REVIEW N° 23 | YEAR 2020 / 2
Summary
Melancholy and perverse defences in the institutional clinic: an elaboration through role-playing in large groups
This paper presents a technique for psychic exploration in large groups, which can be useful during a colloquium and a congress. It is based on an improvised encounter staged in front of the audience, which is then invited to express itself and from which a collective analysis can be carried out linked with the theme of the colloquium.
The course of this role-play, as it took place on the 1st European Day of the AIPCF in Paris, is presented in order to highlight the free associative resources in a large group and the interest in such a group technique, both in the development of the therapeutic scene and for the public as a whole.
Keywords: therapeutic technique, phantasmatic resonance, role play, transference in a large group situation.
Résumé
Mélancolie et défenses perverses dans la clinique institutionnelle: une élaboration par un jeu de rôle en groupe large
Cette communication présente un dispositif d’élaboration psychique en grand groupe, pouvant être utile au cours d’un colloque ou d’un congrès. Il s’appuie sur une scène improvisée face au public qui est, dans un second temps, invité à s’exprimer et à partir de là, une analyse collective peut être menée en lien avec le thème du colloque.
Le déroulement de ce jeu de rôle, tel qu’il a eu lieu lors de la 1ère journée européenne de l’AIPCF à Paris, est exposé afin de dégager les ressorts de la résonance fantasmatique en grand groupe et l’intérêt d’un tel dispositif de groupe à la fois dans l’élaboration de la scène clinique et pour l’ensemble du public.
Mots-clés: dispositif clinique, résonnance fantasmatique, jeu de rôles, transfert en situation de grand groupe.
Resumen
Melancolía y defensas perversas en la clínica institucional: elaboración de juego de roles en gran grupo
Esta comunicación presenta un dispositivo de elaboración psíquica en gran grupo, que podría ser útil durante un simposio y un congreso. Se basa en una escena improvisada ante el público que es invitado secundariamente a expresarse y desde la cual se realiza un análisis colectivo en relación con el tema del coloquio.
Se expone el curso de este juego de roles, tal y como tuvo lugar durante la Primera Jornada de Lengua Francesa la AIPPF en París, con el fin de poner de relieve los efectos de la resonancia fantasmática en un gran grupo. El interés de este dispositivo de grupo, concierne al doble beneficio del trabajo clínico de la escena presentada, como para el público en su conjunto.
Palabras clave: dispositivo clínico, resonancia fantasmática, juego de roles, transferencia en una situación de grupo.
ARTÍCULO
Nous avons introduit dans le programme de la Journée Européenne Francophone, un dispositif de travail bien connu des membres d’Apsylien (Association de psychanalyse des liens, Lyon) (Jaitin, 2012; 2016; 2018).
Ce dispositif s’appuie, au cours d’un colloque ou d’un congrès, sur la participation active de l’ensemble d’une salle autour d’un cas clinique et à partir d’une élaboration autour d’un jeu de rôles. Pour cette journée, il sera en lien avec le thème de la mélancolie, de la perversion narcissique et de l’institutionnel, dans le couple et la famille. Mais la technique est utilisée depuis l’année 2004 comme une médiation pour travailler la clinique en grand groupe, dans les journées scientifiques d’Apsylien.
La méthode est inspirée du travail de recherche de Fernando Ulloa, sur le travail en grand groupe en Argentine et de sa mise en œuvre à l’Université de Buenos Aires avec Rosa Jaitin. La consigne pour introduire ce dispositif de travail collectif lors de cette journée est énoncée par Christophe Bittolo[1]. C’est cette consigne qui donne sens au dispositif et qui permet au public de la salle de s’approprier la méthode sans qu’elle soit appliquée à leurs dépens. Le public est donc partie prenante à l’élaboration.
La consigne est énoncée de la façon suivante:
«Nous allons poursuivre notre journée par un dispositif de travail bien connu à Apsylien mais peut-être pas de tous ici. Comme ce dispositif s’appuie sur la participation de l’ensemble de la salle, je me propose de vous le présenter. Nous allons travailler à partir d’un jeu de rôle en lien avec le thème de cette journée. Le but de ce dispositif est de mobiliser et de capter des “pensées en suspension”. Il a un rôle de catalyseur et cherche à précipiter ce qui est dans l’air en lui donnant une forme plus appropriable pour nous tous. Il s’appuie sur des effets d’écho, de résonance et/ou d’emboîtement entre une scène qui va être jouée devant vous et l’ensemble de la salle dans son rapport au thème de la journée.
