REVIEW N° 23 | YEAR 2020 / 2
Summary
The family grappling with contemporary societal evolution
Referring to Jungian theory (Jung, 1954), we show that the entity of the couple, as an archetypal imago, is an evolving norm in contemporary society, through various clinical presentations of couples, and of families. We propose an archetypal imago of the couple, illustrated by the 18 reasons Losso (2000) describes for forming a couple, that is inscribed in the depths of our psyche, echoing the primary relationship, the basis of identity that develops over time, like an umbilicus, abundant, complex, and creative. While the norm that resulted from this imago couple has functioned in a tyrannical way for centuries in western society, it is in a state of constant evolution in our contemporary world. Case material from individual, couple, and family therapy illustrates these ideas.
Keywords: attachment, archetype, couple, desire, link, suffering, transference.
Résumé
La famille aux prises avec l’évolution sociétale contemporaine
Nous montrons que l’entité couple, imago archétypale, en référence à la théorie jungienne, (Jung, 1954), est une norme en évolution dans la société contemporaine, au travers de diverses chorégraphies du couple, et de la famille, dans notre clinique. Nous proposons une imago archétypale du couple, que viennent illustrer les 18 raisons de se mettre en couple de Losso (2000), inscrite au tréfonds de notre psyché, en écho à la relation primaire, base identitaire qui se transforme au fil du temps, tel un ombilic, foisonnante, complexe et créative. Si la norme qui a découlé de cette imago couple a fonctionné d’une manière tyrannique pendant des siècles dans la société occidentale, elle est en évolution constante dans notre monde contemporain. Des séquences cliniques en thérapie individuelle, de couple et de famille illustrent ces notions.
Mots-clés: attachement, archétype, couple, désir, lien, souffrances, transfert.
Resumen
La familia luchando con la evolución social contemporánea
Demostramos a través de diversas coreografías de pareja y de familia surgidas en nuestra clínica, que la entidad pareja, imago arquetípico según la teoría de Jung (1954), es una norma en evolución en la sociedad contemporánea. Proponemos un imago arquetípico de pareja, que ilustra las 18 razones para formar una pareja de Losso (2000), inscripto en las profundidades de nuestra psique, haciéndose eco de la relación primaria, base de la identidad que se transforma con el tiempo, abundante, complejo y creativo. Si la norma que resultó de esta pareja imago ha funcionado de una manera tiránica durante siglos en la sociedad occidental, hoy está en constante evolución en nuestro mundo contemporáneo. Secuencias clínicas en terapia individual, de pareja y de familia, ilustran estas nociones.
Palabras clave: apego, arquetipo, pareja, deseo, relación, sufrimiento, transferencia.
ARTICLE
Introduction
Le couple, au regard de la société occidentale, est une norme de référence, au sens du modèle, faisant intervenir, d’une part, dans la construction du sujet, l’idéal du moi (lié au narcissisme, aux aspirations positives du sujet; Freud, 1914), et, d’autre part, faisant partie de la structure sociale, en référence, là, à l’anthropologie, avec Les structures élémentaires de la parenté de Lévi-Strauss (1949), mettant en lumière des systèmes proposant, voire imposant, les mariages, distinguant les conjoints possibles ou prohibés. Le couple, alors régi par le mariage, est le fondement de la famille: passage du couple à la parentalité. S’il est absent de certaines cultures ancestrales traditionnelles, par exemple chez les Moso (Na) du Yunnan, en Chine, ethnie matrilinéaire (Cai Hua, 1997), dans laquelle le sexuel est libre à l’âge adulte pour les femmes et les hommes, autour des “relations furtives”, il existe cependant des relations de cœur durables (qui n’excluent pas les relations furtives). Ce ne sont pas des relations en couple, comme nous l’entendions traditionnellement dans notre culture, puisque chacun vit dans sa matrilignée respective, dont il ou elle porte le nom; mais les relations durables signifient l’attachement de l’un envers l’autre, avec un désir sexuel présent. Dans nos sociétés judéo-chrétiennes, le mythe fondateur d’Adam et Ève montre une imago couple, incluant la faute, et la culpabilité originaire. Pendant des siècles, le couple était lié à l’institution religieuse (il était indestructible, rigide, jusqu’à la mort des partenaires). C’était une norme tyrannique pour les individus (une vignette clinique en illustrera les traces). Les contes de fées, pour enfants, aire transitionnelle au niveau sociétal, se terminaient par “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. Le couple servait donc à avoir des enfants. Les mythes sont à l’origine de la structure sociale, et dans la société occidentale le mythe d’Adam et Ève soustend la norme du couple qui fonde la famille et la filiation. L’entité couple pourrait être archétypale[1], images symboliques qui peuplent notre inconscient et l’inconscient collectif (Jung, 1954). Nous pensons, bien sûr, au mythe de l’androgyne de Platon, structuré différemment selon les cultures, les époques et en évolution, en révolution, dans notre monde contemporain en pleine mutation biotechnologique. Cet archétype serait articulé sur le lien primaire, socle inconscient de notre sécurité de base, identitaire. Les travaux de David (1971) témoignent de l’importance du lien primaire, de la dyade, dans l’état amoureux.
