Modèles de psychanalyse familiale
Modèles de psychanalyse familiale
Anna Maria Nicolò MD
INTRODUCTION
Les études sur la psychanalyse du couple et de la famille se sont progressivement développées à partir de stimuli cliniques, tels que le traitement de patients gravement malades, d’enfants et d’adolescents.
Au départ, les études sur la parentalité et la famille ont été stimulées par deux grands courants de travail, la psychanalyse de l’enfant d’une part et l’analyse de groupe d’autre part.
Dans leur recherche de méthodes cliniques et de compréhension théorique dans ces contextes, certains psychanalystes ont transféré les modèles de la psychanalyse classique au couple et à la famille, tandis que d’autres ont emprunté de nouvelles voies, en mettant l’accent sur les dynamiques intersubjectives et les liens entre les membres. Tout cela a produit de nouvelles découvertes et compréhensions, et il est curieux d’observer combien la psychanalyse a redécouvert aujourd’hui seulement, c’est-à-dire des expériences et des observations qui pour nous sont déjà un patrimoine acquis.
Il arrive souvent que les psychanalystes, enfermés dans leur propre école de pensée, ne lisent pas les travaux des collègues d’autres écoles, mais il est certain que dans ce cas, la question n’est que partiellement résolue. En outre, le travail psychanalytique avec les familles et les couples a souvent été confondu avec l’approche systémique dans ses versions les plus comportementales ; le cadre a donc été confondu avec le modèle, et ce n’est peut-être que maintenant que nous essayons vraiment de clarifier les choses.
L’AIPCF (Association Internationale de Psychanalyse du Couple et de la Famille) a été conçue en 2006 à Montréal à l’initiative de plusieurs analystes européens et américains, dont Alberto Eiguer, Gérard Decherf, Evelyn Granjon, Rosa Jaitin, Ezequiel Jaroslawsky, Anne Loncan, Roberto et Ana Losso, Daniela Lucarelli, Anna Maria Nicolò, Gabriela Tavazza, Gemma Trapanese, David et Jill Scharff, pour réunir des psychanalystes et des psychothérapeutes d’orientation psychanalytique intéressés par ce domaine.
Bien que 24 ans se soient écoulés, un aperçu des théories qui ont constitué la référence du travail psychanalytique avec les couples et les familles sur différents continents peut néanmoins s’avérer utile, afin de permettre au lecteur d’avoir une vue d’ensemble de ce sujet.
Je résumerai brièvement les principales orientations psychanalytiques dans ce domaine, conscient que mon choix et ma revue rapide et superficielle ne peuvent pas rendre justice à la richesse et à la variété des contributions qui, à partir de Freud lui-même, sont parvenues jusqu’à nous aujourd’hui. Il y a beaucoup d’auteurs que je n’ai pas mentionnés et j’espère que les lecteurs me pardonneront car mon but est d’offrir des points de repère dans cette galaxie parfois désordonnée et de révéler les racines qui l’ont caractérisée et la caractérisent dans la vue d’ensemble actuelle.
Préhistoire
Dans le domaine de la psychanalyse, les premières références embryonnaires à la thérapie familiale apparaissent déjà dans les écrits de Sigmund Freud (1856-1939). Bien que le fondateur de la psychanalyse ait toujours mis l’accent sur l’individu et posé les bases de son traitement en développant une théorie en termes de structures intrapsychiques, dans ses premiers écrits, tels que “Elizabeth von R.” (Freud, 1905e), l’histoire familiale et sa dynamique sous-jacente occupent une large place et nous amènent à relier un symptôme à une dynamique familiale particulière. Le “Petit Hans” (Freud, 1909b), dont les problèmes phobiques ont été traités par le travail de Freud avec son père, peut être considéré comme le premier cas d’intervention familiale. La phobie de Hans représentait non seulement un conflit intrapsychique, mais aussi une difficulté dans les relations familiales : la solution du problème peut donc également être attribuée au changement d’attitude du père qui, après les rencontres avec Freud, est devenu beaucoup plus attentif et conscient des besoins de son fils. Cela a permis la disparition du symptôme phobique du fils dont l’objectif principal, parmi d’autres causes de la phobie, était d’attirer l’attention des parents et de faire en sorte que le père se précipite à son secours. L’étude de Léonard de Vinci a conduit Freud à s’intéresser à nouveau à la constellation familiale, facteur significatif selon lui de l’homosexualité de Léonard en raison du lien très étroit avec sa mère et de l’absence d’un père fort dans ses premières années (Freud, 1910c). Sur le plan théorique, la théorie de l’identification et la deuxième topique introduisent le thème de l’intersubjectivité. Avec la Psychologie de groupe et l’Analyse du moi (Freud, 1921c), un saut épistémologique se produit. Freud déclare que “dans la vie mentale de l’individu, quelqu’un est toujours impliqué, en tant que modèle, en tant qu’objet, en tant qu’aide, en tant qu’adversaire : ainsi, dès le début, la psychologie individuelle, dans ce sens étendu mais justifié des mots, est en même temps aussi une psychologie sociale” (p. 69). Mais d’autres références, même si elles ne sont pas explicitement