REVIEW N° 10 | YEAR 2011 / 2

Epistemological critique or trial against freud?

Epistemological critique or trial against freud?

The author analyzes and comments on the book of Guy Laval Un crépuscule pour Onfray. This book is an answer to the book of Onfray Le crépuscule d’une idole where, on behalf of epistemological criticism, the latter gives way to insults and to attacks against the person of Freud. Laval, in a strong and honest essay, deconstructed the text of Onfray in a critical study which follows it step by step and comments on it.

 

Keywords: epistemology, philosophy, vision of the world, scientificity of psychoanalysis.


Critique épistemologique ou procès contre freud ?

L’auteur analyse et commente le livre de Guy Laval Un crépuscule pour Onfray. Ce livre est une réponse au livre d’Onfray Le crépuscule d’une idole où, sous couvert de critique épistémologique, ce dernier s’abandonne à des insultes et à des attaques contre la personne de Freud. Laval, dans un essai vigoureux et honnête, déconstruit le texte d’Onfray dans une étude critique qui le suit pas à pas et le commente.

Mots clés :  epistémologie, philosophie, vision du monde, scientificité de la psychanalyse


¿Crítica epistemológica o proceso contra Freud?

El autor analiza y comenta el libro de Guy Laval, Un crépuscule pour Onfray. Este libro es una respuesta al libro de Onfray Le crépuscule d’une idole donde, bajo cubierto de crítica epistemológica, este último se entrega a insultos y ataques contra la persona de Freud. Laval, en un ensayo honesto y vigoroso, deconstruye el texto de Onfray en un estudio crítico que lo sigue paso a paso comentándolo.

 

Palabra claves: epistemología, filosofía, cosmovisión, cientificidad del psicoanálisis


ARTICLE

Critique épistemologique ou procès contre freud ?

DAVID BENHAÏM

La pensée philosophique française contemporaine a été, dans son ensemble, ouverte à la psychanalyse dont elle s’est souvent inspirée sans lui épargner les critiques qu’elle jugeait pertinentes de lui faire. Merleau–Ponty, Blanchot, Derrida, Sarah Kofman, Paul Ricœur, pour ne citer que ceux-là, ont accueilli la pensée psychanalytique, tout particulièrement la pensée de Freud, dans leur espace de réflexion philosophique. Leurs critiques ou leurs doutes ont été le résultat d’une démarche qui a soumis cette pensée à un examen sérieux et honnête. Les découvertes de Freud ont, à leur tour, enrichi la pensée philosophique et déplacé, parfois, le centre de gravité de la problématique philosophique. Après Freud, certains problèmes philosophiques ne se posent plus comme ils se posaient auparavant. Le crépuscule d’une idole de Michel Onfray détonne dans ce paysage philosophique, dans la mesure où, sous couvert de critique épistémologique, l’auteur s’abandonne à des insultes et à des attaques contre la personne de Freud.

Guy Laval, psychanalyste d’orientation freudienne et membre de la Société psychanalytique de Paris jusqu’à une date récente, répond à Michel Onfray dans un essai vigoureux intitulé Un crépuscule pour Onfray. L’ouvrage est composé de deux parties précédées d’une introduction.

La première partie porte comme titre Étude critique et suit pas à pas le livre d’Onfray tout en commentant son argumentation critique. La deuxième s’intitule Reprise synthétique : l’auteur reprend ses remarques de façon synthétique.

La critique générale que Laval adresse à Onfray est que son livre est un essai bâclé : «Michel Onfray pense très vite, trop vite, il donne l’impression de ne pas s’être relu. Très souvent, il ne voit qu’un aspect d’une question : il est unilatéral, univoque. Il a une pensée trop linéaire.»