L’entité couple dans le référentiel psychanalytique contemporain
Nous nous appuyons, dans notre clinique, sur le corpus psychanalytique contemporain avec de nombreux psychanalystes qui se sont penchés sur le lien de couple, essayant d’en comprendre le fonctionnement, ses crises, ses ruptures, ses souffrances, dans un foisonnement de recherches. Nous n’en citerons que quelquesuns: Willy (1975) parlait de la collusion dans le couple; Ruffiot (1984) aimait à dire que le couple est une foule à deux, une tentative d’inscrire deux corps dans une psyché unique; il s’est penché sur le désamour, la déchirure de l’enveloppe du couple avec son cortège de douleurs; Lemaire (1997) écrit Le couple, sa vie, sa mort; Eiguer (1984; 1989) reprend le choix d’objet de Freud (1914) dans le choix amoureux et s’arrête sur les liens narcissiques et objectaux qui s’articulent dans le lien de couple, il définit des structures de couple et il décrit les perversions dans le lien de couple; Berenstein et Puget (1986) publient Le socle inconscient du couple; Caillot et Decherf (1989) parlent d’une position archaïque, régressive: la position narcissique paradoxale avec “vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel”, souvent active dans le désamour et que nous rencontrons très fréquemment dans notre clinique avec les couples; Dupré-Latour (2005) écrit autour des Crises du couple; Robert (2004; 2012) travaille autour du lien de couple, de la thérapie de couple et de la régression; nous-même avons publié des articles sur: L’évolution des modalités du lien de couple en thérapie (Joubert, 2004), Le rôle du transgénérationnel dans le lien de couple (Joubert, 2007), Le couple pris entre l’attachement et le désir (Joubert, 2018a); Sommantico (2016) se penche sur A couple’s unconscious communication: dreams.
Dans le champ de la psychanalyse familiale, en France, les travaux autour de la norme foisonnent: le numéro 43 (2019) de la revue Le Divan familial (coordonné par Aubertel), sous la direction de Loncan, est consacré à la tyrannie de la norme avec de nombreux auteurs (Aubertel, Caron, Darchis, Diamante, Ducousso-Lacaze, Eiguer, Filidori, Gianese-Madelaine, Knera, Lafage, Le Clef et al.).
Quant à nous, nous allons nous arrêter sur les 18 raisons (Losso, 2000) possibles que peuvent avoir les individus pour se mettre en couple, car nous pensons que c’est sous-jacent, inconsciemment, pour chaque chorégraphie de couple, par-delà les cultures et les époques, et que c’est sans doute ce qui peuple l’archétype du couple:
- pour ne pas rester seuls (Freud, 1921): “L’individu se sent incomplet quand il est seul”;
- pour résoudre la situation œdipienne (passage de l’endogamie à l’exogamie);
- pour prendre fantasmatiquement la place des parents;
- comme confirmation de sa propre identité, notamment sexuelle;
- pour la gratification affective;
- pour une gratification sexuelle stable;
- pour alléger la culpabilité œdipienne (autour des fantasmes incestueux et agressifs);
- pour pouvoir exprimer son agressivité dans un espace relationnel sécurisé;
- comme recherche d’indépendance par rapport à la famille d’origine;
- comme recherche de dépendance permettant de “petites régressions” et de jeter le masque social;
- pour créer des alliances, tant contre la famille d’origine que contre le monde extérieur;
- pour le besoin de posséder l’autre;
- pour assumer ses fantasmes d’immortalité à travers la descendance;
- pour se créer une culture familiale propre et la transmettre;
- comme réparation de ses blessures familiales: “Nous serons meilleurs que nos parents”;
- pour la possibilité d’un projet commun et de créativité (l’aire de jeu et de créativité de Winnicott, 1971);
- pour retrouver l’intimité de la dyade mère-enfant, et en réparer les manques passés;
- pour retrouver l’illusion infantile de la fusion et de la complétude: “C’est ma moitié”.
Les travaux abondent, la psychanalyse contemporaine prend en charge la souffrance du lien de couple.
