REVUE N° 24 | ANNE 2021 / 1

Les médiations dans le processus de thérapie familiale psychanalytique

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Les médiations dans le processus de thérapie familiale psychanalytique

La psychanalyse de famille et de couple prend en compte le corporel pulsionnel, les ressentis, le sensoriel, les comportements, dans le champ transféro-contretransférentiel et intertransférentiel. Dans la rencontre intersubjective, patients-thérapeutes sont dans la coémotionalité. La médiation, fréquemment utilisée en séance familiale ou de couple, vise à mobiliser dans l’ici et maintenant des affects, des sensations, pour aller vers l’émotion partagée. Elle permet de passer de l’indicible, innommable, impensable, à la figuration, l’imaginaire, puis à l’ordre symbolique grâce au récit.

 

Mots-clés: affect, émotionnel, médiation, Photolangage©, psychodrame, thérapie familiale psychanalytique, thérapie de couple.


Mediations in the psychoanalytic family therapy process

Psychoanalytic family and couple therapy takes into account bodily drives, feelings, the sensory and behaviours in the transference-countertransference and inter-transferential field. In the inter-subjective encounter, patients and therapists are in a “co-emotional” state. Mediation, as frequently used in family and couple sessions, aims to mobilise in the here and now, affects, sensations and, sensorial feelings, to move toward a shared emotion. This allows for a transition to be made from the inexpressible, unspeakable and un- thinkable, towards figurability the imaginary and then a symbolic order, thanks to what is expressed.

Keywords: affect, emotional, mediation, Photolanguage©, psychodrama, PFT psychoanalytic family therapy, couple therapy.


Mediaciones en el proceso de terapia familiar psicoanalítica

 El psicoanálisis familiar y de pareja tiene en cuenta el cuerpo pulsional, los sentimientos, lo sensorial, los comportamientos, en el campo de la transferencia-contratransferencia y de la intertransferencia. En el encuentro intersubjetivo, los pacientes-terapeutas están en coemocionalidad. La mediación, utilizada con frecuencia en las sesiones familiares o de pareja, tiene como objetivo movilizar los afectos y las sensaciones en el aquí y ahora, para avanzar hacia una emoción compartida. Nos permite pasar de lo indecible, lo incalificable, lo impensable, a lo figurado, a lo imaginario, y luego al orden simbólico gracias a la narración.

 

Palabras clave: afecto, emocional, mediación, Fotolangage©, psicodrama, terapia familiar psicoanalítica, terapia de pareja.


ARTICLE

Introduction

L’utilisation des médiations est fréquente dans les groupes thérapeutiques et se développe de plus en plus en psychanalyse de couple et de famille. La recherche menée dans le cadre de l’Association internationale de psychanalyse de couple et de famille (AIPCF) par Pierre Benghozi et Christiane Joubert (2014) a recensé les diverses médiations utilisées dans la pratique de la thérapie familiale psychanalytique:

  • avec les enfants: le dessin, la peinture aux doigts, les jeux imaginatifs, les personnages, les marionnettes, les masques, les animaux (figurant la colère, la douceur, l’agrippement, etc.), les collages, les jouets (boule élastique, animaux, etc.);
  • en séance: l’écriture, les instruments de musique, le bâton de parole, les dessins, des tableaux appartenant au thérapeute (en lien avec les séances), le plan de la maison, le dessin libre de la maison de rêve, l’arbre généalogique, le striogramme, le Photolangage©, etc.

Si une grande variété de médiations est utilisée en thérapie familiale psychanalytique, cela est moins fréquent en thérapies de couple (Sommantico, 2011).

 Les processus psychiques mobilisés par les médiations

Les travaux sur les médiations utilisées dans les groupes thérapeutiques (Chouvier, 2002; Vacheret, 2002) mettent en évidence l’importance des médiations dans la mobilisation des affects, des sensations, des ressentis sensoriels qui s’actualisent en séance. Elles permettent de passer de l’innommable à l’imaginaire, la figurabilité et le symbolique. La dimension du jeu se mobilise, remédiant ainsi aux ressentis de butée dans le processus thérapeutique.

La médiation permet de mobiliser une représentation de l’image inconsciente du corps physique et du corps familial (arbre généalogique, maison de rêve, spatiogramme). Elle peut permettre la mise en route d’un processus d’interfantasmatisation dans le groupe, le couple ou la famille et la mobilisation d’un espace psychique intermédiaire.

