REVUE N° 9 | ANNE 2011 / 1
Résumé
La théorie du lien
A partir des travaux contemporains sur le lien, nous proposons que lien est infiltré de violence structurante, nécessaire, issue de la violence de la transmission. Puis nous avançons une esquisse d’une métapsychologie du lien, montrant l’évolution des modalités de lien, de l’indifférenciation à la transitionnalité. La psychanalyse du lien ouvre sur les espaces psychiques dans lesquels nous vivons, intrasubjectif, intersubjectif, transsubjectif, et socioculturel.
Mots-clé: indifférenciation, lien, métapsychologie, originaire, pactes dénégatifs transgénérationnel, transitionnalité, violence.
Summary
The theory of the link
Starting from contemporaneous works on the link, we propose that the link is infiltrated by structurating necessary violence, that results from the violence of transmission. Then we propose an outline of a metapsychology of the link, that shows the evolution of the functionning modalities of the link, from indifferenciation to transitionalty. The psychoanalysis of the link gives openings on the psychical spaces in which we live, intrasubjective, intersubjective, transsubjective and sociocultural.
Keywords: denegative pacts, indifferenciation, link, metapsychology, originary, transitionality, transgenerational, violence.
Resumen
La teoría del vínculo
A partir de los trabajos contemporáneos sobre el vínculo, proponemos que el vínculo está infiltrado por una violencia estructurante, necesaria, originándose en la violencia de la transmisión. Después proponemos un esbozo de una metapsicología del vínculo, mostrando la evolución de las modalidades del vínculo desde la indiferenciación hasta la transicionalidad. El psicoanálisis del vínculo nos abre sobre los espacios psíquicos en los cuales vivimos: intrasubjetivo, intersubjetivo, transubjetivo y sociocultural.
Palabras clave: indiferenciación, metapsicología, originario, pactos denegativos, transgeneracional, transicionalidad, vínculo, violencia.
ARTICLE
La theorie du lien[1]
CHRISTIANE JOUBERT[2]
Le lien met en jeu la rencontre entre deux psychismes (il y a la présence pour chaque moi d’un autre réel et extérieur), puis l’identification réciproque (miroir); il renvoie au narcissisme, et il représente un investissement objectal.
Le lien est fait aussi des projections, des relations d’objet des membres du groupe.
Quelques brefs rappels
- R.Bion a développé en 1959 une théorie du lien. Par lien, il entend la relation du sujet avec une fonction plutôt qu’avec l’objet qui le favorise.
- Pichon-Rivière en 1971 écrivait “Il n’y a pas de psychisme en dehors du lien à l’autre”.
Le lien est fait d’amour et de haine, de conflictualité. La haine est un organisateur du lien, mais lorsqu’il y a déliaison pulsionnelle, la destructivité au sein du lien est au premier plan.
Le lien est fait aussi de violence fondamentale, luttant pour la survie, (Bergeret, 1981), mais parfois le “fantasme de mort collective″ (Ruffiot, 1984) envahit la scène et on entend alors “Vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel″ J.P. Caillot , G. Decherf, 1989, sous le primat des liens narcissiques mortifères, de la position narcissique paradoxale.
Il y a plusieurs modalités de lien (Kaës, 1984):
- les états du lien correspondent à ces liens immédiats et “supposent un état d’indifférenciation primaire nécessaire à la transmission directe des états émotionnels inconscients” à travers le soin, le bain sonore et langagier, le soutien et le maintien (prodigués au nourrisson et prodigués par le nourrisson à l’ensemble du groupe immédiat);
- les structures du lien correspondent à une différenciation, (à des relations différenciées) des membres les uns par rapport aux autres, assurant l’écart nécessaire à la transmission et permettant la séparation.
R. Kaës propose une topique du lien (colloque “Odyssées familiales”, Société Française de Thérapie Familiale Psychanalytique, Paris, 2000). Il met en évidence plusieurs niveaux:
- le pictogramme assurant l’union ou le rejet (registre Originaire, P. Aulagnier, 1975);
- les processus tertiaires par les contes, les mythes et les légendes, assurant l’articulation entre le registre du primaire et du secondaire;
- l’isomorphie dans le groupe (liant les aspects syncrétique et transitionnel);
- l’espace du lien et le sujet du lien.
F. André-Fustier et E. Grange-Ségéral en 1994, parlent de la coexcitation au sein du lien familial, une modalité sensorielle du lien. Puis avec F.Aubertel, en 1994, F. Fustier montre que «La censure familiale», est un mode de défense archaïque, servant à préserver le lien.
Les liens familiaux
La famille peut être définie comme un ensemble de liens:
- de couple (d’alliance);
- consanguins;
- de filiation;
- lien de la mère à sa famille d’origine (donc le lien de l’enfant à la famille de la mère): lien avunculaire (dont l’importance a été mise en évidence par les psychanalystes argentins,sourtout par Isidoro Berenstein);
- généalogiques;
- les liens de cohabitation(pour les familles recomposées, par exemple);
- liens du groupe familial par rapport à l’extérieur, au socius et au culturel.
Rappelons aussi que c’est par la famille que passe la transmission des interdits fondamentaux: du meurtre et de l’inceste.
