REVUE N° 28 | ANÉE 2023 / 1
Résumé
L’ancêtre insuffisamment bon » : le maillon générationnel défaillant
Nous avons exposé tout d’abord le processus du vieillir et ses résonances familiales: la crise du vieillir et la temporalité familiale; et parmi tous les liens familiaux, nous nous sommes arrêtée sur le lien du couple âgé. Puis nous nous sommes penchée du côté de la psychopathologie de l’âgé (en particulier la démence sénile) et nous avons mis en évidence les dysfonctionnements familiaux occasionnés:
- Les attaque du lien au niveau intrafamilial, avec l’attaque du lien fraternel.
- La souffrance transgénérationnelle: l’attaque du lien de filiation, le désétayage généalogique: la mémoire familiale brisée.
- Une impossible séparation entraînant la position narcissique paradoxale « Vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel. »
Puis une situation clinique institutionnelle viendra illustrer notre propos : les dispositifs de soin psychanalytiques pour les familles au sein de l’institution géronto-psychiatrique ont pour but, d’une part, de favoriser l’accès à la symbolisation (à la mythopoïèse), et d’autre part, de permettre un travail de séparation au sein de la famille et, de ce fait, d’enclencher un travail de deuil. La réaffiliation deviendra alors possible.
Mots-clés : ancêtre, désétayage, fraternel, filiation, lien, souffrance, séparation, transgénérationnel.
Resumen
El “antepasado insuficientemente bueno”: el eslabón generacional que falla
En primer lugar, explicamos el proceso de envejecimiento y su resonancia familiar: la crisis del envejecimiento y la temporalidad familiar; y entre todos los vínculos familiares, nos detuvimos en el vínculo de la pareja de ancianos A continuación, examinamos la psicopatología de las personas mayores (en particular, la demencia senil) y destacamos las disfunciones familiares provocadas:
- Ataques al vínculo intrafamiliar, con el ataque al vínculo fraterno.
- Sufrimiento transgeneracional: el ataque al vínculo de filiación, el desentrañamiento genealógico: la memoria familiar rota.
- Una separación imposible que conduce a la posición narcisista paradójica “Vivir juntos nos mata, separarnos es mortal”.
A continuación, una situación clínica institucional ilustrará nuestro punto de vista: los dispositivos de atención psicoanalítica a las familias en el seno de la institución gerontopsiquiátrica tienen por objetivo, por una parte, favorecer el acceso a la simbolización (a la mitopoiesis) y, por otra parte, permitir un trabajo de separación en el seno de la familia y, en consecuencia, iniciar un trabajo de duelo. La reafiliación será entonces posible.
Palabras clave: Ancestralidad, desestructuración, fraternal, filiación, vínculo, sufrimiento, separación, transgeneracional.
Summary
The “insufficiently good ancestor”: the failing generational link
First of all, we explained the process of ageing and its family resonance: The crisis of ageing and family temporality; and among all the family links, we stopped on the link of the elderly couple. Then we looked at the psychopathology of the elderly (in particular senile dementia) and we highlighted the family dysfunctions caused:
- Attacks on the intra-family bond, with the attack on the fraternal bond.
- Transgenerational suffering: the attack on the filiation link, genealogical unravelling: the broken family memory.
- An impossible separation leading to the paradoxical narcissistic position “Living together kills us, separating us is deadly”.
Then an institutional clinical situation will illustrate our point: The psychoanalytical care devices for families within the geronto-psychiatric institution aim, on the one hand, to favour access to symbolisation (to mythopoiesis) and, on the other hand, to allow for a work of separation within the family and, as a result, to initiate a work of mourning. Reaffiliation will then become possible.
Keywords: ancestry, disestablishment, fraternal, filiation, link, suffering, separation, transgenerational.
ARTICLE
Le processus du vieillir et ses résonances familiales
“Vivre c’est vieillir, rien de plus”, disait Simone de Beauvoir. Le vieillissement est un processus lent et progressif qui nous reste ignoré jusqu’au moment où nous prenons conscience de notre propre mort, c’est-à-dire où le fantasme d’éternité rencontre une limite jusque-là ignorée par la libido, comme le dit G. Le Gouès (2000). S. Freud (1933) écrivait: “dans l’inconscient, chacun d’entre nous est convaincu de son immortalité”, mais il précisait aussi: “si tu veux endurer la vie, organise-toi en vue de la mort”. Tout au long de notre vie, nous évoluons par crises successives (crise de l’adolescence, crise du milieu de la vie, crise de la sénescence, crise du grand âge). La crise du vieillir a comme particularité de comporter des pertes réelles, perte des proches, perte de certaines fonctions biologiques, et pertes narcissiques concernant l’image de soi. La femme voit sa séduction décroître, et l’homme sa puissance sexuelle réduite. G. Le Gouès (2000) dit que la génitalité corporelle diminue au cours du vieillissement avant la génitalité psychique, et que cet écart ébranle le narcissisme : “Si le désir n’a pas d’âge, les moyens de réalisation en ont un”. Quant à Platon
(République, Livre 1), il estimait heureux le temps de la vieillesse du fait qu’à cet âge cesse enfin le désir des femmes! A. Schopenhauer (1828), à propos de la vieillesse, dit que confort et sécurité en sont les besoins principaux. À cet âge-là, selon lui, on aime avant tout l’argent (un substitut des forces qui déclinent); puis les joies de la table remplacent les plaisirs de l’amour.
Quant à nous, nous nous tournons vers S. Freud (1933) qui disait: “Vous êtes vieux, vous mourrez, vous agonisez, mais le désir est là, le désir est indestructible, c’est la vraie loi”. Nous nous intéressons à la psychodynamique du vieillissement. Tout au long de notre vie notre énergie libidinale est en balance entre le narcissisme et les relations objectales. Le sujet vieillissant souffre d’un déficit de l’estime de soi, et sa capacité associative diminue; on dit dans le langage populaire que “les vieillards radotent”. La problématique du deuil est également au centre des préoccupations du sujet vieillissant.
Le “bon vieillir” nécessite une nouvelle élaboration du complexe de castration, et le narcissisme sera aussi le meilleur gardien de la deuxième moitié de la vie. Le vieillir est un travail psychique à effectuer pour chacun d’entre nous, une tentative d’assumer la mort sans trop d’angoisse, d’élaborer les évènements marquants de sa vie (de donner sens aux évènements traumatiques et aux conflits). Éprouver du plaisir à se raconter dans le lien et l’échange entre les générations. La famille est alors un étayage important. Chez le sujet âgé, la satisfaction créatrice est un moteur qui peut s’exprimer par le besoin d’enseigner, par l’amour de l’art et par le besoin d’échanger avec autrui, en particulier avec les descendants. C’est la voie de la sublimation qui est alors à l’œuvre (Joubert, 2002a).
Dans la temporalité familiale, les places de chacun évoluent: on passe d’une position d’enfant à une position d’adulte formant un couple, puis à celle de parent, de grandparent et enfin à celle d’ancêtre. Les places et les rôles dans la famille se modifient, jusqu’au moment où les ancêtres disparaissent pour laisser la place aux jeunes. Le vieillissement des grands-parents puis des parents est mobilisateur de l’angoisse de mort dans le groupe familial. La famille évolue aussi par crises successives. Nous considérons la famille comme un ensemble de liens:
- de couple (d’alliance),
- consanguins
- de filiation
- liens de la mère à sa famille d’origine (donc le lien de l’enfant à la famille de la mère), lien avunculaire (dont l’importance a été mise en évidence par les psychanalystes argentins) et par extension le lien aux familles d’origine respectives. -généalogiques,
-lien du groupe familial par rapport à l’extérieur.
