REVUE N° 12 | ANNE 2012 / 2
Commision internationale ad hoc sur les débuts de la pf et l’entrée dans le processus psychanalytique de la famille
ANIMATRICE FRANCOISE MEVEL[1]
« Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D’où jaillit toute vive une âme qui revient. »
Baudelaire
Intraduisible mais nous ne comprenons pas toujours la langue de nos patients,
J’avais envie d’illustrer notre propos à partir de ce tableau de Daniele Vasa. Parce qu’il figure les ingrédients d’une TFP
L appareil psychique familial (Ruffiot) y est mis en scène. On y perçoit un tumulte peut être même un chaos du soi familial (Eiguer)
Les personnages, cachés derrières des masques, en défenses, sont indifférenciés
Il semble régner une agitation dantesque et la voile blanche, hissée à l’arrière peut se faire le porte drapeau de la demande.
On aperçoit au loin, une ville délaissée le temps du voyage vers une terre promise, Cythère. Cythère qui est la terre des amants mais que nous pouvons traduire par l’énergie libidinale de la pulsion. Et puis, nous savons bien en tant que thérapeutes familiaux que lorsque les parents retrouvent une identité de couple libidinalisé, la famille dénoue des liens par trop indifférenciés
Le navire, enveloppe contenante (Anzieu), semble constitué par de multiples morceaux. Ce n’est pas une coque monolithique mais une coque multiple, vulnérable par l’agencement de ces morceaux, et en même temps si endurante aux tempêtes.
Le bateau à la fois flotte et s’enfonce dans des lieux obscurs d où émerge la tête d un poisson bienveillant qui semble le guider !!!!!!!
Le cadre de la toile sur laquelle se dépose (Bleger) ce néo groupe (Granjon) amorce dans le coin en haut à gauche un décollement de surface, laissant entre voir « une autre scène » (Freud).
Embarquement pour Cythère
Introduction
Cette commission a vu le jour en octobre 2011 et s’est réunie régulièrement autour de ce thème, sur MSN. Chaque fois, nous avons produit un résumé de nos échanges retraçant les points essentiels de nos travaux.
Dans ce rapport, chaque point est, ici, repris dans un plan qui en fait la synthèse, sans pour cela les développer. Le développement pourra être repris par la suite, selon les orientations de chacun.
Pour exemple, Cristina Nudel a fait un important de travail sur le clivage et le paradoxe, Martine Vermeylen a porté une attention à la crise. Carole Hamel et Serge Arpin, Mauro Hegenberg et son équipe ont répondu à un questionnaire soulignant leurs fondements de travail. Eduardo Grinspon a insisté sur une problématique familiale, à savoir la perversion narcissique et sur la créativité de l analyste. Alberto Eiguer, sur la reconnaissance mutuelle, le processus transférentiel – contretransférentiel.
Dans ce rapport, je vais donc exposer plutôt la trame de cette recherche, nous laissant le temps pour théoriser chaque point ultérieurement. Ainsi, construire une pensée sur l’entrée en TFP, toujours fondée sur notre clinique, fut donc un parcours qui nous a demandé à la fois de nous ancrer sur les concepts psychanalytiques de référence revisités, dans les entretiens, par la place de l’autre, sa reconnaissance, la question des liens, des mécanismes groupaux : le redéploiement du monde psychique ne pouvant s’extraire que d une co -construction prise dans une multiplicité de transferts
En effet, comme pour toute rencontre analytique, les entretiens préliminaires accordent leur attention à l’énoncé de la demande souvent inaugurée par une crise, à l’écoute attentive des symptômes, des mécanismes de défense, de la mobilisation psychique et de la « naissance » des positions transférentielles : c’est une collecte nécessaire au travail de liaison qui incombera généralement au thérapeute.
Mais c’est une collecte qui se recueille dans une perspective groupale, dans une perspective d’écho, dans une attention au soi familial ; comment chaque mot, image, affect, signifiant, résonnent chez autrui, dont l’analyste ?
Franchir le seuil d’un cabinet d’analyste, en famille se présente déjà comme une aventure bien particulière où la famille, portée par son imaginaire, se dépose dans un cadre réel, orchestré par des règles symboliques, dans une polysémie d’appropriation subjective inhérente à la situation. Ainsi, le fait de venir ensemble permet, déjà, aux familles d’identifier qui compose leur ensemble, et chacun de prendre conscience du degré d’appartenance à cet ensemble. C’est un thème important par exemple pour une famille recomposée.
