REVIEW N° 20 | YEAR 2019 / 1
Summary
What do we do with our history and with stories in everyday life?
Everyone’s personal history and stories have, without doubt, a place in the everyday lives of families and couples. The effect, nevertheless, is not always the same. Can the stories be understood? Sometimes our history and stories fill a void; at other times they open new spaces, or they try to explain the present using inadequate means and are thus useless. Some histories- or stories – can be said to belong to the category of museums, some evolve out of the present, and others are open to thought… to thinking about something… What is that “something”, at any moment, that has to do with everyday life? We must reflect on what kind of temporality we are talking about.
Keywords: present, temporality, explain
Résumé
Que faire de l’histoire et des histoires dans la vie quotidienne?
L’histoire de chacun et les histoires occupent sans aucun doute une place dans la vie quotidienne des familles et des couples. Et cela n’a pas toujours le même effet: peut-on les entendre? Tantôt l’histoire et les histoires comblent un vide, tantôt elles ouvrent de nouveaux espaces, ou alors elles tentent d’expliquer le présent avec des outils inadéquats et sont donc inutiles. Certaines histoires appartiennent à la catégorie des musées, d’autres sont créées à partir du présent et d’autres encore sont des espaces ouverts de pensée… pour penser quelque chose… Quel est ce quelque chose qui, à chaque instant, a à voir avec la vie quotidienne…? Nous devrons réfléchir aux temporalités dont nous parlons.
Mots-clés: le présent, temporalités, expliquer.
Resumen
¿Qué hacer de la historia y las historias en la vida cotidiana?
La historia de cada uno y las historias ocupan sin dudas algún lugar en la vida cotidiana de las familias y de las parejas. Y ello no siempre tiene el mismo efecto. ¿Pueden ser escuchadas? Y en ese caso ¿Cómo y por qué? A veces la historia y las historias llenan un vacío, otras veces por el contario abren nuevos espacios, y en otros momentos pretenden explicar el presente con herramientas inadecuadas y por lo tanto no sirven. Algunas historias pertenecen a la categoría museo, otras se van creando a partir del presente y otras abren espacios de pensamiento… pensar algo… ¿Qué es ese algo en cada momento, qué tiene que ver con la vida cotidiana..? Habrá que pensar de qué temporalidades estamos hablando.
Palabras clave: el presente, temporalidades, explicar.
ARTICLE
Les histoires et une histoire
À quoi nous servent notre histoire, nos histoires et comment les transmettre ou comment en faire quelque chose d’autre, ce qui n’est pas toujours facile?
Pour ce qui en est de nos histoires, rappelons-nous que, depuis les tout débuts de la psychanalyse, Freud donna une place privilégiée à l’histoire des patients, ce qui nous a marqués en tant que psychanalystes. C’est ainsi qu’il a pu découvrir qu’il y avait une relation entre les souffrances actuelles de ses patients et leurs histoires du passé. Il était à la recherche d’indicateurs qui lui ouvriraient quelques chemins pour découvrir la cause ou une cause qui expliquerait la souffrance actuelle de ses patients, pensée issue d’une logique fortement déterministe. Faire apparaître le passé oublié ou enfoui dans l’histoire devenait un instrument thérapeutique. Il s’agissait d’établir une relation entre le présent et un certain passé. Ceci fut une toute première étape au cours de laquelle recueillir les histoires du passé devenait fondamental pour la cure. Il est assez possible qu’à partir de cette découverte nous ayons donné trop d’importance à l’histoire du passé et que nos patients aient pu apprendre à appliquer cette méthode pour nous parler, ainsi que pour s’expliquer à eux-mêmes les possibles causes de leurs souffrances. Au cours du temps, cette découverte a tendu à se banaliser. On peut la retrouver chez les cinéastes, les écrivains, à la télévision et, petit à petit, s’est perdue la force que donne l’effet de surprise tellement nécessaire dans la vie. Néanmoins, sans aucun doute, les histoires du passé continuent à occuper pour chacun une place privilégiée et même parfois les raconter devient la source d’un certain plaisir ou bien raconter sa vie peut être pensé comme une manière de se faire connaître.