En quoi consiste ce bâclage ? « (…) à ne pas avoir suffisamment assimilé ce qu’il est censé analyser, comme en page 13 : « le système topique des pulsions», et Laval de rectifier : les pulsions font partie du point de vue économique dans la métapsychologie, le point de vue topique étant la position respective  des instances dans le schéma de l’appareil psychique.» Un autre exemple de ce bâclage consiste à fonder  son opinion que la psychanalyse est une philosophie sur l’aveu de Freud à Fliess qu’il a toujours aimé la philosophie et qu’en «passant  de la médecine à la psychanalyse, je suis sur le point d’accomplir mon vœu» ; cela tient lieu de démonstration !

Dès les premières lignes de l’introduction, Laval dégage l’attitude et le propos d’Onfray : il s’est «manifestement mis dans la peau d’un juge d’instruction qui n’instruit qu’à charge, et non, comme l’impliquent les règles et l’éthique de la profession, également à décharge.»

Que veut Onfray ? « […] provoquer le crépuscule qu’il souhaite à cette idole.» Pour cela, il fera usage d’un ton «incisif, polémique» et d’une volonté acharnée de renverser l’idole ou de le brûler comme «ces saints de l’hagiographie religieuse qui traitaient les représentations figurées des dieux des autres religions d’idoles de bois, les renversaient ou les brûlaient, ne respectant pas les populations qui s’étaient donné ces dieux.» La comparaison avec l’histoire religieuse et avec les guerres de religion ne peut pas ne pas nous faire penser à une attitude fanatique où le critique s’affirme  comme seul détenteur de la Vérité. « Onfray le montre tout de suite dans la mesure où il pratique d’emblée la destruction de l’idole sans respecter les règles de la critique rationnelle, sans cesse dans la polémique.» Onfray ne glisse-t-il pas alors du terrain de la critique  épistémologique à celui de l’idéologie ? Peut-on prendre au sérieux son projet ?

Laval définit ensuite sa «position de principe préalable» : considérer Onfray comme «présumé innocent», lire le livre sans a priori et se placer sur le plan épistémologique. Il déplore en passant qu’il n’y ait pas eu de travail de fond sur ce livre de la part des psychanalystes praticiens et c’est ce qu’il a prétendu faire en écrivant son livre. Il se déclare freudien critique et explique sa position en affirmant qu’il «n’entérine pas tout ce que Freud a écrit ou fait.» Il accepte pour l’essentiel la théorie freudienne, mais accepter signifie pour lui un «véritable engagement […] une pratique fortement guidée par les théories de Freud. Cet accord n’est pas passif, en ce sens que je participe à l’élaboration théorique, même dans des territoires inexplorés de Freud en continuant dans ces terres vierges ses découvertes théoriques ; un accord passif, sans participation à l’élaboration théorique, n’a aucun sens en psychanalyse : la théorie n’est pas une grille que l’on applique, et si on la conçoit comme cela, on n’est ni psychanalyste ni même thérapeute.»

Il élucide ensuite ce qu’il entend par critique : «un travail de séparation entre ce qui est théorie et ce qui ne l’est pas». (189) Ainsi distingue-t-il différents plans dans l’œuvre de Freud : la doxa qui s’exprime dans ses lettres et même dans sa théorie, les appréciations affectives, ses décisions en tant que chef d’école. La critique le conduit à différencier ces éléments et ces attitudes de la théorie freudienne. Tout ceci constitue en même temps que la position de l’auteur une leçon de méthodologie à l’adresse d’Onfray dont la grande erreur est de tout confondre et d’être aveugle à la distinction des plans. Quant à la critique de la psychanalyse, Laval affirme avec force le besoin de critiques «sur la pratique des cures et sur les théories qui s’imposent aujourd’hui, de même que sur le  fonctionnement des sociétés psychanalytiques et des «autorités» freudiennes.»

Il va ensuite dégager un ensemble de thèses qu’Onfray formule et sur lesquelles il revient sans cesse, sa technique de démonstration étant la répétition à satiété de ses thèses : «Le type de preuve utilisée par Michel Onfray repose sur deux techniques :

  • la répétition jusqu’à la nausée que telle ou telle théorie n’a aucun soubassement scientifique. Au bout de x répétitions, il pense avoir donné un effet d’évidence, et avec cette autre technique du clin d’œil au lecteur, il croit avoir arraché le morceau.
  • ceci arrosé à jet continu d’attaques ad hominem plus invraisemblables les une que les autres, telles l’inceste sur ses filles : un homme aussi vil ne peut avoir créé une science.»

