REVIEW N° 15 | YEAR 2016 / 2

Shared dreaming between the therapist and the Family. Drawing a family dream

Shared dreaming between the therapist and the Family.
Drawing a family dream

The call to the dreams in psychoanalytical family therapy supports the division of the phantasms and the onirism. The drawings and the tables which are made except meetings on the dreams of the family, by the psychoanalyst of the family, support the thoughts and the daydream of the therapeutic group. The family thus accompanied will be able while letting itself go to think, put in words and scenes her history in the succession and the difference of the generations. In the psychoanalytical family therapy, it will find its capacity creative to associate, imagine and with refonder its own myth.

Keywords: family dreams, drawings and tables, capacity creative, myth.


Partage onirique entre thérapeute et famille.
Le dessin d’un rêve familial 

L’appel aux rêves en thérapie familiale psychanalytique favorise le partage des fantasmes et de l’onirisme. Les dessins et les tableaux sur les rêves de la famille, qui sont fait hors séances par la psychanalyste de la famille, soutiennent les pensées et la rêverie du groupe thérapeutique. La famille ainsi accompagnée pourra en se laissant aller à penser, à mettre en mots et en scènes son histoire dans la succession et la différence des générations. Dans la thérapie familiale psychanalytique, elle trouvera sa capacité créatrice à associer, à imaginer et à refonder son propre mythe.

Mots-clé: rêves de la famille, dessins et tableaux, capacité créatrice, mythe.


El intercambio onírico entre el terapeuta y la Familia.
El diseño de un sueño familiar

La llamada a los sueños en la terapia familiar psicoanalítica fomenta el intercambio de fantasías y de ensueño. Los dibujos y pinturas en los sueños de la familia, que se hace fuera de la familia sesión psicoanalista, apoyan los pensamientos y los sueños del grupo terapéutico. La familia y puede ser acompañado por caer a pensar, a poner en palabras y escenas de la historia de la finca y la diferencia de generaciones. En la terapia familiar psicoanalítica, encontrará su capacidad creativa para asociar, imaginar y reconstruir su propio mito.

Palabras clave: sueños de la familia, dibujos y pinturas, capacidad creativa, mito.


ARTICLE

Avec cet article, je voudrais rendre hommage à André Ruffiot, avec qui j’ai eu l’honneur d’échanger plusieurs fois sur mes travaux, et ceci grâce à Gérard Decherf, grand ami d’André Ruffiot depuis les années 1950. Gérard Decherf a accompagné les premières thérapies familiales psychanalytiques qu’André Ruffiot conduisait dans les années 1960, à la clinique Dupré à Sceaux dans le Sud de Paris. Leurs recherches communes et leur amitié ont été à l’origine du courant de l’Ecole Française de psychanalyse familiale et de la fondation de sociétés de thérapies familiales psychanalytiques (APSYG[1], SFTFP[2], STFPIF[3], CPGF[4], etc.). Je me souviens de la gentillesse et du soutien d’André Ruffiot, ainsi que de la pertinence de ses propos, lorsqu’il me poussait à poursuivre mes recherches auprès des familles lors de la venue d’un bébé: “Elisabeth, il faut continuer d’explorer et de rechercher comment cette âme familiale traverse les générations dans ce moment fécond en périnatalité”. Les apports d’André Ruffiot n’en finissent pas d’alimenter mes recherches. Nous allons ainsi nous pencher sur l’aspect onirique et mythopoïétique de la thérapie familiale, thème précieux pour André Ruffiot.

La mythopoïèse et les rêves en thérapie familiale psychanalytique

André Ruffiot a introduit la notion de mythopoïèse familiale (1980) pour désigner l’aptitude de la famille à produire des mythes, des fantasmes, des rêves et à se livrer à toute une activité créatrice, inventive. La mythopoïèse familiale est donc la capacité créatrice de la famille, récupérée dans le contexte de la thérapie familiale, à associer, à imaginer, à se laisser aller à penser, à mettre en mots et en scènes des histoires de famille dans la succession des générations, à en jouer, en changer les scénarios, en articulant le fait d’être à la fois le maillon d’une chaîne et à soi-même sa propre fin. Cette co-création continue de la famille est l’une des fonctions essentielles de l’appareil psychique familial.

Pour André Ruffiot, cette disponibilité à produire des mythes et des fantasmes communs, des secrets, est la respiration même du groupe familial. Ces productions ne sont pas à dévoiler: “On ne doit pas démythifier les familles”; mais l’important est de favoriser leur venue au préconscient: «Le préconscient est l’espace de fomentation des mythes, le lieu de la mythopoïèse. Le préconscient consiste précisément en une communication dans l’espace transitionnel que nous avons tous vécu, dans la rencontre avec l’objet trouvé-créé. Ces constructions fantasmatiques groupales, ces mythes, créatifs ou défensifs, qui participent de pactes dénégatifs, sont transmis transgénérationnellement par le canal du Préconscient» (Ruffiot et Knera, 2000)[5].

La tâche des thérapeutes familiaux est d’écouter cette respiration du groupe familial qu’est la mythopoïèse. Cette rêverie commune inconsciente, paraît exercer une «fonction d’antidote de la pensée paradoxée» (Ruffiot, 1990, p. 119) à travers le mixage des productions oniriques et les associations qu’elles déclenchent. «La famille se constitue, se reconnaît mais également se sent constituée comme une famille dans ce miroir onirique groupal où elle peut se voir. Ce holding onirique familial fonctionne comme le visage de la mère pour Winnicott» et dont dépend l’intégration psyché-soma. Ruffiot ajoute: «Le holding onirique familial serait donc la reprise thérapeutique d’un étayage fantasmatique naturel qui, au moment du tout premier développement de l’enfant, n’a pu remplir son rôle de conteneur de l’angoisse à une souffrance indicible» (Ruffiot, 1990, p. 120).