Dans cette question des entretiens préliminaires, toute la subtilité de notre travail a été, à la fois, de nous servir des outils de la psychanalyse sur les entretiens préliminaires, la demande … et de tenter de repérer une « spécificité » réelle et psychique de la demande d’une famille ou pour une famille.
Spécificité que nous avons axée autour de la reconnaissance d’une groupalité. Cet « être ensemble familial », structuré par des alliances ( Kaës ), complexes (Lacan) et organisateurs
( Eiguer ) « s échoue » dans une zone transitionnelle. Et lorsque la voix de chacun peut arriver à l’oreille de tous, nous pouvons commencer à envisager l’idée d’une entrée en processus.
_Nous avons monté un questionnaire initial et adressé à tous les membres de l’AIPCF.
_Nous avons débattu, en associations libres, des points fondamentaux que j’ai donc essayé de regrouper à partir des questions qui nous ont animés et qui, comme je le disais précédemment, constitue la trame de notre travail.
A. Questionnaire initial concernant la demande, les indications, le diagnostic structurel et les entretiens préliminaires
Qu’entendons-nous par entretiens préliminaires ?
Avons-nous une attente d’anamnèse ?
Pouvons-nous définir ce que nous appelons une demande de TFP ?
Individuelle, groupale ?
Quels sont les liens entre demande et transfert (s) ?
Avons-nous une intention exploratoire ? Comment la situer par rapport à l’écoute ?
Distinguons-nous un porte-parole de la demande ?
Pour quels symptômes ? Pour quelle structure familiale ?
Que remarquons-nous des prises de parole, de la chaîne associative groupale, de la mise en scène, de la distribution spatiale ?
Le cadre :
Comment et quand posons-nous le cadre ?
Quelles sont nos positions transférentielles, interprétatives et éthiques face à l’intimité, aux secrets, à la disqualification, à la violence ?
Quels sont d’ailleurs nos outils théoriques concernant les entretiens préliminaires ?
Utilisons-nous des médiations durant les entretiens préliminaires, telles que le jeu, etc. ?
Qu’est-ce qui nous fait dire que nous quittons les entretiens préliminaires ?
Des entretiens préliminaires au processus analytique :
Quelle fonction ont les entretiens préliminaires par rapport au processus ?
Qu’entendons-nous par régression familiale ? Et établissons-nous un lien entre son apparition dans le transfert et l’entrée dans le processus ? Est-ce lorsque la famille s’engage, par l’observation du cadre, que le processus s’amorce ?
Est-ce notre prise de parole, non plus dans un but exploratoire mais de transformation, qui signe cette entrée ?
Est-ce notre analyse du contre-transfert, de l’inter-transfert qui permet de l’envisager ?
Ou est-ce la construction d’une aire transitionnelle, où le néo-groupe famille-thérapeutes nourrit un sentiment sécure, qu’estampille l’entrée dans le processus ?
B. Une trame de notre travail : Plan de nos questions
S’interroger sur les entretiens préliminaires, revient donc, à poser le socle des préalables méthodologiques et à valider les positions de sujets de chacun. Suivent les points qui ont retenu notre attention.
D’abord, nous avons pensé qu’il y avait un « avant » l’arrivée dans le cabinet d’un thérapeute. Cet avant est constitué par les positions de l’analyste et la famille en état de « crise ».
Nous avons beaucoup insisté sur les divers postulats d’une entrée en TFP qui sont du fait de la situation analytique.
- entrée en TFP se n’est pas seulement l histoire d une « capacité » psychique, c’est un UNIVERS QUI S OUVRE
Il y a l’avant
- Avant l’arrivée dans le cabinet du thérapeute :
Il y a les positions de l analyste
- Le contretransfert : la subjectivité, l’endurance et la vulnérabilité de l’analyste
- Le lieu : le « se tenir dans un lieu » de l’analyste
Il y a la crise familiale
- Un être familial délié
Ensuite la famille franchit le seuil du cabinet et y rencontre à la fois un (ou des) psychanalystes et un intermédiaire entre le dedans et le dehors
- Le seuil : lorsque la famille franchit la porte :
L analyste se présente
- Le psychanalyste est-il un cherub ?