Avec l’évolution des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), la procréation médicalement assistée (PMA), et l’évolution du monde contemporain, nous nous intéressons, dans notre clinique, aux nouvelles formes de couple et de parentalité. De nombreuses recherches à propos de l’homoparentalité et notamment la lesboparentalité sont menées actuellement, nous n’en citerons que quelques-unes: en appui sur les travaux fondateurs de Freud (1914), de Ferenczi (1914) sur Nosologie de l’homosexualité masculine, puis dans le référentiel théorique contemporain: un numéro de Dialogue (numéro 215, 2017) est consacré à Faire famille en contexte homoparental, coordonné par DucoussoLacaze, Gratton et al.; un numéro du Divan familial (numéro 13, 2004) est consacré à Homosexualité et parentalité (Loncan, et al.); nous avons également écrit un article Parentalités contemporaines, naître dans une famille homoparentale (Joubert, 2017). Soulignons aussi l’importance de la bisexualité psychique en collusion dans le lien des deux partenaires, qui, peut-être, sous-tend d’une manière plus souple et créative ces configurations actuelles (homosexuelles, transsexuelles, transgenre, bisexuelles, amour libre dans le couple, etc.).
Clinique du lien de couple: les diverses chorégraphies du couple dans le paysage contemporain
Nous choisissons d’exposer plusieurs “éclats cliniques” afin d’illustrer des souffrances de couple, en écho avec la tyrannie de la norme encore présente dans le monde contemporain, que représente la nécessité de vivre en couple, puis l’évolution de cette norme avec de nouvelles configurations.
Le couple traditionnel, une norme encore dominante de nos jours
Un premier bref éclat clinique va venir illustrer les traces encore à l’œuvre de la tyrannie de la norme du couple, enracinée sur le religieux.
Nous recevons le couple C., à notre cabinet, à raison d’une séance par quinzaine, en thérapie de couple, nous sommes seule thérapeute. Ils consultent car ils n’arrivent plus à avoir de relations sexuelles satisfaisantes. Madame dit que cela vient d’elle, car depuis qu’elle a présenté son futur conjoint à ses parents, et au regard de leur réaction, elle s’est fermée et est très angoissée. Elle décrit une famille bourgeoise, avec pignon sur rue (on entend l’aspect narcissique), très catholique, avec des règles strictes, en particulier l’interdiction d’avoir des relations sexuelles avant le mariage. Or, son conjoint et elle ont vécu ensemble alors qu’ils étaient tous deux étudiants, à l’insu de leur famille respective, celle de Monsieur étant également catholique pratiquante et stricte. À l’annonce de leur projet de mariage, les deux familles découvrent “le délit” de vie commune. Madame a encore présente à l’esprit la réflexion de son père: “Vivre ensemble, sous le même toit, sans être mariés, c’est avoir des relations sexuelles illégitimes”; et la réaction de sa mère: “Les relations sexuelles, cela doit être sérieux et pour fonder une famille; ma fille, tu me déçois beaucoup, on t’a bien éduquée et maintenant tu es devenue une moins que rien”; puis sa mère ne lui a plus adressé la parole de la soirée. Ils ont dû dormir dans des chambres séparées et sont repartis le lendemain, affligés tous les deux, comme deux enfants sévèrement punis et conscients d’avoir fauté. De son côté, Monsieur a été aussi fortement réprimandé par son père pour sa conduite indigne “d’un homme correct”. “Quand on souhaite épouser, on se conduit en respectant sa future femme”, lui dira son père. Madame sera toujours tenue à l’écart dans sa belle-famille, et monsieur continuera de redouter le regard de son beau-père quant à sa conduite (il l’avait sommé d’épouser au plus vite). Le mariage s’est déroulé d’une manière traditionnelle, les deux familles ayant tout organisé. “On nous a volé notre mariage”, dira Madame. “On s’est plié”, répondra monsieur, “on se sentait fautifs”. “Au début de notre relation”, dira monsieur, “avant qu’on informe nos parents, c’était super la sexualité entre nous, on explorait tout”, “sauf la pénétration”, soulignera Madame. “C’était notre première relation à chacun. Une fois mariés, il a fallu très vite être enceinte pour réparer”, dira madame; neuf mois après, est née une petite fille, ce qui a apaisé les tensions respectives. “Mais maintenant il faudrait un garçon, un héritier pour que l’honneur soit sauf”, dira Monsieur. Depuis la naissance de Léa, Madame est fermée et n’arrive plus à avoir de relations sexuelles. Même la tendresse entre eux est devenue difficile. “Elle est tournée vers sa fille uniquement”, dira Monsieur tristement. Il ne sait plus quoi faire, car il souffre de ce manque cruel. Il