À propos du soin familial, nous parlons de psychanalyse du lien.
Cet ensemble de liens met en jeu les différences générationnelles. Dans la famille également, liens narcissiques et liens libidinaux s’entrecroisent sans cesse. Ils contribuent à la solidité des relations dans la famille. Lorsqu’ils sont en déséquilibre, cela entraîne une fragilité familiale. De leur bonne articulation va dépendre la contenance familiale avec ses composantes: la portance, la soutenance, la maintenance, puis la fonction conteneur (élaborative et de mise en sens), Caillot,
Decherf, 1989[1]; Kaës, 1993[2].
Ces fonctions dans la famille permettent la transmission psychique entre les générations. La contenance familiale dépend de l’étayage généalogique: en effet, dans la famille, l’ancêtre est porteur de l’histoire qui se transmet et se transforme de génération en génération: on parle de mythe familial qui est à famille ce que le fantasme est à l’individu, dit A. Ruffiot (1981). Le bébé vient monde avec des “paquets” tout autour du berceau, transmis au travers des générations, qu’il aura à charge de s’approprier et de transformer dans sa propre vie et pour les générations suivantes. Certains de ces “paquets” peuvent être encryptés, porteurs de secrets, ce qui constitue la transmission transgénérationnelle, en deçà des mots, avec ses cortèges de non-dits, de dénis, de clivages; d’autres, déjà ouverts, se parlent, se transforment, ce qui constitue la transmission intergénérationnelle avec sa fonction métaphorisante.
Nous appuyons sur ce que dit E. Granjon (1989), à savoir que dans la famille tout se transmet, qu’il y a une véritable pulsion à transmettre, mais que les modalités peuvent être différentes. Le dépositaire de la transmission (le destinataire) y est pour quelque chose, il a une part active. C’est bien ce que disait Goethe: “Ce que tu as hérité de tes pères, afin de le posséder, conquiers-le”. À ce propos, citons ces quelques phrases de Y. Laplace au sujet du père et de la transmission : «Je regarde mon père regarder distraitement les images en résonance magnétique de son cerveau, qui montrent pourquoi il les regarde distraitement et sans émotion apparente. Je regarde le beau crâne lisse, le front de mon père, tandis que le docteur J. nous rappelle que l’hémisphère gauche concerne, ou contrôle, ou commande, allez savoir, la mémoire et le langage, par conséquent la mémoire du langage, mais aussi les facultés de nuancer, de connecter, d’inhiber; facultés dont je comprends pour la première fois, devant le négatoscope du docteur J, qu’il me revient d’user désormais ici, à la place du père, comme notre patronyme le dit».
Le lien du couple âgé
Si, dans l’économie de la vie sexuelle, l’orgasme sera toujours réparateur de certains déficits, la voie de la sublimation semble, pour beaucoup de couples, relancer la jubilation dans cette période de pertes. Beaucoup de couples s’engagent vers la voie de la création, la vie associative, le plaisir de la transmission (enseignement, intérêt pour la descendance). Mais la sublimation n’est pas l’unique possibilité: O.F. Kernberg (1998) dans son article «Relations amoureuses dans les années tardives» dit que des relations amoureuses passionnées peuvent même se développer à un âge avancé, les pulsions partielles étant remobilisées et intégrées dans la sexualité. Il parle alors d’une sexualité accomplie de certains couples âgés.
Pathologie de l’âgé, dysfonctionnements familiaux et désétayage généalogique
Lorsque le patient âgé devient dépendant psychiquement, en particulier lorsqu’il devient dément, les liens familiaux sont attaqués. Si la démence a été définie par G. Abraham et I. Siméone (1984) comme «une affection psychiatrique caractérisée par un affaiblissement intellectuel progressif et irréversible », nous l’abordons quant à nous sous l’angle de la métapsychologie et la considérons comme un processus de déconstruction psychique. Cet ancêtre “insuffisamment bon”, défaillant dans sa mémoire, attaque le contenant familial et les enveloppes généalogiques. Le processus de transmission dans la famille est en souffrance. La démence en particulier est un véritable traumatisme pour le groupe familial, elle efface les barrières entre les sexes et les générations, et entraîne un fonctionnement dans l’indifférenciation: tous les liens familiaux sont écrasés, il y a un déni de la temporalité, un déni des cycles de la vie familiale. Il est fréquent d’observer un renversement des générations, un enfant devenant le parent de son parent. J. Maisondieu (1989) a bien montré que la démence entraînait une crise familiale.
Si la démence fait perdre la tête au sujet, elle joue ainsi un rôle déstructurant dans la famille et provoque une rupture généalogique. Afin d’assurer la continuité de la transmission et la perpétuation de l’espèce, chaque membre de la famille doit être réconcilié avec ses imagos ancestrales, sans oublier notre ancêtre lointain dans la chaîne généalogique constituée des ancêtres et des aïeux, et qui est devenu dans les sociétés patriarcales l’imago paternelle avec laquelle chaque membre de la tribu doit être réconcilié, le père de la horde primitive dans Totem et tabou (Freud, 1913). Dans toutes les sociétés, les ancêtres sont vénérés et respectés.
Dans nos sociétés modernes, la durée de vie s’allonge, et la vieillesse effraie, car elle nous fait prendre conscience de notre mortalité.
Le sujet dément est souvent considéré, selon l’expression de J. Maisondieu (1989), comme un “cadavre ambulant”, mort psychiquement pour la famille. Si la catastrophe démentielle constitue une effraction traumatique pour le sujet (effraction du pareexcitation, comme l’a montré S. Freud, 1914), mettant son moi en état de détresse, entraînant la désorganisation de son fonctionnement mental et la rupture de la continuité d’être, elle provoque également chez les proches une incapacité à maîtriser et élaborer psychiquement leur vécu relationnel à ce parent. On peut donc dire qu’il y a un traumatisme également pour l’entourage proche et dans la filiation. Avec la maladie, nous sommes engagés du côté de la réalité concrète du traumatisme et dans l’actuel. En 1926, S. Freud écrit que le moi, dans la situation traumatique, est attaqué du dedans, c’est-à-dire par les excitations pulsionnelles, comme il l’est du dehors; il y a une sorte de symétrie entre le danger externe et le danger interne. C. Garland (1998) dit que le traumatisme submerge les défenses existantes contre l’angoisse sous une forme qui confirme les angoisses universelles les plus profondes et qu’une forme de secours est donc importante. C. Janin (1999) reprend que le trauma est une expérience d’absence de secours dans les parties du moi. La désorganisation du fonctionnement psychique concerne aussi bien le sujet dément que sa famille: la rupture de la continuité d’être pour le patient, ainsi que la remise en cause de son identité, entraîne alors une confusion des liens familiaux et une effraction de l’enveloppe généalogique.
Pathologie et attaque du lien au niveau intrafamilial
Nous avons souvent observé dans notre clinique des dysfonctionnements familiaux induits par la pathologie du grand âge, en particulier la démence.