Ensemble, ils se tiennent dans l’entre deux de l entrée :
- Entrée, limite, début
Et une histoire commence à s’écrire
- Un premier dépôt ?
Puis vient la rencontre qui tourne autour des corps et de la demande et ces différentes mises en scène
- La rencontre
- Les corps : que vont-ils dire et montrer
- La demande
- Présence comme acte de demande
- La polysémie de la demande
- Le parcours de la demande : entre le singulier et le groupal
Le temps va commencer à s’inscrire
- La temporalité
- Dans les retrouvailles et les « loupés » des séances
- Dans l historisation
Et une histoire thérapeutique va tenter de s’écrire : entretiens préliminaires, transfert, entrée en processus : voilà notre sujet : D’où « Evaluer » l’appropriation subjective des premiers entretiens mais en ayant toujours le souci de les penser à partir de la groupalité.
- La mobilisation psychique
- Le ton d’une histoire : les liminaires
- Embarquement
- La régression
- La co-construction
- La fomentation fantasmatique
- La création d un néo-groupe
- La conjugaison des transferts
C. Le développement de notre travail : L’Entrée en TFP
- Avant l’arrivée dans le cabinet du thérapeute :
Pour qu’un processus thérapeutique se déploie, l’analyste est à la fois « sans mémoire et sans désir: », habité par lui-même et par un corpus théorique qu’il peut être amené à suspendre bannissant tout désir d’emprise…
- Le contre transfert : la subjectivité, l’endurance et la vulnérabilité de l’analyste
- Le lieu : le « se tenir dans un lieu » de l’analyste qui offrira une proposition d’entrée dans son dispositif.
Ce qui est un temps fondateur, pour les familles souvent en rupture de sens, de liens, en crise « existentielle »
- La crise familiale
Pour beaucoup d’entre nous, le motif de consultation de la famille est souvent lié à une crise, même si ses membres n’en ont pas conscience. Perte de sens, narcissisme bafoué, incestualité, violence, traumatismes, deuil, souffrance : Lorsque une famille arrive, c’est un être familial délié qui se présente, mobilisée par thanatos, la déliaison, les ruptures. La structure familiale semble tenir sur un symptôme ou un porte-voix (porte-parole).
La crise se présente-t-elle comme un désordre du point de vue économique, structurel et dynamique, avec des affects de manque, de détresse. Il y a des empiètements, des rivalités meurtrières, des négations de l’autre. La crise est portée par des clivages et des paradoxes dont voici une illustration
Un groupe fraternel de 6 adultes (45 à 68 ans) est reçu par deux thérapeutes, à la suite du décès de leur mère et des problèmes d’héritage. Ils sont 9 enfants mais 3 ne se déplaceront pas bien que partie prenante des discordes. Deux clans s’installent dans le cabinet : deux adultes serrés qui se nommeront « les parias » et les quatre autres qui sont nommés « les élus » par « les parias ».
Ils viennent car ils ne peuvent régler leur héritage non pas celui des biens réels mais sur la gestion symbolique des affaires. Ce qui fait éclater des querelles qu’ils n auraient jamais soupçonnées.
En fait, une des sœurs a toujours géré les comptes. Elle était, alors, l’élue de la mère. Maintenant que la mère est morte, elle est bannie par les autres : une autre sœur voudrait prendre les choses en main car elle a été longtemps exclue de la maison car mariée à un ….divorcé. Mais l’élue de la mère, celle qui s’en est occupée à la fin de sa vie refuse de laisser « la bannie divorcée » s’occuper de quoique ce soit. Les places sont alors inversées. L’élue de la mère devient la bannie du groupe fraternel qui veut réhabiliter la « rejetée » : le symptôme semble toujours se perpétuer : exclure quelqu’un même pour faire plus de justice Ils mettent en scène les liens fraternels que leur mère a voulu agencer de son vivant en liens pervers : Une mère qui a « choisi » des enfants à aimer plus que d’autres : ce que nous retrouvons dans cette première séance où les « exclus » se sont mis dans un coin, tremblant de rage contenue. Entre ces 2 enfants exclus, un bébé mort qui semble les souder et qui errera dans le cabinet.
