REVISTA N° 15 | AÑO 2016 / 2

El aparato psíquico familiar, el planteamiento intelectual y científico original de André Ruffiot

El aparato psíquico familiar, el planteamiento intelectual y científico original de André Ruffiot

El texto propone recoger el camino del pensamiento de André Ruffiot, en la construcción del concepto de aparato psíquico familiar. Apoyándose sobre los teóricos de grupo, de la construcción del pensamiento y de la unidad psicocorporal, mientras sigue fiel al pensamiento freudiano, André Ruffiot elaboró una teorización grupal-familiar original, que permite la comprensión y el tratamiento terapéutico de psicopatologías familiares.

 

Palabras clave: aparato psíquico familiar, terapia familiar psicoanalítica.


L’appareil psychique familial, la démarche intellectuelle et scientifique originale d’André Ruffiot

Le texte propose de reprendre le cheminement de la pensée d’André Ruffiot dans la construction du concept d’appareil psychique familial. En s’appuyant sur les théoriciens du groupe, de la construction de la pensée et de l’unité psycho-corporelle, tout en restant fidèle à la pensée freudienne, André Ruffiot a élaboré une théorisation groupale-familiale originale, permettant la compréhension et la prise en charge thérapeutique de psychopathologies familiales.

Mots-clé: appareil psychique familial, thérapie familiale psychanalytique.


The family psychic apparatus, André Ruffiot’s Original intellectual and scientific approach

The text suggests resuming the progress of the thought of André Ruffiot in the construction of the concept of family psychic system. Resting on the theorists of the group, the construction of the thought and the psycho-physical unit, while remaining faithful to the Freudian thought, André Ruffiot developed an original groupal family theorization, allowing the understanding and the therapeutic management of family psychopathologies.

Keywords: family psychic system, family psycoanalytical therapy.


ARTÍCULO

En 1978, André Ruffiot soutient une thèse de troisième cycle à l’Université des Sciences Sociales de Grenoble, intitulée “Thérapie familiale psychanalytique, l’appareil psychique familial”. Cette thèse, qu’il déploiera en 1982 dans sa thèse d’Etat, propose une théorisation tout à fait originale, mise en convergence créative et rigoureuse de différents courants de pensée, sous-tendue par une clinique familiale, qu’André Ruffiot pratique, à l’époque, depuis déjà plusieurs années. J’ai eu la chance, avec d’autres (Fustier, Joubert, Savin pour ne citer qu’eux), d’être son étudiante dans ces mêmes années, puis de bénéficier de la formation que la pratique de la co-thérapie de thérapies familiales psychanalytiques qu’il menait m’a apportée. A l’époque, nous ne nous rendions pas compte de l’extrême originalité de sa pensée. Et lui-même remarquait le caractère un peu paradoxal du fait que finalement, la théorisation du “familial” venait en dernier, après l’individu, puis le groupe, alors même que la famille, le creuset familial est originaire.

Bien évidemment, il n’était pas le seul à se pencher sur la question du familial, à ce moment-là: Granjon, Eiguer, Decobert, Decherf et Caillot, ainsi que Lemaire, cheminaient aussi dans cette direction. Ils ont tous contribué au développement de cette pensée et de la technique de la TFP. Mais je tenterai ici de décrire ce qui est le centre de notre sujet, à savoir le cheminement qui a amené André Ruffiot à l’idée selon laquelle tout sujet est tissu avant d’être issu et qu’il émerge d’un berceau psychique. Le processus d’individuation se construit dans une matrice psychique, selon le terme emprunté à Foulkes (1965): l’essence et le moteur de cette matrice, c’est l’appareil psychique familial.