ne comprend pas pourquoi ça ne revient pas. Ils s’entendent bien, pourtant, et cohabitent agréablement. Il se dit capable d’attendre car il respecte sa femme. Ce jeune couple, pris dans les injonctions parentales interdictrices, issues de l’éducation “judéo-chrétienne intégriste”, quant au plaisir sexuel, est très en souffrance. Au cours de l’évolution de la thérapie, ils commencent à se révolter contre leurs parents, ce qui se manifeste à un moment dans le transfert: ils me disent: “Il n’y a rien à faire, vous n’y pouvez rien, ce n’est pas la peine de venir ici”. Et encore lors d’une séance, Madame s’écrie à l’encontre de son mari: “Je ne supporte pas quand tu dis à la psy que mon corps t’est interdit, tout est de ma faute”. Nous signifions alors qu’elle est en colère; elle acquiesce. Nous reprenons cette phrase que nous mettons en écho avec l’évocation, lors de la thérapie, de relations incestueuses, de secrets familiaux, dans les générations respectives: du côté de Madame, entre le grand-père maternel et ses filles. Du côté de Monsieur, il s’agit de son frère toxicomane et suicidé, sur leur petite sœur. Nous ne développerons pas l’impact majeur que cela a eu sur leur problématique sexuelle actuelle, et aussi le travail que l’on a fait autour du vécu de honte et de culpabilité en résultant: collusion de deux familles claniques enfermées dans une idéologie rigide avec la transgression des interdits fondamentaux, tenue secrète (pactes dénégatifs de Kaës, 1988). Cette collusion autour de l’inceste dans leur lien de couple est très douloureuse à mettre en élaboration. Nous sommes touchée au niveau contretransférentiel par l’affect de colère qui les traverse, et par l’empathie que nous éprouvons à leur égard. Ce cas a fait l’objet d’une publication détaillée (Joubert, 2019). Plus tard, ils vont accéder à l’ambivalence quant aux valeurs familiales transmises. “On n’a pas fait de crise d’adolescence ni l’un ni l’autre, il serait temps de s’y mettre”, diront-ils. La colère va s’exprimer autour de “Nos parents sont de vrais salauds”. Puis “Grâce à vous, ici, on fait des prises de conscience, vous êtes bienveillante, pas jugeante”. Nous les percevons comme deux adolescents s’autorisant peu à peu à s’ouvrir à nouveau aux espaces de plaisir, mais cette foisci, ni dans la transgression ni la culpabilité et la honte. L’accès à l’ambivalence quant aux imagos devient possible. Ils me diront, lors d’une séance: “Ici on se sent autorisés, cela fait du bien”. Dans le champ transféro-contre-transférentiel, nous représentons peu à peu une imago parentale bienveillante et permissive, autorisant la circulation de la libido dans le lien de couple; ainsi cet espace partagé deviendra un lieu de plaisir au quotidien…
Deux autres brefs éclats cliniques vont venir illustrer l’imago couple traditionnel normatif, en psychothérapies psychanalytiques individuelles, avec nous. Monsieur J.: “Je me suis mis en couple beaucoup trop vite; j’ai voulu respecter le balisage social, habiter avec quelqu’un, pour ne pas être seul, me caser enfin. Le couple, c’est un jeu social, un jeu de masque, une norme. En fait, je pense que je n’en avais pas envie, du moins pas si vite dans cette nouvelle relation. On approche chacun de la cinquantaine, on a déjà des enfants de précédentes unions, donc je préférerais que l’on ait chacun notre espace et que l’on se voit pour le plaisir des bons moments passés ensemble… Je ne veux pas de prise de tête, toujours s’expliquer, se conformer…”
Monsieur P.: “Quand j’ai rencontré ma compagne et qu’il a été question du mariage, je me suis dit pourquoi pas, c’était comme une norme, la reproduction d’un modèle, et j’ai même accepté d’avoir des enfants; c’était juste normal de fonder une famille. En fait, j’ai toujours rêvé de vivre en communauté, avec plein de monde autour de moi, et dans une liberté sexuelle; j’étais enfant unique et je me suis ennuyé toute mon enfance, avec des parents tristes qui travaillaient beaucoup; une fois que les enfants ont été là, on n’a plus eu de vie sexuelle, ma femme ne voulait plus, à cause des enfants dans la maison; elle prétendait qu’il fallait que l’on aille ailleurs, et pas dans notre maison; j’ai eu quelques aventures, elle l’a su et a menacé de me quitter. Je l’ai vécu comme du chantage et je me suis senti fautif. Je pense aujourd’hui que j’ai été leurré”.
La norme est ici entendue dans le sens de se conformer au modèle traditionnel du couple, encore dominant de nos jours. Nous pensons alors aux chambres fleurs, dans l’ethnie des Moso, dans le Yunnan en Chine, destinées aux ébats sexuels libres, mais disposées de l’autre côté de la maison (Joubert, 2018b).