formulées, peuvent également être perçues de manière plus substantielle chez les contemporains et les élèves de Freud. Il s’agit notamment de Sándor Ferenczi (1873-1933). Le disciple préféré de Freud s’est occupé de la relation adulte-enfant et des traumatismes. En introduisant, entre autres, le concept de relation conflictuelle et pathogène entre l’adulte maltraitant et l’enfant maltraité, il est allé bien au-delà des processus intrapsychiques primaires décrits par Freud en ce qui concerne le traumatisme psychique et a inclus les relations d’objet dans ses études sur le traumatisme. Ce faisant, il a enrichi la théorie en clarifiant le fonctionnement déformé du sens de la réalité de l’enfant. L’accent mis sur l’importance du désaveu et de la tromperie de l’adulte a fourni un nouvel outil de compréhension et de traitement. Le développement de la psychanalyse de l’enfant et l’attention portée à la relation mère-enfant dans les années 1920 et 1930 deviendront l’un des points cardinaux de la psychanalyse familiale. Au congrès de La Haye de 1920, Hermine Hug-Hellmut (1871-1924), soutenant qu’une analyse menée avec les parents peut prévenir les difficultés psychologiques des enfants, montre le lien étroit entre le fonctionnement psychique des couples parentaux et l’enfant. Anna Freud (1895-1982) a illustré les concepts de la théorie psychanalytique qui se prêtent à l’explication du fonctionnement interpersonnel entre les individus, comme le “mécanisme de déplacement” ou “l’identification à l’agresseur”. Dans Le traitement psychanalytique des enfants (1927), elle évoque les forces contre lesquelles il faut lutter pour traiter les névroses de l’enfant, qui ne sont pas seulement d’origine interne, mais proviennent aussi en partie de l’extérieur. Elle ajoute qu’on est en droit d’exiger de l’analyste de l’enfant une évaluation adéquate de l’environnement de l’enfant, tout comme elle insiste pour que l’analyste soit en mesure de comprendre la situation interne de l’enfant (p. 92). Cependant, nous sommes encore loin d’imaginer un travail individualisé et spécifique dans ces contextes. Dès lors, s’affirmeront progressivement des positions qui mettront de plus en plus l’accent sur l’importance de l’environnement et des relations. En 1936, au 9e Congrès international de psychanalyse de Nyon, en Suisse, l’un des premiers à se tenir dans une langue romance, le thème de la famille apparaît pour la première fois: “Névrose familiale et famille névrotique”. René Laforgue (1936), l’un des principaux orateurs, parle de son expérience “d’analyse de plusieurs membres de la famille à la fois” et affirme que le traitement des parents se reflète dans la guérison des enfants.
En Grande-Bretagne
Après la guerre, une nouvelle sensibilité a commencé à émerger et Michael et Enid Balint ont alors dirigé un centre de conseil conjugal. Enid Balint (1963) est l’auteur d’une étude pionnière dans ce domaine. Elle a souligné que la relation de couple n’est pas seulement une zone de partage, mais qu’elle est aussi indifférenciée et confuse. Elle a décrit comment la relation se caractérise par un niveau d’intimité qui établit une communication exclusive entre les inconscients du couple. John Bowlby a publié dans ces années-là une étude clinique intitulée “The Study and Reduction of Group Tensions in the Family” (1949), dans laquelle il décrit les entretiens avec les membres de la famille en tant qu’auxiliaires des séances individuelles. Dans cet article, il relate le cas d’un garçon qu’il a analysé pendant deux ans sans aucun résultat, raison pour laquelle il a ensuite expérimenté une séance psychanalytique en famille. Bien que Bowlby considère cette expérience des séances familiales comme expérimentale, il écrit qu’il a rarement utilisé cette méthode plus d’une ou deux fois pour le même cas ; cependant, il en est venu à l’utiliser presque habituellement après le premier entretien et avant de commencer la thérapie proprement dite (ibid.).
Les années 1950-1970 seront considérées comme une période extrêmement intéressante et vivante à cet égard. Aux États-Unis, N. Ackerman, M. Bowen, I. Boszormeny-Nagy, T. Lidz et J. Framo ont été parmi les premiers à affirmer une continuité avec la théorie psychanalytique, tout en proposant un développement qui dépasse l’individu. Nathan Ackerman (1908-1971) a travaillé à New York où il a fondé la Family Mental Health Clinic (aujourd’hui l’Institut Ackerman), l’un des plus importants centres de thérapie familiale. Dans son essai “Psychothérapie familiale et psychanalyse : les implications de la différence” (1962), il illustre et diffuse une approche thérapeutique, un type de technique qui continue à se baser sur le travail intrapsychique tout en l’intégrant à la thérapie de groupe familiale. Ackerman considère les processus familiaux inconscients comme fondamentaux, attirant l’attention dans le travail clinique sur les défenses et les résistances au processus thérapeutique. Il a été le premier à exprimer le concept de “bouc émissaire”, en démontrant que la pathologie d’un membre de la famille peut être mise en évidence d’une manière qui est fonctionnelle pour tous les processus familiaux.