L’onirisme familial est ainsi le lieu de rencontre des psychés, la voie de la communication inconsciente. Il soutient les processus de régression thérapeutique et de rematuration grâce à un retour dans la fantasmatique parentale et à la réinscription dans les psychés individuelles des “vécus non vécus” (Winnicott, 1968): vécus traumatiques, angoisses d’effondrement…, aidant l’enfant à se constituer un roman familial individuel. La thérapie familiale permet à ces vécus ineffables d’être re-expériencés, non pas à travers la présence réelle, la réalité des parents, mais à travers leurs fantasmes et leurs liens au sein du groupe. Le holding onirique est un espace transitionnel commun dans lequel se ressource le sentiment d’appartenance et de familialité.

Parfois la famille est en difficulté pour créer du mythe et pour rêver. Alors le thérapeute familial psychanalytique favorise l’activité mythopoïètique en TFP en permettant aux familles un mixte de fantasmes familiaux et de fantasmes des thérapeutes. Le groupe familial réel est sollicité non par rapport aux interactions à corriger, à rectifier, mais dans une activité commune du penser et du rêver. L’actualisation dans le transfert sur le cadre de la thérapie des modalités pathologiques du lien et le travail associatif qui s’ensuivra – associations verbales, non verbales, dessins, mises en scènes – ouvriront sur une reprise des processus de symbolisation.

Pour favoriser ce partage onirique, Ruffiot a introduit cette règle particulière en TFP, concernant l’invitation à partager les rêves en famille. C’est, dit-il, une entorse à la règle fondamentale de libre association. Cet appel aux rêves, s’applique surtout au cours des premières séances, sous cette forme: “Qu’avez-vous rêvé depuis la dernière séance?”. En effet, pour Ruffiot, “on s’intéresse aux pensées de la nuit” car les rêves servent à repérer le fonctionnement de l’appareil psychique familial de nature onirique. Pour Ruffiot, le rêve est un «moteur essentiel pour la remise en fonctionnement des parties non-Moi de chacun, et pour la maturation des Moi individuels dans la matrice psychique originaire, constituée par la rêverie maternelle, paternelle et infantile» (Ruffiot, 1981, p.58). Le rêve possède ce pouvoir de transitivité permettant à “des regards distincts de se mirer dans le même puits”, selon la belle image de Guillaumin (1979). L’existence d’un appareil familial peut se vérifier dans l’onirisme familial, comme espace onirique commun transitionnel.

Rêves et rêveries dans les créations du thérapeute familial

Dans les thérapies familiales psychanalytiques, les rêves des familles sont des moments intenses, qui parfois conduisent l’analyste à faire lui-même des rêves en lien avec les rêves de la famille. Cela évoque les travaux de René Kaës sur la polyphonie du rêve (2002) ou la métaphore de Didier Anzieu (1976), concernant «la façon dont les esquimaux traitent l’ensemble des songes d’une nuit dans un même igloo qu’ils considèrent (…) comme un seul discours tenu par la collectivité à travers chacun de ses membres» comme le cite André Ruffiot (1981, p.7). Ruffiot ajoute que «le thérapeute familial se sent à la fois igloo contenant, l’esquimau à l’écoute du rêve familial… et l’étranger aussi» (Ruffiot, 1981, p.7).

En prenant des notes en post séance, j’ai l’impression de poursuivre l’écoute groupale de la famille en post séance: j’ai pour habitude de dessiner l’arbre généalogique de la famille, avant que celle-ci ne le fasse en séance. Ce dessin est d’abord pour moi la représentation que je me fais de la famille. Parfois le carré ou le rond qui représente un des membres est plus petit qu’un autre; d’autres fois c’est une lignée qui est assez absente; ou alors je me perds dans les places de chacun. Cela relance la fluidité de ma pensée et de ma rêverie sur la famille… Mais surtout, je me donne souvent du temps pour crayonner aussi une représentation picturale de la famille, un objet fantasmé ou un paysage onirique qui représente la problématique de la famille ou les vécus de notre néogroupe (selon le concept d’Evelyn Granjon). Je peux faire une esquisse ou un tableau sur le transfert de la famille ou sur mon contre transfert.

Le plus souvent ce sont les rêves de la famille qu’il m’arrive de dessiner. Ces dessins débouchent parfois sur des tableaux à l’huile. J’ai l’impression de raconter alors, ce lieu de fomentation de mythes et l’histoire de la famille à un niveau préconscient. C’est la sensation que me donnent mes dessins qui à la fois évoquent et contiennent le rêve familial et que je regarde aussi de l’extérieur avec son étrangeté et son inconnu qui se raconte aussi. Je me fais surprendre par ce qui est, soit tout en rondeurs ou soit tout en piquants, ou bien encore par le troué ou l’étiré, le vide ou l’encombré, l’effroi, le sombre ou le coloré, etc.

La fonction onirique de mes dessins

En résonnance avec le préconscient familial, les tracés de mes dessins ne cherchent pas à aligner les faits: c’est souvent une ambiance, un mouvement qui prend forme au fur et à mesure, comme le déroulé d’un rêve ou d’un mythe. J’approche un peu plus ainsi l’organisation du groupe et son fonctionnement, la constitution de l’identité familiale et celle de l’identité de ses membres. C’est une façon d’entrer en résonance avec les angoisses de la famille, ses peurs ou ses défenses.

J’utilise aussi mes images et mes fantasmes sur la famille pour l’accompagner.