L’évolution contemporaine du lien de couple et de la famille
Les XXe et XXIe siècles sont marqués par l’évolution de la condition de la femme, suite aux deux guerres mondiales, et par les progrès scientifiques: la contraception, puis les FIV, la PMA, la GPA, ont permis que le couple se fonde et se défonde en fonction du désir des partenaires. Les sites internet de rencontre se développent. La réalisation du désir d’enfant se programme. On peut désormais vivre plusieurs couples dans sa vie, et de différents types: hétérosexuels, homosexuels, transsexuels, transgenres, couples échangistes, etc., autant de complexités contemporaines foisonnantes, dans la forme. On voit apparaître de nouveaux modèles: vie à trois, communautaire, résidences séparées, couples virtuels, etc. Les nouvelles technologies incitent nos fantasmes à devenir réalité, brouillant les repères, effaçant les limites. Dans la société liquide (Bauman, 2005; Joubert, 2018b) dans laquelle nous vivons, entre adultes consentants, tout devient possible dans le sexuel: “no limit”, dit un patient en séance de thérapie individuelle à ce sujet. La norme s’assouplit, évolue et tend à disparaître.
La procréation est régie par des règles, avec des limites toujours en évolution. Actuellement, un parent peut élever seul un enfant, on parle alors de famille monoparentale; la gestation pour autrui est toujours interdite en France, mais se pratique ailleurs, idem pour les FIV pour les couples homosexuels, mais cela évolue. “Un couple sans enfant c’est toujours suspect, c’est pour cela que l’État ne veut pas confier des enfants aux couples homos; on imagine les homosexuels lubriques, débauchés, dégénérés, pas dignes d’avoir des enfants”, dit un patient homosexuel, lors d’une séance, au cours de sa thérapie individuelle avec nous. Dans la clinique contemporaine, nous rencontrons des patients aux prises avec ces transformations: nous avons exposé une situation clinique avec un couple de lesbiennes, contraint d’aller faire des FIV aux Pays-Bas pour avoir leur enfant (Joubert, 2017).
Nous proposons un bref exemple de clinique de couple dont le père n’a eu qu’une fonction de géniteur, dans un système de vie communautaire.
Pour ce couple, la confrontation à la norme est douloureuse. Le couple G. se présente en souffrance suite à une tentative de vie commune en échec. Dès la première consultation, avec nous, Madame dit qu’ils ont “essayé de vivre en couple comme tout le monde”, parce qu’ils ont une petite fille d’un an et demi, ensemble. Ils ont pensé que ce serait mieux pour elle, quand elle serait plus grande, à l’école par exemple, au regard de la société, “c’est la norme”. Monsieur explique qu’ils vivent dans une communauté depuis une vingtaine d’années, au sein de laquelle ils pratiquent la méditation transcendantale, les arts martiaux, l’épanouissement de soi: “Nous sommes comme une grande famille, nous avons choisi de vivre à la campagne et nous organisons des séminaires de formation. C’est un lieu accueillant, écologique, au sein duquel nous partageons des valeurs communes. Ce lieu a été fondé par un homme maintenant âgé, qui a ramené ces valeurs d’autres civilisations, indiennes et amazoniennes, ayant beaucoup voyagé. Il enseigne toujours au sein de cette communauté. Il est une sorte de père fondateur et nous sommes ses enfants symboliques”. Madame dit: “Au sein de notre communauté, l’énergie sexuelle circule librement entre adultes, on a des relations sexuelles avec qui on souhaite à condition de consentement réciproque. On a aussi de forts liens d’attachement (Bowlby, 1969; Joubert, 2018a) les uns aux autres. Approchant des 40 ans, je voulais un enfant, pour me réaliser pleinement comme femme. Alors on a choisi un géniteur, tous ensemble”. “Moi, j’ai été d’accord, j’ai 45 ans et je n’avais pas d’enfant, jusqu’alors”, dit Monsieur. “Ma grossesse a été géniale, j’étais très entourée des autres femmes et j’ai accouché à la communauté, dans l’eau. C’était un moment extraordinaire, les femmes chantaient pour m’accompagner”, nous explique Madame. Au début, rebondit Monsieur, “on était beaucoup ensemble, au sein de la communauté, et on a eu envie d’essayer de vivre à l’écart des autres, plus en couple, pour faire l’expérience. On s’est installés dans un espace à nous, à côté des autres. Mais assez vite des tensions sont apparues entre nous et les autres; on n’a pas compris”. “Maintenant, on est devenus agressifs l’un envers l’autre, et cela nous fait beaucoup souffrir. On a toujours travaillé sur la non-violence dans notre communauté, c’est notre idéologie. Alors on s’est séparés, tout en restant dans la communauté, mais on n’arrive pas à s’entendre autour de Marine, notre petite fille, on n’est jamais d’accord, on se dispute sans cesse, cela nous fait beaucoup souffrir”, dit Madame. Au fil des séances, va apparaître que l’illusion groupale de cette communauté est attaquée par le couplage, au sens de Bion (1965), créant tensions, attaques envieuses, rivalités, jalousie, provoquant de la haine. C’est toutefois ce qui nous vient à l’esprit. Leurs valeurs étant attaquées, ils se sentent perdus, comme des enfants. Du lien fraternel qui les unit, au couple fantasmatiquement incestueux, cela ne fonctionne pas dans la sérénité tant recherchée. En proie à la circulation de l’agressivité, ils se sentent démunis. Nous allons alors travailler la réintrication pulsionnelle, l’accès à l’ambivalence, et la désidéalisation de ces liens communautaires, qu’il fallait sereins et en deçà de l’agressivité, dans leurs valeurs; on s’acheminera vers un mode de fonctionnement plus souple, créatif et évolutif, avec l’ambivalence des liens, au-delà de l’idéologie ambiante dans laquelle ils baignent.