Par la suite, l’application de la théorie des relations d’objet au fonctionnement de la famille et du couple a commencé à orienter, comme c’est encore le cas aujourd’hui, de nombreux psychanalystes anglophones qui, en s’appuyant sur les arguments de Ronald Fairbairn et de Melanie Klein et en utilisant les concepts d’identification projective et de projection, ont étudié et étudient encore ces contextes. C’est ainsi que la collusion, entrecroisement réciproque des identifications projectives tel que défini par Dicks (1967), a été considérée comme la base du fonctionnement du couple et de la famille. Poursuivant dans cette voie, Stanley Ruszczynski (1993 ; Ruszczynski & Fisher, 1995) en Angleterre, Andreas Giannakoulas (1992) en Italie et Jill et David Scharff (1991) aux Etats-Unis, ont développé cette orientation. Parmi les Américains, Otto Kernberg (1991, 1998) a exploré le sujet de manière innovante et créative en soutenant que le couple est le lieu où a lieu l’activation consciente et inconsciente des relations d’objet intériorisées et où les fonctions surmoïques des deux partenaires sont activées. Pour Kernberg, il existe un idéal du moi commun qui a un certain poids dans l’avenir de la relation de couple. Il considère également l’influence mutuelle du couple dans le contexte social et notamment par rapport au groupe d’amis. Dans les pays anglo-saxons, on peut supposer que les études sur ces questions ont été sous-tendues par la nécessité de s’ouvrir à la dimension sociale, qui avait déjà commencé avec les effets traumatisants de la guerre et la nécessité d’un travail cohérent et compétent avec les parents d’enfants placés. Londres elle-même est un creuset d’idées, de théories et d’expériences. Le Tavistock Institute for Human Relations à Londres est et a été pendant de nombreuses années un centre d’excellence pour la recherche sur les études du couple et de la famille et l’intervention auprès des parents. D’innombrables membres de cet institut ont produit des travaux importants dans ce domaine, tels que H. V. Dicks, Tom Main, Michael et Enid Balint et G. Teruel. Dans son ouvrage Marital Tensions (1967), Dicks a été le premier à mettre en place un travail clinique systématique avec les couples, en se basant sur: un cadre de quatre personnes (le couple patient et le couple thérapeute), le choix inconscient du partenaire, les concepts de collusion et de membrane dyadique. Surtout, le concept de collusion, jeu partagé entre les membres du couple, trouve son fondement dans l’identification projective réciproque et croisée entre les membres du couple, qui conduit à la formation d’une unité intégrée et d’un Moi partagé dans le couple (Nicolò, 2014a, p.36).
Si la guerre a définitivement attiré l’attention sur la dimension sociale, à la fin des années 1960, le développement d’un mouvement antipsychiatrique a rendu nécessaire l’élargissement de l’intérêt pour le contexte culturel dans lequel les troubles mentaux émergent. Cela a conduit à un intérêt généralisé pour la famille. Des études et des recherches importantes ont été menées dans ce domaine par Ronald D. Laing (1927-1989), disciple de Winnicott et représentant du mouvement antipsychiatrique. Ses ouvrages The Divided Self (1960), Self and Others (1961) et The Politics of the Family and Other Essays (1971) ont exercé une grande influence culturelle dans les pays anglophones, européens et latino-américains. On attribue à Laing, entre autres, le développement du concept de “défense transpersonnelle” (1964), qui deviendra pour certains l’une des pierres angulaires conceptuelles de la psychanalyse familiale. Laing propose une compréhension du symptôme schizophrénique dans le contexte familial, montrant de manière innovante comment les troubles mentaux peuvent représenter un type particulier de guérison des conflits familiaux et intrapsychiques. L’intérêt de Laing pour l’aspect social et politique des troubles mentaux l’a progressivement éloigné de la psychanalyse, alors que dans le reste du monde, l’aspect relationnel de la théorie psychanalytique se développait à travers la théorie des groupes et la théorie des relations d’objet. Dans ce courant de la théorie de la relation d’objet, on trouve Jill et David Scharff, qui ont fondé une école et un institut, l’International Psychoanalytic Institute, et qui déclarent : “La famille est un petit groupe intime uni en son sein par des identifications projectives et introjectives réciproques, à tous les niveaux de l’organisation psychique : du couple conjugal en son centre jusqu’à chaque individu, il peut y avoir de nombreuses combinaisons possibles de relations entre les parents, les enfants, les frères et sœurs et la famille élargie. Dans les couples et les familles, les privations et les traumatismes réduisent et altèrent la capacité d’identification projective précise, tandis que les interactions positives favorisent le développement de la capacité à tolérer les expériences et les émotions négatives” (Scharff et Scharff, 2004).
Mary Morgan, une analyste de Tavistock, a plus récemment élaboré le concept d’“état d’esprit du couple (couple state of mind)” (2018). La tâche de l’analyste est de maintenir un “état d’esprit du couple”. Cet état interne consiste pour l’analyste à préserver dans son esprit le fonctionnement des deux partenaires et leurs modes de relation. Il remplit ainsi la fonction thérapeutique de contenance et restaure la vision que les patients ont de leur lien mutuel.
En Argentine
L’Argentine est l’un des pays où s’est développée la psychanalyse du couple et de la famille ; deux auteurs sont particulièrement significatifs : Pichon Rivière et Bleger.
Pichon Rivière a été l’un des premiers à définir le concept de lien comme “une structure complexe comprenant le sujet, l’objet et leur interaction réciproque”. Il différencie le lien de la relation d’objet et précise que le lien forme un modèle de comportement qui tend à se répéter automatiquement dans le monde interne et externe avec l’autre (Pichon Rivière, 1980).
C’est à cet auteur, parmi les premiers, que l’on doit la définition du patient comme porte-parole des angoisses du groupe familial. Berenstein et Puget placent également le lien, celui du couple et de la famille, au centre de leur travail clinique et de leur théorie. Berenstein élabore enfin sa conception de la famille à partir des théories de l’anthropologue Levy Strauss pour qui la structure de la parenté a des liens spécifiques comme celui de la filiation, de l’alliance matrimoniale, avec les grands-parents, entre frères et sœurs. Il ajoute un autre type de lien, celui de l’expérience émotionnelle, puis ajoute qu’il y a une mémoire du lien…
Selon cet auteur, “la mémoire transcende le moi et on peut dire qu’elle est contenue par les autres, tout comme la mémoire des autres peut être portée par le moi…. La structure familiale inconsciente et l’ensemble des liens sont remémorés à travers les personnes de la parenté sans être conscient de ce qui est évoqué dans le discours familial” (Berenstein, Puget, 1990, p. 132). Pour Berenstein et Puget également, comme pour les Anglais, il existe une base inconsciente partagée du couple.