L’objectif est de faire émerger des questions restées informes ou inconscientes, de leur donner du sens, d’ouvrir des pistes de réflexion…
Le dispositif se déroule de la façon suivante:
Un jeu de rôle va être joué devant vous à partir d’une scène qui n’a jamais été jouée. Les membres d’Apsylien se sont juste mis d’accord sur le scénario et la distribution des rôles de chacun.
La scène comporte donc une grande part d’improvisation, part sensible aux effets de la salle et de la thématique.
Je vous livre le scénario:
“Une psychologue assure une analyse des pratiques dans un EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) depuis maintenant deux ans. Cette analyse des pratiques réunit chaque mois une équipe composée d’une infirmière cadre, de quatre aides-soignantes, de deux membres du personnel hôtelier et d’un rééducateur.
La veille de la séance, cette psychologue reçoit un mail de la direction lui annonçant que l’analyse des pratiques doit être interrompue et que la séance du lendemain sera la dernière, bien que la convention prévît encore plusieurs séances à venir. Aucune explication n’est mentionnée dans ce mail”.
Une fois que la scène aura été jouée, chacun des acteurs exprimera ce qu’il a ressenti dans son rôle et ce que le personnage lui a fait vivre intérieurement.
Nous vous donnerons ensuite la parole afin que vous puissiez, chacun, exprimer, si vous le souhaitez, une impression, une sensation ou ce que vous avez pu ressentir face à la scène jouée.
Nous vous demandons de le faire en une seule phrase, pas plus, sans chercher à analyser ou à interpréter quoi que ce soit: juste témoigner de ce que la scène a suscité en vous.
Nous ferons circuler le micro dans les rangs. Chacun est libre de s’exprimer ou de passer le micro à son voisin.
Ces résonances groupales vont produire des effets d’émergence, d’amplification et d’élaboration groupale qui vont nous permettre de donner du sens à la clinique présentée tout au long de cette journée.
Pour terminer, ce travail de résonance fera l’objet d’une discussion entre Rosa Jaitin, Bernard Chouvier et moi-même qui nous permettra de réfléchir avec vous et d’élaborer de nouvelles pistes de réflexion».
La scène qui est improvisée à partir du scénario proposé va durer dix minutes. Cinq membres d’Apsylien y participent et en sont les “acteurs”. Dans le jeu, la psychologue annonce l’arrêt du dispositif par la direction et son incompréhension. Le groupe se montre assez sidéré par cette décision. Différentes hypothèses sont alors discutées dans ce moment d’improvisation, chacun cherche manifestement à comprendre, mais la psychologue qui anime le groupe s’interroge et questionne le groupe sur ce qu’elle n’aurait pas fait correctement, en quoi le dispositif n’était pas pertinent, ce que les participants rejettent, mettant plutôt sur l’incompréhension le sens donné à cette décision.
À la fin de la scène, nous proposons de faire circuler le micro dans la salle qui regroupe une centaine de personnes. Il leur est alors demandé de partager les sensations, les impressions ou les émotions qui les ont traversées durant le temps de jeu.
Le micro passe de main en main et la salle s’entend dire ainsi:
«Tristesse, désespoir, persécution
Comment faire avec l’imprévisible – occupants d’EHPAD
Sentiment d’abandon
Arrangement entre collègues pour le manque de temps
Situation impossible
Impuissance-solitude – sentiment d’impuissance totale – comme des enfants abandonnées
Froid dans le dos – emprise et passage à l’acte… ça tourne en rond – lenteuragitations. Attaque de la pensée…
Analyse de la pratique pourquoi faire?…
Étouffement et essoufflement… Psychologue qui fasse du bilan.
La perte inattendue
Frappé par la distance entre qui décide et qui reçoit
La violence… Sidération du moment… Malaise et le mal-être entre la cadre qui attaque et j’ai pensé aux résidents derrière?…
Face à l’effondrement, des arrêts maladie
Grosse chaleur… de la colère… prise dans le jeu? Angoisse de mort, on va disparaître…
Je ne comprenais pas du tout la situation Comment contenir ?
Sollicitudes pour s’entendre…
Sentiment de non-dit en écho avec les absents et un sentiment d’impuissance par rapport aux aides-soignants
Remise en cause de l’espace de parole… par rapport au cadre économique.
Réalisme, (rires nerveux)… paradoxe…
Fonction d’espace vide… Maintenir l’espace vide?
Violence actuelle et impossibilité professionnels-hiérarchie et les fonctionnaires.
