El recurso a la matriz sociocultural del terapeuta como apoyo para la construcción de la novela familiar

 

Este artículo se referirá a la terapia de una familia metropolitana, la que llega en un contexto de migración voluntaria operada sobre el método de la acción, con una confusión de los espacios psíquicos y sociales. El autor recurrió a un registro metafórico de la Historia, a leyendas y mitos resultantes de la matriz sociocultural colocándola como el “doctor de la creación”. La utilización, en el aquí y ahora del encuentro clínico, como ẚrea de juego de las referencias a la cultura del autor constituyó un apoyo que permitió una situación transfero/contra-transferencial, accediendo a la matriz psíquica familiar, sujeto hasta allí a un pasado familiar no ocurrido. Debido a la reactivación del interfantasmatización y a la instauración de una escena primitiva moderada y evolucionada, se pudo retirar de los vínculos mortíferos en los cuales quedaba atrapado y salir de la confusión generacional. Así la instauración de un contrato narcisista, permitió al hijo mayor, continente del negativo familiar y portador de un enclave autístico saturado de omnipotencia, el que presentaba una detención del desarrollo, al quedar liberado de los imagos de objetos enigmáticos perseguidores y alienantes enquistados en una parte escindida de su Yo, librarse del puesto ocupado para preservar la homeostasia familiar, lograr nacer como Yo.

Palabras claves: mito, matriz sociocultural, matriz psíquica familiar, continente del negativo, transmisión del negativo, migración.


Le recours à la matrice socioculturelle du thérapeute  comme étayage pour la construction d’un roman familial 

 

Cet article portera sur la thérapie d’une famille métropolitaine, qui a, dans un contexte de migration volontaire opérée sur le mode de l’acting, dans une confusion des espaces psychique et social, recouru métaphoriquement à l’Histoire, à des légendes et à des mythes issus de la matrice socioculturelle de l’auteur, la positionnant comme le “docteur de la création”. L’utilisation des références à la culture de l’auteur a constitué un étayage permettant, dans l’après-coup de la situation transfèro/contre-transférentielle, à la matrice psychique familiale, trop aux prises jusquelà avec un passé familial non advenu, grâce à la relance de l’inter-fantasmatisation et à l’instauration d’une scène primitive tempérée et évoluée, de se dégager des liens mortifères dans lesquels elle était engluée, et de sortir de la confusion générationnelle. L’instauration d’un contrat narcissique a ainsi permis au fils aîné, contenant du négatif familial et porteur une enclave autistique saturée d’omnipotence présentant un arrêt du développement staturo-pondéral, libéré des imagos énigmatiques persécuteurs et aliénants enkystées dans une partie clivée de son Moi, dégagé de la place occupée pour préserver l’homéostasie familiale, de naître comme Je, dans un écart structurant, dans son assujettissement.

Mots-clés: mythe, matrice socioculturelle, matrice psychique familiale, contrat narcissique, contenant de négatif, migration.


The therapist’s sociocultural matrix as a support for the construction of a family story

 

The author presents a case of an urban family who had undergone a voluntary migration which had resulted in psychic and social confusion. In treating the family, the therapist used her own social and cultural matrix, along with its myths, legends and history, as a transitional area for the family. This allowed for the development of a metaphoric frame of reference for the family which placed her in the position as a kind of “doctor of creation” for them. It also facilitated important work on regressed states triggered by the migration. As the therapeutic frame contained the regression, the therapist was able to help the family emerge from pathological links that were associated with generational confusion. The cultural transition area created by the therapist also allowed the family an important anchor point, which facilitated a transference/countertransference context that enabled them to process their missing family past. Their son had carried out an important role for the family by his symptomatology, which was characterised by omnipotent and autistic features that had impacted adversely on his physical development. The family therapy helped to free him from the place he had in the family in maintaining the family’s homeostasis. It also freed him from alienating and persecutory objects.

Keywords: myth, socio-cultural matrix, family psychic matrix, narcissistic contract, negative countainers, migration.