Un autre auteur important est José Bleger qui, dans son livre Symbiosis y ambiguedad, définit la famille comme un groupe syncrétique dans lequel se concentre la partie psychotique de la personnalité de ses membres. C’est à lui que l’on doit le concept de référentiel qui a donné lieu à de nombreuses réflexions au niveau familial, institutionnel et clinique. Selon cet auteur, dans toute situation de groupe se déroule un jeu d’échange mutuel. C’est-à-dire qu’il y a un déposant et un dépositaire reliés par un lien qui permet le transit de ce qui est déposé.
Janine Puget reprend également ces concepts en expliquant que la dimension indifférenciée de l’esprit a besoin de déposer des contenus dans des personnes ou des structures qui sont sources de sécurité et de stabilité, mais que ce niveau devient à son tour dépositaire pour d’autres individus. Un dépôt réciproque est ainsi défini entre déposants et dépositaires.
Outre ces auteurs argentins, il faut rappeler l’extraordinaire travail de Jorge Garcia Badaracco sur les familles schizophrènes et les communautés thérapeutiques multifamiliales. Sa conception de l’objet de folie (“l’objeto enoloquecedor”) en tant qu’objet pathologique étranger qui infeste l’esprit du patient et le parasite de l’intérieur a été un précurseur de nombreuses études ultérieures.
Selon Badaracco, dans les pathologies psychotiques, les parents, avec leurs attentes anticipées, enferment le développement de l’enfant dans des rôles contradictoires et le contraignent à des identifications conflictuelles. Le futur enfant patient s’identifiera d’une part à un aspect pathologique de l’un des parents et structurera d’autre part de faux aspects de lui-même, bloquant ainsi son développement. Ces identifications peuvent être multiples et ainsi une identification dominante va en séparer une autre. La psychose se situe donc au centre d’un complexe fonctionnement de la famille et la résolution de ce problème nécessitera un travail avec l’ensemble de la famille.
Dans ce panorama extrêmement créatif et complexe, je ne peux pas oublier le travail de Roberto et Anna Losso qui, dans le département Couple et Famille de l’Association psychanalytique argentine, développent un travail de psychodrame de couple psychanalytique et élaborent une théorie intéressante sur le mythe et le transfert mythique. Je dois également mentionner le travail approfondi et compétent d’Ezequiel Jaroslawsky qui a fondé et dirige la revue Psychoanalisis y intersubjectividad. C’est à lui que nous devons un grand approfondissement de la pensée de René Kaës. Il a développé un travail sur la validation scientifique de la psychanalyse de couples avec des indicateurs empiriquement objectivables de discrimination et d’indiscrimination selon le modèle Ruffiot/Kaës. Nous rappelons également le travail clinique d’Irma Morosini sur la compréhension des histoires familiales à travers le psychodrame psychanalytique qui travaille en coulisse et dans l’atelier expressif (collage, marionnettes) en objectivant la construction partagée de l’histoire familiale affective de chacun. Nous nous souvenons également d’Eduardo Grinspon et de son concept de « piège clinique » dans les problèmes narcissiques borderline et de ses implications en tant qu’analyste. Rodolfo Moguillansky a apporté d’importantes contributions à la psychanalyse familiale sur la vie émotionnelle de la famille, la différence entre le lien et la relation affective, l’amour dans le couple, etc.
Le lien et son développement
À partir de l’idée de Pichon Rivière, on a récemment mis l’accent sur le concept de “lien” en relation avec ce qui unit les membres d’une famille. Alors que Freud met l’accent sur l’identification en tant que mécanisme qui relie un individu à un autre, même sur plusieurs générations, pour de nombreux psychanalystes de la famille et du couple, le terme “lien” est utilisé dans le sens d’une structure inconsciente qui relie deux ou plusieurs individus. Il se distingue d’autres concepts tels que la relation d’objet que chacun d’entre nous entretient dans son monde intérieur et qui trouve son origine dans l’histoire de son enfance. Dès 1980, Pichon Rivière, dans son ouvrage Teoría del vínculo, soulignait la différence entre le lien et la relation d’objet. Il se demandait pourquoi nous utilisions le terme “lien”. Il explique qu’en fait “dans la théorie psychanalytique, on a l’habitude d’utiliser la notion de relation d’objet, mais la notion de lien est beaucoup plus concrète. La relation d’objet est une structure interne du lien. On pourrait dire que la notion de relation d’objet a été héritée de la psychologie atomistique, alors que le lien est une chose différente qui inclut le comportement. Le lien pourrait être défini comme un type particulier de relation avec l’objet ; de cette relation particulière découle une conduite plus ou moins fixe avec l’objet qui implique la formation d’un modèle, un modèle de comportement qui tend à se répéter automatiquement dans la relation interne et externe avec l’objet”. À mon avis, dans un certain sens, cette conception tend à agir comme un pont reliant le monde interne de la personne à la réalité externe. Un modèle de comportement répété, si nous comprenons bien ce que nous dit Pichon Rivière, forme un modèle qui inclut les deux individus partageant une relation. C’est pourquoi Berenstein (2001), l’un des élèves argentins de Pichon Rivière, explique que si l’on reconnaît l’existence du lien (vínculo), cela implique une réflexion sur le sujet, sur la place de l’autre et sur la différence avec l’objet interne et la notion d’objet externe ; le lien qui se crée, par exemple, entre les membres d’un couple, même s’il naît dans la rencontre des raisons inconscientes du choix de ce partenaire, n’en est pas moins un nouvel élément généré dans l’ici-et-maintenant à l’origine de la rencontre. Kaës parle du lien qui est le mouvement plus ou moins stable des représentations et des actions qui unissent deux ou plusieurs individus pour la réalisation de certains de leurs désirs. Kaës (1994) distingue le champ de la relation d’objet de celui du lien dans lequel l’autre est aussi l’autre dans la réalité, différent de l’objet interne. Dans ce cas, “l’objet de la relation n’est pas seulement l’objet d’une projection mais aussi l’aboutissement d’un processus d’échange psychique et il est donc, en tant qu’autre sujet, un autre sujet qui insiste et résiste dans la mesure où il est l’autre” (ibid., p. 27). Bien qu’avec des caractéristiques différentes, motivées par son travail avec les familles de psychotiques, nous ne pouvons pas oublier ce que Racamier dit à cet égard. Il illustre un modèle relationnel qu’il définit comme “egranement”. L’engrenement renvoie à un mode de relation et à une forme de fonctionnement psychique, l’un lié à l’autre, caractérisé par une double imbrication “entre l’intrapsychique et l’interactif, ainsi qu’entre une personne et une autre” (Racamier, 1990, p. 62).