Petits électrons libres
Groupe qui ne pouvait pas se rencontrer. Blessure narcissique entre la psychologue et le cadre infirmier
Remise en question de la psychologue, réalité du service,
Violence des actes que j’ai sentie avec des angoisses paranoïaques… elle-même a eu du mal à designer??? Je l’ai trouvée très en difficulté.
Scène de maltraitance, la violence économique qui empêche la pensée. Attaque institutionnelle, absence de répondant, la psychologue se sent très coupable.
Cauchemar: chacun était enfermé en soi-même. Recherche d’un bouc émissaire, tristesse profonde.
Anonymat de l’institution, chacun est livré à soi-même avec une suspicion, déprimé, mélancolie, disqualification de chacun. La direction se disqualifie ellemême. Masse pulsionnelle sans direction….
Première réaction, violence institutionnelle
Deuxième temps, beau scénario par rapport au deuil et la mélancolie, l’annonce traumatique. On est du côté du deuil pas possible
La culpabilité… peut-être que moi…. est-ce qu’on va survivre?
Réalisme, sidération, ne pas savoir à qui s’adresser
Trois choses m’ont frappé: auto-disqualification, fixation de la psychologue Attaque hors cadre… interruption d’un contrat, direction protégée… Suspicion… Auto-disqualification et persécution.
Décision du cadre… les cadres sont dans des positions impossibles …
Deux remarques : direction. Passage à l’acte avec un fonctionnement pervers. On était suffisamment bon… Non-dit du passage à l’acte, fonctionnement horizontal et la solitude… pas pensable au point de vue institutionnel, maladie institutionnelle, projecteur sur le personnel… suicides… Être pas au courant, suicide de la surveillante. Collé à la psychologue
Sentiment d’abandon, empathie pour le personnage-cadre
La colère n’était pas dirigée contre le directeur, mais contre moi qui ne pouvais pas protéger, l’équipe. Sentiment de trahison
À partir de cet “écho” démultiplié de la salle, la parole est donnée aux acteurs et nous réfléchissons tous ensemble à ce que nous dit la scène improvisée et les impressions qu’elle a laissées sur la salle.
Une lecture minutieuse des associations que nous venons d’énoncer, provenant du grand groupe en écho à la scène présentée, nous a permis de repérer différentes formes de transfert à l’œuvre. Nous pouvons les énoncer comme suit:
- Sur le cadre: le transfert se manifeste comme une crainte de l’explosion et de la violence dans les actes ou dans le débordement émotionnel. La dominance de l’angoisse d’abandon et de persécution crée des problèmes dans la régulation du temps (que ce soit de ralentissement ou d’accélération dans le public). Nous observons alors un sentiment d’impuissance pour l’attaque imprévisible du cadre institutionnel qui impose une rupture massive et provoque un effet mélancolisant sur les cadres et la psychologue.
- Sur le processus: le thérapeute peut rester figé dans un processus régressif, où émergent différentes formes d’aliénation: rester bloqué, immobilisé, ne pouvant ni contenir les conflits, ni utiliser la créativité pour ouvrir vers le futur.
- Sur la tâche: le thérapeute peut être habité par un sentiment, de culpabilité, de ne pas être à la hauteur, de ne pas posséder les compétences nécessaires pour réaliser le travail, de ne pas pouvoir intervenir au bon moment; de se sentir responsable de la frustration du groupe, de commettre une faute professionnelle, de ne pas pouvoir supporter la violence institutionnelle, de transgresser la fonction primaire de l’institution; ou il peut craindre qu’il se produise un débordement institutionnel impossible à contenir.
La question de la temporalité apparaît: le sentiment de ne pas avoir suffisamment de temps pour pouvoir se séparer du groupe, enfermant le présent dans le passé, coupant du futur. Comme si le sujet perdait tous ses savoirs et ses expériences antérieures et, en même temps annulait la perspective du futur, c’est-à-dire que le présent ne se constitue pas en tant qu’étape en devenir. - Sur un plan central: la crainte de l’aveuglement ou de la difficulté d’écouter, la crainte de sa propre violence face à l’autoritarisme anonyme de l’institution, la peur de l’intrusion institutionnelle ou de n’être pas suffisamment bon, la crainte d’être dévasté par un transfert institutionnel négatif dans une position de miroir. L’angoisse prédominante dans le transfert central est le sentiment d’être tué par l’institution et abandonné par le groupe qui est sidéré, effondré et délié.
