REVIEW N° 27 | YEAR 2022 / 2
BOOK REVIEW
Rosa Jaitin (sous la direction de), Les apports de René Kaës à la psychanalyse de couple et de famille Lyon, Chronique sociale, 2022
Note de lecture d’Édith Lecourt[1]
Cet ouvrage réunit en 192 pages et 12 chapitres, les contributions de 13 auteurs, psychanalystes, cliniciens du couple et de la famille.
Si trois chapitres sont essentiellement théoriques, tous les autres articulent théorie et pratique, montrant, concrètement, par des illustrations cliniques, comment les propositions puisées dans l’œuvre considérable de René Kaës viennent éclairer certaines situations cliniques, permettre une mise en mots, ouvrir à un travail d’élaboration, soutenir une écoute enrichie du matériel clinique. C’est dire que cet ouvrage apporte au lecteur à la fois une connaissance des notions et concepts, et une ouverture sur leurs applications dans la pratique psychanalytique dans des dispositifs de thérapie de couple et de famille.
En effet, dans le premier chapitre, Jean-Louis Dorey reprend très succinctement les définitions de plusieurs concepts de René Kaës, notamment autour de la notion centrale d’Appareil psychique groupal, et leurs applications au groupe particulier qu’est la famille. L’œuvre qu’A. Ruffiot a consacré, justement à l’«Appareil psychique familial», bien que considérée comme «fondamentale», n’y est malheureusement mentionnée, à la fin, qu’en deux phrases. Le chapitre 4 (Maria Inês Assumpção Fernandes) fait entendre les résonances brésiliennes aux travaux de R.Kaës, mis en relation avec ceux d’E. Pichon Rivière et de P. Aulagnier. Les fonctions phoriques, celles de porte-parole, porte-symptôme, etc., sont notamment mises en avant dans leur rôle d’intermédiaires entre la psyché du sujet singulier et celle des ensembles «dont il est partie constituante et partie constituée», la famille étant l’un d’entre eux.
Le psychanalyste trouvera, dans cet ouvrage, matière à débats autour des notions de «famille», de «couple» et de «groupe», de thérapie familiale et d’analyse de groupe. On trouve ces questions particulièrement dans deux chapitres. Françoise Payen
(chapitre 8) aborde l’approche groupale du couple. Pour cette auteure, en effet, le couple n’est pas un groupe, mais plutôt «un ensemble plurisubjectif» qui forme « une entité psychique propre ». L’illustration clinique présente un «néogroupe» constitué des conjoints et du thérapeute, dans une écoute en deux temps qui offre d’abord une compréhension intersubjective (notamment mère/enfant-mari), puis une compréhension groupale où l’on entend le fantasme d’une mère «cassée», «réparée» par un enfant. Le chapitre 9 (Evelyn Granjon), théorique, présente un développement précis, très éclairant sur cette question du «groupe» lorsque ce terme est utilisé pour des situations de famille ou de couple. Le concept de «néogroupe» qu’elle a proposé dès 1987 trouve ici toute sa pertinence. Créé par le setting thérapeutique, il offre un métacadre pour la famille, et un espace nouveau pour l’exploration de l’inconscient. En effet, les thérapeutes n’ont pas accès à «la famille X», mais bien à un néogroupe qui les inclut ainsi que l’ensemble du cadre thérapeutique, avec la famille. Cette façon d’envisager cette clinique justifie totalement le recours à la théorisation de René Kaës sur les processus groupaux, son application aux thérapies familiales comme aussi aux thérapies de couple (car, de la même façon, c’est un «néogroupe» et plus seulement «un couple» en thérapie).
Ces propos font résonance avec le chapitre 10 centré, lui, sur l’usage de la médiation en thérapie familiale. Pierre Benghozi y développe le dispositif original qu’il a mis en place dans les thérapies familiales, à partir de l’utilisation du «spatiogramme», associé au génogramme. Dans ce dispositif, la médiation est centrale, elle crée l’espace thérapeutique, dévoile l’espace psychique familial qui s’y projette. On peut donc observer dans cette clinique que le néogroupe apparaît moins, même si l’auteur en rend compte dans l’analyse transféro-contre-transférentielle. C’est peut-être là une des caractéristiques des groupes à médiation, en particulier lorsqu’il s’agit de couple ou de famille; en tout cas, cela mérite réflexion. Bien sûr, ce dispositif est très riche dans ses apports à l’analyse transgénérationnelle.