Notre clinique nous amène aussi à questionner le devenir du sexuel dans le couple. S’autorise-t-on à prendre du temps pour le couple, et pour quoi faire? La scène primitive est en arrière-fond, bien sûr. Comment cultiver l’enveloppe de plaisir du couple? Quand les enfants sont là, a-t-on le droit, sous le même toit, aux ébats sexuels? Autant de questions qui traversent encore les couples, quel que soit leur mode d’organisation.
Une autre brève vignette clinique (nos réflexions sont toujours issues de notre clinique) vient illustrer ce point: lors d’une thérapie de couple, Madame D. dit en séance: “Je n’ose pas faire garder les enfants pour qu’on sorte, mon mari et moi; on les fait déjà assez garder quand on travaille. Ma mère n’a jamais fait cela, elle s’occupait de nous, et était à la maison dès qu’elle ne travaillait pas”. “On fait toujours passer les enfants avant nous”, dira Monsieur. “On est fatigués, débordés, on n’a plus de plaisir à faire les choses du quotidien”, répond Madame. “On n’a plus de plaisir dans nos vies, on ne fait plus l’amour depuis longtemps; je me sens vide, la tristesse a gagné mon quotidien”, reprend Monsieur, et Madame pleure en évoquant qu’elle prend des antidépresseurs pour ne pas sombrer. Monsieur nous dit aussi qu’il fume du cannabis, le soir, pour éviter de devenir agressif. Nous percevons que lorsque le lien de couple se fond dans la vie familiale tourbillonnante, l’espace érogène disparaît, l’agressivité (due à la désintrication pulsionnelle) ou la mélancolisation envahissent le quotidien (Joubert, 2018b). Nous pensons alors à L’art d’aimer d’Ovide: “Comment réussir en amour, dans le jeu de la séduction? Prendre conscience du sentiment amoureux et accéder à des raffinements nouveaux?” Est-ce possible à l’intérieur de l’enveloppe du couple? “Comment garder l’ailleurs dans le couple plutôt que d’aller chercher ailleurs?”, demandera Monsieur D. Comment accepter l’ailleurs de l’autre, cette part à jamais inconnue, afin d’attiser le désir qui, ne l’oublions pas, s’enracine dans le manque? C’est dans ce qui échappe que le désir trouve ses fondements, et la flamme du couple ne peut s’entretenir sans ces espaces de différenciation et d’inconnu. De là aussi naît la créativité du couple.
Enfin, pour terminer, nous évoquons deux consultations de couple, récentes, en exergue, reflétant la confusion et les paradoxes de notre société contemporaine: ce que fait vivre une jeune adulte transgenre au couple parental, et le spectre de l’intégrisme qui guette dans l’ombre, autour d’une jeune mère devenant musulmane intégriste.