Mais il reste certainement beaucoup à faire dans ce domaine. En effet, comment distinguer la nature, la forme et la qualité des liens ? Comment distinguer le lien mutuel qui unit les membres d’un couple des identifications projectives mutuelles qui les lient et les caractérisent également ? Sur cet aspect, certes crucial, de nombreux auteurs donnent des réponses différentes. Comme nous l’avons déjà écrit (Nicolò, Benghozi, Lucarelli, 2014; Nicolò, 2014), les liens sont de toute façon des structures inter- et trans-subjectives, impliquant la construction partagée de deux ou plusieurs personnes ; ils ont toujours un côté agi et il est donc possible de les observer davantage dans les actions, les comportements, le langage non-verbal ou les manifestations corporelles des membres. Bien qu’ils puissent être transmis d’une génération à l’autre, les liens sont le résultat d’une adaptation mutuelle entre les membres. L’atmosphère de la maison, son ameublement, les photos qui témoignent de la famille au fil du temps sont parfois des représentations qui nous renseignent sur l’identité de cette famille et les liens entre ses membres. Mais l’élément dans lequel on peut, peut-être, le plus facilement lire la qualité et les formes des liens au sein de la famille sont les mythes que la famille transmet de génération en génération, et dans lesquels ces aspects traumatiques de son histoire tendent à être condensés comme une sorte d’élaboration en cours (Nicolò, 2014). Bien sûr, concevoir les choses en ces termes est révolutionnaire, mais cela peut aussi consterner, car l’objet du lien ne se trouve pas dans l’esprit individuel, mais dans l’espace interpersonnel. Kaës souligne également que nous pourrions être confrontés à une réalité psychique sans sujet. Cette réalité psychique, pour acquérir une autonomie, se développe inévitablement entre les sujets (l’espace psychique de l’intersubjectivité) et se développe également à travers les sujets (l’espace psychique de la trans-subjectivité). Cette perspective nous interpelle également sur le plan conceptuel, car elle pose la question de la place de l’inconscient dans le contexte du couple ou de la famille, question que de nombreux auteurs ont déjà posée.
Pour le modèle italien de la Société de Psychanalyse des Couples et des Familles (PCF), le lien est également une notion centrale. Le lien entre les partenaires, même s’il est déclenché par la rencontre de motivations inconscientes, est néanmoins un élément nouveau (Nicolò, 1992, 2009) … produit à l’origine de la rencontre, même si indépendamment d’elles il est en mesure de les conditionner. A un niveau pré-symbolique, les liens s’organisent dans la vie domestique entre les partenaires d’un couple et avec chacun de leurs enfants. Ils sont à la fois des modes de relations interpersonnelles et des formes de fonctionnement intrapsychique, forgés d’éléments clivés et d’accords inconscients pour se défendre d’expériences ou de traumatismes non élaborés. “Les liens constituent un canevas sous-jacent qui caractérise nos interactions, une sorte de scène sur laquelle jouent les acteurs. Habituellement, la scène reste à l’arrière-plan, mais parfois, dans certaines situations pathologiques, elle devient l’élément le plus important de la scène. Il est difficile de dissoudre ces liens parce que plusieurs membres y participent et que l’enfant, qui grandit là, les apprend” (Nicolò, 1997, 2000, 2003, 2005).
Actuellement, dans les perspectives ouvertes par différents auteurs, tous semblent s’accorder sur l’importance d’intégrer deux points de vue : le premier, celui du monde interne, et le second, celui que nous observons dans le monde interpersonnel.
Ceci est particulièrement important dans le travail avec les couples, où l’autre est l’objet de sa propre projection, mais où l’autre ne peut pas non plus être réduit à sa propre “représentation plus ou moins colorée par l’imagination” (Berenstein, 2001).
En France
Dans les pays francophones, les travaux dans ces contextes prennent en compte l’application de l’analyse de groupe de manière très approfondie. L’APSYG fondée en 1981, liée à la revue Gruppo (1985), puis Le Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale (1995) et sa revue Groupal se réfère aux travaux de Didier Anzieu (1923-1999) sur la dynamique des groupes. Le psychanalyste français a introduit les concepts de “Moi-peau” (1997) et d’“enveloppe psychique” (1996), observant comment les couples et les familles développent leurs enveloppes à partir d’un objet primordial et créent ainsi un “Moi-peau” commun. Selon le grand psychanalyste français, il existe chez le nourrisson une double identification à la mère, d’une part au mamelon qu’elle nourrit et d’autre part à la peau qu’elle contient. De même, le couple et la famille développent leur enveloppe à partir d’un objet qui est primordial ; une peau commune est ainsi constituée. Cette enveloppe s’oppose au service des besoins en miroir et à la dépendance jusqu’à soutenir des illusions et des fantasmes, tels que les fantasmes de similitude et de complétude, qui peuvent interférer avec les fonctions normales du moi-peau en menaçant le fonctionnement différencié des individus au sein du couple ou de la famille.