ARTÍCULO

De notre histoire tramée avant que nous naissions  l’inconscient nous aura fait les contemporains,  mais nous n’en deviendrons les penseurs  que par les effets d’après-coup.

Kaës R., 2009

Nous rencontrons de plus en plus dans la clinique des familles originaires de la France hexagonale qui, dans un mouvement de migration volontaire opérée sur le mode de l’acting et dans une confusion des espaces psychique et social, cherchent à faire table rase du passé en prenant la décision de s’expatrier, “quittant tout”. Le recours à ce type de fonctionnement mobilise des défenses tels le clivage du Moi et le déni, et agit, dans la mouvance des limites spatiales, les limites dedans/dehors, Moi/non-Moi. Ce type de migration intervient de même comme une tentative de se dégager, sur le mode magique, de liens familiaux vécus comme intrusifs et persécuteurs, sous-tendus par des contrats mélancoliques ou sadiques et/ou des pactes pervers. La réponse non mentalisée à ces configurations traumatiques, le recours à la mise à distance, qui occultent la part de souffrance et de douleur psychique que marquent les pertes, les vécus abandonniques, les deuils non élaborés, signent généralement chez les sujets concernés la faillite du système préconscient et la prévalence du narcissisme de mort. Sans une aide extérieure, le temps du Moi demeure fixé au temps du traumatisme, faute de l’existence de traces subjectives des expériences passées. Les identifications aliénantes aux imagos d’objets incorporées, non élaborées, non advenues, demeurées sous silence par la censure familiale, peuvent alors se réanimer sous la forme de présences fantomatiques qui se greffent au niveau du corps dans des somatisations et/ou dans la psyché, actualisant des défenses maniaques contre la dépression, le déni des affects et de la temporalité. Ce, d’autant que cette forme de migration opérée conduit à la perte des étayages habituels (des racines, des origines, de l’enveloppe culturelle notamment), à la rupture des liens d’appartenance et des relations antérieures, ainsi qu’à la discontinuité du temps. Non traitée, cette part destructurante, mortifiante voire maudite de l’héritage psychique, qui n’est pas laissée sur place au moment du départ, continue à signifier une souffrance individuelle et familiale. Un dispositif mobilisant l’appareil psychique familial, constitué de la fusion de la part de psyché primitive (Ruffiot, 1981; 1985) que chaque sujet dépose sur le cadre, mobilisant l’intersubjectivité à travers un dispositif psychothérapeutique groupal s’avère alors souvent nécessaire pour aider ces sujets, dans leur procès identificatoire et pour leur survie psychique, à tenter d’advenir dans la subjectivité. De manière générale au niveau du dispositif thérapeutique familial le cadre culturel demeure muet, les organisateurs étant inscrits dans une matrice culturelle partagée par le thérapeute et par le groupe familial. Lorsque les références culturelles ne sont pas similaires, la modalité d’investissement de ce cadre peut permettre – dans un entre-deux offert par l’espace thérapeutique, espace transitionnel, potentiel co-créé, et en étayage sur des contenants culturels comme structure sociale intermédiaire source de créativité – l’expression et l’élaboration des expériences de rupture. Ceci va favoriser le passage de choses en soi aliénantes à la capacité de penser des pensées, l’organisation de liens différenciés se référant à une scène primitive vivable et secourable, ainsi que l’avènement d’un roman culturel inscrit dans une mythologie familiale transitionnelle, sans mortification et sans menace pour l’identité. La culture revêtant alors une fonction d’appui représentationnel conduisant au temps de la génération et au processus d’historicisation.