Actuellement, lorsque nous échangeons entre nous, à partir de tout ce qui a été produit depuis en termes de concepts, et pratiqué dans nos institutions, ceci nous semble “naturel”. Mais il fallait beaucoup d’audace, à l’époque, pour oser proposer un en deçà du sujet, dire qu’une grande part de la subjectivité et de l’inconscient sont d’essence groupale, que le corps est individuel, mais que le psychisme est groupal. Même appuyée sur la psychanalyse Freudienne “classique”, la pensée d’André Ruffiot titillait les théoriciens praticiens de la cure-type individuelle, et la diffusion de ses idées a rencontré quelques résistances… D’autant qu’à ce moment-là, ceux qui se penchaient, depuis déjà des années sur une organisation supra-individuelle familiale étaient dans la lignée systémique, longtemps regardée de travers par les psychanalystes européens, qui, par ailleurs, ne connaissaient que peu le travail de l’Ecole Argentine.

Dans l’introduction de son travail, André Ruffiot décrit son processus de pensée et les étayages théoriques qui l’ont accompagné dans sa démarche et sa réflexion, alimentées par une pratique déjà longue des thérapies de groupe, de couple et de famille. S’appuyant sur le concept d’Appareil Psychique Groupal que René Kaës avait théorisé en 1976, et qu’André Ruffiot (1983) définit comme «un espace intermédiaire, ternaire et médiateur, ayant les caractéristiques d’un espace transitionnel, entre la réalité psychique interne et la réalité sociale externe» (p. 137), il indique que l’appareil psychique familial est l’appareil psychique groupal du groupe primaire qu’est la famille. Précisant d’emblée que Sigmund Freud avait ouvert la voie du groupal, dont il n’avait donné que des repères, André Ruffiot met ses pas dans ceux de chercheurs-cliniciens qui ont exploré le domaine de la psyché la plus primitive, avec l’idée de trouver des convergences permettant de décrire la nature de la psyché primaire.

Cette démarche de “description” de la psyché originaire, comme il le dit lui-même, André Ruffiot a cherché comment l’articuler avec les jalons conceptuels des théoriciens analystes du groupe. Il ne s’agissait pas seulement de décrire l’archaïque, mais aussi de comprendre les mécanismes groupaux-familiaux qui l’accueillent, le nourrissent et encadrent ou entravent son évolution vers les processus d’individuation. Car l’objectif d’André Ruffiot a toujours été celui du soin, de l’étayage, et sa rencontre avec la souffrance familiale, associée à ses exceptionnelles compétences cliniques et ses qualités intuitives le guidaient dans ce sens.

C’est d’ailleurs pourquoi, dès cette thèse de troisième cycle, puis dans sa thèse d’Etat, en 1983, André Ruffiot ne s’est pas contenté de théoriser, il a aussi voulu transmettre une technique, qu’il décrit et justifie rigoureusement. Actuellement, nous nous appuyons tous encore sur ce cadre, même si nous avons pu l’élargir, en modifier certains aspects ou introduire des variantes.

La pensée Freudienne

André Ruffiot a d’abord exploré dans l’oeuvre de S. Freud les éléments précurseurs d’une conceptualisation ou parfois seulement de l’intuition d’une “non fermeture” du sujet. Apparaissent deux courants successifs, celui d’un sujet–monade, décrit de façon économique, fermé sur lui-même jusqu’en 1914, auquel succède le courant “relationnel”, avec l’introduction du concept de narcissisme, faisant du sujet “le maillon d’une chaîne”, ouverte aux deux extrémités, qui traverse le psychisme. Assujetti “contre sa volonté, ou du moins sans l’intervention de celle-ci”, l’individu n’est plus dans sa “bulle”, il s’inscrit dans un ensemble qui le précède et se poursuit après lui. Dès 1975, Piera Aulagnier illustre parfaitement cette idée dans son concept de “contrat narcissique”.

Citant Pasche (1969), André Ruffiot souligne que si l’objet est interne, il est aussi dès l’origine investi comme une réalité, c’est-à-dire que “sujet et objet sont contemporains”. Le concept d’anti-narcissisme proposé par Pasche décrit le mouvement originel d’un sujet qui tend à se déprendre de lui-même, manifesté dans ce qu’il nomme l’admiration primaire du nouveau-né pour sa mère: «l’unité naturelle n’est pas le Je mais le Je avec l’autre» (p. 236).