La médiation est une composante de l’alliance thérapeutique qui engage non seulement la subjectivité du thérapeute mais aussi l’intersubjectivité groupale lors des séances. On l’utilise en principe aussi bien au début d’une thérapie que lorsque cette dernière est très engagée. L’utilisation de la médiation est un mode d’expression de l’implication et de l’engagement du thérapeute, en fonction des blocages ou des impasses ressenties au cours de la thérapie. Si le thérapeute travaille en cothérapie, la proposition d’une médiation fait l’objet d’une réflexion en amont de la séance, ou bien après, lors du travail de postséance. Nous pouvons considérer l’utilisation de la médiation comme un effet du contre-transfert et de l’intertransfert du ou des thérapeutes. Elle peut aussi être vue comme un aménagement défensif vis-à-vis de ce que mobilise la famille ou le couple, dans le champ transférentiel. Mais la plupart du temps la médiation correspond à une disponibilité créatrice à l’écoute.

Le jeu psychodramatique, une des premières médiations thérapeutiques en thérapie familiale psychanalytique

 Le psychodrame constitue, à l’instar du génogramme, l’une des premières formes de médiation thérapeutique ayant bénéficié d’une application dans le champ de la thérapie familiale psychanalytique. Jean-Pierre Caillot et Gérard Decherf (1989) en ont notamment défini un certain nombre de paramètres propres à la pratique familiale, en proposant une adaptation de ses règles et principes au plus près du cadre psychodramatique classique. Au cours des décennies suivantes, les techniques de jeu psychodramatique en TFP se sont diversifiées, donnant lieu, depuis les années 2000, à des propositions de variantes procédant d’aménagements destinés à ajuster l’utilisation du psychodrame en fonction des configurations cliniques rencontrées (Wainrib, 2005), écrit Marine Ruffiot dans son travail de thèse (2014). Elle montre, dans ce travail, le rapport au préconscient, reprenant ainsi l’hypothèse d’André Ruffiot et André Ciavaldini (1989) sur le fonctionnement préconscient métaprimaire du groupe familial. Elle reprend également la notion d’“image du corps familial” à partir des travaux de Patrice Cuynet (2005): la mise en jeu psychodramatique des corps individuels en TFP favoriserait la restauration de la capacité contenante de ce corps familial, en ce qu’elle vient mobiliser l’associativité́ infraverbale propre au préconscient métaprimaire, créant un espace potentiel propice à la relance de la dynamique élaborative. Le corps familial mythique pourrait ainsi venir s’étayer sur cette “enveloppe de jeu”. Elle s’appuie aussi sur les travaux de Brigitte Kammerer (2012), qui insiste sur les effets de symbolisation promus par la mobilisation corporelle, au travers de laquelle trouvent à s’exprimer, sur un premier mode figuratif, certains éléments non encore symbolisés, restés en souffrance de psychisation dans l’appareil psychique familial. L’accueil, la contenance et le travail autour de ce matériel dans l’espace potentiel “tiers” de la mise en scène psychodramatique au sein du néo-groupe, soutiennent alors, selon des modalités particulièrement étayantes, les processus de liaison au fondement de la symbolisation: «Si le jeu a déjà, en lui-même, une valeur interprétative, il a également cette particularité intéressante et mobilisatrice de mettre en lien de façon immédiate corps et mouvements, affects et représentations» (Kammerer, 2012, p. 99).