Mon dessin, comme le mythe familial, semble m’éclairer sur l’origine de la famille, sur ses ancêtres et ses alliances. Ce dessin me parle de ce qui contribue à fonder la famille actuelle, en touchant au lien d’appartenance qui relie ce groupe au générationnel. Comme les mythes familiaux qui sont le roman de la filiation, mon dessin touche à l’histoire générationnelle et à la genèse du soi familial (Eiguer, 1983).  La psyché familiale semble se déverser sans entrave dans mon tableau comme des “manifestations transférentielles-contre-transférentielles généalogiques” que Evelyn Granjon voit dans «les objets bruts pris dans la psyché du thérapeute et sollicitant des émotions diverses et des ébauches d’associations» (Granjon, 1989, p.57).

Des formes ou des figures apparaissent qui me renseignent aussi sur la gravité des dysfonctionnements familiaux, sur des récurrences, des effrois, ou des secrets… Les familles plus névrotiques donnent des peintures plus représentatives, parfois sombres, mais dans une certaine fluidité en écho avec la souplesse des mythes qui y circulent. Les familles avec des noyaux psychotiques provoquent dans mes tableaux des scènes qui perdent du sens, des ambiances oniriques issues d’un magma agglutiné ou éclaté. Ces familles ont souvent un mythe familial ayant une fonction défensive et des rites mentaux rigides qui ont perdu aussi tout sens avec l’origine d’une représentation.

Dans mes tableaux émerge aussi une représentation de la groupalité, du coté idéalisé ou redouté, en mouvement perpétuel ou immobilisé. Comme la représentation de l’histoire de la famille et suivant le matériel entre aperçu, mon tracé est pauvre ou bien créatif. Les défenses opératoires des familles peuvent me conduire néanmoins à une grande productivité, souvent issu de mon contre transfert et de ma curiosité pour l’inexplicable. Plus le matériel semble difficile à dire, plus il émerge dans la créativité énigmatique du tableau, comme émergent les “signifiants énigmatiques” (Laplanche, 1987).

Des éléments de la problématique familiale peuvent apparaitre alors à mon insu et me surprendre, avant que cela ne soit entendu dans le “néogroupe”. Ce matériel onirique me permet d’associer encore, comme on le fait sur les dessins d’enfants ou collectifs, qui sont aussi de l’ordre d’une rêverie groupale.

Ces productions que je ne partage pas concrètement avec la famille, m’apportent néanmoins matière à penser la famille; elles résonnent aussi avec certaines zones de mes profondeurs explorées en analyse et en groupe analytique. Ce matériel “trouvé-créé” hors séance, soutiendra le travail thérapeutique des séances en présence qui suivent mes créations, comme pouvant faire partie de la fantasmatisation familiale. Mais l’essence-même d’une telle représentation, n’est-elle pas de créer “du différent” et un espace de pensée au thérapeute où tout n’est pas ramené au commun et partagé du groupe?

Si le groupe est un rêve selon Anzieu (1984), ce tableau de peinture est aussi pour moi un rêve dans la “polyphonie des rêves” avec la famille (Kaës, 2002). Le tableau sert de zone privilégiée et devient, pour le rêve: «un lieu primordial de communication inconsciente» comme le décrit Ruffiot (1981, p.5), un lieu de portage de la psyché du thérapeute portant la psyché familiale dans le holding onirique.  

Le fantasme de l’un dans le groupe est une formation psychique susceptible d’entrer en écho avec le fantasme d’un autre, «d’entrer  en contact profond avec l’objet et les autres, par delà le discours et le comportement» (Ruffiot, 1981, p.36) dans la résonance fantasmatique, que cela soit pour se défendre (sidération, sentiment de persécution ou défenses mobilisées contre des angoisses de perdre son identité, de se liquéfier, de ne plus pouvoir exister face aux autres dans le groupe) ou soit pour déployer une dimension créative d’élaboration. Ainsi, le groupe est susceptible de proposer aux autres, des représentations qui sont des voies de frayage pour que de nouvelles représentations, qui étaient refoulées par exemple, puissent advenir. Le thérapeute favorise cette reprise élaborative pour donner accès à la représentation et permettre de rendre conscient ce qui n’avait pas de sens, de mettre à jour un certain nombre de défenses et de fantasmes non accessibles en individuel. Autrement dit le groupe est un pourvoyeur de liens internes, intrapsychiques mobilisés par les formes de groupalité élaborées par les membres du groupe dans le groupe. En thérapie familiale, on pense que le groupe va ouvrir des voies de frayage à certaines représentations refoulées ou enkystées qui vont pouvoir être élaborées dans le groupe. La TFP met en œuvre le travail du Préconscient, l’activité de liaison entre les affects, comme entre affects et représentations, entre passé et présent.

André Ruffiot a repéré dans ses TFP un ensemble d’éléments cliniques qui se répètent d’une famille à l’autre et qui constituent une configuration assez stable comportant: des vécus de fusion ou de confusion, des vécus de négation de la différence entre les êtres, entre les sexes et entre les générations qu’il a appelé l’incontinence psychique et qui évoque des aspects de l’illusion groupale (Anzieu, 1984). L’énergie semble s’écouler d’un membre à l’autre sans rencontrer d’obstacle, puisque les obstacles normalement rencontrés sont la différence; et là il n’y a pas de différence. Un tel fonctionnement est possible parce qu’il est fondé sur un déni de la temporalité. Mais en général, derrière ces défenses, il y a des angoisses catastrophiques de séparation, des angoisses de mort, des angoisses de démembrement de la cellule familiale, des angoisses d’éclatement, ou des vécus en rapport avec la mort ou en rapport avec l’inceste éventuellement, dans la prédominance de l’isomorphisme, de l’indifférenciation qui caractérise la famille en difficulté.

