REVUE N° 33 | ANNE 2025 – 2

REVUE N° 33 | ANNE 2025 – 2
Revue AIPCF N° 33, coordonné par Elisabeth Darchis et Christiane Joubert
L’accompagnement psychanalytique de la famille en périnatalité est une pratique qui progresse depuis plusieurs décennies, en montrant son efficacité dans la prévention. Lors de la construction d’une nouvelle famille, il ne s’agit pas d’accompagner simplement un sujet ou un lien, une dyade ou une triade, un bébé dans sa famille ou dans une institution, mais c’est l’écoute du groupe familial dans sa globalité qui est concerné, avec son histoire présente, passée et à venir, avec son roman familial et ses racines qui s’ancrent dans les aléas de la vie, les migrations, le terreau des différences culturelles, etc. On ne naît pas dans, mais d’une famille, comme le précise Ruffiot en 1981[1] : « On est tissu avant d’être issu ».
Lors d’un véritable voyage psychique, la nouvelle famille va remettre au travail cet héritage pour le faire sien avant l’arrivée de l’enfant. Ce qui a été reçu des générations précédentes est revisité pour être confié aux descendants qui transformeront à leur tour ce bagage dans la transmission. Dès le temps de la grossesse, la régression et la déconstruction de tout le groupe vont donner des promesses de progression pour organiser la famille dans la différence des générations. Ce temps fort en périnatalité est une psychanalyse de l’enfance, disait Racamier (1978)[2]. Nous proposons d’y voir une véritable psychanalyse de la famille (Darchis, 2016)[3].
Mais l’on sait aussi que cette période de crise nécessaire, peut être maltraitante et bousculante. Le temps périnatal est quelquefois un véritable tsunami ou un raz de marée destructeur. Chaque naissance mobilise du transgénérationnel et la situation néonatale peut devenir une menace pour les sujets ou pour le couple qui se décompose (violence, alcoolisation, infidélité…). Il est parfois difficile pour des familles d’articuler le lien de couple amoureux et le lien parental : le transgénérationnel est en collusion dans le lien d’alliance (Joubert, 2007)[4]. La crainte de désorganisation des pactes et des contrats peut immobiliser le processus de la construction du nouveau groupe. Ce passage laborieux appelle de fortes résistances pour lutter contre les souffrances anciennes, contre des traumatismes non élaborés ou encryptés, des secrets et des non-dits. Des organisations défensives s’expriment comme le déni de grossesse, la dépression ou la décompensation puerpérale parentale, le collage et l’incestualité ou la mise à distance et les carences. Des futurs et jeunes parents aux prises avec la part maudite de leur héritage (deuils, honte, filiation incertaine, etc.) souffrent lors de l’arrivée d’un bébé qui peut devenir à son tour un porte-symptôme.
La propre pathologie des futurs parents peut se cumuler à la crise périnatale (identités fragiles, mélancolie, toxicomanies, maladies organiques, etc.). Ce bouleversement redouble également lors de situations particulières ou d’accidents néonataux (déracinement, chômage, ruptures des liens, grossesse adolescente, prématurité, annonce de handicap, décès…). Tous ces tourments doivent être accompagnés.
Nous pourrons voir les effets de ces désordres dans la clinique de la famille et étudier les indications de prises en charge pour étayer le groupe et favoriser le processus nécessaire du cheminement de cette période. Le dispositif de la thérapie familiale psychanalytique périnatale (TFPP) guide la crise essentielle au temps périnatal, lorsque les aspects destructeurs et pathogènes risquent de mettre en péril ce temps normalement réorganisateur et constructif. La TFPP recevant la famille dès le temps de la grossesse avec le bébé in utero, accompagne l’indispensable réaménagement de l’héritage psychique familial afin que chacun puisse progressivement se réaliser comme groupe individué et sujet relativement autonome.
Les soignants et les institutions, sensibilisés pour être à l’écoute des souffrances spécifiques et particulières en périnatalité, offrent des lieux de soins aux futurs et jeunes parents en élargissant parfois cet accueil à la fratrie et aux grands-parents. Le travail en réseau avec les partenaires de la périnatalité est également précieux.
Nos pratiques ont progressé avec des conceptualisations originales et des innovations dans les dispositifs en néonatalogie, en maternité et pédiatrie hospitalières, ou encore dans des lieux de la petite enfance, de la protection maternelle infantile, de l’aide sociale à l’enfance, de la pédopsychiatrie, etc.
La transmission dans ce domaine invite à explorer encore nos bases théoriques pour les transformer dans un travail de continuité, mais aussi de changement. Nos recherches doivent être partagées avec et entre les générations de professionnels internationaux. Diffusons pour faire également évoluer mondialement les soins psychiques périnataux, qui accompagnent au plus près ce temps fondateur et organisateur de la nouvelle famille autour de l’arrivée d’un petit.
[1] Ruffiot A. (1981), La thérapie familiale psychanalytique, Paris, Dunod.
[2] Racamier P.-C. (1978), Psychoses de la maternalité, Mère mortifère, mère meurtrière, mère mortifiée, Paris, ESF.
[3] Darchis E. (2016), Clinique familiale de la périnatalité, Paris, Dunod.
[4] Joubert Ch. (2007), Le rôle du transgénérationnel dans le lien de couple, Le Divan familial, 18, Paris, In Press, 69-79.