À propos de la première technique, il me semble que nous sommes face à une technique de persuasion qui tient lieu de démonstration et dont une des manifestations dans le monde contemporain est illustrée par la publicité et par la propagande. De plus, curieusement, cette technique de la répétition est aussi un des piliers de l’enseignement religieux et de toute entreprise d’endoctrinement. Quant aux attaques ad hominem, elles ne peuvent qu’invalider le projet de critique épistémologique onfrayen. L’examen de la validité d’une théorie scientifique ne repose ni sur les défauts ni sur les faiblesses de son créateur : ses hésitations, ses emballements, son ambition, sa tendance à somatiser, son désir de grandeur, ne nous disent absolument rien sur la valeur de ses théories. «La qualité humaine de quelqu’un qui se présente comme scientifique, écrit Laval, n’importe en aucun cas dans une étude épistémologique ; et le fait de mêler à la fois une étude des théories et une disqualification de la personne auteur de ces théories, est un très mauvais point de vue.» J’ajouterai que ce point de vue est suspect et invite davantage à s’interroger sur les intentions d’Onfray que sur les qualités humaines de Freud.

Comme je ne puis analyser, dans le cadre de cet article, l’ensemble des thèses que Laval dégage, je m’en tiendrai à l’examen de celles qui me semblent exemplaires du travail d’Onfray. La première s’énonce comme suit : la psychanalyse est une vision du monde. Selon Onfray, elle rendrait compte «de la totalité du monde, dans le moindre détail.» «De quelle vision du monde s’agit-il, rétorque Laval ?» «Notre auteur, répond-il, répète cette affirmation très fréquemment, sans préciser ce qu’il entend par là, sans la définir, au moins en quelques lignes, et sans démontrer en quoi cela est une vision du monde.»

La seconde pose que la psychanalyse est une philosophie, ce qui écarte d’emblée, sans explications, le caractère scientifique de la psychanalyse. Selon Laval, Onfray pose cette thèse «d’emblée, avant d’avoir démontré quoi que ce soit. […] Il le pose […] comme s’il se disait d’évidence : «puisqu’il s’agit de philosophie, utilisons les mêmes critères d’analyse que ceux qui concernent la philosophie.»

Ces deux thèses se rejoignent dans la mesure où toute philosophie est une vision du monde qui tente d’en rendre compte dans les moindres détails. Quiconque a lu Descartes ou Spinoza, pour prendre un exemple dans la philosophie classique, pourra constater à travers la lecture de leurs œuvres que le développement de leur philosophie est une illustration de cette assertion. Je citerai, pour illustrer cette affirmation, la fameuse définition de la philosophie que Descartes donne dans Les principes de la philosophie et qui englobe la totalité du savoir : «Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale.» Nous avons là l’expression de ce qu’Emmanuel Levinas dénonce comme «le concept de totalité qui domine la philosophie occidentale.» Il s’agit de constituer un système d’explication achevé. C’est le propre de toute vision du monde d’être «une construction intellectuelle qui résout, de façon homogène, tous les problèmes de notre existence à partir d’une hypothèse qui commande le tout, où, par conséquent, aucun problème ne reste ouvert, et où tout ce à quoi nous nous intéressons trouve sa place déterminée.»