Ainsi, André Ruffiot ancre-t-il son raisonnement sur le fondateur, mais pour en dégager les axes précurseurs du groupal: le sujet se construit en un reflet du monde extérieur qu’il intériorise dans des mouvements d’identification, processus fondamental de la formation du sujet, dans une économie et une dynamique de réciprocité.

Enfin, André Ruffiot explore dans l’oeuvre de Sigmund Freud ce que celui-ci nomme “les prototypes normaux de la psychose”, se développant dans différentes situations, notamment la relation amoureuse, mais aussi dans les phénomènes de groupe et l’hypnose, et même dans le transfert. André Ruffiot (1983) en conclut après S. Freud que dans certaines situations, le Moi «est le résidu rétréci d’un sentiment d’une étendue plus vaste…qui correspondait à une union plus intime du Moi avec son milieu» (p. 313).

D’où l’idée d’André Ruffiot (1983) selon laquelle Freud (1929) ouvre ici la voie vers une exploration du «sentiment primaire du moi ainsi que les phénomènes de communication dont il tisse les réseaux» (p. 29).

La psyché primaire

En naissant, indique André Ruffiot (1983), le petit humain accède à un triple monde: celui du monde social des parents, celui des corps et celui du psychisme. Il est totalement dépendant de la mère ou de son substitut, “prématuré”, mais pour autant pas passif: le bébé est “compétent”, il contrôle son entourage, et ses échanges avec l’environnement sont organisés. Il n’existe pas deux entités distinctes, bébé et environnement, mais un ensemble “bébé-milieu” (p. 33).

Le bébé peut être considéré comme “un être rêvant”, il a une activité onirique, comme en témoignent les travaux d’A. Bourguignon (1966), Kleitman (1963) et Jouvet (1974). L’être humain a une vie psychique dès sa naissance, il nait corps et psyché, celle-ci étant essentiellement “un appareil à rêver”.

De quoi rêvent les nouveau-nés, se demande André Ruffiot? De la satisfaction, de l’objet satisfaisant, de la mère rêvant de la satisfaction de son nourrisson, qui rêve qui? Qui rêve dans qui? Cette conjonction de deux séries oniriques, va retenir l’attention, et constituer le développement de la pensée d’André Ruffiot: quelle est la nature de cette psyché primaire, ce stade où l’enfant n’a pas encore intégré son corps, qui est le cadre de l’appareil psychique groupal familial tel qu’il est observé en TFP?

André Ruffiot va puiser dans les travaux d’un certain nombre d’auteurs ayant travaillé sur ces phénomènes primaires pour étayer et nourrir son développement théorique:

− Winnicott (1965) décrit les rapports entre psyché et soma et montre que la psyché peut se vivre “psyché pure, non encore intégrée au soma”. L’habitation dans le corps ne se fait que progressivement, avec une mère “suffisamment bonne”, mais cette “psyché pure” constitue le noyau d’un inconscient primaire, non expériencié, sans traces individuelles mémorisables. Pour André Ruffiot (1983), le dispositif de TFP permet de «revivre les expériences ineffables de la psyché non intégrée à travers le matériel onirique familial» (p.38).

− La distinction entre moi corporel et moi psychique est décrite par Tausk (1919), avec un moi psychique primaire doté d’un “narcissisme inné” qui subsistera toute la vie comme vécu régressif possible: André Ruffiot y voit l’essence même de la disponibilité au groupe, et de la groupalité interne.

− Federn (1952) distingue moi-mental et moi-corporel, et il propose l’idée selon laquelle le sentiment de moi psychique est ce qui assure le sentiment de continuité de l’être. Pour Federn, il y a une précession du Moi-psychique: celui-ci est le premier à être expérimenté par l’enfant. Il réapparaît dans les rêves et les psychoses et reste dynamique dans l’appareil psychique adulte. Federn postule une double perception du monde extérieur, l’une structurée par le Moi individué et ancré corporellement, l’autre opérée par un moi psychique. André Ruffiot transcrit cette proposition dans l’idée d’une ouverture vers deux dimensions du moi, l’individuelle et la groupale.