Une famille forteresse

La famille dont il sera question ici est composée du père, de la mère, tous deux âgés d’une trentaine d’années et de leurs trois fils, tous en situation d’échec scolaire. L’aîné de cette fratrie de “trois enfants en quatre ans”, âgé de huit ans, est en outre menacé d’exclusion scolaire pour des troubles des conduites jugées asociales. Le cadet, six ans, et le benjamin, cinq ans, déjà suivis à titre individuel en libéral, de par leur position de retrait, ne poseraient pas de problème de comportement dans le contexte scolaire. Leur situation ne semble inquiéter ni les parents, ni les enseignants. La famille nous a été adressée par le service social du secteur de l’enfance, suite à des signalements pour suspicion de maltraitance, le voisinage dénonçant un contexte éducatif trop laxiste au sein duquel les enfants seraient constamment livrés à eux-mêmes. Originaire de la France hexagonale, son arrivée en Guadeloupe s’est faite dans un acting. La famille avait auparavant séjourné en Martinique puis en Guyane, suite à une décision de placement en institution des enfants pour fonctionnement dans l’errance.

Le premier entretien sera difficile à soutenir, nous plongeant rapidement face à une sensation d’épuisement, les parents ne comprenant pas pourquoi il leur a été demandé que toute la famille suive un traitement psychologique. Ils verbaliseront de même vivre très mal cette ingérence intrusive voire persécutive dans leur vie privée, recourant au clivage externe. Ce, d’autant que lors de l’enquête sociale, l’enquêtrice aurait interrogé la mère sur la paternité des enfants en raison de leurs dissemblances, et notamment de la différence de l’aîné d’avec ses frères, enfant présentant un aspect “petit vieux” et un important retard staturo-pondéral sans trouble somatique associé. Le physique, la cuirasse musculaire d’haltérophile commun à tous quoique ne pratiquant aucun sport semble toutefois singulariser l’ensemble familial.

Le groupe familial s’est présenté, dans une illusion groupale sous-tendue par des fantasmes de famille-fratrie idéalement auto-engendrée dans le déni des origines, comme une “famille forteresse” close sur elle-même, soudée défensivement contre des angoisses de démembrement. Le contexte social semblait être utilisé selon un placage pseudo-identitaire non empreint de créativité, marqué par des échanges pauvres et rigides avec l’extérieur. Ce, malgré la profession du père qui dirigeait une petite entreprise à domicile dont la mère en assurait la gestion. Tous les contacts professionnels étaient pris par le biais de l’informatique; et la confusion des places, des rôles et des fonctions apparue au moment de ce premier contact renforçait les projections concernant l’absence d’intégration des écarts générationnels entre ses membres, de même que la confusion des limites Moi/non-Moi.

Une demande paradoxale

Assez rapidement cependant, une demande sera verbalisée sur le cadre, mettant en exergue un clivage interne au couple, Madame l’intellectuelle/Monsieur le manuel. Les parents exposeront longuement leurs difficultés à accepter l’incompréhension de l’école vis-à-vis de l’aîné, enfant idéalisé dont le “QI est supérieur à 140” et qui “s’ennuie à l’école parce qu’il comprend plus vite que les autres”. Sa précocité intellectuelle, qui aurait été découverte lors d’un dépistage effectué en Métropole à l’initiative maternelle, n’aurait pas été prise en compte depuis. Il aurait fait seul l’apprentissage de la lecture dès l’entrée à la maternelle et serait très performant en informatique, sachant défaire les programmes professionnels de son père et en construire d’autres. Les difficultés scolaires des puînés semblaient par contre paradoxalement mieux tolérées, et la mère dira ne pas être inquiète quant à leur avenir. Et, c’est en mettant en exergue la phallicité de l’intelligence attribuée à l’aîné, présenté comme son objet phallique, évacuant le père qui, par sa passivité acceptait voire soutenait cette éviction, que sera faite, dans un mouvement d’identifications projectives croisées et une communauté de dénis, la première demande parentale à la deuxième séance: “Mon fils est surdoué, il faut le bilanter pour prouver à la Directrice que s’il n’est pas adapté c’est parce qu’il s’ennuie… Il comprend beaucoup plus vite que les autres enfants…”. Ce sur quoi celui-ci rétorquera, de manière omnipotente et omnisciente, confirmant l’absence du père imaginaire œdipien pouvant lui interdire l’accès à la mère et auquel il pourrait s’identifier: “Je ne ferai pas de test parce que je n’ai rien à apprendre, je suis le plus fort…”.