Mais ceci n’est pas toujours vrai. Il est possible que ce genre de connaissance puisse éviter de se confronter à ce que comporte le fait de découvrir qui sera cet autre ou ces autres qui se dessinent au cours de chaque rencontre. Pourtant, souvent, les psychanalystes essayent de construire une histoire de leurs patients pour se faire une opinion, pour les connaître hors de la situation transférentielle, méthode qui, aujourd’hui, me paraît questionnable. Ce qu’on obtient ainsi ne serait qu’une série d’anecdotes qui donnerait une fausse connaissance, un connaître sans mouvements, hors du présent et du temps qui s’écoule.
Tout en conservant l’idée que les histoires de nos patients obtenues hors du dialogue nous intéressent, il ne faut pas oublier celles qui se créent tous les jours, qui dépendent de la situation et sont donc changeantes, le monde a changé, les patients d’aujourd’hui possèdent un certain savoir concernant la cause de leurs conflits et, de notre côté, nous disposons d’autres instruments. Ceux-ci proviennent d’une manière de penser comment s’établissent les liens, c’est-à-dire la relation entre deux ou plusieurs autres qui, en partie, dépend d’un faire avec le présent en immanence (Puget, 2015), ce qui réserve toujours une dose de surprise. Il sera question de s’occuper des effets inattendus qui se produisent dans toutes les rencontres au cours desquelles l’altérité de/s autre/s, la multiplicité dans ses diverses formes, la discontinuité, la superposition de situations nous délogent de l’harmonie et du prévisible. De nouvelles valeurs s’imposent tous les jours et c’est à nous de leur donner une place.
Tout ceci m’amène aujourd’hui à considérer que nous avons affaire à deux présents à partir desquels se tissent de nouvelles histoires: l’un qui peut s’expliquer en tenant compte du passé, des racines et de l’évolution de celles-ci, et l’autre qui est issu des sables mouvants sur lesquels nous circulons et qui laissent apparaitre de nouvelles valeurs et organisations des relations humaines: les histoires naissent des rencontres multiples. Comment discerner quand l’histoire ou les histoires du passé ne serviraient qu’à éviter les effets déconcertants du présent et quand il est nécessaire de s’en servir pour connaître les effets de répétitions, d’identifications nuisibles et des fidélités à des modèles périmés?
Un présent ou plusieurs présents
Les effets du présent ne sont pas facilement tolérés. Ils obligent à faire face à l’imprévu: suivant avec qui et où nous nous trouvons, nous advenons en tant qu’autres, le vocabulaire change étant donné qu’il dépend de chaque situation. Ils délogent les idéaux identitaires, les représentations (Puget, 1999) et laissent entrer dans notre vocabulaire les présentations[1] et une subjectivité en mouvement. Et, ainsi, il devient possible de donner une place à ce que nous observons dans la vie quotidienne et qui est parfois cause de malaise. C’est-à-dire qu’il puisse être si difficile d’écouter un autre ou des autres sans croire qu’on le connaît déjà. Il est courant d’entendre dire au cours d’un pseudodialogue… “Non, ce n’est pas ce que j’ai dit… et l’autre peut répondre… c’est ce que j’ai compris… oui mais tu ne m’as pas écouté…”. Cette remarque n’est pas toujours pacifique car l’altérité de chacun devient la source de conflits importants. Est-il facile d’accepter que l’on n’aura jamais accès à la pensée de l’autre, et que ce qu’a voulu dire ou penser l’auteur du message se perd et se transforme à l’infini? En conséquence, ce qui pourrait enrichir au cours d’un échange se perd. Ce genre de questions et de malentendus advient tous les jours mais n’a pas la même importance ni la même virulence dans toutes les situations. Il est vrai que nous avons souvent tendance à croire qu’il y a une vérité absolue, un sens précis et exact et qu’il suffirait de peu pour y accéder. Mais si ceci arrivait, on perdrait ce qui est enrichissant qui est de créer à partir de la multiplicité inhérente à la vie. Parfois la recherche d’un signifiant unique donne une illusion d’assurance. Il semblerait que, dans chaque contexte, il y ait une tendance à rechercher un point fixe rassurant. Par exemple, il n’est pas facile de reconnaître que ni la médecine ni ce que nous faisons dans notre clinique psychanalytique ne sont des sciences exactes. Souvent, les différentes écoutes se transforment en organisations politiquement racistes ou fanatiques dans le but d’établir quelle est la vraie psychanalyse. D’autres fois, aujourd’hui assez fréquentes, on organise des réunions spéciales pour confronter les diverses opinions, comme au sein de l’API les working parties. Accepter les différences pour en faire quelque chose nécessiterait un cadre rassurant.