- Sur un plan latéral surgit un sentiment d’ambivalence. Quand le deuil est impossible, le groupe risque de se mélancoliser par un sentiment de culpabilité, qui l’attache au psychologue, de manière indifférenciée. Ainsi la crainte serait qu’un membre de l’équipe parte en “arrêt maladie” ou bien qu’il soit pris dans un fantasme suicidaire.
- Au niveau objectal: Le groupe est représenté comme un espace dangereux et sans protection face à l’impensable de violence institutionnelle qui met en scène sa propre violence.
- Au niveau institutionnel: la crainte majeure est dominée par le fantasme de mort, tuer le psychologue ou tuer les responsables institutionnels dans un acte parricide. Le fantasme d’auto-engendrement est récurrent, penser fonder une nouvelle institution régie par la loi de la prohibition de meurtre.
L’ensemble de ces mouvements actualise une scène emboîtée: un groupe initial, dans le cadre d’un dispositif clinique, est représenté sur une autre scène, celle d’un jeu qui va entretenir avec le public un dialogue “en écho”. La scène jouée est ainsi au carrefour de la clinique initiale et du public dans son rapport subjectif au thème de la journée. Le dispositif s’appuie sur les phénomènes d’emboîtement (Bittolo, 2018; Vidal, 2007) bien connus dans les groupes en institution.
Nous aimerions souligner, pour cette communication, le double niveau du travail de la scène mise en jeu et du public, ainsi que l’intérêt élaboratif de ce type de dispositif dans le cadre d’un congrès ou d’un colloque.
Pour les collègues qui jouent la scène
Le dispositif mis en place assure des fonctions d’élaboration à plusieurs niveaux:
- Il permet de créer un espace d’exploration des craintes pour traiter des points aveugles du champ transféro-contre et inter-transférentiel.
- Il est un exercice pour rentrer et sortir des situations régressives, qui sont produites par des conflits qui touchent des aspects subjectifs à mettre en travail et qui sont relatives à des situations complexes et traumatiques de la violence institutionnelle. C’est-à-dire que la technique de jeu de rôle et sa résonance dans le grand public mettent en lumière les points aveugles entre le transfert et le contre-transfert, notamment dans le travail en équipe.
- La confrontation avec des scènes conflictuelles de la vie professionnelle réactualise souvent des noyaux non élaborés qui bloquent les capacités techniques, avec le risque de se perdre soi-même sans pouvoir se détacher de la situation institutionnelle.
- La méthode permet enfin de créer des modalités alternatives de réponses, à partir des consonances associatives qui vont émerger après le jeu.
Du côté du public
En second lieu, la méthode d’association libre en grand groupe à partir d’une mise en jeu scénique mobilise un phénomène de résonance intersubjective. Il a pour effet d’amplifier certains éléments de la scène jouée. Il se produit alors un effet de miroir déformé, comme dans les parcs d’attractions dans lequel le schéma corporel du groupe apparaît sous d’autres formes par la représentation des autres. C’est une scène en mutation, en multi-résonance groupale, qui produit une transformation quand la contenance du dispositif permet de rassembler et d’élaborer les échos multiples à la scène initiale.
Il se crée ainsi un imaginaire groupal qui permet la transformation de différents tissus des liens, la libre association instaure un espace d’expression et d’écoute de chaque participant du groupe. Pour permettre de créer une position d’abstinence du public, la consigne sera de ni conseiller ni suggérer des actions. Les règles qui soutiennent ce dispositif favorisent ainsi une confiance de base nécessaire pour installer un double processus de régression et de progression; autrement dit, elles créent des conditions pour l’analyse des défenses et des angoisses que la clinique mobilise.
Intérêt de ce dispositif dans le cadre d’un colloque
Il s’agit d’une méthode qui soulève les problématiques que l’on rencontre dans les grands groupes institutionnalisés et qui favorise la décondensation des alliances inconscientes. Ainsi, le travail scénique en alternance et dans le dialogue avec le grand groupe permet une diffraction des mouvements transférentiels pour que les charges libidinales et agressives puissent être plus facilement tolérées. Une décondensation de ces mouvements a lieu dans ses différentes composantes: centrale, latérale, groupale et institutionnelle.
Le travail scénique réintroduit un langage plus ludique en facilitant l’assouplissement défensif. Les associations verbales complètent le sens du langage dramatique. De ce fait, la violence dans les liens arrive par petites doses lors du premier niveau de travail de la scène redoutée. À la fin, apparaissent les problématiques institutionnelles par des déplacements qui permettent un accès plus aisé à l’élaboration.