Le cadre sera parcouru par une très importante agitation, à la limite du supportable, en raison des actings des enfants qui se bagarreront durant quasiment tout le temps de la séance, mobilisant des défenses maniaques, tandis que les parents les regarderont, impuissants, recourant à des défenses mélancoliques.

De la symbiose mortifère

Durant la première phase du travail thérapeutique, qui durera environ quatre mois, les parents apparaîtront dépassés par l’importante excitabilité et les nombreux actings des trois enfants qui se montreront très envahissants et peu canalisables, continuant à se bagarrer au premier désaccord sur le cadre. Ils déverseront eux-mêmes une litanie de plaintes sur le mode opératoire, désaffecté, ponctuant celles-ci de faits évènementiels actuels, relatés sur le mode factuel, anecdotique et démétaphorisé, quoique potentiellement douloureux. C’est ainsi que nous apprendrons le décès récent dans l’Hexagone de la mère de Madame et que la famille n’a pas pu effectuer le déplacement pour participer aux funérailles. Les séances nous apparaîtront alors très éprouvantes psychiquement et physiquement, nous mettant dans un état de sidération psychique, dans l’incapacité de penser et suscitant chez nous une intense sensation de fatigue. Un discours sous-tendu par des angoisses d’union/cannibaliques et d’étouffement, ainsi que par des fantasmes de corps familial commun idéal/corps familial démembré émergera progressivement. Cette problématique liée à la défense contre les angoisses catastrophiques d’union, de séparation et de perte apparaîtra marquée par une oscillation entre les deux registres de l’excès caractérisant la position narcissique paradoxale (Decherf, 2003). Au moment de l’évocation de l’utilisation de l’espace de l’habitat, l’existence de deux pôles émergera du discours: un, trop proche, où tout le groupe familial se retrouve, dans la fusion psychique et la continuité corporelle regroupé, le soir, sur trente-cinq mètres carrés, partageant l’unique pièce de la maison familiale, agissant le fantasme d’un seul et même corps et psyché; un, trop éloigné, où le clivage interne parent/enfant apparaîtra caractérisé par une séparation recherchée à tout prix. Les enfants disposaient, le jour, sur deux hectares de terrains, d’un cabanon construit dans le creux d’un arbre, où ils pouvaient s’abriter en cas de pluie, n’ayant pas le droit de s’approcher de la demeure familiale.

C’est ce mode de vie, qui se référait à un fonctionnement narcissique paradoxal de type “vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel” (Caillot et Decherf, 1982) qui avait alerté le voisinage et conduit au signalement pour maltraitance.

Le cadre thérapeutique sera vécu durant cette phase comme n’étant ni fiable, ni pareexcitant, ni contenant. Il fera constamment l’objet d’attaques, agissant notamment les limites dedans/dehors. La famille se présentera comme un groupe d’écorchés vifs, les multiples plaies non cicatrisées qu’auront régulièrement tous ses membres sur la surface du corps venant signifier une défaillance de l’enveloppe groupale familiale dans ses fonctions de pare-excitation et de maintenance du psychisme. Le Moi-peau familial apparaissait alors très fragilisé, troué. Ce contexte trop flou faisait s’alterner, dans le registre de l’excès, des liens trop proches, trop lâches, trop distants, trop insécurisants, renvoyant un trop plein constant d’excitations attirant, sans possibilité de représentation, de la pulsionnalité. Ces liens oméga (Decherf, 1996; Ruffiot, 1988) de survie familial créés ne pouvaient favoriser la subjectivation des membres du groupe familial alors confrontés à des angoisses catastrophiques, dans le collage adhésif ou dans la déchirure. Le lien transférentiel établi durant cette phase s’inscrira dans l’adhésivité. Le décollage ne s’opérera que sur le mode de la déchirure se manifestant, au niveau des parents, par le souhait de relater systématiquement, dans une recherche de maîtrise de la relation et d’évitement de la séparation, “une dernière chose” à la fin des séances et, chez les garçons, par le temps mis à ranger les objets éparpillés sur le cadre, dans une ritualisation compulsive d’allure obsessionnelle.