Le dispositif: un congrès
Il y a certaines circonstances dans la vie qui nous exposent à écouter et à essayer de comprendre ou d’entendre d’autres langues comme lors d’un congrès international2: chacun parle sa langue et le dispositif exige la présence de traducteurs. Plusieurs questions se posent: va-t-on tout traduire? Impossible car la réalité économique intervient, le choix de qui traduire dépendra de décisions politiques et hiérarchiques. Le dispositif du congrès inclut l’idée qu’il faut pouvoir essayer de se comprendre, ou tout du moins de s’écouter tout en sachant que quelque chose se perdra. Par ailleurs, si quelqu’un parle avec aisance plusieurs langues, doit-il parler dans sa langue ou comment faire le choix? Il y a des langues officielles acceptées, ce qui ne veut pas dire qu’elles le sont à parts égales. Pour ceux qui disposent de plusieurs langues, ils auront à décider par qui ils veulent être écoutés et à quoi ils veulent être fidèles: à leurs racines, à leurs diverses appartenances, au pays dans lequel ils habitent ou à celui où ils sont nés? Étant donné qu’aujourd’hui les migrations sont plus fréquentes pour les raisons les plus variées, les diverses fidélités créent des conflits. En principe, les réunions scientifiques telles que les congrès sont faites pour connaître d’autres manières de penser, pour confronter chacun les siennes, pour créer de nouveaux liens. Il est fort possible que nous n’ayons plus une langue unique et privilégiée et que, de toute façon, ce ne sera jamais la même partout. Par ailleurs, même s’il y a des barrières nettes pour comprendre ou communiquer avec un autre qui parle une langue totalement étrangère, il y a toujours moyen de transformer le dit de l’autre en quelque chose qui permette les échanges (Rancière, 1987). Est-ce qu’écouter un autre doit faire apparaître un nouveau savoir et simultanément oblige à découvrir une certaine ignorance? Est-ce que nous allons à ce genre de réunions pour faire part, à d’autres de nos points de vue. Parfois nous pouvons avoir la secrète exigence d’être écouté comme nous le souhaiterions et que les questions qui nous sont posées aident à identifier les points obscurs de nos exposés? Est-ce que les congrès sont faits pour se comprendre, pour apprendre, pour découvrir notre ignorance et l’extension du monde dans lequel nous vivons, pour donner une place à l’étranger: cet autre qui sera toujours un étranger qu’il faut loger? Et bien qu’aujourd’hui dans cet écrit je me serve du dispositif Congrès International de Lyon, (Puget, 2018) pour commencer à communiquer sur ce qui a trait aux effets de rencontre entre deux ou plusieurs autres, mon choix contient une reconnaissance envers les organisateurs du congrès. Et aussi le besoin de présenter ce que j’entends par effet de présence et création de nouvelles histoires. Et là je vais prendre appui sur ce qu’a éveillé en moi la place que les organisateurs m’ont donnée et je vais m’en servir en tant que vignette clinique.