− A travers la théorie de la fonction Alpha, Bion (1962; 1970) relève l’existence, dès la naissance, d’un mécanisme de psychisation primaire, “psychisation groupale familiale”, qui, pour André Ruffiot, constitue le modèle des phénomènes d’interfantasmatisation inconsciente dans les groupes (ainsi qu’ils ont été décrits par Foulkes, 1975, Anzieu, 1971, ou Kaës, 1976). La psyché de l’enfant prendrait ainsi naissance dans ce creuset groupal qu’est la “rêverie familiale”. Ainsi, la pensée groupale familiale serait la matrice de la psyché individuelle. L’appareil à rêver parental préexiste à l’enfant et se constitue d’emblée comme une psyché de prothèse, que l’enfant assimile comme une fonction alpha commune, puis comme appareil à penser propre.

Le groupe, le corps et le psychisme

Dans sa démarche de recherche de convergences André Ruffiot se tourne alors vers les théoriciens du groupe, pour confronter son idée de moi groupal psychique avec ce qui a été observé et théorisé dans les groupes. Si les métaphores biologiques et corporelles sont très fréquentes dans les groupes thérapeutiques ou formatifs, ainsi que le décrivent Anzieu (1971) et Kaës (1976), André Ruffiot relève aussi des différences, qu’il explique d’abord par les natures différentes des groupes: famille et groupes “d’étrangers”. Et la recherche de “corporéité” des groupes de non-familiaux viendrait peut-être justement de la quête d’un corps familial qui fait défaut dans l’ici et maintenant.

André Ruffiot s’appuie ensuite sur les travaux de Bleger sur le cadre, comparé à une institution. Pour Bleger (1966), l’identité est toujours entièrement ou en partie institutionnelle, «au sens qu’au moins une partie de l’identité se structure par l’appartenance à un groupe» (p.257). Le Moi s’origine dans un “non-moi”, dont le socle est le cadre stable et invariant de l’institution familiale: le non-moi serait “comme un dépôt dans le cadre de l’institution familiale la plus primitive”. Ce non-moi, ou “noyau agglutiné” est déposé dans l’autre, dans une symbiose qui doit être suffisamment prolongée pour permettre une réintrojection progressive.

Ainsi, dit André Ruffiot, se constitue une base invariante et stable entre moi vigile et moi onirique, noyau psychique basal qui assure un sentiment de continuité de l’être, et de permanence du moi. Et pour lui, c’est “ce méta-Ego qui se dissout dans les groupes et en assure le ciment”.

Ce non-moi, est déposé “dans la mère” ou “dans l’institution familiale la plus primitive”, et c’est sur cette indifférenciation primaire que travaille l’analyste du groupe familial.

L’onirisme et son statut d’extra-territorialité

Reprenant les travaux de Guillaumin, André Ruffiot cherche à comprendre comment fonctionne la psyché indifférenciée encore non incorporée.

Guillaumin (1979) décrit les rapports entre le rêve et le Moi, évoque cette relation “quasi inter-personnelle” à l’intérieur d’une même personne entre le moi vigile et le moi du rêve. Il ajoute que le rêve a un exceptionnel pouvoir de transitivité, dans son aptitude à fournir une médiation entre les consciences. Guillaumin suggère que le dormeurrêveur met provisoirement son corps presque hors circuit, comme déconnecté, et les espaces sensoriels sont fédérés sous le primat du visuel.

Du coup, cette perte presque totale de l’individuation corporelle par le rêveur le plonge dans un “vagabondage” où les différences entre moi et l’autre se dissolvent.

Les commentaires de Guillaumin ouvrent, selon André Ruffiot (1983), une perspective sur la psyché primitive, «vécu brut projeté sur la rêverie maternelle, qui peut ainsi devenir rêverie propre» (p. 28). Et André Ruffiot de poursuivre: nous nous posons la même interrogation en TFP “qui pense? Qui rêve? Où cela rêve-t-il?”.