La mort de la mère ouvre la possibilité de refaire la carte des frères et sœurs privilégiés et non privilégiés, un sous-groupe attend que la thérapie aide à refaire cette carte alors que l’autre attend que la thérapie confirme la carte ancienne et la consolide
L’histoire du groupe fraternel présenté est fondée sur un clivage entre les enfants élus et les enfants bannis. Les thérapeutes ont veillé à ne pas se laisser embarquer, contre-transférentiellement, dans ce clivage où une mère morte plane au dessus de la séance et tire sur la ficelles des marionnettes que nous sommes.
Pourtant, les séances se sont arrêtées sur un paradoxe qui a entrainé un clivage dans le groupe : pendant les rencontres, ils ont engagé des poursuites en justice, un clan contre l’autre : arguments opératoires contre enjeux inconscients. Ce qui a clivé le groupe : un clan voulait suspendre, l’autre pas. Un thérapeute voulait un rendez-vous précis, l’autre pas. Ils doivent rappeler à la rentrée.
Pour revenir au plan général, un groupe familial souvent sous la férule d’un porte-parole se présente alors de gré ou de force, à la porte du cabinet.
- Le seuil
Et le premier contact, premier regard, première parole accrochent, chacun
- Le psychanalyste est-il, alors, un cherub ?
C’est-à-dire un gardien, à la manière des animaux mythiques qui gardaient le seuil des maisons, un être qui se présente comme garant d’une certaine sécurité, sur laquelle s’appuyer et qui autorisera à entrer.
- Entrée, limite, début
Lacan (Scilicet 6/7 p32) annonce en parlant des patients « qu’il s’agit de les faire entrer par la porte [de telle sorte] que l’analyste soit un seuil ». A savoir qu’il représente un lieu intermédiaire dans lequel va se jouer déjà la « remobilisation » groupale.
Il y a déjà, dans ce franchissement d’une groupalité familiale une mise en représentation de l’ensemble familial qui vient chercher un abri. Le thérapeute valide ce groupe désorganisé comme une famille, mobilise un nouveau narcissisme de vie. Son regard embrasse la scène, témoin du lien familial.
- Un premier dépôt ?
Car franchir la porte signifie que l’on quitte un lieu pour entrer dans un autre lieu où chacun, avec l’autre, est appelé à enlever ses masques, à se « dépouiller » de ses déguisements, et d’une certaine manière à se libérer. L’intérieur rappelle le monde privé ; l’extérieur, le monde public. A l’intérieur se déploie l’intime ; à l’extérieur, l’extimité : le monde de soi-même en lien avec les non membres de la famille. Dans l’intérieur, on peut donner libre cours à son être authentique, on est débarrassé des convenances, on se sent à l’aise et on se livre à autrui plus facilement qu’ailleurs. Cet intérieur est celui de la salle de la consultation ou la thérapie familiale.
- La rencontre
De quoi est-elle constituée ?
- Du cadre avec ses règles s’offre en contenant d’une groupalité
- Des corps
Pour ces premiers entretiens, nous avons souligné l’impact de la présence humaine, déposée dans un cadre réel, orchestrée par des règles symboliques. Nous avons insisté sur les jeux des corps réels de la famille, de son corps familial imaginaire qui se met en scène sous le regard de l’analyste, avec la référence au soi familial comme hypothèse d’entrée en processus.
Il y a une « confrontation des corps » : corps familial imaginaire, corps réel de chacun y compris l analyste, corps symbolique de la séance. Nous pouvons l’illustrer par cette famille dont les parents sont séparés. C’est le père qui formule une demande pour lui et pour ses enfants qui souffrent des conflits avec la mère éloignée
Le corps imaginaire familial, sans la mère, arrive mais la présence imaginaire et symbolique de la mère envahit les séances. Les thérapeutes proposent, alors, une rencontre en présence de la mère car il leur semble difficile de poursuivre la demande symbolique du corps imaginaire familial sans la confrontation avec le réel de la mère! La présence réelle de toute la famille a redonné, aux thérapeutes, une autre « lecture » symbolique de cette famille.
Une famille vient dans sa corporéité mais avec aussi avec sa famille interne. La rencontre de ces deux familles interne et réelle originet-elle une entrée en processus ? Au moment d’une crise, la famille interne refoule parfois la famille réelle, chacun est passé par les filtres des attentes, des déceptions, des liens fusionnels. Trop de souffrance et de violence incitent, alors, à la demande.