Le lien familial est déstructuré, il fonction soit en serrage (fonctionnement fusionnel) soit en rupture (entraînant le rejet du parent) ; soit les membres de la famille se refusent toute vie personnelle en se “collant” à ce parent, devenant “parents de leur parent”, ou au contraire, ils le rejettent afin de se protéger. Les liens familiaux, en prévalence sur le mode narcissique, oscillent alors entre l’étayage-fusion ou la rupture. Au moment du placement en institution par exemple, le parent malade peut être abandonné. P. Charazac, dans Psychothérapie du patient âgé et de sa famille (1998), a bien montré ce fonctionnement qui entraîne une grande souffrance familiale.
Nous pensons alors à la position narcissique paradoxale, conceptualisée par J.-
- Caillot et G. Decherf (1989), antérieure à la position schizoparanoïde, et qu’ils résument par cette célèbre phrase: «vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel». Nous sommes souvent confrontés à des familles qui ne peuvent plus assumer leur parent à domicile, mais qui ne peuvent pas, non plus, imaginer un placement en institution, car elles sont dans le fantasme que cela le ferait mourir. Le syndrome de glissement – et le décès rapide du patient suite au placement – en est une conséquence et vient alors faire collusion avec le fantasme. En référence à C. Janin(1999), qui a montré que lorsqu’il y a collusion entre le fantasme et la réalité, cela pouvait faire traumatisme chez le sujet, au moment où le moi n’est pas nettement différencié du monde extérieur. Nous dirons aussi que cela fait un traumatisme générationnel pour la famille. On observe donc un fonctionnement familial régressif au sein duquel le déni de la mort individuelle est prégnant. Il est souvent lié, d’ailleurs, au déni de la maladie. On entend alors le fantasme de mort collective(désir de mourir tous ensemble pour ne plus souffrir), mis en évidence par A. Ruffiot (1983) dans les familles à fonctionnement psychotique, comme si le patient dément allait entraîner tout le monde avec lui dans la mort. Il est fréquent d’entendre un membre de la famille exprimer “on n’en peut plus, il nous épuise, on va tous y passer, y laisser notre peau” ou encore “c’est lui ou moi” ou bien “dans l’état où il est, il vaudrait mieux qu’il soit mort”. Nous sommes là du côté de la violence fondamentale, telle que l’a définie J. Bergeret (1981).
Lors d’un groupe d’expression mensuel que nous proposons à des familles (Joubert, 1997) dans une institution en long séjour, une participante dit en évoquant sa mère démente : “elle a tourné le bouton du gaz, on aurait pu tous y passer”; une autre enchaîne: “cela existe, des personnes qui se débarrassent”; une troisième rétorque: “on augmente la longévité de l’être humain, il y a quarante ans en arrière, la question ne se posait pas de la même façon, parce que la mortalité était plus rapide. Combien de familles sont en attente du placement, et disent pourvu qu’il ne vive pas trop longtemps. C’est terrible de dire cela”.
Ces attitudes de collage ou de rejet peuvent se figer au moment de l’entrée en institution. Dans notre pratique institutionnelle, nous avons souvent été confrontés à ces familles que les professionnels qualifient d’envahissantes, agressives ou abandonniques et parfois pervertissant les soins, ce que P. Charazac (2001) a bien décrit dans son ouvrage Introduction aux soins géronto-psychiatriques. Les institutions de soins ayant tendance à s’approprier les patients sans tenir compte de leur fonctionnement familial, font résonner l’angoisse d’abandon ressentie par les familles et par le patient placé. Ce dernier peut alors être maltraité par l’institution qui le coupe de ses liens, autant que par sa famille qui l’abandonne.
Nous souhaitons attirer l’attention tout particulièrement sur l’attaque du lien de couple, si fréquent dans la clinique rencontrée :
La régression libidinale d’un des membres du couple aux stades prégénitaux (lorsqu’il devient dément ou dépendant psychiquement), entraîne une grande souffrance du lien de couple; il est important alors de comprendre sur quel type d’alliance s’est fondé le lien de couple et quels sont actuellement les liens prévalents (on peut aisément penser que lorsqu’un membre du couple devient dément, la prévalence des liens narcissiques envahit la scène).
- Ferenczi, dans un chapitre «Pour comprendre les psychonévroses du retour d’âge», écrit à propos des gens âgés: ils « redeviennent – comme les enfants – narcissiques, perdent beaucoup de leurs intérêts familiaux et sociaux, une grande partie de leur capacité de sublimation leur fait défaut, surtout en ce qui concerne la honte et le dégoût, ils deviennent cyniques, méchants, et avares, autrement dit, leur libido régresse à des étapes prégénitales du développement et prend souvent la forme franche de l’érotisme anal et urétal, de l’homosexualité, du voyeurisme, de l’exhibitionnisme et de l’onanisme». Il souligne que le voyeurisme de la vieillesse est représenté dans la légende de “Suzanne au bain” où la baigneuse est épiée par des vieillards lubriques, l’exhibitionnisme est un symptôme fréquent de la dementia senilis. S. Freud, dans son article sur «la prédisposition à la névrose obsessionnelle», attire également notre attention sur la régression aux érotismes prégénitaux chez la femme vieillissante.
L’inversion des générations, occasionnée par la dépendance psychique et/ou physique, ainsi que le déni de la scène primitive (les enfants ne pouvant plus imaginer être nés de celui-ci ou de celle-là) vont favoriser l’attaque du lien de couple. Ceci en écho à la reviviscence de la problématique œdipienne. Il s’agit, bien sûr, d’une attitude inconsciente de la part des enfants, pouvant entraîner de véritables représailles à l’égard du couple. Il est fréquent de rencontrer des couples âgés, séparés par la maladie de l’un et souffrant beaucoup de cette rupture; l’importance du lien tissé entre eux depuis de si nombreuses années n’étant pas entendue, ni par la famille ni par l’institution, ceci en miroir. En effet, dans les institutions de soin, il est fréquent de séparer les couples, car pour peu qu’il y ait quelques mésententes et voilà leur lien conjugal qualifié de conjugopathique…
La séparation d’avec le conjoint entraîne une grande souffrance. La famille est alors dans le déni des origines: ceux qui autrefois ont transmis les interdits fondamentaux
(de l’inceste et du meurtre), donnant de l’amour et que l’on respectait, sont devenus des vieillards que l’on tient désormais à distance et aussi à distance l’un de l’autre.
La régression à une sexualité perverse polymorphe du vieillard entraîne également un vécu de honte pour la famille et une réconciliation très difficile avec l’ascendant (“arrête de te téter les lèvres… et de sucer tes doigts” criait dans les couloirs de l’institution la fille d’un patient devenu grabataire) tant la sexualité infantile est refoulée en chacun de nous (Joubert, 2002a).
Si la culpabilité de se “débarrasser” de son parent est grande lors du placement, la blessure narcissique familiale est béante: un vécu de honte, des angoisses d’identification circulent alors dans le groupe familial. Il est fréquent d’entendre: “j’espère que je ne finirai pas comme cela”. La fille d’un patient dément dit, lors d’un groupe d’expression pour les familles: “Non seulement j’ai peur que la démence soit héréditaire, mais depuis que j’ai mis mon père dans cet établissement, je n’ose plus sortir dans le village, j’ai honte”.