L’autre grande école, liée à la Société de Thérapie Familiale Psychanalytique, fondée en 1995 avec le soutien de D. Anzieu, compte parmi ses membres des psychanalystes tels qu’André Ruffiot, Gérard Decherf, Alberto Eiguer, Evelyn Granjon, Elisabeth Darchis, Rosa Jaitin, Christiane Joubert, Anne Loncan et bien d’autres. Depuis 1998, ils publient une revue au nom évocateur : Le Divan Familial. Ce groupe propose une vision plus composite qui partage le concept d’appareil psychique familial (Ruffiot, 1981), avec l’œuvre de René Kaës. Dans la théorisation de Kaës (1976), le concept d’appareil psychique groupal renvoie au groupe en tant qu’unité somatopsychique individuée qui se structure sous le prétexte et l’illusion de constituer une formation groupale de l’inconscient. Des auteurs, dont Ruffiot, Caillot, Decherf et Decobert, ont mis l’accent et développé des concepts liés aux fantasmes primaires et au processus di interfantasmatisation.
Sous-jacents à cette voie transgénérationnelle et à la voie des fantasmes sur les origines de la famille elle-même, les auteurs font l’hypothèse de l’existence de fantasmes primaires, qui entraînent une différenciation entre les générations et les sexes. Ces fantasmes mobilisent la capacité de la famille à établir des liens. Ils produisent aussi de l’individuation et du changement, absorbent les traumatismes, traitent les pertes et les deuils. L’interfantasmatisation indique le “lieu de rencontre des fantasmes individuels de chaque membre” (Eiguer, 1983) en utilisant un terme d’origine groupale (Ezriel, 1986 ; Kaës, 1976 ; Anzieu, 1976). Comme nous le disent Ruffiot et Peeters (extrait du Vocabulaire du groupe, Gruppo, n° 7), l’interfantasmatisation est une communication inconsciente entre les membres de la famille qui se déploie à partir de la psyché originelle, de la relation de l’enfant avec sa mère et les autres membres de la famille, et donc de l’inconscient familial.
Le premier à utiliser ce concept est Ruffiot, mais il en décrit lui-même les racines en reprenant les travaux de Foulkes, qui avait observé la résonance fantasmatique des groupes. Ruffiot a été un pionnier et un innovateur, il a été parmi les fondateurs de l’Institut de thérapie familiale et groupale et de la S.F.T.F.P. (Société Française de Thérapie Familiale Psychanalytique) en 1995, société à laquelle on doit en grande partie la diffusion de la psychanalyse familiale en France. Pour un aperçu de la pensée de Ruffiot, on peut lire l’article de C. Joubert, E. Darchis (2016) dans la “Revue internationale de psychanalyse du couple et de la famille – INTRODUCTION À LA REVUE “HOMMAGE À ANDRÉ RUFFIOT””.
Comme on peut le constater de diverses manières, tous les spécialistes de la psychoanalyse du couple et de la famille s’interrogent sur ce qui se passe dans les relations entre les membres de la famille et sur le fonctionnement de la famille en tant qu’unité. Si certains psychanalystes mettent l’accent sur le fonctionnement fantasmatique du groupe, d’autres, comme Eiguer, reprennent en plus le concept freudien d’identification comme mécanisme des relations entre les individus. Dans sa contribution (Eiguer, 2014), Eiguer décrit le rôle joué par l’identification dans une approche théorico-clinique intersubjective selon laquelle le psychisme de deux ou plusieurs individus fonctionne réciproquement de telle sorte qu’ils s’influencent mutuellement à différents niveaux. Chaque individu est influencé par l’état psychique de l’autre et chaque variation des identifications joue un rôle actif dans ces échanges.
Le thème de la transmission transgénérationnelle de la honte et de l’humiliation est également abordé par Pierre Benghozi, qui introduit les notions d’“héritage de la honte” ou d’“héritage de la trahison”.
Mais à côté de ces psychanalystes, il faut rappeler le travail pionnier de Jean-George Lemaire, fondateur de Psyfa, l’une des plus anciennes associations françaises de thérapie familiale psychanalytique, et de la revue Dialogue. Il observe comment le travail clinique avec les couples peut conduire à la nécessité de réviser certains concepts classiques de la psychanalyse. Ainsi, l’émergence de manifestations particulières définies comme “appropriation”, presque de captation et de clivage, qui ne se produisent pas dans les autres milieux de vie des patients pris individuellement, l’a conduit à élargir le concept d’identification à l’émergence fréquente d’images liées à des phénomènes d’identification de type groupal très archaïques. Il décrit un “espace non conscient” plutôt qu’un inconscient dans lequel des images non conscientes ou d’autres perceptions sensorielles non conscientes, (mais non des fantasmes refoulés et non réels ou des scénarios organisés), coexistent simplement avec d’autres phénomènes d’origine neuropsychologique. On pourrait les qualifier de “primordiaux” dans la mesure où ils trouvent probablement leur origine dans les premiers stades du développement neuropsychique, lorsque les différents systèmes sensoriels sont encore indifférenciés. La dimension narcissique et les phases primordiales, presque préindividuelles, de la construction du sentiment d’identité donnent naissance, dans les relations amoureuses, à une agence psychique : “Nous”. Chacun conserve des traces du “Nous” initial de chaque individu et, en même temps, le représente dans le lien de couple.