La cure familiale va déclencher une reprise de la mythopoiëse familiale, c’est-à-dire la création de mythes familiaux. Cette mythopoiëse familiale passe par un accroissement de la vie fantasmatique et de l’inter fantasmatisation qui se révèle au sein du groupe en thérapie. Ces mythes familiaux sont, par conséquent, le signe d’une reprise du fonctionnement de l’appareil psychique familial qui se réorganise. Cette mythologie familiale semble le tissu de base sur lequel pourra œuvrer le refoulement, mécanisme de la névrose. Le psychotique (et sa famille) peut devenir, selon l’expression de Federn (1952), un post psychotique et il pourra alors utiliser des mécanismes névrotiques pour se constituer un roman familial individuel sur ce fond de mythe groupal familial.

En TFP, selon Ruffiot, il s’agit de remettre en marche un mode primaire de fonctionnement familial; il s’agit de rétablir les modalités de liens primaires, qui sont à l’origine des fusions, confusions, paradoxes, et de remettre en marche cette psyché primaire: ceci en transformant la régression pathologiqueet ses fixations, en régression thérapeutique à travers l’appel des rêves, c’est-à-dire grâce à l’intérêt pour l’onirisme familial et la mythopoiëse familiale.

Cas clinique

Nous allons observer, dans une thérapie familiale psychanalytique, un aspect de cette remise en route d’un onirisme partagé, soutenu par la créativité du thérapeute. Au début de la thérapie, le fonctionnement factuel et défensif prime dans cette famille et la communication infra familiale est opératoire: le fonctionnement fantasmatique semble bloqué. Comme dit Ruffiot, la communication se déroule alors sur un fond “a-fantasmatique”, dans un fonctionnement “d’asphyxie fantasmatique” (1980). Ce peut être, selon le concept de Racamier, un «fantasme/non-fantasme: cela même de très particulier qui occupe la place du fantasme, sans en détenir toutes les propriétés et fonctions» (Racamier, 1992, p.146). Il n’y a pas de rêves et les faits sont déposés de façon factuelle. Le thérapeute a du mal penser et à soutenir la continuité et l’associativité. Cette famille est dans l’impossibilité de faire une régression nécessaire ou “voyage psychique” vers ses racines groupales, lors de l’arrivée du bébé (Darchis, 2000). Elle présente “un voyage blanc” pendant la grossesse et elle ne peut réaménager le matériel générationnel (Darchis, 2016). Dans les mois qui suivent les naissances, des symptômes exacerbés s’expriment chez les ainés dans un agir qui prime sur les associations libres. La psyché familiale, cette âme de la famille, semble se mobiliser défensivement pour lutter contre des retrouvailles avec des vécus générationnels effroyables et traumatiques. Le non dit et la déliaison sont au travail contre un danger d’éclatement du groupe.

Au départ de cette TFP, commencée dans les années ’90, après la naissance du 2ème enfant, je me souviens encore combien la circulation de la pensée était engluée dans le présent événementiel, avec un clivage qui semblait vouloir figer le matériel générationnel resté encrypté (Darchis, 2012). Il n’y avait pas de rêves et les quelques cauchemars évoqués restaient isolés dans un interdit de les penser ou de les partager émotionnellement. Je ressentais dans mon contre transfert des difficultés “à aller voir” dans cette famille et à utiliser mes propres émotions, outil pourtant souvent privilégié dans mes TFP lorsque je travaille soit seule, soit en co-thérapie. Je sentais aussi l’impuissance devant le matériel familial angoissant et désaffectivé, devant cette psyché familiale qui produisait du froid dans les liens, de la confusion et de l’indifférencié. Pourtant, j’éprouvais aussi du plaisir à fonctionner psychiquement avec cette famille qui a témoigné d’une installation rapide dans le transfert en investissant le neogroupe.

Progressivement cette famille va se réapproprier son histoire dans l’onirisme partagé nécessaire pour “la remise en mouvement d’une temporalité groupale” (Ruffiot, 1980). Le néo groupe va tisser une histoire commune rendue possible par le holding onirique thérapeutique. Dans leur fonction transférentielle, les rêves racontés et partagés vont favoriser la création et la transformation. La rêverie du psychanalyste de la famille, impliqué au plus profond de cette histoire qui se retisse, va favoriser le partage onirique groupal de façon polyphonique.

Les demandes de la famille aux niveaux explicites et implicites

En écho avec l’organisation défensive familiale, je vais néanmoins pouvoir me faire saisir par l’impensable de la famille en entrant d’abord dans l’ici et maintenant des premières séances. Ces dernières nous centrent sur l’enfant symptôme, même si je suis bombardée très vite par des vécus bruts et le silence assourdissant de la souffrance familiale      ancestrale. Ce     bombardement     onirique renforcera paradoxalement “le holding fantasmatique” du néogroupe qui va se mettre “à l’unisson de cette souffrance familiale” (Ruffiot, 1985). Au début, la demande explicite concerne l’aîné Matis presque 3 ans, qui présente 3 mois après la naissance de la petite sœur, un collage corporel avec la mère, ainsi qu’une inhibition nouvelle, des angoisses et un arrêt de son langage. Ces régressions sont normales autour de la naissance d’un puîné, mais lorsqu’elles insistent dans des agirs souffrants qui perdurent, elles peuvent témoigner de fragilités et de grandes angoisses familiales. Matis est en effet nouvellement et massivement angoissé à l’école: il est totalement silencieux, pratiquement mutique à 3 ans ou parfois il hurle de terreur.