- La demande
Notre position d’analyste s’accorde écouter à chaque pathologie. Pour arriver à dégager la demande il faut beaucoup de temps. C’est « le parcours du combattant » : La question du symptôme y est centrale. D’autant plus qu’en TFP il y a intrication entre souffrance familiale et symptôme individuel ou symptôme familial et souffrance individuelle. Lorsque le symptôme est reconnu comme l’émergent d’une histoire familiale peut on parler, alors, d’entrée en processus ?
- La présence comme acte de demande
Cependant, nous considérons, déjà, que la mobilisation de tout un groupe (plus ou moins consentie, car certains traînent des pieds pour venir) est une première mise en forme de la demande : nous sommes tous là car cela concerne chacun avec l’autre. Ce qui est, déjà, une entrée dans la réalité de la groupalité familiale. Sans oublier que la demande est aussi dans la pensée de l analyste
La demande ne peut toujours se verbaliser d’autant plus qu’elle concerne une famille. Alors le porte-symptôme [malade désigné] est souvent brandi pour alléguer qu’il s’agit d’une causalité linéaire. « C’est lui le malade, pas nous. »
Et s’en dégager origine-t-il un changement de cap ? La demande latente, peut-elle ainsi s’énoncer ?
De plus, chacun arrive avec « sa » demande et celui « qui ne demande rien » s’avèrera parfois celui qui se mobilisera rapidement
- La polysémie de la demande
La demande découle du type de lien intersubjectif ou transsubjectif. Cependant quelque soit ses modalités, nous ne pouvons attendre que la demande soit convergente : le groupe signifie désaccord, opposition. Et c est ce désaccord qui porte la demande : le dialogue s’engage sur ces contradictions. C’est la turbulence de la demande qui est le signe du groupe et la polysémie de la demande qui signe la groupalité.
Que signifie la demande lorsque chaque demande ne se retrouve peut être pas dans la demande familiale. Qui est le porte parole de la demande ?
Ne serait ce pas la prise en compte des demandes individuelles mises en résonnance qui va constituer le socle d une thérapie familiale ?
- Le parcours de la demande : du singulier au groupal
Il y a celui qui demande, un autre qui se lance, un autre qui catalyse la résistance de la famille Il y a comme une diffraction de la demande et en « tricoter » silencieusement les paradoxes et les clivages est au fondement des premières rencontres.
Ces questions nous apparaissent fondatrices des entretiens préliminaires car ce temps d’arrivée du groupe désigne déjà un fonctionnement groupal qui demande à être regardé et écouté par un thérapeute.
- La temporalité
La première inscription dans un temps commun est le rendez-vous pris. Honoré, oublié, rejeté il viendra signifier qu’il y a des retrouvailles possibles, dans ce lieu, avec ces thérapeutes qui « attendent » la famille qui vient se raconter.
En effet, par le récit des faits marquants du passé, en rappelant les origines de chacun, du couple, etc., en historisant, la temporalité est reinjecté dans la vie de la famille.
Le thérapeute comprend mieux le sens de la crise actuelle, pourquoi la famille vient le voir à ce moment-là à la consultation. Après un temps narratif de dépôt, dans des entretiens préliminaires, le destin de la crise se posera.
- La mobilisation psychique
Et d’où « évaluer » l’appropriation subjective des premiers entretiens (en ayant toujours le souci de les penser à partir de la groupalilté : écouter l’autre, essayer de se faire écouter par l’autre). Il ne s’agit pas tant d’interpréter les contenus mais d’accompagner la famille à se constituer un contenant dans lequel se dira, s’élaborera, se transformera la structure de la famille à partir de ses alliances, complexes et organisateurs.
Lorsque chacun peut être regardé de la place qu’il occupe, dans quelle alliance il est pris, lorsque les liens commencent à être interrogés, peuton alors parler d’entrée en processus ?
Peut-on penser cette appropriation subjective à partir vers Cythère ? Du ton d’une histoire
Lorsque sa parole et celle de l’autre provoquent des étonnements et que chacun en accepte les effets de surprise, l’histoire peut se revisiter, les dynamismes inconscients se dégager, les secrets se révéler.
Le lien à la parole décolle alors de l’intentionnalité consciente ou imaginaire et laisse apparaître l’autre. De l’embarquement
Lâche les amarres ! Les désirs d’emprise, de maîtrise lâchent alors pour laisser la place à l inattendu, à un autre que l’on n’attendait pas, à un sens jamais entrevu.