La situation fit naître en moi un dilemme qui a à voir avec mon ou mes histoires… Il s’agissait de choisir une langue pour mon exposé, ce qui pourrait paraître évident et simple, mais le simple est parfois compliqué. Personnellement, je dispose aisément de plusieurs langues, ce qui peut être une richesse mais, pour cette occasion, c’est devenu un confit. Celui-ci émergea de mes fidélités à mes diverses appartenances ou errances. Il s’agissait donc de choisir le français ou l’espagnol pour mon exposé. Chaque langue évoque différents sens, souvenirs, inquiétudes, émotions, faits et probablement quelque chose de l’ordre du non-traduisible. Choisir par qui on voudrait être écouté ou, plus encore, est-ce que ceux qui écoutent seront aussi bienveillants que l’interlocuteur intérieur à qui j’ai parlé pendant que j’ai préparé un texte? Le dialogue sans un autre présent et le dialogue en présence ne sont jamais les mêmes. Comment accepter qu’il soit impossible de prévoir ce que chacun fera de ce qu’il entendra? Il devient alors évident, en fonction du choix de la langue, que tout le monde ne pourra pas écouter la même chose. Et il est chaque fois plus évident que de l’espace entre deux, celui qui définit un lien, naissent de nouveaux conflits. Donc, à l’occasion de ce congrès, j’étais confrontée à un dilemme. Parler espagnol à Lyon sonnait faux pour moi, mais j’étais invitée en tant que représentante de l’Argentine dans un congrès international. Lyon, bien qu’étant une ville française, pour cette occasion – le congrès international – devenait un signifiant du multiple et donc du dilemme. Deux langues qui peuvent dépendre de l’espace géographique dans lequel se déroule le congrès… mais aussi de ma fidélité au pays que je représente. Quelle que soit la langue utilisée, il manquera toujours quelque chose. Construire une histoire qui dépend du présent et simultanément contient des histoires d’un certain passé auquel il manquera toujours quelque chose de l’ordre du nontraduisible. Il s’agit alors de faire avec le poids des fidélités diverses: aux origines ou au présent. Ces questions qui se posent concernant le congrès se retrouvent aussi dans d’autres dispositifs, que ceux-ci soient sociétaires, de famille ou de couple, ceux qui font partie de la vie quotidienne. Par exemple, quand il s’agit de choisir dans les familles l’éducation des enfants, où passer les vacances, les valeurs mises en jeu pour chacun, etc. Les décisions dépendent de multiples facteurs parmi lesquels ont leur rôle le passé de chacun mais aussi ce qui se passe au présent, au cours de ce que comporte le “faire ensemble” qui n’est pas toujours facile. Faire ensemble ne respecte pas le culte de l’individualité, accentue les différences, ce qui peut être inquiétant ou, au contraire, enrichissant.
C’est aussi ce qui se passe quand les couples et les familles ne savent que faire de leurs différences et essayent de transformer l’hétérologue en complémentaire, confondant le non-connu en ressemblant ou pareil, et le multiple en singulier. Ils imaginent que connaître le passé de l’autre peut leur permettre de résoudre un problème actuel. Est-ce que c’est le passé de l’autre qui a engendré le conflit actuel? À quel genre de curiosité correspond la demande de connaître un passé? Il s’agira de deux histoires: l’une d’elles est tissée avec des fils du passé de chacun et l’autre est celle qui pourra loger des passés qui n’expliqueront pas le présent mais qui créeront du futur. Chacun a son histoire qui part du présent, de la situation actuelle qui devra s’enchaîner ou ébranler la cohérence de l’histoire du passé de chacun. Il faudra secouer les murs qui protègent nos théories et voudraient les rendre éternelles afin de déloger sans pour autant annuler celles qui ne nous permettent pas de laisser d’autres points de vue qui ont à voir avec le présent (Gampel, Puget, Tylim, 2017).