Dès les premières séances, Matis colle sa mère en se cachant le visage dans le soutien gorge maternel. Ou bien il s’enfonce en tamponnant tête première, sous les jupes de la mère qui écarte alors ses cuisses. Il rampe aussi dans le canapé derrière le dos de la mère en la pressant pour ne faire qu’un avec elle. Durant le premier entretien, à peine vais-je apercevoir son visage et j’ai l’impression d’un Moi sans frontières corporelles. Matis ne produit aucun son, mais parfois sa main émerge devant la bouche maternelle qu’il bâillonne afin de la faire taire ou devant ses yeux pour qu’elle ne voit rien. Cela interroge sans plus les parents qui semblent bénéficier de cette nouvelle proximité avec l’enfant, étant eux même paradoxalement dans la difficulté à témoigner de chaleur dans leurs liens. La mère réagit mollement à ce manège et au début le père laisse faire silencieusement, en regardant la scène d’un air satisfait et béat. Nous comprendrons par la suite que ce père bénéficie par l’intermédiaire de son fils d’une proximité maternelle qui lui a manqué dans l’enfance. Le bébé Laura, âgée de 3 mois au départ de la TFP, est une petite fille qui parait déjà bien sage et éveillée. Calée par des coussins, Laura peut s’endormir longuement pendant la séance, ou bien, attentive à ce qui l’environne, son corps et ses yeux répondent gaiement aux sollicitations de la thérapeute; puis elle s’efface à nouveau lorsque le groupe se recentre sur Matis. La fusion mère-bébé semble ici inexistante. Nous apprendrons plus tard que la mère prend systématiquement après chaque accouchement une semaine de repos seule en dehors de la famille.

Derrière la demande explicite, la famille semble souhaiter que le thérapeute répare ce morceau d’elle-même qui dysfonctionne dans le comportement des enfants. Ceci sans toucher à son organisation défensive qui semble l’étayer, mais aussi l’immobiliser dans le temps. Le symptôme de l’enfant (le cafteur de la famille, dirait Pichon-Rivière) soigne-t-il les non dits de la famille “en criant bien haut ce qui est destiné à rester secret” (Ruffiot, 1980).

J’aurai aussi l’impression d’une famille qui cherche à survivre dans un modèle hyper idéal, en contre image avec les familles anciennes pleines de malheurs. Je ne vois pas de désir d’avenir, ni de mythe souple et évolutif dans la famille qui semble aussi me saisir adhésivement comme une bouée de sauvetage pour “s’immobiliser en surface”.

Affects gelés, matériel sidérant et co-éprouvés contre transférentiels

Au départ, à travers le collage quasi incestuel du petit garçon avec sa mère, je suis gênée dans mon contre transfert par ce que me fait coéprouver la famille. Je me dis qu’elle n’a pas “à montrer cela”. Mais j’avance doucement et intuitivement au rythme de la respiration familiale avec les jeux et les dessins faits ensemble qui racontent d’abord le comportement de l’enfant, puis de la famille.

Au bout de plusieurs mois, quand tout le groupe famille se regarde à quatre, dans les dessins ou le miroir, je sens que la TFP a offert une première contenance. Mais le reflet du miroir me semble encore sans mémoire et ce n’est pas un miroir onirique familial. Pourtant les groupes d’origine ont commencé à prendre forme et l’on évoque d’où l’on vient. Les traumatismes transgénérationnels s’extériorisent donnant un premier éclairage au thérapeute sur les organisations défensives de la famille: le collage pour ne pas se perdre, le refus de parler pour maintenir le lien indifférencié ou l’immobilité pour ne pas réveiller les deuils non faits d’enfants ou de parents décédés dans les familles réciproques. Dans l’incapacité à mentaliser la question de la perte, la famille reste aliénée par le matériel ancien et les parents continuent d’organiser leur “parentalité confuse” (Decherf et Darchis, 2000) dans la mise en place de liens de proximité pour ne pas se séparer ou de mise à distance des besoins et de ceux de l’autre, pour ne pas risquer de revivre les pertes. L’arbre généalogique dessiné par les parents, restera longtemps squelettique avec des personnages longilignes et sans volume, ne pouvant s’élargir au delà des 4 membres de la famille restreinte, puis des 5, avec le bébé suivant. Les grands-parents seront dessinés par la suite, et c’est bien plus tard que le père demandera: “Sur cet arbre: on peut mettre les morts? Mais comment on les dessine?”

Si les traumatismes, innommables auparavant se retrouvent, les émotions restent encore gelées par le clivage avec mise à distance des affects. Souvent, je ressens moi-même, une difficulté à revenir sur ce matériel sidérant avec le fantasme de casser des alliances ou de blesser des enfants si l’émotion s’en mêle. Je ressentirai aussi avec cette famille, des moments d’étonnement ou de bizarrerie qui témoignent d’une inélaboration dans la chaine de sens. Alors que mon expérience m’amène souvent à reprendre ces non sens et à accompagner les douloureux remaniements psychiques, notamment en périnatalité, j’ai une pensée parasite qui m’habite dans cette première tranche de TFP et qui freine le travail: “Ces enfants ne peuvent pas voir cela. On ne peut pas parler de ces événements traumatiques quand les enfants sont là”. Mais de quels enfants s’agit-il? Des enfants fantômes? De l’enfant interne chez l’adulte?

Pourtant le préconscient va déposer un matériel traumatique en séance de façon récurrente, me laissant un temps dans l’impuissance pour les traduire: comme les dessins de spirales sans fin fait par Matis, ou les tonneaux en spirale dessinés par la mère sur l’accident de voiture quand sa sœur ainée a trouvé la mort à coté d’elle. Par ailleurs, Matis qui adore les toupies tourne sans arrêt sur lui-même, sans qu’au départ je fasse de liaison avec tous ces tourbillons ou avec l’escargot qui est son totem en classe. Ces éléments comme d’autres, bombardent les séances, mais les associations restent difficiles en raison du blanchissement des affects dans la famille. Moi-même je rentre dans les non dit communs et dans le mythe familial figé; je me laisse prendre dans cette construction imaginaire qui lutte contre l’éclatement du groupe.