La psychanalyse n’a jamais affiché une telle prétention, elle est même aux antipodes d’un tel projet. Elle s’est toujours présentée comme une méthode d’exploration du psychisme dont la caractéristique essentielle est l’inachèvement. De plus, en faisant de la psychanalyse une philosophie, Onfray semble oublier qu’elle n’est pas qu’un ensemble de théories sur le psychisme, mais encore qu’elle est une pratique en rapport dialectique avec la théorie. Les concepts psychanalytiques naissent de la pratique ou sont mis à l’épreuve de la pratique. Enfin, si nous ajoutons à cela ce que Paul-Laurent Assoun appelle le «conscientialisme» de la pensée philosophique, véritable obstacle épistémologique pour penser l’inconscient et dont le livre d’Onfray constitue la meilleure illustration, les thèses onfrayennes s’effondrent.

Une troisième thèse, corollaire de ces deux premières, consiste à donner à la psychanalyse le statut d’une idéologie. C’est ce que Laval dégage de cette affirmation d’Onfray : «On pouvait lire Marx sans être marxiste… mais lire Freud ne laissait pas le choix d’être ou de ne pas être freudien, car la psychanalyse semblait une certitude universelle et définitive.» Cela revient à lui dénier, une fois encore, le statut de science. C’est une curieuse affirmation que celle d’Onfray : qu’est-ce qui, dans l’œuvre de Freud, aurait ce pouvoir  envoûtant de faire en sorte que le lecteur ne puisse échapper à la magie de devenir freudien ? La question reste posée, Onfray n’y répond pas.

Comment dénier à Freud toute capacité créatrice et réduire la nouveauté de la psychanalyse à néant ? En affirmant, comme le fait Onfray, que «le freudisme est un nietzschéisme ou un schopenhauerisme». Ce genre de formule a pour objectif d’aplatir complètement l’originalité d’un penseur en réduisant sa pensée à celle d’un autre. Le penseur, Freud en l’occurrence, aurait bricolé une théorie en empruntant ses éléments à la pensée de Nietzsche, il n’aurait donc aucune originalité. Nietzsche aurait découvert l’essentiel et Freud l’aurait repris, plagié pour forger ce qu’on appelle psychanalyse. Nous pourrions repérer dans l’histoire de la philosophie ce genre d’attitude réductionniste qui consiste à déconstruire la  pensée d’un auteur, d’un philosophe et à la ramener à ses antécédents. Nous pourrions ainsi affirmer que le spinozisme est un cartésianisme et réduire toute la pensée de Spinoza à ses fondements cartésiens, oubliant ainsi l’extrême originalité et l’extrême nouveauté de cette pensée. Mais le cœur de la critique d’Onfray porte sur la non-scientificité de la psychanalyse et c’est là-dessus que Laval centre sa réflexion.

En réponse à Onfray, il élabore, dans les pages 38 à 45 de son livre, la question de la scientificité de la psychanalyse. Il commence par caractériser le niveau de complexité de l’objet de la psychanalyse comme troisième niveau : le premier appartenant à la physique et le deuxième à la biologie. Il s’ensuit que la complexité de la méthode doit s’adapter à la complexité de l’objet. Il nous met en garde contre certaines attitudes extrêmes «totalement inadaptées à l’aire de travail psychanalytique.» D’abord la confusion entre science et science dure, qui consiste à réduire la méthode scientifique à la marche à suivre dans les sciences dures ; ensuite, la «pratique théorique» qu’il nomme «abstraction seconde» et qui consiste à produire de la théorie sur le mode déductif à partir de la théorie déjà existante ; enfin, «la lecture directe de la théorie dans le marc de café de la pratique, qui consiste généralement à justifier une énonciation à caractère théorique par le biais de quelques vignettes (courts récits) cliniques trop souvent ad hoc, à l’aide d’une méthode déductive vulgaire.» La question qui se pose une fois ces attitudes extrêmes écartées est de savoir «comment naît une hypothèse dans le champ de la psychanalyse, et comment devient-elle un élément théorique reconnu.» La réponse est nette : «Elle ne peut pas ne pas être la conséquence de la clinique [en se gardant] d’un piège : s’en tenir au premier mouvement clinique. Il faut aller plus profond, écouter plus finement, tout écouter.»

