REVIEW N° 17 | YEAR 2017 / 2
BOOK REVIEW
Janine Puget, Subjectivation discontinue et psychanalyses. Incertitudes et certitudes (“Subjetivación discontinua y psicoanálisis. Incertidumbre y certezas”, Buenos Aires, Lugar Editorial, 2015).
Note de lecture de Ruth Blay Levisky[*]
Dans cet ouvrage, Janine Puget expose son intérêt pour la compréhension psychanalytique des aspects socio-politiques et institutionnels. Ces thèmes n’ayant pas été étudiés précisément par Freud et ses successeurs.
Puget et Berenstein ont créé la psychanalyse du Lien et ils ont développé des concepts qui ont amplifié des perceptions et des façons différentes de travailler pendant les sessions analytiques.
La psychanalyse du Lien prend en compte la potentialité de l’effet de la “présence”, de ce qui est vécu “entre les sujets”. Elle considère la logique du “penser entre deux” qui naît de la rencontre de deux (ou plusieurs) membres d’une famille ou d’un groupe; qui produit un échange entre eux, dont la qualité essentielle est l’altérité de chacun, qui s’impose à l’autre. Cette expérience est toujours inédite et le lien est construit à partir de la rencontre des sujets. Janine Puget ajoute un regard distinct par rapport à la psychanalyse classique. Elle propose l’observation de l’espace de la culture, dont les effets mentaux – tout en étant déstabilisants et déconcertants – sont également très créatifs. La logique de la psychanalyse classique met en avant le matériel symbolique et représentatif qui provient du monde interne et pulsionnel du patient; c’est ce que l’auteur dénomme la “Logique du Un”. Déjà la “Logique du Deux” établit la relation de la rencontre présentielle entre les sujets et le matériel qui émerge de cette expérience. Janine Puget amène le conflit individuel de Freud vers le lien qui se forme au moment de la rencontre des personnes. Il en ressort une différence entre le rapport de l’objet (matériel inconscient) et l’espace du lien («le présent pur, le langage entre, celui qui doit être entre les autres, habitant à la fois divers espaces, construisant un espace nouveau dans la relation»).
Ce qui est surprenant dans la pensée de Janine Puget, c’est l’inclusion et la superposition de deux logiques qui cohabitent: celle du monde interne, structurel et celle du monde du lien, de ce qui est en train de se produire. Les deux logiques sont en conflit, elles sont discontinues et se superposent. Celles qui sont discontinues regroupent la cohabitation entre logiques hétérologues et disciplines distinctes. Il s’agit d’une construction permanente. La “Logique du Deux” est discontinue car elle se caractérise par la diversité des sujets et des relations.
Janine Puget explique que nous avons tendance à chercher des cohérences, à construire un monde stable et homogène. On sait qu’avec l’apparition de ce qui est nouveau ou de l’imprévisible, l’apparition de déséquilibres et de conflits est inévitable.
Elle propose de penser que chaque espace n’est pas défini du point de vue métapsychologique par lui seul, mais par une superposition d’entre-eux, comme dans un modèle de spirale dialectique.
Dans ce contexte, l’auteur définit divers espaces discontinus qu’elle dénomme: présentation, représentation et non-présence.
- “Présentation” (Presentacón): la rencontre et les effets de la présence, de l’imposition de l’autre, du parler, de l’écouter et d’être écouté; il n’y a pas d’antécédents, c’est ce qui se produit là, à ce moment là.
- “Représentation” (Representación): quelque chose qui s’est déjà produit. “Représentation” et “Présentation” sont des logiques qui se superposent.
- “Non-présence” (Impresencia): le non représentable, ce qui ne peut pas être inscrit, ce qui se connecte avec le champ du silence, au-delà du pensable.
Janine Puget s’appuie sur des fondements de la physique quantique, sur des pensées philosophiques et sur la théorie des systèmes complexes pour expliquer un nouvel ordre d’équilibre: la non-linéarité, les fluctuations et l’auto-organisation, aspects fondamentaux pour penser aux oscillations des systèmes de liens.
Selon l’auteur, Freud ne s’est pas occupé de l’imprévisible, mais du hasard. Il a établi des corrélations entre les évènements du présent et ceux du passé. Il a délimité les étapes évolutives, créant un instrument qui possède une certaine prévisibilité. Le hasard serait, pour Freud, une manière d’exprimer quelque chose qui est extérieur. L’auteur ajoute que quand nous nous éloignons du présent et que nous avons recours au passé, nous sentons momentanément une protection, car le passé est connu et des vérités ont déjà été construites. Par cela elle entend que les organisations mentales défensives sont liées au passé. Elle propose que l’imprévisibilité soit perçue comme un moteur pour la créativité.
Dans le chapitre qui aborde les répercussions des médias, des effets d’internet sur les relations, elle pense que nous avons tendance à saturer notre pensée d’excès d’explications. La répétition des notices explicatives, d’idées pensées par d’autres et transmises massivement par les moyens de communication, peuvent amener à la banalisation et vers une tendance à la robotisation.
Dans l’un des chapitres de son livre, elle soulève la question intéressante, qui est celle de la place à donner – ainsi que l’orientation et la direction à prendre au cours des sessions analytiques – aux événements sociaux qui proviennent de faits politiques (dictatures, guerres) – aux phénomènes sociaux (immigration, émigration) – ou naturels (catastrophes)? Elle souligne qu’il est important de ne pas confondre ces récits amenés par les patients avec des possibles signifiés, liés uniquement à leur monde infantile. Elle souligne le fait que chaque espace de constitution subjective doit être respecté dans ce qui lui est propre. Que tout ne se réfère pas seulement au monde intérieur. Des expériences extérieures peuvent également produire des effets émotionnels traumatiques, pouvant même avoir des répercussions internes.
Ce livre est un ouvrage intéressant et stimulant. J’en recommande la lecture, car il apporte des ouvertures par rapport aux questionnements, une rupture de paradigmes et de riches réflexions théoriques et cliniques sur de nouvelles façons de comprendre le sujet et ses rapports au monde. Elle considère que les discussions sur la subjectivité sociale, la violence sociale et politique, sont des instruments propres à la psychanalyse du lien.
Janine Puget est membre de l’Association de Psychanalyse de Buenos Aires (APdeBA), de l’Association psychanalytique Internationale, membre fondateur de l’Association Argentine de Psychologie et Psychothérapie de groupe (AAPPG) et également du Département de Couple et Famille à l’APdeBA et de l’AAPPG. Pour son œuvre, elle a reçu le prix Sigourney, en 2011.
[*] Biologiste et psychologue, spécialisation en Psychanalyse de groupe, couple et famille, Maîtrise et Doctorat en Génétique Humaine (Université de São Paulo- Brésil), membre de l’AIPCF, Président de l’Association Brésilienne de Psychanalyse de Couple et de Famille (ABPCF). ruthlevisky@terra.com.br