Marine Ruffiot (2014) réfère également largement ses développements aux travaux de Steven Wainrib (2005) et de Philippe Castry (2010), s’inscrivant dans un même axe de réflexion consistant à considérer le travail du jeu comme alternative au travail du rêve en thérapie familiale psychanalytique, lorsque ce dernier n’est pas mobilisable ou n’est pas opérant, à cette différence près que leurs expériences respectives ne renvoient pas à l’instauration d’un dispositif pleinement structuré autour du “psychodrame familial”, mais à l’utilisation ponctuelle du jeu psychodramatique en famille à certains moments du processus thérapeutique. Philippe Castry propose ainsi, en fonction de l’appréciation clinique sur le moment et du constat d’un processus associatif qui peine à se mettre en place, le recours, de façon non systématisée, à des “moments psychodramatiques”, dans l’objectif de «soutenir les mouvements associatifs, les vivifier, voire en permettre l’émergence ou les ranimer» (Castry, 2010, p. 339). Ces aménagements du cadre ne sont pas pensés dans l’optique d’importer le dispositif de psychodrame au sein de la TFP, mais dans celle d’utiliser le jeu en tant qu’“appoint” technique complémentaire, en exploitant les modalités spécifiques de figuration, de déplacement et de mises en perspective du jeu psychodramatique, pour mobiliser et remettre en circulation les fantasmes au sein de l’appareil psychique familial. Le rôle des thérapeutes dans cette dynamique de jeu est conçu comme relevant d’un «jouer-rêver-inventer qui soutient la pulsion de vie» (ibidem, p. 348), en offrant un support à la symbolisation d’angoisses impensées qui paralysent la psyché familiale, attaquent ses capacités de contenance et entravent le déploiement des processus réflexifs. Selon Philippe Castry, «le jeu, le rêve joué-inventé en thérapie familiale réinvente les contours de l’appareil à penser, à rêver, et les processus de pensée. Le jeu, comme le rêve, fonctionne comme un miroir groupal dans lequel la famille se mire grâce à la reprise de ses capacités de jeu psychique» (ibidem, p. 349). C’est cette même perspective d’“appoint psychodramatique” que Steven Wainrib (2005) explore en proposant d’articuler à l’invitation classique à associer par la parole, au cours de certaines séances, une “mise en jeu psychodramatique” selon un “dosage” adapté à chaque configuration clinique, en fonction des possibilités et nécessités psychiques de la famille. Ainsi, l’engagement des thérapeutes se manifeste dans l’espace spatiotemporel de la séance et dans cette enveloppe de jeu.

Extrait clinique montrant l’utilisation du jeu psychodramatique en séance: lors d’une séance de thérapie familiale avec moi (Christiane Joubert), Mathieu, 8 ans, très inhibé, renfermé et peu communiquant, ne jouant pas – ce qui a amené les parents à venir consulter avec lui, envoyés par le CMP où Mathieu est en soin dans un groupe de psychodrame-enfants, me demande s’il peut ici, aussi, jouer à “comme si”. J’acquiesce et il joue à “si j’étais riche…”. La famille a de gros soucis financiers récurrents et en parle souvent en séance. Mathieu met en scène l’achat d’une maison avec son père pour faire une surprise à sa mère et je suis le vendeur de la maison. Le père plaisante sur la vente de mon cabinet à la famille… Je propose à madame de dessiner la maison de rêve. Suite à cette séquence de jeu, elle va évoquer un souvenir d’enfance traumatique: elle avait 8 ans quand ses parents, elle et son frère ont dû très rapidement quitter leur maison, car leur père a fait faillite et la famille a tout perdu… Elle dit que, pour elle, cela a été très difficile; ils n’ont pas pu en parler et il fallait être fort pour affronter la situation familiale catastrophique. Leur niveau de vie s’est effondré et son père, resté longtemps au chômage, s’est déprimé gravement et s’est mis à boire ; sa mère a dû chercher du travail pour faire face et, depuis, l’argent a toujours été un problème pour elle. Mathieu questionne sa mère sur la maison perdue. Madame évoque la honte ressentie alors et le fait qu’elle a dû changer d’ecole, retourner dans le public et perdu toutes ses copines. Cet épisode fait écho pour monsieur, il se rappelle son vécu d’enfant en HLM, son père ouvrier qui travaillait dur et ses parents qui ont toujours rêvé d’avoir une maison à eux, sans pouvoir réaliser ce rêve. Ils se demandent en séance quelle a été l’influence de ces vécus sur leurs difficultés financières récurrentes: “Peut-être que l’on ne s’autorise pas à gagner de l’argent”, dit madame. Mathieu regarde le dessin de la maison de rêve de sa mère et dit: “Alors, un jour, nous, nous aurons une maison à nous?”. “Peut-être”, répond son père.

On perçoit, dans cette brève séquence clinique, comment le jeu psychodramatique en séance et dans la dynamique transféro-contretransférentielle, autour de l’espace ici et maintenant, a permis la réminiscence de vécus traumatiques et la mise en représentation. Peut-être aussi Mathieu s’est-il appuyé sur la découverte du “comme si” lors du groupe de psychodrame en institution.