Appartenance/s
Quelques-uns des dilemmes auxquels nous expose la vie de tous les jours deviennent évidents quand les diverses cultures de chacun ou les doubles appartenances se révèlent. Pourtant c’est une condition humaine d’être “partout et nulle part”, ce qui nous déloge de l’illusion du “pour toujours…”. Habiter ne sera jamais de plein droit et ce qui compte est un savoir-faire avec un espace entre deux, celui qui défit la présence d’un lien, celui qui nous permet d’advenir et laisse apparaitre de nouvelles zones de conflits. Par exemple perdre l’illusion de conquérir des liens solides, invulnérables, qui en réalité sont ceux qui se révèlent les plus fragiles. Il faut pouvoir accepter que nous n’habitons “ni ici ni là-bas et un peu partout”. Parfois la condition d’errance se superpose à l’exigence d’appartenance sûre, d’un pour toujours, celle de la solidité identitaire, celle qui devient un obstacle pour la mise en place des multiples facteurs intervenant pour la constitution de la subjectivité sociale. Deux temporalités se superposent: celle de Chronos et celle d’Aion et Kairos. Une histoire au présent et une histoire linéaire qui se tisse avec des fils du passé de chacun qui ne peuvent pas coïncider. Un lien comporte l’idée que les relations sont toujours entre deux ou plusieurs sujets qui seront pour toujours séparés par une différence, ou “différance” (Derrida, 1968), de laquelle naît la richesse de la rencontre. C’est ainsi qu’au fur et à mesure que s’établit un lien, la zone entre deux… celle de la différance… prend plus d’importance et petit à petit éloigne les membres d’un lien quel qu’il soit mais qui est par contre celui qui lui donne sa richesse: la curiosité pour l’autre ou les autres prend plus de place car on découvre et supporte l’ignorance qui provient de reconnaître l’incommensurable de la connaissance. C’est de la découverte de l’ignorance que naît le besoin de savoir.
La vraie histoire
Y a-t-il une vraie histoire, celle qui se base sur des faits avérés ou soi-disant vrais et reconnus par tous…? Quelles sont les valeurs culturelles prises en compte pour chacun, pour une région, pour un milieu, dans un présent? Au cours des analyses de couple et de famille, il faudra que les membres des couples et des familles puissent se défaire de l’illusion qu’ils enregistrent et donnent de l’importance aux mêmes faits et accepter qu’ils ne pourront pas construire une histoire uniforme. Combien de conflits naissent des noncoïncidences qui mettent en évidence qu’il n’y a pas une histoire sinon celle que chacun tisse à partir du présent? Il y a plusieurs conflits; ceux qui font obstacle et ceux qui stimulent (Puget, 2017).
Fidélités
Pour en revenir à ce que j’ai commencé à proposer concernant les diverses fidélités et le besoin de choisir en fonction de la situation, je me demande comment choisir et de quoi dépend ce choix: de notre histoire de famille ou/et de l’histoire d’un présent, ou d’une nouvelle histoire dans laquelle il y aurait des questions politiques en jeu? Concernant le congrès international que j’ai pris comme exemple, est-ce que parler espagnol en France, bien que je représente l’Argentine, est déloyal? Fidélité aux origines mais alors lesquelles car à chaque pas naissent de nouvelles origines? Fidélité à mon futur, à l’imprévu qui ne dépend pas de mon passé mais qui peut éventuellement me faire éprouver le sentiment de ne pas avoir de racines? Les racines sont-elles tellement nécessaires? Fidélités à mes croyances d’aujourd’hui?
Il y a donc une histoire qui rend hommage aux racines, a un passé qui, parfois, nous empêche de prendre notre envol. Être fidèle aux origines s’oppose à l’errance. Tandis que les histoires qui naissent du présent l’organisent aléatoirement comme un récit momentanément cohérent dans lequel les multiples particules qui nous imprègnent laissent toujours un non-inclus qui fera obstacle quand un dialogue s’installe.
Origine et histoire
Y a-t-il une origine ou des origines qui sont celles qui s’éveillent ou se mettent en place au présent et parfois s’avèrent être un obstacle quand il s’agit d’habiter des territoires inconnus? Les origines qui nous attachent à un certain moment de notre histoire ont eu une grande importance pour Freud et continuent à l’avoir dans notre pratique. Et là on pourrait placer certaines scènes qui ont créé des marques, les traumas d’un certain genre qui nous clouent au sol sans nous permettre de nous envoler. Mais comment définir les traumas dans des cadres de couples et de familles? Ces histoires souvent font obstacle à la libre circulation des émotions et des nouveaux récits, et leur servent d’explications ou d’excuses ou de justifications quand ils se trouvent aux prises avec ce que comporte d’inattendu dans leurs rencontres quotidiennes. “On ne peut pas oublier ce qui s’est passé”… Et ce refuge – ne pas pouvoir oublier… – instaure le reproche, la plainte, parfois la violence dans le dialogue quotidien car le souvenir bloque le courant de la vie, l’inconnu, l’imprévisible des rencontres. Ici nous avons à faire à une histoire qui paralyse. Heureusement il faut tenir compte que les plus jeunes générations n’ont plus envie que, sous prétexte de leur faire savoir ce qui s’est passé, on imagine qu’ils doivent nécessairement connaître les souffrances historiques des plus âgés. Est-ce qu’il est nécessaire qu’ils le sachent ou ceci répond-il à une nécessité pour les plus âgés? Il est possible que ce que les jeunes ne veulent pas écouter soit ce qui pourrait occuper la place d’une justification d’un mal-être en fonction des souffrances endurées.