Mais prendre le temps pour tisser ensemble une histoire, va se révéler aussi opérant pour cette famille attachée à notre néogroupe qui les contient en connaissance des faits, mais peut être pas encore dans la reconnaissance des vécus.

Après presque 2 ans de travail, la famille fonctionne déjà beaucoup mieux et Matis est devenu un petit garçon éveillé avec un bon langage. Laura se développe bien, mais la mère, enceinte d’un 3ème enfant, est fatiguée pour faire les déplacements. La famille, qui se sent plus solide dans cette première sécurité, pense arrêter la thérapie.

D’un commun accord, nous suspendons la TFP, mais je redis que je reste à disposition pour faire un autre bout de chemin ensemble, s’ils en ressentent la nécessité, car le travail ne me semble vraiment pas terminé. Contrairement à ma pratique qui pose des indications de prise en charge du groupe famille en périnatalité, je laisse sans m’en rendre compte, la famille s’éloigner pendant cette période de crise féconde pour les réaménagements psychiques. Cette mise à distance défensive évite ainsi les régressions nécessaires à la réorganisation du matériel générationnel et témoigne de la problématique de cette famille en difficulté pour traiter les affects groupaux primaires pendant la grossesse.

Une autre tranche de la TFP et un possible partage des émotions

La famille revient quelques mois après la naissance du 3ème bébé, pour une autre tranche de TFP qui va durer alors plusieurs années, jusqu’à la naissance du 4ème enfant. C’est la rentrée en CP pour Matis et la maîtresse est contente car il va bien. Epanoui et sérieux, il est posé et sait faire aussi un peu d’humour. Mais ce sont de nouveaux comportements chez Laura qui débordent les parents. Elle se met en danger et a fait une chute dans un escalier cet été. Son hospitalisation a provoqué beaucoup d’effrois familiaux. Les parents expliquent: “Laura est bizarre et fait des crises de colères. Et surtout, elle écrit sur les murs de sa chambre malgré les interdits; ou bien elle se déshabille et entièrement nue, elle crayonne de feutres son corps et son visage”. Ces tatouages infantiles, créativité des premières figurations, sont une véritable saga familiale qui s’approprie la mémoire groupale en relatant encore l’irreprésentable des souffrances transgénérationnelles (Darchis, 2006).

Laura, qui est entrée en maternelle est une enfant attentionnée pendant les séances. Elle s’assoie bras croisés sans timidité, en écoutant avec sérieux ou en regardant son frère dessiner. Souriante, elle dit oui à tout en hochant de la tête ou bien elle joue seule aussi. Mais elle présente un retard de langage qui rappelle celui du frère au même âge. Quant au 3ème bébé, il semble déjà bien sage et il me rappelle Laura qui s’effaçait autrefois pendant les séances. C’est progressivement qu’il prendra sa place dans la groupalité de la famille lorsque celle-ci remettra en route les fonctions de son appareil psychique vers un possible travail de liaison des affects.

Lors d’une séance, la famille reparle à nouveau des traces de feutre sur le corps de Laura. Le premier temps de cette séance porte aussi sur la poupée couverte de traces de feutres et de pansements, que Laura vient me donner en baragouinant “bobo”. Je propose qu’on dessine sur papier cette poupée pleine de sparadraps comme le corps hachuré de Laura. Cette dernière prend aussi les feutres et pour la première fois elle dessine sur un support papier en crayonnant dans tous les sens: “bobo”, dit-elle. Les parents expliquent qu’elle parle aussi de sa chute dans l’escalier. Cet accident sera crayonné aussi collectivement par la famille. Je m’interroge silencieusement sur les corps mutilés, les souffrances présentes et anciennes qui se montrent sur cette table pleine de souffrance. Les effrois familiaux seront exprimés avec beaucoup d’émotions dans cette séance.

“Je savais qu’à 2½ ans, il allait lui arriver quelque chose”, dit la mère qui reste dans les confusions. Elle associe sur ses efforts pour ne pas faire passer son trouble chargé d’angoisses terribles, ce qui donne une lecture sur le clivage qui aliénait et figeait le mythe familial.

Alors le père évoque les drames dans sa propre famille d’enfance: “Il ne faut pas tomber là dedans pour protéger ses enfants”.

Et la mère ajoute: “Parfois, cela passe de l’autre coté… Il n’y a pas de place pour les deux cotés à la fois; c’est l’un ou l’autre… j’imagine soit l’enfant vivant, soit il est mort… Avant cela me débordait et mes angoisses me gagnaient; mais j’arrive à me contenir maintenant”.  Les enfants avaient à charge de colmater et d’apaiser dans des collages non symbolisés et anti séparatifs, les cauchemars du jour de la famille et les angoisses de mort qui s’actualisaient dans des “scenario sensation” décrit comme un vécu intermédiaire entre la sensation et le rêve par Decherf en 1999 au colloque de la SFTFP à Albi (Decherf, Darchis, Knera, 2003). Après cette séance, la compulsion de Laura à écrire sur son corps va cesser.

A la séance suivante, et à l’étonnement de tous, Laura formera pour la première fois des ronds sur le papier, en nommant chaque membre de la famille et le rond qui la représente à une encoche: “trou”, dit-elle. Au début de cette séance, Laura avait sorti de son petit sac, des tongs de plage garnies de fleurs en plastique. “Ah! Toute fière elle voulait vous les montrer”, dit la mère. “Oh! Les deux jolies tongs fleuries”, m’entends-je dire, en pensant aux tombes dans cette famille. En fin de séance, et étrangement, la mère évoque les deux tombes de ses sœurs mortes qu’ils ont dernièrement été fleurir avec les enfants. Progressivement l’histoire familiale est racontée et se déploie avec émotion dans des représentations partagées, dans l’arbre généalogique, les dessins collectifs ou les jeux. Les associations sont enfin possibles dans le bain onirique du groupe. Mais surtout et enfin les rêves deviennent des moments d’ouverture sur l’imaginaire familial ainsi que des supports pour lire le transfert et les organisations défensives.