Au processus de déterritorialisation

Une longue période marquée par l’instauration progressive d’un travail de mise en images, travail de figurabilité permettant l’accès à une mémoire sans souvenirs, inaugurera la fin de la première année. Les réalisations et interventions actives du cadet et surtout de l’aîné, interrogeant alors les fantasmes de scène primitive et la question de la mort, s’appuyant sur des éléments culturels issus de notre matrice socioculturelle – et de celle d’adoption de la famille – permettront de dénoncer et de lever progressivement le clivage.

Cette phase débutera par la réalisation, en deçà de la verbalisation, de dessins, de formes bizarres, démantelées, effectuées de manière répétitive, à la partie inférieure de feuillets qui seront systématiquement jetés à la poubelle, de manière désaffectée et sans commentaires, dans une tentative désespérée de maîtriser le non psychisé, le non représenté, le vécu non vécu familial. Ces productions seront récupérées par nous. Cette phase sera suivie par une période durant laquelle la production de formes plus structurées occupant les deux tiers supérieurs des feuillets systématiquement partagés en deux parties par une ligne horizontale servant de barrière de clivage entre elles occupera toute la durée des séances. Aucune association ne sera possible alors. L’aîné nous désignera sur le cadre comme le “docteur de la création” tout en continuant à dessiner de manière compulsive, nous positionnant transférentiellement dans l’entre-deux désormais co-créé et partagé sur le néo-groupe formé (Granjon, 2000) comme représentant une figure ancestrale tierce. Il nous intimera de nous taire faisant de nous, selon un processus de déterritorialisation, le réceptacle des contenus psychiques bruts hantant la psyché familiale déposés sur le cadre en vue de leur représentation et de leur psychisation. L’appel au thérapeute dans ses fonctions de conteneur, de censure thérapeutique, de porte-pensée et de porte-rêve semblait s’amorcer, mobilisant ses mouvements contre-transférentiels.

L’aîné captera durant plusieurs séances l’attention de tous en discourant d’abord sur l’évolution des dinosaures, recourant quelquefois à un néolangage. S’étayant sur des références issues de la matrice socioculturelle du thérapeute, il relatera ensuite, sur un mode quasi hallucinatoire des histoires de zombis, de soucougnanstous des personnages fantomatiques mortifères issus de la mythologie locale – et notamment celle d’une maison hantée habitée par des personnages invisibles, énigmatiques, inquiétants et persécuteurs avec forces détails. Le récit relaté prenant la dimension d’une vérité historique. Cette demeure, qui est évitée dans la réalité concrète par tous, avait défrayé la chronique bien avant l’arrivée de la famille. Le benjamin, dont les réactions se feront toujours en différé, donnant l’impression d’un “arrêt sur image”, l’aidera sur certains points des récits. Tandis que le cadet demeurera longtemps absorbé par les dessins précédemment réalisés par son frère aîné et lui, mobilisant sa pulsion scopique. L’espace thérapeutique, au départ abrasé par le fonctionnement opératoire, la lutte défensive livrée contre le retour du clivé et contre la menace d’effondrement familial dans un rapport traumatique tant à l’environnement psychique du groupe familial qu’à l’espace social, devenait plus fiable, transitionnel, investi de ses fonctions contenante et transformatrice. Il constituait désormais un contenant des objets à penser et à transformer, éléments bêta situés dans un entre-deux entre matrice psychique familiale et matrice psychique culturelle, entre culture familiale et culture d’accueil. Certains contenants culturels – dont la valence culturelle revêtait un caractère persécutoire – venaient servir d’étais à des objets psychiques familiaux en quête de psychisation. Mobilisant sa pulsion épistémophilique, l’aîné, enfant écouté de tous durant cette période nous renverra, dans l’après-coup de la situation transféro/contre-transférentielle, sous-tendue par un fantasme de renversement générationnel, l’image d’un chef de famille charismatique. Il interrogera de manière métaphorique, en vue de leur traduction, des traces mnésiques non élaborées aliénantes en quête d’élaboration et de symbolisation de l’héritage familial qui étaient diffractées dans son psychisme et dans celui des autres membres de la famille, relançant l’interfantasmatisation. Et, si la mère tentera de banaliser ses récits, le père se questionnera pour la première fois sur la cohérence du fonctionnement des enfants, et notamment sur certains aspects jugés trop adultomorphes du fonctionnement de son fils aîné. Nous apprendrons dans les semaines qui vont suivre la reprise de la croissance physique de ce dernier et sa morphologie deviendra progressivement beaucoup plus harmonieuse. De même, ses troubles du comportement vont s’estomper, tandis que les résultats scolaires des puînés vont s’améliorer sensiblement.