Un couple à la retraite vient consulter par rapport à leur fille transgenre qui a changé son prénom, et a la voix qui mue. Madame est effondrée, elle ne reconnaît plus son enfant, elle dit: “C’est comme si elle avait effacé son histoire, je ne comprends pas et je ne peux pas accepter”. Madame est actuellement en chimiothérapie suite à un cancer de l’utérus, et elle redira à plusieurs reprises dans l’entretien que sa fille “a effacé la filiation”, cela l’a “rendue malade”. Monsieur reproche à sa fille transgenre d’effacer toutes ses valeurs. Ils sont très blessés et très culpabilisés. “On ne méritait pas cela, on est professeurs des écoles tous les deux, et c’est comme si tout ce que l’on a transmis était nié. On a tellement honte par rapport à la famille élargie et à nos amis. On a tout raté; de ce fait, on ne peut pas profiter de notre retraite, on est très mobilisés par cela. On ne sait que faire pour la dissuader. On ne comprend pas”, dit Monsieur. Ils rapportent qu’elle parle des transgenres, qu’elle a des amis transsexuels, elle vit avec une femme, et s’intéresse au transhumanisme. “Je n’imaginais même pas que cela existait, le monde de demain me fait horreur”, dit Madame. Monsieur reprend: “Elle nous traite comme deux vieux démodés, comme si on ne comprenait rien. Avec sa copine, elles sont aussi véganes. On ne peut plus les inviter à manger. On a l’impression qu’elles sont sur une autre planète. Cela nous fait très peur. Elle fait maintenant un métier d’homme (elle est maçonne) alors qu’elle a fait les beaux-arts. Tout est brouillé, fou, pour nous”, dit Monsieur. Ils sont en très grande souffrance. Nous conviendrons d’une thérapie de couple à raison d’une séance par quinzaine avec nous.
Un autre couple, d’environ 55 ans, vient consulter par rapport à leur fils aîné, la trentaine, marié depuis sept ans avec une femme d’origine algérienne, née en France, ayant deux petites filles de 5 et 7 ans. Madame dit qu’ils avaient de bonnes relations avec eux et avec la famille de leur belle-fille, décrite comme agréable, ouverte. Les deux jeunes gens se sont connus étudiants. Mais depuis deux ans, ils sont très inquiets car leur belle-fille s’est voilée, porte la burqa, et va beaucoup à la mosquée, alors que le mariage avait été laïc et que cette famille n’était pas religieuse. Récemment, ils se questionnent car leur belle-fille va régulièrement voir l’iman. Ils craignent la radicalisation. Monsieur dit qu’elle a beaucoup changé, elle se referme, mange hallal et l’impose à sa famille. Elle est devenue très pratiquante. “On ne peut plus les inviter à manger chez nous. Mais le pire, c’est que notre fils ne dit rien et on a l’impression qu’il subit tout cela; on n’ose pas lui en parler et on craint pour les petites filles. On ne sait que faire”. Madame dit qu’elle est désespérée et qu’elle ne comprend pas ce qui s’est passé. Monsieur est en colère contre son fils qui laisse faire. Ils sont très en souffrance et très inquiets pour leur fils et leurs deux petites-filles. Nous conviendrons également d’une thérapie de couple à raison d’une séance par quinzaine avec nous.
Ces deux vignettes montrent, d’une part, l’évolution sociétale vers le transhumanisme et les peurs que cela engendre pour le futur, brouillant tous les repères, et d’autre part, le danger de la régression vers l’intégrisme, la radicalisation. Est-ce pour cela que la civilisation, comme le pensait Freud (1929), a tant de difficultés à se maintenir? On pourrait dire que, pour le psychanalyste contemporain, c’est un travail de chaque instant que d’aider le maintien de la civilisation en chacun de nous, grâce à l’intrication pulsionnelle, et le maintien des interdits fondamentaux.
Ces éclats cliniques sont tirés de notre pratique, respectant la confidentialité. Nous remercions les patients d’alimenter en permanence notre réflexion scientifique de praticien psychanalyste chercheur.
En conclusion
Du côté de la position du psychanalyste par rapport à ces transformations contemporaines, nous posons l’importance du cadre interne neutre et bienveillant à “l’égard du vœu inconscient”, l’abstinence, la contenance et l’empathie envers chacun et envers le couple. La compulsion de répétition est toujours à l’œuvre dans les couples successifs, quelle que soit la configuration, et elle reproduit inlassablement les mêmes modalités de lien, changeant les acteurs en gardant le même scénario, signant le côté mortifère; mais elle participe également à l’évolution et à la transformation chaque fois, aussi du côté de la pulsion de vie (Joubert, 2018a). Il y a un côté créatif et transformationnel dans la compulsion de répétition, qui, au fil du temps, creuse un sillon marqué par le bain sociétal du moment (axe synchronique); nous favorisons, dans le cadre de la thérapie, l’ouverture vers la perlaboration, la transformation et la voie de la créativité. Toujours à l’écoute de la clinique, nous élargissons notre champ conceptuel, ce qui fait de la psychanalyse une science riche et évolutive, avec la psychanalyse des liens, la théorie psychanalytique groupale contemporaine (Kaës, 2005; 2009; 2015), la psychanalyse familiale et de couple, en résonance avec l’évolution sociétale contemporaine.