L’attaque du lien fraternel: ceux de la génération, s’inquiètent, se demandent si eux aussi vont être atteints par la maladie. Nous nommons cela «l’angoisse génétique ou de l’hérédité». Il est fréquent en effet d’entendre: “moi aussi, je commence à perdre la mémoire, je vais finir comme lui (ou comme elle), c’est sûrement héréditaire ou génétique, il n’y a rien à faire…” Et la famille de rechercher dans la lignée quel ancêtre, même lointain, a pu être atteint par cette terrible maladie… et qui, dans la fratrie le sera.
La souffrance transgénérationnelle : attaque du lien de filiation et généalogique.
Parallèlement à la désorientation temporo-spatiale, le sujet dément perd le sens de la génération (il est fréquent qu’un patient prenne sa fille pour sa femme ou sa sœur ou sa mère, il a de fausses reconnaissances); le parent dément devient alors un étranger pour ses familiers, ne les reconnaissant plus, le comportement et la personnalité sont modifiés. Un fils évoquant sa mère démente lors d’un entretien familial dira: “je ne la reconnais pas, elle n’était pas comme cela avant”. L’ancêtre porteur de la mémoire familiale, de l’histoire, est devenu défaillant. La chaîne de la transmission est brisée, il apparaît un blanc dans la transmission entre les générations. Or, la mémoire familiale participe à la construction de l’identité des individus. Ce blanc laissé dans la chaîne de la transmission est à l’origine, dans ces familles, des problématiques de deuil non faits. Blessées narcissiquement, en mal d’origine, les membres de la famille sont en souffrance. La crainte fantasmatique de l’hérédité est prégnante. Il sera donc opportun de travailler, lors des entretiens familiaux, les réseaux d’identification aux parents, afin de les dégager de la collusion ”sujet malade égale maladie”. La dynamique des entretiens sera alors centrée autour de l’évocation du parent, de son histoire, de sa vie, afin de le resituer en tant que sujet et ancêtre de la lignée. Il est important de remobiliser les représentations internes que chaque membre de la famille a de son parent devenu dément. S’il apparaît comme un étranger pour ses familiers, ce qui impliquera aussi un sentiment d’étrangeté, alors il deviendra un «objet transgénérationnel» tel que l’a décrit A. Eiguer[3] (1984), véritable fantôme dans la lignée[4], dont le deuil sera impossible. La honte qui sera éprouvée autour de lui pourra ricocher sur les générations qui suivront, et comme le dit S. Tisseron (1988): «être honteux, c’est se sentir banni des hommes, exclu du genre humain». De ce fait, il y a collusion entre la transmission identificatoire et la transmission générique: la culpabilité d’origine œdipienne et la honte, du côté du narcissisme familial, de ce vœu de meurtre de l’ancêtre, qui peut maintenant se réaliser, empêcheront toute tentative d’élaboration du deuil. Les décompensations fulgurantes, les accidents chez le vieillard et ses proches dépassent peut-être les bornes du fantasme pour devenir réalité. Les problématiques de deuils non faits sont à l’origine des souffrances transgénérationnelles.
À propos du placement qui est un arrachement pour le sujet âgé de tous ses liens affectifs, de ses investissements, de sa maison (la troisième peau de l’homme, selon Hundertwasser) de son histoire et qui constitue un traumatisme, nous pensons à ce texte de C. Bobin (1995) qui relate la visite de la narratrice à sa grandmère: «L’infirmière m’a annoncé le placement de la vieille dame dans un hôpital psychiatrique, la semaine prochaine: je sais, c’est pénible, mais nous ne pouvons plus la garder, la journée elle pleure, la nuit elle crie, tous les voisins s’en plaignent. Je n’ai rien dit. J’ai seulement pensé que le mot placement était un drôle de mot – le même pour les gens et pour les sous. J’ai aussi pensé qu’avec moi la vieille dame ne pleurait presque plus, qu’elle avait même tendance à rire, à trouver que son ange était drôle avec ses histoires de loup, d’ogre et de clown: depuis quelques jours, j’emporte le manuscrit à la maison de retraite et je lui en fais la lecture.»… et au sujet des anges: «Ma grand-mère, elle, ne doute pas une seconde de leur existence: chaque fois que je pousse la porte de sa chambre, elle en voit un. Ah Jérémie, tu reviens me voir, tu viens tous les jours maintenant, c’est bien».
Soulignons aussi le problème posé par la pension alimentaire, obligatoire pour les descendants, et qui peut s’avérer conséquente lors du placement en long séjour, par exemple. Au-delà du problème financier réel, la problématique de la dette dans la
lignée peut entraîner des conflits familiaux: le «donner et recevoir» dans «le grand livre des comptes» pour chaque famille doit s’effectuer dans les deux sens, selon I. Böszörményi Nagy (1990), qui a montré l’importance de la dette entre les générations, un enjeu dans l’héritage familial sur le plan affectif. «Quand les comptes n’ont pu être réglés dans une famille, il peut arriver que le règlement se fasse en impliquant un tiers, souvent extérieur, par exemple un conjoint, qui est utilisé comme substitut du créancier ou du débiteur. C’est le «phénomène de l’ardoise tournante», comme l’appelle I. Böszörményi Nagy (ibid.). Ce substitut peut également être un descendant qui s’acquitte de la dette non réglée de son aïeul ou à son aïeul. Cela peut être en résonance avec des fonctionnements pervers narcissiques décrits par A. Eiguer
(1989), ou aussi en écho avec la notion du devoir, de l’obligation familiale.
Une impossible séparation
Il s’agit là d’une séparation d’avec le parent réel, mais aussi d’avec l’image interne du parent, comme l’a souligné P. Charazac (1998). La famille «plongée dans l’ombre de l’objet transgénérationnel» est en proie à une angoisse d’effondrement lorsqu’il s’agit d’élaborer une séparation. Le deuil d’un ancêtre devenu «cadavre ambulant» et qui s’effectue toujours sur le fond du deuil originaire, au sens de P.-C. Racamier (1992) c’est-à-dire le deuil de la première relation à la mère, est impossible pour les membres de la famille. Mort psychiquement et parfois «dans une agonie primitive» au sens où en parle D.W. Winnicott (1969) chez le patient devenu grabataire par exemple, mais accroché désespérément à la vie, il refuse de laisser “la place libre aux jeunes”. La séparation ne peut être pensée, comme si l’on attendait un ultime sursaut: “Demain cela ira mieux… il rentrera à la maison” tentait de se rassurer le petit-fils d’un patient dément devenu grabataire, dans les couloirs du long séjour. La crise démentielle s’accompagne d’une dépression familiale allant parfois jusqu’à l’effondrement.