Un travail de mémoire

Un travail de mémorisation deviendra dans les séances qui suivront possible, le père et la mère parvenant à évoquer certains éléments douloureux issus de leurs histoires respectives marquées, dans une collusion des vécus traumatiques infantiles, par des abandons successifs et des pertes dont le travail de deuil n’était pas élaboré. Ils évoqueront de même la décision prise dans un acting, de s’expatrier ailleurs, au soleil, agissant les limites dedans/dehors afin de lutter contre l’effondrement psychique, l’objet incorporé paternel ne pouvant s’extérioriser. L’aîné, qui aurait présenté durant cette période une hypermaturation de ses capacités intellectuelles et un arrêt de croissance osseuse, parlera alors sur le cadre des africains qui “savent comment survivre dans la jungle pour ne pas mourir”, actualisant l’état de détresse et de désaide dans lequel il s’était alors trouvé, ainsi que les angoisses de mort familiales. Le père associera en verbalisant que “l’Afrique est le berceau de l’humanité” et la mère que “nous descendons tous de l’Afrique”.

En appui sur la création d’un mythe conteneur de l’indicible et de l’inélaboré, l’appareil psychique familial retrouvait progressivement sa fonction mythopoïétique, favorisant l’accession à la reprise de l’élaboration fantasmatique des membres du groupe familial, ainsi qu’à l’interfantasmatisation. La construction d’un mythe des origines, d’une scène primitive évoluée et d’un roman familial en appui sur un roman culturel (re)devenait dès lors possible.

Une Histoire libératrice

Les séances suivantes apparaîtront d’allure très dysphorique, la dépressivité patente. Apparaîtra de même progressivement, avec la reprise de la fonction onirique familiale, la remise en marche de la temporalité et de la fonctionnalité de l’appareil psychique familial. L’aîné fera notamment le récit, avec une émotion intense, au cours de la soixante cinquième séance, d’un rêve de sauvetage et de naissance du groupe familial fait la veille, qu’il appellera “le rêve de la descente au centre de la terre et la lutte contre des esclaves” dont il sortira épuisé mais vivant: “j’étais en danger de mort, dira-t-il… C’était dangereux mais je devais y aller… descendre… au centre de la terre… pour ne pas mourir… Les esclaves étaient des morts-vivants… Ils étaient enchaînés… Je devais les délivrer avant que le jour n’arrive… Parce que j’aurais pu mourir si je ne remontais pas avant le lever du jour… Je me suis battu toute la nuit… J’ai fini par briser toutes les chaînes… Je me suis libéré… Ils sont partis se reposer au cimetière… Je me suis réveillé en sueur… J’avais très peur qu’ils reviennent… Je pensais que c’était vrai… Il faisait noir… J’ai allumé… Lorsqu’on est un humain on doit se protéger…».