C’est aussi lorsque la famille lâche la demande d’aide, et qu’elle continue, alors, à venir qu’elle va peut-être entrer en analyse, à partir du regard du thérapeute: ce sont les premiers liens transférentiels. La question de la reconnaissance y est centrale et fait de la reconnaissance mutuelle le concept clé de l’entrée en TFP : ce n’est pas encore du transfert : est-ce la certitude narcissique d’exister, là, dans ce lieu de rencontre ? De la régression
La famille s’installe alors dans le lieu, dans le temps. En quelque sorte, elle s’abandonne.
- De la co-construction
Ce terme de co-construction a de nombreuses connotations. Une coconstruction créative entre la famille et le thérapeute parait être le signe d’une mise au travail psychique, Dans le récit et la co construction nous abordons le passage dans le travail. Nous ne sommes plus sur le seuil du processus, mais nous y entrons. Au sein de notre commission, la coconstruction a été retenue en concept fédérateur autour duquel tournent les autres notions. Certains en obstacles (clivage, paradoxe, perte de sens, narcissisme groupal défensif) accueillis comme un matériel psychique fondateur, sans les déconstruire. D’autres, moteurs, comme la fomentation fantasmatique.
Construire un objet d’analyse familial est un parcours qui demande la créativité de l’analyste et le consentement mutuel mais consentement mutuel à la fois avec le groupe et le désir de chacun.
En somme, pouvons-nous parler d’entrée en TFP quand il y a un mouvement psychique dynamique de co-construction de sens, d histoire de fantasmes entre les membres de la famille et les thérapeutes accueillants ?
- De la fomentation fantasmatique
De l’énoncé à l’énonciation, des associations libres s’amorcent, s’enrichissent, se lient aux fantasmes et affects.
- De la constitution d’un néo-groupe entre la famille et le thérapeute C’est ce qui se construit inconsciemment entre la famille et le thérapeute et qui sera le socle du travail analytique.
Le thérapeute y est attentif à l’aménagement des liens, les alliances, complexes et organisateurs dans un effet de co-subjectivation, nécessaire à la liaison psychique.
- De la conjugaison des transferts
Une illustration
Mauro Hegenberg propose son protocole de travail :
- : Comprendre les premiers mouvements des clients et en dire quelque chose de significatif;
- : Savoir si la famille est en crise
- : Etablir la demande et le focus du traitement 4 : Poser une indication Et ses questions :
- : La famille, peut-elle commencer déjà à travailler pendant ces entretiens préliminaires?
- : Peut-elle montrer des mouvements d’insight?
- : Est-elle perméable à nos interprétations?
Conclusion
La question de l’entrée en TFP ne doit pas faire l’économie de penser le dispositif à l’œuvre ni la place de l analyste : sa perméabilité à la circulation fantasmatique groupale, sa manière de conduire la famille vers une plus grande flexibilité dans les liens familiaux.
La TFP est un lieu de reconnaissance et d’engagement réciproque, un ensemble d’expériences subjectives en lien les unes aux autres dans un enchevêtrement de sens parfois impensables.
L’entrée en processus fait partie de ce cheminement imprévu : la métaphore de l embarquement pour Cythère, en est, nous l’avons dit, une métaphore particulièrement signifiante
Ne commence-t-on pas à penser lorsque l’on peut admettre que la pensée n’est qu’une hypothèse sur le chemin de la construction d’un sens dans lequel chacun se retrouve ? De plus, dans nos échanges théorico cliniques de l année nous avons souvent conclu sur l’oralité : gâteaux, maté, etc. étaient conviés.
Avec la métaphore des voyages et celle de la cuisine, la psychanalyse de la famille y apparait comme une aventure où chacun a la possibilité de penser son histoire articulée à celle « d’autres », comme les ingrédients
d’une recette qui ne deviendra que par le talent de l’interfantasmatisation.
Car la psychanalyse s’offre davantage à élargir le champ d’investigation psychique (pour un patient, une famille, un analyste) plus qu’à guérir ou transformer une réalité : c’est, peut-être, dans ce sens que l’entrée en TPF doit être envisagée : penser d’autres modèles possibles. En référence à « l’expansion de l’univers psychique » de Bion. « La psychanalyse est une sonde qui élargit sans cesse le champ qu’elle explore »
[1] Bordeaux, France, SFTFP