Une approche théorique qui prend en compte la dimension interpersonnelle et intergénérationnelle a favorisé l’intérêt pour un aspect particulier de la structure réelle et fantasmatique de la famille, celui des liens fraternels et la manière dont ceux-ci s’impriment dans les liens de filiation inter- et transgénérationnels, c’est-à-dire dans un ensemble imaginaire, réel et symbolique. Rosa Jaïtin (2006), au regard de ces notions, propose la distinction entre “complexe fraternel” et “lien fraternel”. Si le complexe repose sur les liens interpersonnels et intergénérationnels créés au cours de l’histoire de l’enfance, il ne doit pas être confondu avec ces liens fraternels : son existence est indépendante des liens fraternels. Jaïtin montre que le fantasme incestueux est une composante du complexe fraternel, mais rappelle que tous les êtres humains sont traversés par le fantasme de l’inceste fraternel, fantasme universel au-delà de la réalité du lien fraternel.
Je voudrais terminer cette rapide évocation des psychanalystes français qui ont été des pionniers dans ce domaine en rappelant le grand J.P. Racamier, non pas tant parce qu’il est lié à une école spécifique de psychanalyse familiale, mais plutôt pour ses découvertes sur le fonctionnement des familles psychotiques. Racamier a eu le mérite d’illustrer de façon originale et créative une constellation caractéristique du fonctionnement psychotique, qu’il a appelé l’“anti-œdipe”.
L’anti-Œdipe est une constellation qui se situe à la jonction entre l’objectal et le narcissique, entre l’individuel et le familier. Elle tend à s’opposer et à contrebalancer les pulsions et les angoisses de l’Œdipe, mais surtout elle le précède. Il se révèle ainsi à la fois anti-œdipien et anté-œdipien. Elle se caractérise par une relation de séduction narcissique dont le but est de maintenir dans la sphère narcissique une relation susceptible d’aboutir à une relation d’objet.
Le but d’une telle constellation, dans sa construction lente et ancienne, fondée sur les origines de la famille, est de prévenir à l’avance les angoisses de deuil et de séparation, de maintenir l’omnipotence fusionnelle du patient avec la mère et de fonctionner de façon protectrice contre les excitations, les stimuli externes, les pulsions de croissance et les conflits œdipiens en particulier. Elle “doit prévenir les désirs œdipiens, l’inscription fantasmatique de la scène primitive, l’émergence de l’angoisse de castration” (Racamier) et les angoisses déclenchées par les différences entre les sexes, entre les générations, entre les êtres humains.
En Italie
En continuant à regarder les pays européens, je ne peux pas passer sous silence la situation italienne complexe, où l’étude du couple et de la famille a été très précoce. Très tôt se sont organisées des associations italiennes dont les analystes ont été influencés, certains (Taccani et al.) par le Collège de Psychanalyse familiale et d’autres par l’école argentine de Berenstein, comme ceux qui se sont regroupés autour d’Armando Bauleo. Giulio Cesare Zavattini (2010) a développé au fil du temps des publications et des recherches dans le domaine, basées sur la théorie de l’attachement.
Un autre groupe de psychanalystes a ensuite créé la Société de psychanalyse du couple et de la famille (PCF). Ce groupe comprenait des psychanalystes qui avaient une formation psychanalytique avec les enfants et les adolescents d’une part (Lucarelli, Nicolò, Norsa), d’autres (Tavazza, Trapanese, Nicolò, Saraò, Zavattini) venaient d’une approche systémique qui a été abandonnée par la suite. Initialement, ces psychanalystes s’étaient regroupés, à partir de 1992, autour de la revue “Interazioni”, dirigée par Anna Maria Nicolò. La série d’échanges suscitée par le débat scientifique promu par la revue a abouti au premier Congrès international de psychanalyse du couple et de la famille, qui s’est tenu à Naples en 2000, donnant ainsi l’occasion à des praticiens de différentes nations de se rencontrer. Le résultat a été une nouvelle stimulation de l’intérêt pour la recherche et les cliniques familiales et un encouragement pour la création future d’une société internationale. Une grande partie de ce groupe s’est formée à l’origine sur le modèle anglais de Dicks, recréé en Italie par le psychanalyste anglais Andreas Giannakoulas au sein de l’Institut de Neuropsychiatrie infantile de l’Université SAPIENZA de Rome. Certains de ces analystes ont développé leur propre modèle au fil du temps, en se distançant partiellement du concept de collusion.
Ils ont été fortement influencés par la conception de Meltzer et Harris qui, repensant de manière originale les hypothèses kleiniennes-bioniennes, proposent des hypothèses explicatives pour lier le développement de l’esprit individuel et celui de la famille.
La famille est considérée comme un contexte d’apprentissage de modalités émotionnelles influencées par “les modalités actuelles du groupe éducatif familial et son état d’organisation” (Meltzer, 1983).