La mère se présentera seule à la séance suivante, les autres membres étant alités. Et, c’est avec une intense culpabilité qu’elle évoquera longuement, en larmes, un secret la concernant, ayant trait à la paternité fantasmée de l’aîné. Enfant de remplacement d’un premier fils mort-né dont personne ne parlera par la suite, issu d’une brève et intense liaison extraconjugale avec un étudiant qui l’abandonnera dès l’annonce de sa grossesse. Madame était alors elle-même étudiante et jeune mariée. Elle verbalisera durant cette séance son angoisse panique d’être rejetée par sa belle-famille et abandonnée par son conjoint, son beau-père n’ayant pas eu le petit fils tant désiré, son souhait d’être à tout prix à nouveau enceinte rapidement; et la grossesse deux mois plus tard de ce fils aîné reconnu de tous dont l’arrivée la restaurait à ses places d’épouse et de belle-fille. Elle se punira en arrêtant la poursuite de ses études et son projet de devenir professeure d’histoire. Tous ces deuils étaient demeurés gelés.

Peu après cette séance, la famille déménagera, estimant qu’il était temps que chacun dispose d’un espace personnel distinct et que le couple dispose de lieux intimes, les enfants étant devenus suffisamment grands.

Commentaires

Les traces du passé familial, traumatiques, non advenues, apparaissaient diffractées parmi tous les membres du groupe familial. Cependant, c’est la bruyance du symptôme présenté par l’aîné qui a conduit le groupe familial à effectuer un travail thérapeutique familial. Cet enfant de remplacement merveilleux idéalisé était porteur d’une crypte autistique saturée d’omnipotence mégalomaniaque et de choses-en soi. Dès sa conception, il était devenu le contenant du négatif familial, prenant la place du vécu non vécu, du non élaboré, du non représenté familial. Selon un contrat aliénant, dénarcissisant, il avait été inscrit dans une filiation par le symptôme et dans un pacte portant sur des deuils non faits d’objets parentaux et des secrets touchant à la question des origines, dans une communauté de dénis. Il avait pour charge de maintenir l’homéostasie familiale à partir d’un contrat mélancolique sous-tendu par un fantasme d’inversion générationnelle. Il était de même chargé de suturer, dans une temporalité figée, les liens générationnels endommagés par des blessures narcissiques multiples demeurées vives, non cicatrisées, tout en soutenant le fantasme d’immortalité grand-parental et les angoisses de mort associées.

La référence sur le cadre au culturel, aux rites, aux légendes, à la mythologie, à une expérience onirique régressive d’un vécu intra-utérin et à l’Histoire de la société d’adoption dans leur fonction transitionnelle, a permis d’effectuer un travail de liaison et de transformation des liens avec les imagos d’objets non élaborées qui colonisaient le psychisme de certains membres du groupe familial et bloquaient l’interfantasmatisation. C’est par un transfert latéral et sur le mode du trouvé-créé, que ce travail de mise en figuration puis de mise en mots, en mémoire et en sens a pu progressivement se faire. L’élaboration du travail de deuil lié à des pertes subies et à des évènements traumatiques a pu de même s’opérer. En outre, l’étayage de la culture d’accueil, intervenu comme un “sur-moi-de-la-culture” (Freud, 1929) marqué par les temporalités de l’espèce et de l’Histoire, faute d’une possibilité de transitionnalisation de l’appareil psychique familial, a soutenu la réunification subjective du Moi des différents membres de la famille dans le cadre d’un contrat narcissique. Ceci a conduit à l’établissement d’un espace intermédiaire facilitant l’accession à la subjectivité et à l’autonomisation de chacun. Dès lors, le père a pu s’autoriser progressivement à exercer sa fonction tierce.