«Toute avancée théorique, écrit Laval, ne peut se concevoir que sur des données cliniques : toute «invention» théorique ne peut procéder que de la clinique ; on ne peut «inventer» de la théorie à partir de la théorie déjà là, ce que je nomme «abstraction seconde». Deux ordres d’exigences président à toute invention théorique : la connaissance  de la psyché humaine et l’amélioration des outils qui guident notre pratique.

L’hypothèse élaborée doit alors être soumise «à l’épreuve de la pratique, elle doit être prouvée, d’abord dans la pratique ultérieure du créateur de l’hypothèse ; elle doit être falsifiable, pas nécessairement en donnant une interprétation trop directement fondée  sur cette hypothèse, mais plutôt en écoutant avec son appui.» Pour que cette démarche soit valable, il faut qu’elle se déroule «selon les critères de scientificité élaborés dans le champ psychanalytique, donc dans le cadre conceptuel existant.» Il va envisager ensuite deux axes : celui de la création théorique et celui de la validation.

Si nous examinons le premier axe, nous y distinguerons deux temps : un premier temps théorique que Laval qualifie de poétique, en précisant que «les poètes ont aussi des règles, ne serait-ce que celles de la langue et de la forme poétique, dont certaines peuvent être extrêmement contraignantes.» Le temps d’élaboration personnelle du théoricien, temps subjectif par excellence, favorise ce premier temps ; s’il venait à manquer nous ne serions pas en présence d’une théorisation analytique ; un second temps qui est «celui de la rigueur scientifique : généralisation, comparaisons, formalisation, nouvelles réflexions, etc.» Si nous examinons maintenant le deuxième axe, nous pouvons distinguer également deux temps : le premier est celui de la présentation écrite ou orale aux pairs qui décideront de l’éventuelle validité de la proposition théorique. Les exemples cliniques ou littéraires sont ici indispensables «mais présentés dans leur dynamique et leur profondeur.» Les vignettes, en revanche, serviront à illustrer et n’auront qu’une fonction pédagogique. Laval souligne avec force qu’elles ne peuvent avoir valeur de preuve. Quant aux présentations cliniques, elles doivent avoir une visée théorique sous peine d’être «des gammes vides». «C’est quelque chose de plus impalpable, le partage d’une expérience commune de la pratique psychanalytique qui donnera aux collègues-auditeurs l’idée que cette proposition théorique mérite d’être prise en considération» ; le deuxième temps est celui de la falsification élaborée non dans les  sciences dures, mais selon les critères de la théorie et de la pratique psychanalytiques. Laval précise que «la caractéristique de l’essai  de  falsification d’une hypothèse analytique est que les expériences vérificatrices ne sont pas restreintes en lieu et en nombre : elles devraient être le fait de tous les psychanalystes. […] Mais il ne faudrait pas oublier que le processus de falsification est beaucoup plus complexe  en psychanalyse que dans une science exacte.» Cette falsification fait appel à un fonctionnement psychique particulier : «elle doit toucher l’analyste en état d’ouverture élaborative», écrit Laval. Cependant pour que cela ait lieu, une condition préalable s’impose : l’analyse personnelle, travail psychique sur soi-même qui permet à l’analyste de se mettre dans cet état. La connaissance purement intellectuelle de la théorie psychanalytique ne saurait réussir à le provoquer.

La lecture d’une œuvre psychanalytique avant  et  après un travail psychique sur soi-même n’offre pas la même compréhension de l’œuvre, l’après «nous permet  souvent de «reconnaître» au sens de quelque chose de déjà connu : notre propre expérience psychique intérieure de patient d’une cure.» Ce fonctionnement psychique entre en résonance «avec ce que nous avons déjà connu, souvent très tôt, en nous, et surmonté dans notre cure, par nos élaborations psychanalytiques personnelles, ou bien chez nos proches ou bien plus tard chez nos patients.» Ce sont là les conditions qui nous permettent d’accueillir une hypothèse dans notre tête et de l’intégrer dans notre dynamique psychique plutôt que de la déposer dans des cases statiques pleines de bouts de théorie et qui se juxtaposent. Le terme de résonance est ici essentiel pour comprendre ce dont il s’agit : «C’est par un effet qui rappelle la résonance, terme musical, [mais aussi emprunté à la physique] qu’une hypothèse peut être mobilisée, et rencontrer les associations dynamiques du patient, et qu’en dernière analyse nos cases bien proprettes (car tout le reste du processus baigne dans les régions les plus inavouables de notre psychisme) pourront être activées, après un premier moment qu’il me semble rigoureux de qualifier de poétique.»