Rêves et créativité dans un tableau onirique

Dans les séances qui suivent, des associations sur les rêves construisent un récit sur l’histoire familial. Matis exprime des angoisses d’abandon et des peurs dans ses rêves:

“Dans la cave, il y avait 2 dragons, et la nuit, ils montent dans ma chambre; c’est des bêtes qui mangent papa et maman; ça fait peur et je me retrouve tout seul”.

“Peur”, dit Laura qui écoute aussi les échanges qui vont porter alors sur la peur des enfants de perdre des parents.

Le père continue sur les angoisses de séparation: “Dernièrement, moi aussi j’ai rêvé: je perdais toutes mes dents…Il faut serrer les dents dans la vie…Partir, c’est perdre et c’est angoissant, mais on est libre”. Il se décrit comme un enfant timide, se cachant pour sucer son pouce jusqu’au collège, élément qui fait bien rire Matis dans la séance. Il évoque les lourdes solitudes de l’enfance ainsi que les disparitions de sa sœur, laissant des enfants sans parents. J’apprends que le couple, avant de fonder sa famille, a élevé ces neveux orphelins.

“Moi aussi j’ai rêvé”, poursuit la mère dans la séance. La mère dans cette séance apporte donc un rêve familial transférentiel et tout le groupe écoute avec émotion.

La mère raconte: “Dans mon rêve, nous étions jugés en tant que père et mère pour être exécutés à mort. D’autres familles étaient observées comme parents et passaient aussi devant le juge. Nous sommes condamnés, mais mon mari qui à sa fortune personnelle achète le juge et il est sauvé de l’exécution. Moi, on m’enferme dans une grande pièce ronde transparente pour être exécutée avec d’autres parents. C’est une bulle publique et on nous voit à travers la fine paroi translucide. On nous explique qu’on ne doit pas avoir peur, car l’exécution est immédiate. On sera instantanément réduit à l’état de cendre par un mécanisme chimique implosant la bulle de l’intérieur. Mon mari gracié, me regarde d’un balcon en souriant et tente de me rassurer en me disant que le lendemain, il viendra se rouler dans mes cendres avec d’autres, car on ouvrira les portes aux familles”. Ce rêve sera un lieu important d’associations en post séance à partir d’une de mes peintures sur le rêve familial de la mère.

J’ai peins ce tableau sur le rêve familial et dans les séances qui suivent, la famille va associer sur les pertes et sur la peur de reproduire des drames, sur le regard et sur la peur d’être jugés et punis. La famille ne connait pas mon dessin, mais grâce à lui j’entends fortement le transfert familial et la peur d’être regardé et jugé comme mauvais parent par le thérapeute familial, car j’ai dessiné de mon coté des yeux “de juges” tout autour du tableau. Cette imago parentale au regard perçant pourrait être aussi le regard surmoïque et cruel qu’ils portent sur eux comme parents, comme eux ont jugé aussi leurs propres parents: “Mon père était au volant de la voiture après un déjeuner bien arrosé, quand il y a eu l’accident où mon frère est mort. Autrefois on ne faisait pas attention à l’alcool au volant!”. Ce regard porté sur leurs propres parents permet ”l’émergence d’imagos et la remise en circulation dans l’APF des fantasmes originaires jusqu’à présent forclos” (Ruffiot, 1981). Mais dans un déni de la haine et du désir de meurtre, on entrevoit encore l’aspect de sidération devant ces imago terrifiants de parents combinés meurtriers ou morts: “Nos parents ont fait ce qu’ils ont pu!” Ce blocage généralisé du fonctionnement fantasmatique qui existait, peut être attribué à la «sidération groupale par l’imago terrifiante des parents combinés morts dans un coït sans fin» (Ruffiot, 1985, p.73).

Les parents vont ensuite s’interroger sur les incompétences parentales, sur le manque de protection dans les familles et sur l’enveloppe fragile, représentée dans mon dessin par la bulle transparente et son “implosion psychique” (Darchis et Decherf, 2006). Les angoisses parentales prennent sens. Le souvenir d’un jour d’enterrement, où l’on ouvre les portes aux familles qui viennent se recueillir sur les tombes, est associé avec le fait de se rouler sur les cendres des morts dans le rêve.

Dans mon tableau, j’avais enroulé ces cendres dans une figure d’escargot qui évoquait après coup les tonneaux de l’accident de voiture où la famille trouvait la mort. Tous les tracés en tourbillon me rappellent enfin, le jeu sans fin de la toupie qui fascinait Matis plus petit, ainsi que le dessin en spirale des tonneaux de la voiture. Je fais le lien avec l’escargot totem de Matis à l’école, et je propose de ressortir du dossier les dessins familiaux des années précédentes qui vont servir de support aux échanges. Nous pourrons faire des liens sur les expressions archaïques de la famille et sur plusieurs mortels dans la famille.

Cette représentation dans mon dessin me permet de voir aussi dans la famille “le souhait inconscient de mort collective” (Ruffiot, 1985) qui se traduit dans ce désir de se rouler ensemble dans les cendres, dans des “noces noires de l’abandon” où l’éprouvé devient désir et fantasme, comme dirait Laurence Knera (1998). La mère évoque également la place du mort dans la voiture. “Mais pourquoi mon frère et pas moi?”, car quelques minutes avant, elle avait échangé leurs places dans la voiture. La famille semble rechercher le fil de leur existence en évoquant la mort et les accidents qui peuvent surgir en réduisant tout à néant en un instant. Ils recherchent d’où ils viennent en se différenciant des morts, dans une nouvelle vie fantasmatique qui permet l’autonomisation des appareils psychiques singuliers.