Le Photolangage© en thérapie familiale psychanalytique, utilisé plus récemment

Le Photolangage© est une méthode élaborée à partir de 1965 par des psychologues cliniciens, Claudine Vacheret (2000) et des psychosociologues lyonnais. Elle se pratique en groupe et utilise comme média des photographies (prises par des photographes professionnels). Elles sont regroupées par thèmes en dossiers étalonnés contenant chacun 48 clichés. Cette médiation active les processus associatifs de liaison et de mise en sens de liaison à l’intérieur du groupe et entre le groupe et les thérapeutes qui en sont participants.

Claudine Vacheret (2000) place le Photolangage© dans la rubrique des soins psychiques. Le média photo amène progressivement des images mentales à partir de la mobilisation des affects, ce qui permet au groupe d’accéder peu à peu à la symbolisation. L’auteur précise que le langage en image correspond au langage du corporel, langage des signes et des traces inscrites profondément en nous. Cela fait penser à l’image du rêve. L’affect, dans un premier temps mis en image, favorise ensuite l’accès au symbolique par le récit. La scène traumatique, dans l’après-coup, prend la forme d’image mentale (à rapprocher du rêve) dans la relation intersubjective au sein du néo-groupe. C’est seulement à ce moment-là que l’affect devient symbolisable.

L’utilisation du Phololangage© en séance de thérapie familiale psychanalytique permet de développer des scènes médiatrices transformationnelles (Durastante et Joubert, 2013). Nous constatons dans notre clinique que la famille est réceptrice d’éléments transgénérationnels impensables et irreprésentables, provoquant ainsi des scènes répétitives dont elle est littéralement possédée. Ces “scènes brutes” (Durastante, 2011) présentent une analogie avec les “objets bruts” théorisés par

Evelyn Granjon (1990), qui traversent les générations sans élaboration possible, bloquant la capacité de liaison et de transformation de l’appareil psychique individuel et groupal-familial.

L’utilisation du Photolangage© peut permettre l’introduction de scènes tierces et transformationnelles par la mise en route progressive d’une pensée en image et d’affects afférents. Un exemple clinique viendra ultérieurement illustrer ce propos.

Place du corps lors des médiations dans le processus de la psychanalyse de couple et de famille: du corps pulsionnel, ressenti, au corps fantasme

L’engagement du ou des thérapeutes lors de l’utilisation des médiations nous conduit à réfléchir sur la place du corps dans la relation thérapeutique intersubjective.

Le corps pulsionnel ressenti

 Dans le setting analytique classique (la cure type individuelle), la mobilisation profonde du patient à travers ses ressentis, mis en image par le rêve, par exemple, puis racontés à l’analyste, passe par l’imaginaire et ouvre la voie au symbolique. La rencontre intersubjective qui permet la verbalisation des souvenirs traumatiques qui ressurgissent permet la circulation des affects et mobilise le corps du patient et celui de l’analyste.

Le corps de l’analyste est lui-même perçu et ressenti par le patient. Ainsi, le corps dans la rencontre intersubjective est pris dans la dimension de sa pulsionnalité, avec des affects d’amour et de haine. Nous pensons à cette citation d’André Ruffiot (1981) “La psyché est illimitée; ce qui limite, c’est le corps”. Le corps, dans la rencontre analytique intersubjective, dans le setting analytique groupal en face à face, avec le support du regard, est perçu d’une manière plus prégnante encore. Il s’agit d’un setting en étayage.

La thérapie familiale psychanalytique prend donc en compte le corporel, à travers le sensoriel, les ressentis profonds, proprioceptifs, et les comportements. Le sensoriel du ou des thérapeutes est mobilisé dans le cadre du contre-transfert (bruits, odeurs, vue), ainsi que la pulsionnalité. Concernant la co-émotionnalité, le corps est, dans un premier temps, mobilisé par l’accès au sensoriel, puis par les ressentis profonds, à la manière d’un accordage primaire, dans l’intersubjectivité́ patientsthérapeutes, et aussi dans la transsubjectivité (incluant les appartenances de chacun y compris celles du ou des thérapeutes). En séance, l’émotion partagée fait suite à l’affect, puis à la représentation, permettant ainsi l’accès à l’ordre symbolique. La pulsionnalité des corps est aussi à l’œuvre: Avron (1996) parle de “pulsion d’interliaison rythmique” dans les groupes. Kaës (1993) reprend le fait que chaque sujet dans le groupe est sujet de sa propre pulsionnalité. L’engagement du thérapeute dans le cadre de la médiation révèle son engagement corporel.

