REVIEW N° 27 | YEAR 2022 / 2
BOOK REVIEW
Virginie Althaus, Christian Ballouard, Anne Loncan, Hélène Maire, Philippe Robert et André Sirota (sous la direction de), Construire, écrire et lire un article en psychologie Paris, Editions In Press, 2022
Note de lecture par Didier Pilorge[1]
Si le titre donné à une publication doit être capable d’éveiller la curiosité et l’intérêt d’un lecteur, celui retenu pour cet ouvrage collectif placé sous les auspices de la Conférence des Publications de Psychologie en Langue Française (CPPLF), de par sa clarté et sa concision, atteindra sans doute ce but.
Les douze auteurs responsables de ce travail se sont donné pour tâche «d’explorer les processus de construction, d’écriture et de publication d’un article en langue française jusqu’à sa diffusion et sa réception par les lecteurs». Chacun, de sa place de clinicien, d’enseignant-chercheur, de responsable de revue ou de plateforme de diffusion, d’évaluateur de manuscrits, abordera les différentes phases d’élaboration d’un écrit scientifique de psychologie.
Au-delà des évidences, qu’est-ce qui soutient le désir d’écrire? Comment naît l’inspiration? Pourquoi et comment rédiger un article? Comment débuter un écrit? Quelles sont les attentes d’un lecteur?… Telles sont quelques-unes des questions abordées dans ce travail sous la plume d’auteurs qui appartiennent à des champs différents de la psychologie et témoignent de la diversité, mais aussi de l’unité, de cette discipline. Les élaborations théoriques concernant l’envie d’écrire, et celle de lire, se doublent de repères pratiques permettant de construire un travail scientifique de la manière la plus pertinente possible. Quel usage faire des citations et des références bibliographiques? Comment présenter son dispositif de travail et ses hypothèses? Comment rendre compte d’une situation clinique? Comment rédiger les résumés?… Ni mode d’emploi, ni carcan rigide, l’ouvrage propose sur ces questions réflexions et conseils utiles à tout auteur. Il n’hésite pas également à aborder les travers et les dévoiements du besoin de publier: l’envie de se faire valoir, celle d’être reconnu à tout prix par la communauté scientifique, la course effrénée à la production d’articles, qui reprennent parfois les mêmes idées, sous la pression de l’évaluation, l’absence d’interrogation sur la portée théorique des résultats obtenus, la quasi-obligation de publier en langue anglaise. Le désir d’écrire doit naître d’un problème posé par la clinique, d’une question qui sera élaborée dans une temporalité assez longue permettant en amont l’échange et la confrontation avec les collègues et non dans l’urgence.
La parole est également donnée aux acteurs qui font vivre les revues ou les portails de publication.
Comment évaluer les qualités d’un manuscrit? Si les critères quantitatifs sont relativement faciles à définir (adéquation entre le texte proposé, la ligne éditoriale et les recommandations aux auteurs définies par la revue), les critères qualitatifs sont bien entendu plus subtils et comportent une dimension subjective. Il est rappelé que si l’évaluateur doit adopter une position critique, il doit également faire œuvre de pédagogie et s’inscrire dans une démarche constructive permettant à l’auteur d’enrichir son travail.
Les responsables de deux revues (Le Journal des psychologues, Le Divan familial) retracent l’historique de ces publications et rendent compte concrètement du travail accompli au sein du comité de rédaction. Les différentes phases de la construction d’un numéro sont développées: choix du thème, réception des manuscrits, travail de liaison avec les auteurs et avec le Comité scientifique de lecture (instance indispensable pour qu’une revue soit indexée à une banque de données reconnue), élaboration du sommaire… Ce mode d’organisation complexe a pour but de soutenir le processus d’évolution des manuscrits entre leur forme initiale et leur présentation finale. Le point de vue d’un responsable d’une plateforme de diffusion d’articles en sciences humaines et sociales (Cairn.info) ouvre une perspective sur le devenir d’un texte après le temps d’écriture et celui de la publication.
Enfin trois contributions rendent compte des combats menés depuis sa création par la Conférence des Publications de Psychologie en Langue Française contre les dérives d’un nouveau modèle économique à l’œuvre dans le domaine de l’édition. Les objectifs de la CPPLF sont doubles: améliorer la qualité et la visibilité des articles de psychologie en proposant des recommandations aux auteurs et aux revues; défendre la langue française en tant que langue scientifique à part entière. Or ces attentes sont de plus en plus menacées par l’activité d’entreprises commerciales, le plus souvent anglo-saxonnes, qui prétendent juger la qualité d’un travail de recherche à l’aune de critères purement quantitatifs (indices bibliométriques, fréquence de citations d’un article…). Par ailleurs des agences de cotation qui sont juges et parties, fixent des critères de qualité, dont la valeur scientifique est parfois plus que douteuse, et obligent à écrire en anglais, ceci avec la complicité plus ou moins consciente d’auteurs désireux de se faire connaître et d’une partie du monde universitaire ou des Pouvoirs publics. Plusieurs interventions évoquent les effets nocifs de ces tendances, certains chercheurs adaptant leurs travaux dans le seul but d’être publiés dans des revues à facteur d’impact élevé, s’adaptant ainsi à la norme au risque de perdre en originalité et en pertinence. Il est aussi rappelé qu’on ne pense pas de la même manière d’une langue à l’autre et que, généralement, la réflexion est plus riche et plus profonde lorsqu’on s’exprime dans sa langue maternelle plutôt que dans un anglais souvent sommaire.
Soulevant maintes questions propres au processus créatif, riche en réflexions théoriques et en conseils pratiques, cet ouvrage sera sans aucun doute très utile à tout psychologue et à tout auteur potentiel.
[1] Rédacteur en chef du Divan familial
Note de lecture précédemment publiée dans Le Carnet PSY, n° 256, 2022/8.