Les familles sont aussi amenées à accompagner leur parent au cours du travail du trépas. La question de la mort exige d’être traitée psychiquement, et ceci dans un environnement «suffisamment bon». Dans son article, à propos du travail du trépas, M.de M’Uzan (1976) parle de l’expansion libidinale et de l’exaltation de l’appétence relationnelle du mourant. La présence de la famille est très importante lors de la prise en charge du mourant, si celui-ci le souhaite bien sûr; ces derniers moments de vie, en présence de la famille, sont précieux pour le patient, c’est un moment intense de transmission, qui permet ensuite à la famille d’enclencher le travail de deuil. La famille a besoin d’être soutenue dans cette démarche d’accompagnement. Notre rôle est de l’étayer, comme le mourant, au plus près de leurs souhaits. Il ne s’agit pas d’imposer une idéologie de soins, quelle qu’elle soit, mais d’accompagner la fin de la vie en respectant les désirs de chacun. Certains patients, entourés leur famille, “choisissent” de mourir seuls lors d’une brève absence de leurs accompagnants par exemple. D’autres “attendent” la venue d’un être cher pour partir en paix. Mais on meurt toujours seul…
Les dispositifs de soin pour les familles au sein de l’institution ont pour but, d’une part, de favoriser l’accès à la symbolisation, d’autre part, de permettre un travail de séparation au sein de la famille et de ce fait d’enclencher un travail de deuil. La réaffiliation deviendra possible.
Un cas clinique viendra illustrer nos propos
Nous relatons une consultation familiale d’entrée dans une structure de soins. Pour situer le cadre de la rencontre, commençons par un bref aperçu du dispositif clinique.
Chaque famille, au sein du pavillon où nous travaillions, est reçue dès l’entrée du patient. Ce premier entretien, d’inspiration psychanalytique groupale, permet d’appréhender le vécu de séparation et la souffrance liée à la maladie sur le plan individuel et familial. Il signe la rencontre entre l’institution, la famille et le patient. Il se déroule, soit dans un bureau au sein du service, prévu pour cela, soit éventuellement au lit du patient si l’état de celui-ci le nécessite. Il dure une heure. Le patient et sa famille sont reçus en présence du psychologue et des représentants de l’équipe soignante. Suite à cette première consultation thérapeutique et diagnostique, des entretiens familiaux ponctuels (famille et patient) pourront être proposés. Les soignants référents ayant participé à la première consultation feront ensuite partie du cadre de ces entretiens. Les indications de suivis familiaux sont alors discutées en équipe avec les médecins, après l’entretien d’entrée qui a permis de faire un diagnostic du fonctionnement familial. Les soignants qui participent à ces entretiens sont en position d’écoutants, s’abstenant de juger et de donner des conseils, ce qui nécessite un travail de différenciation des rôles respectifs. Ils sont aidés pour cela par le psychologue qui, de par ses fonctions dans l’institution, est en position tierce. Il s’agit d’un groupe institutionnel (pluridisciplinaire) accueillant un autre groupe (familial). Ils construisent ensemble un “néo-groupe” (Granjon, 1989), un nouvel appareil psychique groupal au sein de la groupalité institutionnelle. Ce type de dispositif d’écoute groupale permet, d’une part, de restituer l’histoire du parent âgé et l’histoire de la famille, et, d’autre part, aux soignants de restituer par la suite le vécu présent du parent au sein de l’institution. Autour de cette parole échangée entre la famille et l’institution, un lien passé-présent est tissé. L’avenir sera à nouveau pensable, les soignants auront une représentation du patient, ce qui les aidera à le considérer comme un sujet. L’institution jouera un rôle d’espace transitionnel entre le patient et sa famille. Il est important d’ouvrir des «possibles» pour le patient souvent «coincé» dans une position paradoxale et de remobiliser la pulsion de vie.
Venons-en à notre cas clinique. M. Félix, (Joubert, 2002b) est arrivé au “Cantou”, petite structure de dix lits pour des personnes atteintes de troubles démentiels, au sein d’une maison de retraite dépendant d’un hôpital local. Âgé de soixante-dix ans, il a encore une certaine prestance.
Sur le plan clinique, il souffre de la maladie d’Alzheimer caractérisée par une désorientation temporo-spatiale, une aphasie anomique (manque du mot, hésitations, périphrases, phrases avortées), une apraxie et une agnosie. La maladie, selon les dires du fils, a débuté il y a environ quatre ans, lorsque sa femme a elle-même été atteinte d’un cancer.
Sur le plan familial, M. Félix a encore sa femme qui, en dialyse actuellement, vit chez son fils. Il a deux enfants, un fils et une fille. Il a deux petit- enfants (les petites filles de son fils). Sa fille est célibataire, sans enfant. Lors de l’entretien d’entrée, nous avons rencontré M. Félix avec son fils et sa fille.
L’attaque du lien de couple et culpabilité familiale
Quant à son histoire, nous avons appris que, depuis sa retraite, M. Félix vivait dans sa maison, aménagée par lui, avec sa femme, et qu’il cultivait son jardin. Au début de la maladie de sa femme, il s’est occupé d’elle. Puis, les troubles sont apparus chez lui, et la désorientation s’est progressivement installée. Son état de santé se dégradant, sa fille “le prend” à son domicile, et son fils “prend” sa mère chez lui. Le fils nous dira alors: “ma sœur et moi, on s’est partagé les problèmes, elle était chargée de s’occuper de mon père, et moi de ma mère”. Nous entendons là une reviviscence de la situation œdipienne, l’attaque du lien de couple par les enfants, dont nous avons parlé. Mais des troubles du comportement apparaissant chez M. Félix (opposition aux soins quotidiens, agressivité, fugues fréquentes), sur les conseils du médecin généraliste et en accord avec son frère, sa fille le placera en établissement. Lors de l’entretien, elle évoquera sa grande culpabilité de ne plus pouvoir assumer son père chez elle: “c’était devenu trop lourd, il était de plus en plus opposant, je n’arrivais plus à le gérer; mon frère ne pouvait pas m’aider, il s’occupe déjà de notre mère malade qui est fréquemment hospitalisée”. Lorsque je demande à quelle fréquence M. Félix et sa femme se rencontraient depuis quatre ans, les enfants répondent: “pour les fêtes, on essayait de se retrouver toute la famille réunie”. Il nous est alors relaté qu’avant d’entrer dans notre établissement, M. Félix a été hospitalisé en neurologie pour un bilan, et qu’il n’a pas revu sa femme depuis environ quatre mois.