L’Appareil Psychique Familial

L’appareil psychique familial s’édifie, selon André Ruffiot «dans cette zone psychique obscure et indifférenciée des différents membres du groupe familial» (1983, p.55). La parentalité correspond à une mise en communication purement psychique des appareils psychiques paternels et maternels, entre eux et avec celui de leur enfant.

La fantasmatique familiale inconsciente «est “un rêve amoureux”, dans lequel sont retrouvés les caractères de l’activité onirique, dominée par les processus primaires» (1983, p.56). Il s’agit d’un fonctionnement psychique parallèle au fonctionnement individuel, qui est comme le tissu familial, la toile de fond, le cadre sur lequel s’étayeront les appareils psychiques individuels.

Reprenant les propositions de David (1971), sur “l’hallucination négative où quelqu’un manque”, André Ruffiot fait le lien avec le moinon-moi décrit par Bleger (1966), psyché pure à laquelle manque le corps: cette “psychéité” familiale est purement psychique, unique et sans corps, sans lieu d’incarnation.

André Ruffiot reprend aussi l’idée de Pontalis (1975) sur le Soi comme espace ouvert “aux deux bouts” qui s’édifie dans un espace intermédiaire qui a les caractéristiques de l’espace transitionnel winnicottien (Winnicott, 1971).

Enfin, André Ruffiot propose une analogie entre communication familiale et communication paradoxale au sens que lui donne De M’Uzan (1976), c’est-à-dire une forme communication que l’analyste peut être amené à rencontrer dans l’analyse qui s’apparente au sommeil paradoxal, souvent associé à “un léger état de dépersonnalisation”, une sorte de flottement léger dans lequel émergent des représentations imagées. De M’Uzan (1974) soutient que l’identification primaire est toujours prête à fonctionner, assurant “la pérennité de l’indifférenciation Je-non Je”. Pour lui, le Je est réparti tout au long d’un spectre qui va du sujet à l’objet. Et André Ruffiot de prolonger: «l’appareil psychique familial est justement constitué par la mise en concordance naturelle et spontanée de ces espaces transitionnels individuels» (1983, p.60).

Pour résumer, André Ruffiot décrit l’appareil psychique familial, tel qu’il est observé dans les TFP, comme ayant les caractères du moi primaire: appareil fait de psyché pure, au fonctionnement de type onirique, cadre indifférencié d’où émerge le moi individuel dans l’intégration psyché-soma, résultant de la fusion des moi-psychiques primaires individuels. A ce titre, l’appareil psychique familial n’est pas fondé sur un refoulement, mais est le résultat d’un dépôt (au sens de Bleger) dans le cadre familial d’une partie de la psyché individuelle. L’appareil psychique familial a des fonctions: contenance des psychés individuelles, il est la somme des fonctions alpha de chacun. C’est un appareil onirique assurant un étayage, un holding onirique. Grâce à la TFP, Il peut de nouveau libérer une énergie bloquée, celle qui ne se traduisait qu’en actings ou manifestations pseudo-symboliques, expressions brutes de l’imaginaire familial. André Ruffiot insiste sur la reprise, dès les premières séances, de la fonction onirique, phase initiale du processus.

La TFP et la régression

Dans la conclusion de son travail, André Ruffiot souligne la qualité particulière de la régression induite par le cadre de la TFP. Reprenant le concept d’illusion groupale de Anzieu (1975), il précise que l’illusion groupale familiale est une tentative de la famille toute entière de vivre en psychéité pure.

La psyché familiale offre un cadre susceptible de contenir les vécus archaïques, vécus agonistiques, vécus sans traces qui peuvent ainsi être repris et reliés à des représentations, grâce à l’espace onirique commun, transitionnel. André Ruffiot évoque un point organisateur spécifique du groupe familial, en deçà des processus groupaux observés par Anzieu et Kaës: “un stade du miroir groupal”, phase originaire nécessaire à la reprise d’un processus élaboratif.