Laval pose une dernière question : «Qu’en est-il de la théorie qui guide notre écoute, au-delà du fait que nous la connaissons déjà ?» Elle est le résultat de la formation que nous avons reçue, mais témoigne aussi de nos intérêts, de nos recherches et de notre expérience thérapeutique qui nous ont conduit à l’élargir et à l’enrichir. Comment l’utilisons-nous dans la séance ? Cette question nous introduit à la question du contre-transfert qui «doit être considéré comme prise de conscience active, élaborante, de l’écho en nous des paroles du patient. Ces paroles peuvent éventuellement nous surprendre dès leur profération, mais notre formation, notre analyse personnelle ne nous laissent pas au dépourvu, nous trouvons en nous les ressources proprement analytiques, soit pour penser sans rien dire, soit pour dire. Les paroles du patient font écho en nous, aidant ainsi à l’ouverture de notre inconscient ; c’est de cet écho, lorsqu’il nous pousse à l’élaboration (déjà entamée dans notre cure personnelle), que naît la formulation de l’interprétation.»

Laval souligne ensuite la difficulté, dans une discussion de cas, à aborder la question du contre-transfert sans trop exposer le présentateur. «La vraie question nous semble être : après avoir repéré la théorie qui habille l’écoute, se demander comment cette théorie est appliquée, comment elle fonctionne, et donc comment celui qui expose un cas la fait fonctionner.»

Je conclurai cette présentation/commentaire du livre de Guy Laval en reprenant une distinction que lui-même a élaborée dans un livre antérieur, Bourreaux ordinaires, entre deux types de logiques : logique de conflictualité et logique de guerre ou d’hostilité. La première rend possible la discussion libre, scientifique, démocratique;  elle témoigne d’une reconnaissance de l’altérité et d’un respect de l’autre dans ce qu’il a de différent. Les deux pôles sont alors préservés. La seconde ne veut que l’élimination de l’autre en ne reconnaissant pas son altérité, elle est l’expression d’une violence fondamentale qui ne tolère pas l’autre pôle. C’est la logique des régimes totalitaires. On ne peut pas ne pas se demander où se situe Michel Onfray lorsqu’il rédige Le crépuscule d’une idole. Ses insultes, ses attaques ad hominem, son ironie mordante, son refus de la   scientificité de la psychanalyse, son absence complète de sympathie à l’égard de Freud et de reconnaissance de ses précieux apports à la connaissance de la vie psychique ne peuvent que nous amener à conclure à son choix d’une logique de guerre.

 


Bibliographie

Descartes, René (1644 [1953]) Les principes de la philosophie in Œuvres et lettres, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard Freud, S.  (1933 [1984]) Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Connaissance de l’inconscient, Gallimard Laval, Guy Bourreaux ordinaires, Psychanalyse du meurtre totalitaire, Paris, Épîtres, PUF, 2002

Laval, Guy Un crépuscule pour Onfray, Minutes de l’interrogatoire du contempteur de Freud, Paris, Psychanalyse et civilisations, L’Harmattan, 271 pages

Levinas, Emmanuel, Totalité et infini, Essai sur l’extériorité, La Haye, Martinus Nijhoff, 1968

Onfray, Michel Le crépuscule d’une idole : L’affabulation freudienne, Paris, Grasset & Fasquelle, 2010, 624 pages.

International Review for  Couple and Family Psychoanalysis

IACFP

ISSN 2105-1038