Au cours de l’entretien, M. Félix se détend, cherche moins ses mots, et arrive même à faire des phrases. Nous sommes tous très attentifs à sa manière de s’exprimer. Les enfants vont évoquer la conjugopathie ancienne de leurs parents, en soulignant qu’à la retraite de M. Félix “cela ne s’est pas arrangé”. Le couple s’est séparé à une époque, puis ils ont décidé de s’occuper l’un de l’autre: le “choix anaclitique” dont parle A. Eiguer en 1984, dans La thérapie psychanalytique du couple, est prédominant chez ce couple vieillissant. Lorsqu’on parle de sa femme, il va dire “très malade… je voudrais la voir”. Le lien de couple attaqué à nouveau par la maladie, les enfants se sont organisés dans le réel en séparant les parents. Nous voyons se réactiver la problématique œdipienne, de même que nous percevons l’inversion des générations. Le déni de la scène primitive est prégnant. Lors des visites, l’équipe soignante nous avait retransmis que les enfants répétaient souvent cette phrase: “ils ne se sont jamais entendus, mais c’est affreux de voir ce qu’ils sont devenus”. Au cours de cet entretien, nous parlerons aussi de la souffrance de M. Félix par rapport à ses troubles, de son inquiétude quant à l’état de santé de sa femme. Nous soulignerons que c’est sans doute difficile pour lui de “perdre les mots”, comme le dit sa fille, mais qu’il comprend très bien ce qui se dit et qu’il communique assez facilement avec son entourage. Il nous le montrera, du reste, dans l’espace de cette séance. Nous percevons aussi la blessure dans le lien de filiation, l’angoisse de l’hérédité, et l’identification devenue impossible. Les mots du fils lors du premier contact avec l’institution avaient été: “j’espère que je ne lui ressemblerai pas une fois vieux, que je n’aurai pas cette maladie”. La fille dira également en pleurant: j’espère bien ne pas vieillir comme eux”. Nous évoquerons aussi ce que M. Félix aimait faire à la maison: se promener, écouter ses disques de jazz, rapportés lors d’un voyage aux USA. Nous proposerons à la famille d’apporter ceux qu’il préférait dans l’institution. Nous parlerons aussi de son métier, il était attaché commercial et a beaucoup voyagé. “Il était très peu présent à la maison, lorsqu’on était petits, notre mère était souvent seule”, dira la fille. À l’évocation de ses deux petites-filles, M. Félix va prononcer leurs prénoms en souriant. Le fils expliquera qu’il était très attaché à ces deux petites-filles de dix et douze ans et qu’il les a gardées lorsqu’elles étaient petites. Il ne les a pas vues depuis plusieurs mois. Lorsque nous demanderons comment elles vivent ce placement, le fils répondra qu’elles sont très tristes et qu’elles ne sont pas encore venues le voir. Nous conviendrons alors avec la famille que M. Félix sortira le week-end prochain chez son fils pour voir sa femme et ses petits-enfants. Sa sœur âgée de quatre-vingts ans, avec laquelle il avait des liens et qu’il n’a pas revue depuis un certain temps, ayant ellemême des difficultés pour se déplacer, sera également présente. À ce moment-là, M.
Félix se lève, joyeux, et dit: “alors, on y va”. La famille propose d’apporter des photos et quelques objets personnels afin d’individualiser la chambre. Nous nous quittons sur des projets de sortie réguliers le week-end pour M. Félix et nous proposons de les revoir dans un mois pour refaire un point de la situation. M. Félix nous salue, en disant que c’était agréable et les enfants partent rassurés.
Nous avons vu dans cette situation clinique comment tous les liens familiaux étaient attaqués par la maladie (lien de couple, de filiation, consanguin et généalogique), et combien la souffrance intragroupale était grande. La réassurance qui s’est opérée lors de ce premier contact permet l’amorce d’un processus thérapeutique qui se poursuivra au sein de l’institution par un accompagnement ponctuel de la famille et de son patient avec des représentants de l’équipe soignante, au rythme d’un entretien mensuel.
L’évolution des soins:
vers un assouplissement des liens et un repositionnement générationnel
Au cours de ce suivi familial, le couple parental est à nouveau pris en compte par les enfants;
- Félix va régulièrement dans sa famille (week-ends et vacances) pour voir sa femme (les enfants s’arrangent pour qu’ils se rencontrent régulièrement), ses petitsenfants, aussi ponctuellement sa sœur. Lors d’un entretien, la fille dira: “je n’avais pas imaginé combien mes parents ont encore plaisir à se voir, eux qui se disputaient si souvent”. Lors des entretiens, nous faisons aussi connaissance des deux petites filles qui dessinent et laissent leurs dessins à leur grand-père qui en recouvre les murs de sa chambre. Un arbre généalogique est constitué par la famille et apporté à M. Félix, il est illustré par des photos afin qu’il puisse plus facilement se repérer (l’image mobilise l’affect). M. Félix demande à l’équipe soignante de le fixer face à son lit et se fait un plaisir à le leur commenter. Dans le cadre de la thérapie familiale psychanalytique, l’arbre généalogique est demandé régulièrement aux familles et constitue un outil de travail important. Il est un support fantasmatique de la transmission psychique familiale. Il est donc toujours travaillé avec une extrême prudence et en respectant les résistances. Il n’est jamais un outil d’investigation, à cause de la violence qu’il engendrerait pour chacun. Il est un support important pour le sujet âgé afin de l’aider à se situer comme ancêtre de la lignée. Il peut être aussi constitué en séance autour de ce chacun évoque. M. Félix s’adapte peu à peu au sein de l’institution, la tristesse s’estompe, le sourire revient; il retrouve du plaisir à participer à un groupe thérapeutique de peinture et à un atelier journal, communique mieux avec les autres et cherche la compagnie d’un autre patient qui écoute souvent de la musique avec lui, dans sa chambre. Il accepte mieux désormais que les mots l’abandonnent et fait même de l’humour à ce sujet, bien qu’il en soit profondément affecté.
Vers une réinscription des vécus du patient
Nous souhaitons insister également sur l’importance du registre Originaire (au sens de P. Aulagnier, 1975) – inscription psychique des éprouvés et des vécus sensoriels – lors des séances, pour M. Félix. En effet, les sujets déments fonctionnent en prévalence dans le pôle sensori-moteur. Les co-éprouvés au sein du groupe thérapeutique peuvent être reconnus, nommés, mis en sens, et permettre ainsi une réinscription dans le préconscient défaillant du patient, reconstruisant du tissu psychique. Au cours des entretiens, à l’évocation des souvenirs, M. Félix réagit et nous l’aidons à nommer les affects (joie, tristesse, colère, etc.), lorsque les mots font défaut. En effet, nous considérons que la clinique de la démence est une clinique de l’éphémère, de l’instant. Ce qui nous paraît important, c’est de pouvoir réintriquer Éros et Thanatos autour du plaisir à être ensemble ici et maintenant (plaisir à éprouver et à penser). Le travail thérapeutique régulier (au rythme d’un entretien mensuel pendant environ deux années) avec la famille, M. Félix et l’équipe soignante, amènera un repositionnement du lien de couple et générationnel. Par la suite, les séances seront espacées au rythme de leurs besoins. La famille acceptera peu à peu de confier à l’institution le nursing, et retrouvera du plaisir à être avec M. Félix qui sera repositionné dans la lignée. Un nouveau mythe familial va s’élaborer pour sortir de la crise, signant alors l’accès à la différenciation, nous assistons à un réétayage généalogique: une nouvelle histoire familiale s’élabore pour chacun. Toute famille est à la recherche de ses origines toujours mythiques.
Nous pourrons dire alors que cette famille est devenue un partenaire de soins pour l’institution et que la communication entre les soignants et la famille est désormais possible.
Conclusion et perspectives
Si les suivis familiaux en institution nous paraissent très importants, comme nous venons de le voir, avec M. Félix, nous pensons également aux familles ayant à domicile un parent gravement dépendant physiquement ou psychiquement et qui sont souvent dans un grand désarroi. Nous souhaiterions ouvrir cette démarche avec «des psychologues mobiles» travaillant dans une optique analytique groupale et se rendant au domicile de ces familles pour leur proposer un cadre d’écoute.
Nous constatons également, dans notre pratique de thérapeute familiale psychanalytique, que peu de familles encore viennent consulter pour une souffrance centrée sur un parent âgé. Pourtant, au sein des institutions de soin, la souffrance de ces familles est grande. Ces «souffrances généalogiques» apparaissent aussi au détour de la cure familiale lorsqu’on évoque par exemple le décès d’un père, d’une mère, grand-père ou grand-mère, atteint d’une démence, au sein d’une structure de soin et dont on ne parlait pas.