André Ruffiot fait de la régression induite par la cure le point central de son efficacité dans la reprise et le dénouement de la pensée “paradoxée”, pensée malade, disqualifiante, se traduisant dans des liens paradoxaux. Il souligne qu’en TFP, le paradoxe se dénoue au lien même de son origine, en relevant que paradoxe et rêve sont de même nature. Mais «le rêve, qui est sous le signe de l’ouverture constitue l’antidote du paradoxe qui est une structure fermée» (1983, p.126). En se ressourçant dans le plus primitif, l’appareil psychique familial se libère de son fonctionnement disqualificatoire.

De l’intuition clinique à la théorie, une démarche intellectuelle originale et fondatrice

André Ruffiot a développé par la suite de nombreux angles de réflexion, à travers des publications mais le thème du holding onirique familial me semble central dans sa pensée. Le cadre de la TFP construit un néo-contenant qui favorise la régression, accueille les productions oniriques et permet la reconstitution, la reviviscence de la psyché familiale matricielle. Ce phénomène, disait André Ruffiot constitue le holding onirique familial, c’est à dire la mise à la disposition du porteur de symptôme de la fonction alpha familiale. Rappelons qu’André Ruffiot (1983) soulignait la particulière adéquation du dispositif de TFA pour les patients psychotiques, même s’il en évoquait aussi l’efficacité pour d’autres pathologies.

Pour André Ruffiot (1982), la TFP donne à voir une reprise de la fonction onirique, une mise en commun des rêves, et permet les associations du groupe tout entier sur les rêves de chacun. La complémentarité des rêves fait apparaître un véritable dialogue onirique, où non seulement le mode de parler est commun, mais aussi le rêve de l’un apparaît comme réponse au rêve de l’autre. L’emboîtement, l’articulation des rêves donnent l’impression d’un puzzle où chacun place sa pièce onirique pour constituer une imagerie familiale cohérente. Le rêve, disait André Ruffiot (1982) n’est-il pas fait pour être raconté dans le cadre matriciel où il a germé, le cadre familial? Il ajoutait que le message des rêves est une réalisation de désir familial, mais aussi, pour les rêves répétitifs, la restitution d’une atmosphère traumatique passée propre au groupe tout entier, destinée à venir combler un trou dans l’expérience psychique originaire, par un ressourcement dans un inconscient groupal matriciel.

L’appel des rêves, seule entorse à la règle fondamentale de libre association, André Ruffiot le pratiquait à chaque début de séance, et cet aménagement technique a pour conséquence que les séances auront spontanément pour thème, pour trame, les associations déclenchées par le matériel onirique. André Ruffiot soulignait que ses interprétations portaient exclusivement sur ce matériel onirique, en relation avec le transfert. Le rêve, disait-il, permet de repérer le fonctionnement de l’appareil psychique familial, et l’activité onirique joue le rôle d’un moteur pour la remise en fonctionnement des parties non-moi de chacun et pour la maturation des Moi-individuels, dans la matrice psychique originaire constituée par la “rêverie” maternelle, paternelle et infantile. La conjonction des contenus oniriques individuels constitue une sorte de réservoir où chacun puise et reverse, par ses propres associations sur les rêves des autres. La famille se constitue, se reconnaît, se sent constituée et reconnue comme une famille dans ce que André Ruffiot appelait “le miroir onirique groupal” (1982) où elle se voit une.

En reprenant le cheminement de la pensée d’André Ruffiot, j’ai non seulement éprouvé du plaisir, comme si je retrouvais mes “bases”, mais j’ai aussi mesuré à quel point ces propositions montraient des intuitions géniales alors même qu’elles pouvaient, à l’époque, paraître nouvelles et parfois dérangeantes dans ce qu’elles bousculaient un certain ordre établi. André Ruffiot avait son idée sur les familles, basée sur sa clinique, mais il a choisi la rigueur de la démonstration et l’étayage sur d’autres théorisations: le processus et le “bain” dans la pensée, l’un ne se peut sans l’autre, comme dans les familles…


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Revista Internacional de Psicoanálisis de Familia y Pareja

AIPPF

ISSN 2105-1038