Les chapitres 7 et 11 développent plus particulièrement l’incidence des alliances inconscientes de chaque partenaire dans la constitution du couple et de la famille. Ainsi Rosa Jaitin montre comment «les liens de filiations constituent une trame tissée sur les alliances entre les générations». Lorsque «chaque partenaire reste collé à sa famille d’origine», la constitution du lien du couple est en difficulté. L’illustration clinique montre que, dans certains cas, «la transformation s’opère dans l’après-coup de la thérapie de couple». Dans le chapitre 11 (Massimiliano Sommantico), c’est plus précisément le complexe fraternel qui s’invite dans la le fonctionnement psychique du couple et de la famille. La «fraternisation» du lien du couple vient appauvrir les fonctions parentales. Mais, au-delà des alliances, il y a encore la «transmission psychique inconsciente» du non-transformé. Rappelons ici que R. Kaës a opposé les liens directs aux liens de transformation. Dans le chapitre 6, Roberto Losso et Ana Packciarz Losso montrent que la transmission directe (qui évoque aussi la transmission de pensée) «suppose l’abolition des limites entre les sujets», soit un espace intersubjectif très limité. L’illustration clinique montre le passage par une symptomatologie corporelle de l’enfant. Dans ce type de transmission, au chapitre 5 cette fois, Anna Maria Nicolò s’intéresse à «la dimension transpsychique, qui caractérise la réalité psychique qui se transmet à travers les sujets, leurs liens et les groupes dont ils sont membres». Cette auteure reprend les réflexions de R. Kaës sur le rêve pour introduire la pratique du récit de rêve dans le travail associatif du dispositif, «l’onirisme de groupe», et observe que «ce qui est rejeté ou dissocié chez l’un des partenaires peut être présent et élaboré dans le rêve de l’autre partenaire».
P. Benghozi (chapitre 10) parle aussi de la co-rêverie et des néo-rêveries dans le champ transféro-contre-transférentiel. Et Christiane Joubert (chapitre 2) reprenant, notamment les travaux d’A. Ruffiot et R. Kaës, souligne la place du rêve, «matrice primaire du lien», s’intéresse aux rêves croisés patients/thérapeute, dans un dispositif «gigogne» qui associe thérapie familiale, séances individuelles (par exemple, pour un adolescent) et Photolangage. La situation présentée, dans ce cas, est celle d’une adoption, illustration de la place des pactes dénégatifs des parents, des enfants. Elle montre l’importance de l’implication du thérapeute dans ces situations complexes.
La question de la place du corps, dans la construction de l’enfant, se trouve éclairée, dans le chapitre 3, par Irma Morosini, pour laquelle, «la place de l’enfant dans la famille est mentale et groupale avant d’être physique», le premier corps étant celui de la mère. La clinique présentée est celle de l’adoption.
L’ouvrage se termine, sans conclusion, avec un dernier chapitre. Ezequiel Alberto Jaroslavsky y commente l’ouvrage de R. Kaës sur «Le malêtre», à la lumière des premières relations mère-bébé, notamment, et de leurs transformations dans une culture de «l’hyper» et de l’excès. Les défaillances des garants métasociaux peuvent constituer des entraves au processus de subjectivation, des entraves à être. Il est ici question des pathologies liées aux déficits narcissiques et le questionnement de leurs liens avec les nouveaux modèles familiaux, et la désinstitutionnalisation de la famille.
Finalement l’auteur s’attache au déficit affectif du lien primaire mère-bébé. À la lecture, on s’interroge toutefois sur un retour/écho aux années 1970, à la mère alors considérée à l’origine de la schizophrénie… C’est en définitive le modèle Pikler hongrois qui est préconisé pour la garde des jeunes enfants.
Le lecteur retient que c’est le malêtre qui est mis en avant pour les dernières pages de l’ouvrage, pour son actualité.
Il s’agit d’un livre très complet, tant sur le plan théorique que sur le plan clinique, qui illustre bien l’assouplissement créatif des dispositifs psychanalytiques pour répondre aux besoins de la société et, particulièrement, aux problèmes et souffrances rencontrés par les couples et les familles.
[1] Rédactrice en chef de la Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe. Note de lecture précédemment publiée dans la RPPG, n°79, 2022.