Nous pensons à cette famille venue consulter, dans une association de soins aux familles, pour des difficultés “autour de la transmission”, ce sont leurs termes lors des premiers entretiens. Les parents disent avoir, chacun dans leur lignée respectives, des non-dits, des secrets qui les font souffrir encore actuellement et ils craignent de transmettre à leurs enfants, jeunes adultes, des difficultés de communication, un repli sur soi. Le père se décrit comme très renfermé, ne communicant plus avec sa femme, comme l’était son père d’ailleurs. La plus jeune fille, il y a par ailleurs deux autres garçons, a présenté “des troubles délirants, similaires à ceux de sa mère” toujours selon leurs termes, qui souffre quant à elle de troubles psychiatriques (avec épisodes délirants) depuis la naissance de cette dernière fille. C’est ce qui a poussé la famille à venir consulter. Une angoisse groupale, liée à une crainte de la répétition, circule dans les séances. Assez rapidement, apparaît une grand-mère, placée en établissement de soins, pour des troubles démentiels. À son évocation, la famille est très triste, car ayant perdu la mémoire, elle emportera avec elle des secrets de famille dans la tombe… Nous sommes en présence de la clinique du fantôme…
Il est souhaitable de développer ce type de soin familial au sein des institutions qui est aussi une prévention pour les générations à venir.
Enfin je terminerai à propos de l’avenir par cette citation de M. Kundera (2000): «Sur l’avenir, tout le monde se trompe. L’homme ne peut être sûr que du moment présent. Mais est-ce bien vrai? Peut-il vraiment le connaître, le présent? Est-il capable de le juger? Bien sûr que non. Car comment celui qui ne connaît pas l’avenir pourrait-il comprendre le sens du présent? Si nous ne savons pas vers quel avenir le présent nous mène, comment pourrions-nous dire que ce présent est bon ou mauvais, qu’il mérite notre adhésion, notre méfiance ou notre haine?»
Et à propos d’ici et maintenant…
Lorsque j’arrivais le matin à mon bureau, je le trouvais souvent, debout, devant la porte. Je m’approchais lentement de lui, lui prenait la main pour lui dire bonjour tout doucement.
Il souriait parfois et je l’invitais à venir s’asseoir en face de moi. Nous allions converser un moment. Je savais qu’il ne trouvait plus les mots adéquats à sa pensée, qu’ils étaient devenus un murmure, une mélodie incompréhensible pour qui aurait cherché à tout prix un sens. Il ne pouvait plus se fier aux mots. Les mots l’avaient abandonné. Je l’écoutais, attentive à mes ressentis, et lui faisais part de certaines de mes pensées le concernant. Souvent je faisais allusion à sa femme, ses enfants et petits-enfants que je recevais régulièrement, avec lui, dans ce bureau, en présence de l’infirmière référente. Il me répondait en balbutiant leurs prénoms, parfois dans le désordre, ou en se trompant. Alors, ensemble, on les repositionnait sur un grand arbre généalogique avec leur photo, amené par sa famille. Je lui rappelais le prochain rendez-vous avec les siens ici même et je le raccompagnais dans le service. Il lui arrivait de me prendre la main et de m’entraîner dans le parc. Nous faisions alors une petite promenade, profitant des couleurs et des odeurs de la nature, bavardant de ce qu’il allait sans doute faire dans la journée. Puis nous nous quittions tranquillement jusqu’à la prochaine fois. Il s’appelait Monsieur Alzheimer sur son dossier clinique. Mais moi j’aimais ces rencontres avec Monsieur Maintenant qui m’a appris à profiter de ces petits moments privilégiés et éphémères où tout se passe en deçà des mots devenus musiques. Avec lui, j’appris à profiter pleinement de l’instant présent; hier n’existait plus et demain était irreprésentable. Il ne connaissait plus qu’ici et maintenant.
L’ancêtre insuffisamment bon: le maillon générationnel défaillant
Christiane Joubert
https://doi.org/10.69093/AIPCF.2023.28.04
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[1] J.-P. Caillot, G. Decherf (1989) parlent des trois fonctions du cadre analytique: contenante, limitative, symbolygène ; ces fonctions, selon nous, font partie de la contenance familiale et sont défaillantes dans les familles en souffrance.
[2] R. Kaës (1993), quant à lui, insiste particulièrement sur la fonction conteneur, élaborative.
[3] A. Eiguer parle de représentations pleines qui peuvent renvoyer à un proche parent d’une autre génération, ayant commis un acte répréhensible et gardé honteusement secret, comme un cadavre dans le placard, un mort qui hante, comme un fantôme, une âme qui n’a pas d’énergie propre, mais qui poursuit dans le silence son œuvre de déliaison (c’est le cas pour l’ancêtre dément enfermé en institution et dont on ne parle plus, car on a honte du fait de sa dégradation et de s’en être “débarrassé”; l’affect de honte va perdurer au cours des générations, alors qu’on n’en saura plus l’origine, occasionnant parfois des blessures narcissiques chez les descendants).
[4] «Le travail du fantôme dans l’inconscient est le travail dans l’inconscient d’un descendant d’un problème de deuil non résolu chez l’un ou l’autre des parents», reprend C. Nachin (1993) dans un article «Un fantôme en chacun de nous?», à propos des travaux de N. Abraham et M. Török(1978), resignifiant la différence entre la crypte (clivage ou inclusion au sein du moi) et le fantôme.
REVUE N° 28 | ANÉE 2023 / 1
RECORDANDO A ROBERTO LOSSO CON AFECTO Y RECONOCIMIENTO
ARTICLE
Recordando a Roberto Losso con afecto y reconocimiento
Irma Morosini
El jueves 22 de junio de 2023 falleció el Dr. Roberto H. Losso a sus 95 años, rodeado por su numerosa y querida familia y por su compañera Ana con quien compartió su camino, interés y dedicación al psicoanálisis, formando un coordinado equipo terapéutico atendiendo parejas y familias.
Muchos de nosotros lo conocimos, aprendimos con él, formamos parte de sus equipos de trabajo y hoy queremos brindarle nuestro sentido homenaje repasando parte de su trayectoria profesional.
Roberto Losso se recibió de médico (Universidad de Buenos Aires). Fue doctor en Medicina y Cirugía (Universidad de Roma), psicoanalista y especialista en psiquiatría. Se formó con grandes pioneros del psicoanálisis en América Latina entre ellos Enrique Pichon-Rivière y Jorge García Badaracco. Fue Miembro titular didacta de la Asociación Psicoanalítica Argentina (APA) y de la International Psychoanalytic Association. Fue profesor de Salud Mental, Psico-semiología y Psiquiatría, en la Facultad de Medicina de la UBA, profesor de Clínica de Pareja y Familia en la Universidad Kennedy (especialidad en Psicología Clínica) y de la Carrera de Médico Especialista en Psiquiatría de la Facultad de Medicina de la UBA (Instituto de Postgrado de APSA). Coordinó por varios períodos el Departamento para la Investigación Psicoanalítica de la Familia y la Pareja en APA. Fue profesor titular de Psicopatología y de Práctica de Psicología Clínica en la Facultad de Psicología de la Universidad del Salvador en Buenos Aires. Escribió varios libros como: Mente y hormonas. Un enfoque psicosomático de la endocrinología (Ed. Docencia, 1983), Psicoanálisis de la Familia. Recorridos teóricos – clínicos (Ed. Lumen, 2001) y capítulos de diversos libros, en relación con el tema psicoanálisis de la familia y la pareja, y numerosos trabajos publicados en revistas científicas del país y del extranjero.
