REVIEW N° 18 | YEAR 2018 / 1

Les pathologies du deuil

Languaje: French
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DICTIONARY

Les pathologies du deuil

Massimiliano Sommantico[*]

Un des champs les plus féconds de recherche en psychanalyse de couple et de famille est celui des deuils pathologiques, pour la compréhension desquels il est nécessaire de faire référence à la conception psychanalytique du travail du deuil, comme introduite par Sigmund Freud en 1915. Le travail psychique requis pour élaborer la perte d’un objet d’amour est nécessaire afin que le sujet puisse parvenir à la conscience de la perte du même. Dans le deuil qui s’ensuit, l’examen de réalité atteste la cessation d’existence de l’objet. Ce n’est pas le moi qui en est appauvri, comme dans la mélancolie, mais le monde.

Dans l’étude des deuils pathologiques, il est fondamental se référer à la théorisation de Paul-Claude Racamier (1992; 1993) à propos des difficultés à faire le deuil, des deuils expulsés, exportés hors psyché ou bien transportés à travers les générations. L’auteur souligne la nécessité de passer d’une topique intrapsychique à une topique interactive; une topique intersubjective qui peut aider à rendre compte des phénomènes de transport du travail psychiques (dans ce cas du travail du deuil) qui sont accomplis entre les sujets d’un lien en vertu d’interactions transpersonnelles inconscientes obligées. Racamier utilise le terme dédeuillé pour définir un processus psychique, un sujet dans lequel le travail du deuil a été empêché, voire extirpé; un sujet qui a failli de la tâche de “placer le défunt au sein des ancêtres” et par lequel le défunt reste un mort-vivant qui continue à exister en étroite continuité avec les vivants; témoignage actif d’un deuil failli. Pour accomplir le travail du deuil, il est donc nécessaire un meurtre du mort, afin que la vie ait lieu. La réflexion de l’auteur est fort pertinente à une théorisation psychanalytique groupale-familiale par sa référence au fait que là où un deuil n’est pas accompli chez un sujet, il sera transporté dans un autre sujet. Avec ses mots: «l’exclusion exercée par l’expulseur hors de sa psyché devient une inclusion forcée dans la psyché du portebagages» (1992, p. 82, édition italienne); c’est-à-dire le sujet sur lequel va retomber la tâche de porter la charge psychique dont l’expulseur s’est débrasée. Et cela c’est vrai surtout pour ceux que l’auteur définit comme deuils narcissiques, dont la caractéristique fondamentale est celle de ne parvenir jamais à se fermer, étant pour la plupart souterrains. L’auteur décrit aussi les deuils figés, gelés, suspendus, de quelques façons inclus. Ici, bien que l’événement de la perte se produise, le processus du deuil ne déclenche pas, c’est juste commencé, ou bien il s’arrête. Ce processus de deuil “mis en veilleuse” peut reprendre, peut se “rallumer”, après plusieurs années. Mais, après la suspension, on assiste à un rétrécissement de la vie psychique, du moi. Finalement, Racamier nous présente les deuils exclus, expulsés, envoyés hors psyché caractérisés par l’action du déni et du refus du deuil, avec une conséquente coïncidence entre deuil et dépression. Dans le domaine du registre narcissique se manifeste une défense anti-deuil qui utilisera à son service déni et clivage qui correspondent à la mise en acte (au trans-agir de la topique interactive) et à l’expulsion. Le deuil, intéressé par les processus de refus, déni et clivage, sera immobilisé dans la psyché et, successivement à une dé-fantasmatisation, évacué, transporté hors psyché par un comportement interagi et manipulatoire.

Sous un autre angle visuel, on peut dire que dans les deuils pathologiques on est en présence d’un sujet habité par un fantasme d’incorporation inconscient de l’objet d’amour perdu, dont il n’a pas pu faire le deuil (Nachin, 1998). Ce deuil indicible, inavouable, car lié à un secret, produit à l’intérieur du sujet une “tombe secrète”, une crypte, qui donne lieu à une incorporation telle que le processus en jeu c’est l’inclusion. Abraham et Torok (1978) précisent que l’incorporation décrit le fantasme supporté par ce processus. Mais le processus qui conduit à la formation d’une crypte commence dans le partage d’un secret. La honte pour le secret produit une “fractionnement de la topique”, ainsi que la perte de l’objet produit la fixation d’un deuil inavouable qui, à son tour, donne lieu à une incorporation de l’objet perdu qui a la fonction de l’idéal du moi. On est donc en présence d’une identification endocryptique; un processus par lequel, à la suite de la perte de l’objet, le sujet échange son identité avec celle de l’objet.

Une dernière théorisation liée aux problématiques de l’élaboration du deuil dans la vie familiale est celle proposée par Jean Guyotat (1980) par rapport aux processus de la filiation. L’auteur a décrit, en particulier, les difficultés liées à la coïncidence mortnaissance qui souvent assume un caractère pathogène. La coïncidence peut être réelle, aussi bien qu’imaginaire (comme dans les psychoses), et corresponde à l’effet de la pensée magique, à un fantasme selon lequel à la naissance d’un sujet correspondra nécessairement la mort d’un autre. Dans tous les cas, cependant, on est en présence d’une pathologie du deuil.


Bibliographie

Abraham, N., Torok, M. (1978). L’écorce et le noyau. Paris: Flammarion.

Freud, S. (1915). Deuil et mélancolie. In Ouvres Complètes, vol. XIII, pp. 261-280. Paris: PUF. Guyotat, J. (1980). Mort, naissance et filiation. Paris: Masson.

Nachin, C. (1998). Onze thèses sur les problématiques transgénérationnelles. Psychiatrie Française, 29: 67-78.

Racamier, P-C. (1993). Cortège Conceptuel. Paris: Apsygée.

Racamier, P-C. (1992). Le génie des origines. Psychanalyse et psychose. Paris: Payot (trad. it. Il genio delle origini. Psicoanalisi e psicosi, Milano: Cortina, 1993).


[*] Psychologue, psychothérapeute psychanalytique de couple et de famille, chercheur à l’Université de Naples “Federico II”, membre du CA et du CS de l’Association Internationale de Psychanalyse de Couple et de Famille, candidat de la Société Psychanalytique Italienne. sommanti@unina.it

International Review for  Couple and Family Psychoanalysis

IACFP

ISSN 2105-1038