L’interfantasmatisation se déploie grâce à l’implication du thérapeute qui, lors de la médiation, participe activement, portant ainsi la fonction alpha au sens de Bion (1962). Dans le contre-transfert, le thérapeute est à l’écoute des éprouves corporels profonds, d’ordre proprioceptifs, en résonance avec la dynamique de la séance. Pour Piera Aulagnier (1975), l’Originaire a pour fonction d’inscrire dans la psyché les éprouvés corporels, ce qu’elle nomme les pictogrammes. Le registre de l’Originaire est en effet convoqué en séance de thérapie familiale psychanalytique.

 Le corps souffrant

 À propos de la question du corps souffrant, les travaux de Sándor Ferenczi (1934) ouvrent la voie à la psychosomatique et à ses avancées actuelles: cet auteur a montré l’impact des failles narcissiques et des traumas primaires dans certaines maladies somatiques. Plus récemment, Alberto Eiguer (2014) a mis en évidence les fonctionnements pervers dans le lien et les somatoses qui en découlent. Le corps souffrant porte les traces du transgénérationnel, c’est aussi ce que nous avons montré dans nos travaux (Joubert, 2013). Philippe Robert (2014) fait remarquer que le corps parle tout le temps et il nous invite à l’écouter.

 Le corps fantasmé

 Dans le dessin de l’arbre généalogique et de la maison familiale, il s’agit de la représentation du corps de chacun au sein du corps familial fantasmé (Cuynet, 2005), ce qui est une manière de se représenter l’ancrage, l’appartenance et les racines familiales. De ce fait, par ces objets médiateurs, nous avons accès à la transmission psychique inconsciente et à la mythopoïèse familiale. Pierre Benghozi (2006; 2014) travaille en séance le “spatiogramme de la chambre des enfants et des adolescents” – comme représentation de la dynamique du maillage/démaillage des liens de filiation et d’affiliation. Irma Morosini (2014), de son côté, traite de “la récupération possible du corps familial dans un espace transitionnel partagé”.

 L’espace thérapeutique

 Le lieu où se déroulent les séances signe l’appartenance du ou des thérapeutes et leurs engagements. Le néo-groupe thérapeutique (Granjon, 1990) se déploie au sein d’un espace proposé: lieu public, hôpital, centre social en zone urbaine sensible, cabinet privé (avec son aménagement intérieur et son lieu géographique dans la ville). Quelques propos de patients au cabinet de Christiane Joubert: “Ici, on se sent bien dans ce bureau, décoré, chaleureux, douillet” (il y a en effet des objets ethniques dans le bureau, affichant un gout du thérapeute pour les voyages) ou encore: “On sent votre ouverture d’esprit, ici ça voyage…”. Un patient, parlant du divan, dit: “Mon divan… je voudrais le même espace intime pour moi, chez moi”.

Un bref exemple clinique avec la médiation Photolangage© lors d’une séance de thérapie de couple

 Le couple Dunan, la cinquantaine, prend rendez-vous à la suite d’une tentative de séparation. Ils se présentent déprimes, à la limite de l’effondrement. Leur souffrance me touche. Je les reçois seule dans mon cabinet privé. Leur tentative de séparation fait suite à une liaison de monsieur sur son lieu de travail. Il dit qu’il ignore ce qui s’est passé, ni pourquoi il a “craqué”, mais il ne peut pas mettre fin à cette relation. Cet épisode est arrivé au moment où le couple s’est retrouvé seul suite au départ de leur fille pour ses études. Ils ont perdu un fils à la naissance. Chaque fois qu’ils évoquent ce bébé mort, ils sont prostrés et ne peuvent rien en dire. Je ressens leur douleur, vingt ans après les faits.

Les séances sont difficiles, avec de longs silences. Ils répètent qu’ils ne savent pas quoi faire. C’est en fouillant dans la messagerie du portable de son mari que madame a appris qu’il avait une liaison. Depuis elle se sent “au bord du gouffre”, disant qu’elle a tout perdu. Les séances alternent entre reproches, pleurs, frustration. Elle a beaucoup maigri, ne dort plus. Monsieur répète qu’il mentait pour la protéger, il ne veut pas la quitter – mais ne peut pas non plus quitter sa maîtresse. Le discours est figé et cela tourne en boucle.