L’une des tâches de la famille est de contenir la souffrance psychique liée à la croissance de l’individu. Rejoignant l’hypothèse de Bion sur “l’apprentissage par l’expérience” (Bion, 1962) compris comme un processus de formation intérieure, au sein d’un individu comme au sein de chaque famille, Meltzer fait l’hypothèse d’un conflit entre les procédures qui visent à éviter, à évacuer la frustration et celles qui visent à la modifier, à la rendre utilisable. La tâche de moduler, contenir et traiter la souffrance est confiée à la pensée. Dans ce modèle italien (Nicolò, Norsa, 2017) de compréhension et de travail clinique, la famille est vue comme un système intériorisé de liens, elle est considérée comme la matrice de la pensée et de l’identité individuelle (Nicolò, 1988) elle est caractérisée par des qualités interactives spécifiques et aussi par une structure intergénérationnelle. Au niveau fantasmatique, les fantasmes inconscients et les angoisses fondamentales du groupe familial sont traités par des défenses transpersonnelles, qui sont un produit collectif des membres de la famille ; tandis que chaque membre de la famille peut compter sur les défenses individuelles dont il dispose. Cette approche est centrée sur l’étude de l’imbrication continue et réciproque entre le monde intrapsychique de chaque membre et le fonctionnement interpersonnel de la famille à laquelle il appartient (Nicolò, 1988, 1990). Au niveau diagnostique et thérapeutique, cette méthode observe, par exemple, la consonance ou la dissonance de l’individu par rapport aux angoisses communes ou aux fantasmes collectifs du groupe. De plus, elle met en évidence les défenses de chacun face aux conflits communs ou aux fantasmes partagés, et compare la défense individuelle à la défense collective interpersonnelle, comme on peut l’observer notamment dans le travail sur les rêves qui, dans le cadre familial, est l’expression du fonctionnement individuel et familial (Nicolò, 2000, 2006; Nicolò & Borgia, 1995). La multiplicité et la présence simultanée de plusieurs niveaux de fonctionnement dans la famille et dans le couple expliquent la diversité des réactions mises en œuvre par la famille, qui oscillent constamment entre les niveaux plus indifférenciés et primordiaux, et les niveaux plus différenciés, représentationnels ou symboliques.
Les niveaux plus indifférenciés peuvent être lus à travers l’utilisation du corps, de la somatisation et du passage à l’acte. Ils peuvent constituer le niveau transpersonnel de la famille, qui est le lieu d’une communication inconsciente primitive mise en acte ou somatisée, et qui est aussi le lieu des défenses transgénérationnelles. Ces niveaux, présents en même temps, imposent la nécessité de réponses articulées et thérapeutiques, à différents niveaux, obligeant ainsi l’analyste à se mesurer non seulement dans une relation asymétrique, mais aussi en tant que membre de ce système nouvellement formé que constitue la famille en lien avec lui. Elles obligent également à des réponses thérapeutiques qui ne sont pas seulement de l’ordre de l’interprétation, mais plutôt l’utilisation de métaphores pour favoriser la symbolisation et la narration de l’histoire familiale.
Le travail clinique accorde une grande importance aux mythes, aux rêves et aux souvenirs racontés dans la famille, mais surtout aux interactions coordonnées dans la famille au quotidien, connues mais non conscientes, mémorisées dans les faits, dans les habitudes interactives, mais non pensées, où se cachent les constructions fondamentales de la vie psychique et où se transmettent les souvenirs traumatiques non traités et la répétition des règles relationnelles apprises inconsciemment d’autres générations.
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- Mascaró, Norberto : « Constitution d’un groupe multifamilial dans une institution publique », Conférence de l’Association andalouse de neuropsychiatrie, Jaén, 2000.
Le groupe multifamilial psychanalytique
Norberto Mascaró Masrí (Bilbao, Espagne)
Le groupe Multifamilial Psychanalytique est un espace thérapeutique hiérarchique pour le traitement de diverses pathologies mentales. Composée de plusieurs familles, elle représente une mini-société de familles d’origines différentes et avec des problématiques différentes qui participent à une expérience commune, où elles peuvent partager leur souffrance psychologique, affronter leurs difficultés et être accompagnées dans la durée.
Ces grands groupes de 30 à 100 personnes sont animés par un nombre variable de professionnels qui fonctionnent en co-thérapie. Ils se réunissent une fois par semaine et chaque séance dure 90 minutes.
Nous travaillons avec l’idée d’un cadrage spontané, par opposition au cadrage classique qui prend en compte le contrat préétabli et avec l’attitude thérapeutique de disponibilité comme fondement de la relation thérapeutique. Les concepts d’assistance et de confinement sont les piliers de la création d’un climat émotionnel de confiance qui permet aux participants de se connecter plus facilement aux expériences d’impuissance et d’impuissance, de souffrance, de violence, etc., qui, en raison de leur intense charge émotionnelle, ne pourraient pas être élaboré dans le processus de croissance et de maturation de la personnalité.
Le pionnier de ce type d’expériences est Jorge García Badaracco, qui débuta en 1958 dans un service de psychiatrie de l’hôpital neuropsychiatrique José T. Borda de Buenos Aires pour réaliser ces groupes dans le contexte d’une communauté thérapeutique psychanalytique. Il a poursuivi son activité dans une clinique privée qu’il a dirigée pendant 25 ans et continue actuellement d’effectuer ce travail dans des institutions psychiatriques, des associations, des écoles, des clubs, etc. Près de 1 000 heures de cette longue et prolifique expérience ont été enregistrées et plusieurs livres et ouvrages ont été publiés qui représentent une contribution importante à l’enseignement et à la recherche.
En corollaire de ce parcours, émerge une nouvelle conception qui s’inscrit dans la lignée d’une pensée complexe : la Psychanalyse Multifamiliale. Cette perspective innovante nous permet d’aborder simultanément les dimensions individuelle, familiale et sociale de l’esprit, à partir du postulat selon lequel les êtres humains vivent immergés dans des réseaux d’interdépendances pathogènes, dont nous devons souvent être sauvés. Le GMFP devient le contexte privilégié pour mener à bien ces travaux.
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