Ce dernier, qui mobilisait des défenses mélancoliques, était en effet apparu dans l’incapacité de poser des interdits structurants à ses fils, ne pouvant se positionner ni comme un père imaginaire oedipien pourvu du symbole de la puissance phallique attendue de lui et source d’identifications introjectives, ni comme un père symbolique porteur de la Loi et tiers séparateur amant de la mère, source de sa jouissance sexuelle et agent de la castration. Aussi, c’est le fils aîné qui, mis dans cette position d’objet phallique par sa mère – dont il répondait au désir le concernant, évinçant, dans une communauté de dénis, le père – ne cessait de questionner, mobilisant sa pulsion épistémophilique, ses propres origines, ainsi que les secrets et les non-dits qui s’y rattachaient. Il tentait dans le même temps de dénoncer et de se libérer des imagos d’objets énigmatiques persécuteurs et aliénants enkystées dans la partie clivée de son Moi. Sa position dans la fantasmatique familiale, puis, la perte vécue sur le mode traumatique de son objet d’investissement, son grand-père maternant, l’avait conduit à mobiliser et à développer très précocement les capacités fantasmatiques et intellectuelles de son Moi, dans une contrainte à imaginer et à penser, tentant de combler la béance induite par le désinvestissement dont il a brutalement fait l’objet au moment du décès de ce dernier. L’étayage sur la matrice socioculturelle tierce, matrice ayant pris sur l’espace commun et partagé du cadre une fonction transitionnelle, lui a permis, interprète en quête de sens (Aulagnier, 1986), d’effectuer pour l’ensemble familial, un travail de liaison et de transformation de ses liens avec les imagos d’objets qui le persécutaient et l’aliénaient, leur offrant, pour sa survie, une sépulture. En se positionnant en acteur actif désireux de naître comme Je dans l’assujettissement – et non de continuer à survivre dans l’aliénation – il s’est dégagé de cette place prescrite, dans un écart éprouvé et soutenu. Il a aussi prêté activement son psychisme à son groupe familial pour ce travail de dédifférenciation aux imagos d’objets encryptées et s’est posé en auditeur d’un message destiné «aux bons entendeurs» (Missenard, 1987, p. 79), c’est-à-dire «à ceux qui pouvaient l’entendre, non avec les oreilles de la raison; mais avec les antennes de leur désir inconscient, un désir [jusque-là] partagé et/ou complémentaire» (ibid.). Le contenu latent de ce message déposé sur le cadre a été entendu par la mère qui s’est, par la suite, remémorée un secret douloureux chargé de honte, de culpabilité et source d’une blessure narcissique intense. Ceci a rendu possible l’accès à la position dépressive, à la culpabilité oedipienne, à l’instauration d’une scène primitive tempérée et évoluée, à l’émergence de liens plus différenciés, ainsi qu’à l’internalisation d’un Surmoi oedipien protecteur et interdicteur.  La manifestation des troubles du comportement, dans un contexte institutionnel, était apparue chez lui comme un ultime moyen, après la décompensation psychosomatique – voie de décharge d’affects sans nom – et l’hypermaturité intellectuelle, de dénoncer, dans son procès identificatoire, sa position de contenant de négatifs et de permettre à son groupe familial d’accéder à la désillusion nécessaire à l’élaboration de la perte et à la position dépressive. Son visage de “petit vieux” reflétant l’immortalité de la mélancolie (Fédida, 1995) le liait par contrat aux imagos d’objets perdus parentaux et du frère aîné décédé dont il était fantasmatiquement les remplaçants, imagos d’objets qui le colonisaient, l’aliénaient, le persécutaient et exerçaient sur lui leur empiètement, attaquant son narcissisme meurtri. Cette hypermaturation de certaines de ses facultés et, sur le plan somatique, l’arrêt de sa croissance physique, lui avaient permis de tenter de dénoncer et de maîtriser la situation traumatique vécue, d’éviter l’effondrement psychique et d’entretenir une excitation devenue indispensable au maintien de son sentiment d’être vivant. Son «activité du penser avait alors [été] essentiellement investie dans des opérations de devinement et d’anticipation – guettant les signes précurseurs de la catastrophe – afin de ne pas se laisser surprendre par le retour d’une nouvelle effraction» (Chabert, 2003, p. 78), d’où son échec scolaire malgré le score qu’il avait obtenu aux testings.


Bibliographie

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Decherf, G., Knera, L., Darchis, E. (2003). Souffrances dans la famille. Thérapie familiale psychanalytique d’aujourd’hui. Paris: InPress.

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Revista Internacional de Psicoanálisis de Familia y Pareja

AIPPF

ISSN 2105-1038