Bibliographie
Aubertel, F. (2019). Tyrannie de la norme. Le Divan Familial, 43: 1-243.
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Commentaires à Christiane Joubert
Henri-Pierre Bass[2]
Dans son intervention, Christiane Joubert met l’accent sur la clinique du lien et elle évoque “les diverses chorégraphies du couple”, se référant ainsi à une métaphore musicale, sorte de véritable orchestration qui se tisse entre nos propres couplages internes de nos liens intrapsychiques, qui se projette sur le socius, et nous pousse à faire couple. Elle propose ainsi une imago archétypale du couple qui vient illustrer les 18 raisons de se mettre en couple proposées par Losso (2000), en écho, soulignet-elle, à la relation primaire, base identitaire qui va se transformer au cours du temps interne et externe, d’où son titre: La famille aux prises avec l’évolution sociétale. La thérapie familiale psychanalytique s’inspire essentiellement des travaux de Didier Anzieu (1981) et de René Kaës (1993) sur le travail psychanalytique dans les groupes. André Ruffiot a proposé la notion d’appareil psychique groupal familial et a ainsi posé les bases théorico-techniques de la thérapie familiale psychanalytique. Les contributions théoriques d’Alberto Eiguer (1987), de Jean Pierre Caillot et de Gérard Decherf (1982) ont contribué à l’éclairage du fonctionnement psychique de la famille en prenant en compte ses angoisses, ses mécanismes de défense, ses relations d’objet ainsi que son niveau et sa complexité de développement psychique. L’entité couple comme imago archétypale avancée par Christiane Joubert nous oblige à penser les origines de la naissance à la vie psychique du couple en s’appuyant sur les travaux de Bion et de Meltzer concernant la figuration de l’espace psychique pour le sujet, mais ici étendu au groupe famille. Albert Ciccone (2019) souligne ainsi que l’œuvre de Melanie Klein (1932) est peuplée d’objets entretenant des relations complexes, et sa représentation entre le moi et les objets ont conduit les auteurs kleiniens et post-kleiniens à développer une figuration de l’espace psychique. Bion (1967) a parlé d’espace psychique, d’espace mental, d’espace émotionnel, d’espace de la pensée. Ainsi, Resnik intitule un de ses ouvrages Espace mental (1994). Donald Meltzer (1978) décrit quatre mondes: le monde interne, le monde externe, le monde, le monde à l’intérieur des objets externes et le monde à l’intérieur des objets internes. Les relations complexes entre chacun de ces mondes sont établies grâce au mouvement perpétuel de projection/introjection. On retrouve cette complexité dans le corps groupal familial, et la notion d’espace pour soi et entre soi se retrouve souvent dans la vie de couple, et est un élément nodal de plaintes. Dans les couples, la dimension archaïque est prégnante et l’imago archétypale peut aussi se retrouver dans le générationnel qui renvoie à l’originaire du corps familial.
Pour ce qui concerne la théorie de la norme qui a fonctionné de manière tyrannique pendant des siècles, elle est en évolution constante dans le monde contemporain. Est-ce que cette évolution serait l’estompement, dans le discours sociétal, voire l’effacement, comme le propose Jean Pierre Lebrun (2020), de la négativité inscrite dans la condition de l’être parlant?
Bibliographie
Anzieu, D. (1981). Le groupe et l’inconscient. L’imaginaire groupal. Paris: Dunod.
Bion, W.R. (1967). Réflexion faite. Paris: PUF, 1983.
Caillot, J.-P., Decherf, G (1982). Thérapie familiale psychanalytique et paradoxalité. Paris: Clancier-Guénaud.
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Eiguer, A. (1987). La parenté fantasmatique. Paris: Dunod.
Kaës, R. (1993). Le groupe et le sujet du groupe. Paris: Dunod.
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Resnik, S. (1994). Espace mental. Toulouse: Èrès.
Ruffiot, A. (1981). Le groupe-famille en analyse. L’appareil psychique familial. Paris: Dunod.
[1] Les archétypes nous réfèrent à la théorie jungienne (Jung, 1954) qui, à notre avis, prolonge les fantasmes originaires phylogénétiques de Freud, et ils sous-tendent l’idée d’un inconscient collectif peuplé d’images symboliques représentées dans les différentes cultures. Nous faisons l’hypothèse d’une figue archétypale de couple, gémellaire, renvoyant au double (par exemple, les Gémeaux dans le signe du zodiaque), au mythe de l’androgyne, de la sirène, de toutes ces figures étranges qui peuplent nos mythes et légendes.
[2] Psychologue clinicien, psychanalyste, formateur à la Société de Thérapie Familiale d’ile de France, membre du bureau de la Société de la Société de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe. henrpierrebass@gmail.com