La crainte majeure dans ce type de dispositif serait que le transfert latéral négatif soit dirigé vers un autre professionnel (pair rejeté) ou dans le transfert groupal. Le groupe serait disqualifié en tant que tel. L’émergent habituel de transfert groupal négatif se traduit par “l’arrêt maladie”, le désir de partir ou l’arrêt du contrat de travail, ce qui se retrouve dans les scènes représentées.
Le deuxième niveau de travail, du côté de la résonance dans le grand groupe, a permis de réactualiser une scène primaire à risque (sadisme, risque de mise à mort; passant de la tristesse à la mélancolie).
Le grand groupe est un dé-condensateur des groupes internes de chaque participant et il permet de faire face au fantasme de démembrement du corps groupal, qui est posé dans la situation présentée. La mise en arrêt du travail de la psychologue avec l’équipe a provoqué un éclatement du groupe qu’il s’agit de penser.
Un autre niveau, non négligeable, est la restitution des analystes de groupe qui permettent de fonctionner comme un autre tiers et rassemblent les échanges groupaux pour s’auto-penser en tant que groupe, en créant un espace intermédiaire, pour déposer et contenir les pulsions de destruction. Ce fond syncrétique doit rester silencieux pour que la journée de travail théorico-clinique autour de la clinique perversion versus mélancolie puisse continuer en laissant la place aux autres apports théoriques.
Dans l’exemple de notre journée et du jeu qui s’est élaboré, si les effets de la perte brutale d’un espace d’élaboration en équipe ont pu se nommer très clairement (sidération, tristesse, attaque de la pensée…), on pourra remarquer que les effets de la perversion n’apparaissent dans les réactions de la salle que très tardivement. La perversion dans la scène se situe, selon nous, dans le retournement de la responsabilité de la perte. Une direction rompt brutalement un contrat et la psychologue s’en rend responsable, entraînant l’équipe dans une confirmation de sa responsabilité.
La culpabilité est, en EHPAD, un sentiment récurrent, lancinant, véritable épine dans le pied du travail de ces équipes confrontées à la perte, au vieillissement et au deuil. Lorsque les conditions institutionnelles ne permettent plus une élaboration suffisante de cette culpabilité, celle-ci se déplace au gré des configurations d’équipe sur une personne, une autorité, un sous-groupe. Le traitement pervers consiste à se débarrasser de la culpabilité par une identification projective massive et de retourner la vérité d’une émotion difficile à contenir en une mascarade “falsifiante”. De nombreux professionnels en font les frais et le temps d’élaboration avec la salle de ce moment clinique, choisi pour son actualité, a permis de mettre en évidence plus clairement, pour tous, comment la perversion peut agir d’un groupe à un autre pour faire l’économie d’une dépressivité (au sens de la position dépressive) qui a besoin de temps et d’espace pour s’éprouver, se vivre et se représenter.
Ce dispositif de mise en résonance d’une problématique en grand groupe se révèle donc couramment très fructueux. Il permet de faire vivre à la salle une expérience dans laquelle une participation active d’observation et de réceptivité engage un dialogue élaboratif entre les conférenciers et le public. Chacun apprend de l’autre et cet apprentissage par l’expérience d’un moment de jeu et par son analyse partagée, au plus près de la clinique, permet de “toucher” aux problématiques complexes soulevées par le thème choisi. L’analyse en grand groupe limite, par ailleurs, le recours défensif à la théorie et à un savoir désincarné du lien et du groupe.
Bibliographie
Bittolo, C. (2018). Phénomènes d’emboîtements dans les groupes: aspects cliniques et méthodologiques. Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe, 71, 2: 167‑176. DOI: 10.3917/rppg.071.0167.
Jaitin, R. (2012). Parcours de l’affectivité dans les groupes. 8ème Journée Scientifique – 2ème Journée Internationale, Groupes à médiation et affectivité, Lyon.
Jaitin, R. (2016). Les craintes du thérapeute en psychanalyse des liens. 12ème Journée Scientifique – 6ème Journée Internationale, Dispositifs innovants et transformations des liens, Lyon.
Jaitin, R. (2018). Les craintes engendrées par la formation en ligne en psychanalyse des liens. Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe, 70, 1: 137-149. DOI: 10.3917/rppg.070.0137.
Vidal, J.-P. (2007). Les “redoublements emboîtés”. Le groupe de supervision comme chambre d’échos. Le Divan Familial, 19, 2: 141‑152. DOI: 10.3917/difa.019.0141.
[1] Travaillée par Caroline Tedeschi et Christophe Bittolo.