Pendant une séance, monsieur est effondré car sa maîtresse a rompu. Madame rétorque qu’à présent il sait ce que c’est d’être abandonné. Ils sont à nouveau prostrés, ne pouvant rien dire. Je propose alors de travailler avec quelques photos tirées des dossiers Photolangage© afin de relancer la fantasmatisation. Je les perçois en très grande souffrance. Je choisis aussi une photo (montrant un enfant allongé sur une plage, seul, dans un environnement dévasté, avec des arbres arrachés) et je dis qu’il semble abandonné, peut-être suite à une tempête. “Il est mort”, dit madame et elle pleure. Monsieur fixe cette photo et n’en dit rien. À son tour, il montre une photo d’un couple dont l’homme et la femme ne se regardent pas. “Ils ne se regardent plus, ces deux-là, ils sont très loin l’un de l’autre, comme nous”. Madame a choisi une photo avec une petite fille qui a la tête entre ses mains, le visage caché, alors qu’au second plan les adultes discutent et boivent autour d’une table. Elle dit: “J’ai toujours été très seule, enfant déjà. Personne ne me consolait jamais. Je crois que cette petite fille pleure, elle est abandonnée. J’étais enfant unique et mes parents me confiaient sans cesse à ma grand-mère, une femme froide et distante. Ils ne s’occupaient pas de moi, très pris par leur travail, ils voyageaient beaucoup”.

Monsieur enchaîne en disant que son enfance a été très difficile. Il a dû faire face seul à la violence de son père alcoolique qui le battait. Sa mère n’intervenait jamais car elle avait peur. Avec beaucoup de tristesse, il dit que c’est la première fois qu’il en parle. Je leur fais remarquer qu’au cours de la séance nous parlons de vécus d’abandons infantiles, sans aucune figure consolatrice. Madame dit alors: “Quand on a perdu le bébé à la naissance, c’était terrible, on n’en a plus jamais reparlé entre nous”. Il me vient alors une image de moi-même petite fille, la première fois que je suis allée à l’ecole, seule dans la cour de récréation, abandonnée et persuadée que je ne reverrais jamais mes parents, que le temps s’était arrêté… J’avais, à l’époque, 3 ans et demi. L’écho de leur vécu abandonnique résonne dans mon contre-transfert et la mise en image. Je leur dis que je comprends leur détresse et qu’ici, en séance, on peut la nommer et enfin la reconnaître. Ils repartent un peu soulagés et j’ai alors la représentation de deux enfants abandonnés. À la séance suivante, ils disent s’être consolés mutuellement et que cela ne leur était jamais arrivé. Ils peuvent, par la suite, aborder la mort de leur bébé à la naissance et crier leur détresse, parler de leur impression d’avoir été́ eux-mêmes abandonnés à l’époque par leurs figures parentales respectives, qui ne les ont pas soutenus.

Nous voyons ici comment l’introduction d’une médiation permet de sortir de la sidération des vécus d’abandon, de rendre possible le retour à la scène traumatique, la détresse étant accueillie, puis nommée, ce qui permet le déploiement de la temporalité. Dans l’ici et maintenant de la séance, la scène s’est transformée dans le néo-groupe.

Conclusion

La médiation en psychanalyse de couple et de famille permet de mobiliser les affects, les sensations et de partager les émotions dans le lien intersubjectif. L’utilisation d’une médiation en séance permet de passer de l’innommable et de l’impensable à la figurabilité, au déploiement de l’imaginaire et à l’ordre symbolique. Le ou les thérapeutes s’impliquent directement dans le processus de la médiation. Ils sont confrontés à leur pulsionnalité, dans leurs liens, leurs appartenances et leur environnement. Les thérapeutes sont mobilisés dans une rencontre analytique intersubjective avec un groupe famille ou une entité couple. Bienveillance et empathie (Attigui, 2011; 2012) sont les fondamentaux de la rencontre analytique, sur fond de neutralité bien tempérée et d’une capacité à accueillir.


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Revue Internationale de Psychanalyse du Couple et de la Famille

AIPPF

ISSN 2105-1038