Fue miembro co-fundador de la Asociación Internacional de Psicoanálisis de Pareja y Familia (AIPCF) en 2006 en Montreal (Canadá), y por nuestro común interés por el psicoanálisis de la pareja y la familia compartimos espacios intercambiando experiencias, aprendizajes, momentos de decisiones como fue la organización del Congreso Internacional de Buenos Aires en el 2010, preparamos e invitamos a otros colegas a debates, conferencias en la Asociación Argentina de Psicoanalistas de Familia y Pareja de la cual ambos fuimos co-fundadores con otros colegas. Roberto me invitó a participar en grupos de estudios en APA. y escribimos algunos artículos juntos.
Lo caracterizaba su carácter armonioso, su palabra mesurada, su actitud respetuosa, su caballerosidad, por lo que era una figura de consulta habitual. Tuve el honor que prologara un libro que escribí en pandemia y que plasmó en papel parte de las muchas conversaciones e intercambios de ideas entre ambos.
Hoy asumo la responsabilidad de despedirlo, aunque prefiero decir de recordarlo con todos los colegas que integramos el comité de redacción de esta revista, publicando en este número un trabajo suyo escrito en coautoría con Ana Pacziarz-Losso. Me alegra pensar que disfrutamos de una linda amistad con él y con Ana la que perdurará en nuestro emocionado recuerdo.
REVISTA N° 28 | AÑO 2023 / 1
RECORDANDO A ROBERTO LOSSO CON AFECTO Y RECONOCIMIENTO
Resumen
El psicoanálisis familiar y de pareja permite acceder a la transmisión psíquica inconsciente entre generaciones y trabajar sobre la envoltura genealógica. El marco psicoanalítico del grupo familiar permite depositar y elaborar los traumas del linaje, favoreciendo una rica mitopoiesis que cada sujeto puede aprehender. El síntoma se comprende no sólo en la dimensión intrapsíquica, sino también como un escenario en el que se activa lo transgeneracional. Una viñeta clínica pondrá de relieve el aspecto transgeneracional del síntoma y el restablecimiento de la envoltura genealógica.
Palabras claves: clivaje – cripta – fantasma – intergeneracional – psicoanálisis familiar y de pareja – transgeneracional – transmisión inconsciente – trauma
Résumé
La psychanalyse familiale et de couple permet d’accéder à la transmission psychique inconsciente entre les générations et de travailler sur l’enveloppe généalogique. Le cadre psychanalytique groupal familial permet le dépôt et l’élaboration des traumas des lignées, favorisant une mythopoïèse riche, dont chaque sujet pourra se saisir. On entendra alors le symptôme, pas seulement dans la dimension de l’intrapsychique mais aussi comme une scène sur laquelle s’active le transgénérationnel. Une vignette clinique mettra en évidence un aspect transgénérationnel du symptôme et la restauration de l’enveloppe généalogique.
Mots-clés : crypte, clivage, fantôme, intergénérationnel, psychanalyse familiale et de couple transmission inconsciente, transgénérationnel, traumatisme.
Summary
Family and couple psychoanalysis provides access to unconscious psychic transmission between generations and enables us to work on the genealogical envelope. The family group psychoanalytic framework allows the traumas of the lineage to be deposited and elaborated, fostering a rich mythopoiesis that each subject can grasp. The symptom is understood not only in the intrapsychic dimension, but also as a stage upon which the transgenerational is activated. A clinical vignette will highlight the transgenerational aspect of the symptom and
the restoration of the genealogical envelope.
Keywords: Crypt, cleavage, ghost, intergenerational, family and couple psychoanalysis, unconscious transmission, transgenerational, trauma.
ARTÍCULO
Recordando a Roberto Losso con afecto y reconocimiento
Irma Morosini
El jueves 22 de junio de 2023 falleció el Dr. Roberto H. Losso a sus 95 años, rodeado por su numerosa y querida familia y por su compañera Ana con quien compartió su camino, interés y dedicación al psicoanálisis, formando un coordinado equipo terapéutico atendiendo parejas y familias.
Muchos de nosotros lo conocimos, aprendimos con él, formamos parte de sus equipos de trabajo y hoy queremos brindarle nuestro sentido homenaje repasando parte de su trayectoria profesional.
Roberto Losso se recibió de médico (Universidad de Buenos Aires). Fue doctor en Medicina y Cirugía (Universidad de Roma), psicoanalista y especialista en psiquiatría. Se formó con grandes pioneros del psicoanálisis en América Latina entre ellos Enrique Pichon-Rivière y Jorge García Badaracco. Fue Miembro titular didacta de la Asociación Psicoanalítica Argentina (APA) y de la International Psychoanalytic Association. Fue profesor de Salud Mental, Psico-semiología y Psiquiatría, en la Facultad de Medicina de la UBA, profesor de Clínica de Pareja y Familia en la Universidad Kennedy (especialidad en Psicología Clínica) y de la Carrera de Médico Especialista en Psiquiatría de la Facultad de Medicina de la UBA (Instituto de Postgrado de APSA). Coordinó por varios períodos el Departamento para la Investigación Psicoanalítica de la Familia y la Pareja en APA. Fue profesor titular de Psicopatología y de Práctica de Psicología Clínica en la Facultad de Psicología de la Universidad del Salvador en Buenos Aires. Escribió varios libros como: Mente y hormonas. Un enfoque psicosomático de la endocrinología (Ed. Docencia, 1983), Psicoanálisis de la Familia. Recorridos teóricos – clínicos (Ed. Lumen, 2001) y capítulos de diversos libros, en relación con el tema psicoanálisis de la familia y la pareja, y numerosos trabajos publicados en revistas científicas del país y del extranjero.
Fue miembro co-fundador de la Asociación Internacional de Psicoanálisis de Pareja y Familia (AIPCF) en 2006 en Montreal (Canadá), y por nuestro común interés por el psicoanálisis de la pareja y la familia compartimos espacios intercambiando experiencias, aprendizajes, momentos de decisiones como fue la organización del Congreso Internacional de Buenos Aires en el 2010, preparamos e invitamos a otros colegas a debates, conferencias en la Asociación Argentina de Psicoanalistas de Familia y Pareja de la cual ambos fuimos co-fundadores con otros colegas. Roberto me invitó a participar en grupos de estudios en APA. y escribimos algunos artículos juntos.
Lo caracterizaba su carácter armonioso, su palabra mesurada, su actitud respetuosa, su caballerosidad, por lo que era una figura de consulta habitual. Tuve el honor que prologara un libro que escribí en pandemia y que plasmó en papel parte de las muchas conversaciones e intercambios de ideas entre ambos.
Hoy asumo la responsabilidad de despedirlo, aunque prefiero decir de recordarlo con todos los colegas que integramos el comité de redacción de esta revista, publicando en este número un trabajo suyo escrito en coautoría con Ana Pacziarz-Losso. Me alegra pensar que disfrutamos de una linda amistad con él y con Ana la que perdurará en nuestro emocionado recuerdo.