent en souriant et s’embrassent.

À la fin de la séance ils étaient vraiment capables de nous écouter et entre tous il a été possible de faire plusieurs associations à propos de la métaphore et du lien entre eux.

Cependant, malgré l’apparition de quelques rêves chez Marta et le développement de souvenirs et de nouvelles images chez Cláudio, les interprétations et la séparation  étaient souvent mal supportées, lui se plaignant d’avoir été accusé d’être « nazi », elle se sentant « humiliée» par les thérapeutes à la fin de la séance.

Avec A. Eiguer, nous pensons que la perversion est « le fruit d’une carence de contenance narcissique ».[13] Il souligne : « La peau psychique constitue (…) le prototype du contenant, et plus largement du narcissisme-cadre, qui sera à l’œuvre dans toute relation d’objet ou sous la forme d’une continuité liante et humanisante entre soi et l’autre. (…) Ce narcissisme découlant de l’intégration de la peau est le fondement de tout lien.»[14]

Pendant longtemps il nous a fallu à certaines occasions remplacer la parole par des figurations et des scénarios contenants. Le vécu des carences précoces, évitées ou niées en raison d’une souffrance psychique jusque là inexprimable, a été favorisé par l’action et l’expression corporelle. La figurabilité et les équivalents d’interprétation proposés ont eu une fonction d’étayage pour  la construction de la peau psychique du couple. Les introjections sont donc devenues plus supportables. Chaque partenaire a commencé à découvrir des repères identificatoires importants et, d’autre part, à renouer des liens avec sa propre famille. Identifié à la fonction de contenance du néo-groupe, le couple a maintenant un habitat intérieur et commence à pouvoir penser et symboliser.

Porto, 15 juillet 2012

 


Bibliographie

Anzieu, D. –  Le Moi-Peau, Paris, Dunod, 1985.

Anzieu, D. et coll. – Les enveloppes psychiques, Paris, Dunod, 2003. Anzieu, D. e col. – O trabalho psicanalítico nos grupos, Morais editores, 1978.

Aulagnier, P. – La violence de l’interprétation : du pictogramme à l’énoncé. Paris, PUF, 1975.

Aulagnier, P. – Un interprète en quête de sens, Payot, 1991

Bion, W.R. – Recherches sur les petits groupes, Paris, PUF 1965. (Original work 1961)

Bion, W.R. A atenção e interpretação. Rio de Janeiro, Imago 1991. (Original iWork 1970)

Bleger, J. “Psicoanálisis del Encuadre Psicoanalítico”, in Simbiosis y Ambigüedad, Editorial Paidós, Buenos Aires, 1967.

Doron, J. – « Du Moi-peau à l’enveloppe psychique », Introduction à la 2e édition, in  Anzieu, D. et coll. – Les enveloppes psychiques, Paris, Dunod, 2003.

Eiguer, A.: “Le pervers narcissique et son complice”, Dunod, 2003.

Eiguer, A. « L’inconscient de la maison », Dunod  2004.

Eiguer, A. – Jamais Moi sans Toi, Dunod 2008.

Grinberg, L. – R. – Identidad y Cambio, Ediciones Paidós, 1976.

Kaës, R. et coll. – Le Psychodrame Psychanalytique de Groupe, Paris, Dunod, 2003.

Kaës, René – “Un singulier pluriel”, Dunod 2007.


[1] Adaptation de la fable Le Loup et l’agneau selon Ésope.

[2] « Induction d’une délégation familiale omnipotente, au moyen de laquelle on cherche à réaliser un projet qui défie le destin, compenser l’échec d’un ancêtre et combler une crise profonde d’identité » Eiguer, A. Le pervers narcissique et son complice, Dunod, Paris, 2003.

[3] Grinberg, L. – R. – Identidad y Cambio, Ediciones Paidós 1976.

[4] Eiguer, A. – Jamais Moi sans Toi, Dunod 2008.

[5] Eiguer, A. (2003, op. cit.)

[6] Eiguer, A. (2003, op. cit. p. 142)

[7] Eiguer, A. « L’inconscient de la maison », Dunod  2004. 8 Eiguer, A. op. cit.

[8] Anzieu, A. – Le Moi-Peau, Paris, Dunod, 1985.

[9] Anzieu, D. et coll. – Les enveloppes psychiques, Paris, Dunod, 2003.

[10] Doron, J. – « Du Moi-peau à l’enveloppe psychique », Introduction à la 2e édition, in Anzieu, D. et coll. op. cit.

[11] Kaës, R. et coll. – Le Psychodrame Psychanalytique de Groupe, Paris, Dunod, p. 92.

[12] Aulagnier, P. -1986, citée in Kaës, R., op. cit. p. 96.

[13] Eiguer, A. (2003, op. cit., p. 37)

[14] Anzieu, D. 1985, cité in Eiguer, A. (2003, op. cit., p. 37)

Revista Internacional de Psicoanálisis de Familia y Pareja

AIPPF

ISSN 2105-1038