Des enfants d’autrefois ne devaient pas voir cela. 

Le registre a changé de niveau et le néogroupe n’éprouve plus la crainte des effets de parole. Au début je pensais: fallait-il partager ces blessures groupales innommables? Les enfants pouvaient-ils voir cela et entendre les scènes d’autrefois qui pouvaient leur faire mal à l’image d’un petit enfant qu’on éloigne du drame en la laissant dans l’effroi et le non sens. Aujourd’hui le groupe s’interroge sur le non dit aux enfants et leurs effets traumatiques.

A cette période de la TFP, l’histoire des familles réciproques sera encore reprise, mais cette fois ci avec les affects adéquats. La mère, Aline, explique qu’elle avait 6 mois et son frère aînée 6 ans, lorsque décède la cadette de 2 ans et demi. Ses parents endeuillés s’appuient sur le grand frère sérieux; mais quand Aline à 6 ans, un accident de voiture arrache la vie à ce frère aîné, laissant Aline seule avec des parents écroulés qui ont donc perdu deux enfants. Naîtra après un petit garçon, bébé de remplacement, qui va accaparer la mère d’Aline: “Elle se rattrape sur mon frère“, dit Aline.

Une séance nous éclaire encore, lorsque Aline, la mère, partage ses émotions dans le néogroupe, en racontant comment son grand frère a été mortellement blessée à ses cotés dans la voiture. Elle raconte l’enterrement et sa solitude: “J’ai toujours voulu raconter cette histoire, mais avant je n’y arrivais pas”. Elle se souviendra de cet accident comme si c’était hier: “Au moment où l’on a descendu le cercueil dans le caveau, je me suis faufilée entre les gens pour voir; mais une fois devant, ma tante m’a prise par le bras très fortement en me faisant mal, et m’a tirée en arrière disant que je ‘ne devais pas voir ça’, ‘que ce n’était pas pour les enfants’. J’avais vu qu’elle pleurait et je me suis retrouvée toute seule derrière tout le monde. C’est plus tard que j’ai appelé mon frère, puis que j’ai hurlé en comprenant que je ne le reverrai plus jamais”. Elle racontera sa douleur et le silence fait par sa famille qui la laisse dans l’incompréhension.

Pendant la séance, tout le monde écoute le récit de la mère qui donne beaucoup d’émotion au néogroupe. Le père a les deux petits sur les genoux et Matis, assis à coté de sa mère, lui caresse les cheveux en suçant son pouce. Et sa mère lui dit: “Tu veux soigner les bobos, ceux de maman. Tu es alors ma mère?… Ce ne serait pas pour me déplaire… Mais non… il faut que j’y travaille encore”. Et Aline va entreprendre une analyse personnelle.

Un long travail se poursuivra dans cette famille jusqu’à l’arrivée du quatrième enfant, et notamment sur la différenciation des sexes et sur les identités sexuelles. Dans cette thérapie familiale, une histoire s’est tissée, le roman de la filiation s’est construit dans un onirisme partagé, fondateur de mythes. Les effrois anciens ont retrouvé leur place générationnelle, permettant à la famille de sortir de la parentalité confuse. Chaque membre de la famille a pu prendre sa place dans la différence des générations et dans l’autonomisation des appareils psychiques singuliers, comme André Ruffiot (1981) l’avait si bien théorisé à partir de sa longue pratique de TFP.


Bibliographie

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[1] APSYG: Association de psychanalyse de groupe créée en France en 1981, par des psychanalystes tels que Gérard Decherf, Jean Pierre Caillot et André Ruffiot, avec Didier Anzieu, Simone Decobert, Claude Pigott, Paul Claude Racamier, Evelyn Granjon, François Sacco, puis François Blondel, André Carel, Geneviève Haag, Josée Viollete, Anne Marie Blanchard. Citons encore des membres affiliés, tels qu’au départ: Gilles Catoire, Maurice Berger, Francine André Fustier, Françoise Aubertel, Christiane Joubert, Michèle Lamothe, Ombline Ozoux Teffaine, Serge Tisseron, Alberto Eiguer, André Missenard et bien d’autres. Elle sera dissoute en 1994.

[2] SFTFP: Société Française de Thérapie Familiale Psychanalytique créée en 1995, sur l’initiative de G. Decherf, A. Ruffiot et E. Granjon avec A. Eiguer, S. Tisseron, A.M. Blanchard, A. Ciavaldini, D. Anzieu, qui organisent, fin 1994, un groupe de réflexion sur la Thérapie Familiale Psychanalytique, qui donnera naissance à la SFTFP en 1995; A. Ruffiot en sera président d’honneur.

[3] STFPIF: Société de Thérapie Familiale Psychanalytique d’Ile de France, créée en 1995 pour la formation, par les fondateurs: A.M. Blanchard, C. Diamante, C. Leprince, G. Decherf, J.P. Dumont, A. Eiguer, N. Khoury, B. Michel, A. Ruffiot, R. Sefcick, S. Tisseron.

[4] CPGF: Collège de psychanalyse groupale et familiale crée avec JP. Caillot, C. Pigott, PC. Racamier, S. Decobert, puis M. Berger, A. Blondel, G. Catoire, J. Defontaine, A. Carel, S. Wainrib, etc.

[5] Dans un article non publié, en collaboration avec L. Knera, et portant notamment sur le droit des familles à conserver leurs mythes, janvier 2000.

International Review for  Couple and Family Psychoanalysis

IACFP

ISSN 2105-1038