Une nouvelle histoire
Donc, sans aucun doute, ce congrès a suscité en moi une nouvelle visite de mon passé remis en question. Il s’agit d’un nouveau passé qui doit sa couleur aux multiples facteurs qui façonnent notre subjectivité. “Qu’est-ce que le passé a à faire pour le devenir?” se demandent les organisateurs de ce congrès. Question qu’une psychanalyste ne devrait pas se poser étant donné que la plupart des théories psychanalytiques donnent une place importante au passé. Mais ce passé représentationnel ne devient-il pas une protection ou un écran derrière lequel nous nous cachons pour éviter les turbulences que nous offre le présent présentationnel. Il s’agit d’un présent qui ne contient pas de répétition. Une histoire qui naît tous les jours, due à l’imprévisible de chaque rencontre.
Combien de questions restent sans réponses immédiates? Malgré tout et étant donné que le titre du congrès dont je parle dans cet article m’a fait me poser la question quant à la place que les histoires occupent pour le dispositif analytique, il est possible de prévoir que chacun partira de cette expérience avec de nouvelles histoires. Ce ne seront pas celles qui sont de l’ordre des histoires que l’on raconte pour tisser un lien, pour jouer, pour déguiser une vérité… pour écrire un roman, mais ce seront celles qui nous permettront de penser et qui éveilleront notre curiosité. Donc, tenir compte que l’histoire du passé, d’un passé qui change au fur et à mesure que les situations diverses dans lesquelles nous nous trouvons prennent une place, devrait nous amener à créer de nouvelles hypothèses.
L’histoire au présent, comme le dit Foucault, l’histoire du présent aujourd’hui m’a amenée à remettre en question le problème de l’appartenance à un certain territoire qui dépend de la politique du moment, de la culture d’un certain espace, de la création d’une langue qui provient du contexte, qui instaure plus que jamais l’impossible de toute traduction.
Bibliographie
Derrida, J. (1968). La Différance. Conférence prononcée à la Société française de Philosophie – 27 janvier1968.
Gampel, Y., Puget, J., Tylim, I. (2017). A Wall comes down in the clinical frame. 50th IPA Congress/24th IPSO Conference – Buenos Aires, julio 2017.
Puget, J. (1999). Representaciones sociales. Consagración de marcas. Revista de la Asociación
Argentina de Psicología y Psicoterapia de Grupo, XXII, 1: 156-159.
Puget, J. (2003). Intersubjetividad. Crisis de la representación. Psicoanálisis APdeBA, XXV, 1: 175-189.
Puget, J. (2015). Subjetivación discontinua y psicoanálisis. Incertidumbre y certezas. Buenos Aires: Lugar Editorial.
Puget, J. (2017). De la incertidumbre anquilosante a la incertidumbre creativa. Conferencia en Psicoanalistas Autoconvocados – Buenos Aires, 8 de abril 2017.
Puget, J. (2018). Que faire de l´histoire et des histoires dans la vie quotidienne? VIIIème Congrès International de l’AIPCF – Lyon, 26 au 28 juillet 2018.
Rancière, J. (1987). Le Maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle. Paris: Fayard.
[1] Je propose de tenir compte que les représentations ont peu à peu souffert une crise (Puget, 2003) et qu’elles doivent cohabiter avec ce que j’appelle les présentations. Celles qui se produisent dans le présent. 2 Comme celui dans lequel j’ai commencé à proposer mes idées (Puget, 2018).