Le lien d’alliance
A. Eiguer (1984) va distinguer:
- des liens narcissiques (signant les zones d’indifférenciation); – des liens libidinaux (différenciés).
Selon l’auteur, ces deux types de liens sont en articulation et contribuent à la solidité et à la permanence de l’alliance.
Il dit que la fragilité d’un couple et d’une famille peut s’exprimer par le déséquilibre entre les liens narcissiques et les liens libidinaux d’objet. L’importance du choix d’objet dans le lien d’alliance: en référence à Freud (1914) et à ses deux modèles de relation d’objet (narcissique et d’étayage), A. Eiguer (1984) distingue diverses formes de choix d’objet:
- le choix narcissique, on cherche un objet qui ressemble à ce que l’on est soi-même, à ce que l’on a été ou à ce que l’on voudrait être, ou qui ressemble à la personne qui a été une partie de son soi propre;
- le choix anaclitique, l’homme ou la femme cherche un partenaire lui permettant de trouver un étayage (père ou mère de l’enfance), l’autre représentant une image parentale. L’un est l’enfant de l’autre, et réciproquement;
- le choix oedipien, plus adulte, propre aux structures névrotiques et normales. Ce qui explique que le lien d’alliance est riche fantasmatiquement et complexe, car il fait intervenir aussi la bissexualité psychique des deux partenaires.
Le lien est donc fait des projections des relations d’objet des partenaires.
A Ruffiot propose “l’amour comme illusion de deux corps pour une psyché unique”. Il propose alors de regarder le désamour comme une désillusion groupale. Si le couple était «une foule à deux», dit-il.
R. Losso (2000) donne dix-huit raisons possibles que peuvent avoir les individus pour se mettre en couple.
Quant à nous, nous avons mis en évidence le transgénérationnel, les pactes dénégatifs (Kaës, 1993) à l’œuvre dans le lien de couple (Joubert, 2007).
Quelques conclusions
Alberto Eiguer (1984): le lien suppose une dimension intra et intersubjective, il est le fruit d’une interaction comportementale et fantasmatique entre deux psychés qui s’influencent réciproquement. «La thérapie psychanalytique du couple» (1984), ce dernier nous donne, en référence à la théorie du lien d’après Bion, quelques conclusions:
- «le lien fait penser à une relation où ce qui compte est la rencontre entre deux psychismes»;
- «le lien s’explique par l’identification projective voulant déposer un affect ou une représentation instable, et qui déclenche nécessairement un processus d’identification introjectif chez l’autre»;
- «le lien exclut en revanche l’utilisation de l’identification projective expulsive et massive, celle-ci s’avérant incapable de créer les conditions d’une relation d’amour et d’élaboration»;
- «le lien met en fonctionnement les processus d’identification, l’un répondant à l’autre en miroir. Ce qui est transmis cherche à retrouver de l’identique en face»;
- «le lien renvoie au narcissisme qui est au premier plan de l’élément identificatoire»;
- «le lien représente aussi un investissement objectal, la pulsion doit trouver un exutoire repérable et satisfaisant, incomplet bien entendu».
En 2008, Eiguer écrit «Jamais moi sans toi», signifiant alors l’importance du lien pour chaque sujet.
Nous retiendrons simplement que le lien met en jeu la rencontre entre deux psychismes, qu’il met en jeu l’identification réciproque (miroir), qu’il renvoie au narcissisme et qu’il représente aussi un investissement objectal.
Puget et Berenstein (2008), dans leur ouvrage intitulé «Psychanalyse du lien», disent que la rencontre entre deux sujets ou plus ne dépend pas seulement de la mise en activité d’une composante pulsionnelle, mais prend une signification spécifique et se joue dans l’incertitude.
Ils privilégient la présence pour chaque moi, d’un autre réel et extérieur et donnent un statut à cela. Ainsi ils ouvrent d’une façon plus large les questions relatives à la relation entre deux ou plusieurs moi, ne se cantonnant pas seulement dans la classique théorie de la relation d’objet. Leur conception ouvre sur les espaces psychiques dans lesquels nous vivons: espaces intrasubjectif, intersubjectif, transsubjectif, ou socioculturel. L’incertitude de l’évolution du lien implique que l’analyste puisse se laisser surprendre et soit ouvert dans l’accompagnement.
Le lien est imprégné de violence structurante, transgénérationnelle
L’infans, au sens de P. Aulagnier (1975), a pour fonction dans la lignée de s’approprier, de trier, d’élaborer, de transformer et de transmettre à son tour. Ceci est souvent symbolisés dans les contes et les légendes par les bonnes et les mauvaises fées. Maillon de la chaîne, inscrit dans une histoire avant sa naissance, le sujet a pour fonction de s’approprier et de transformer cet héritage. C’est ce qui le qualifie en tant qu’humain. L’entourage familial et social habille ainsi les imagos pour l’infans. C’est au sein de l’appareil psychique familial que circulent les fantasmes originaires et que se transmettent les interdits fondamentaux. Au sein du lien d’alliance, les sujets du couple viennent déposer à leur insu, les avatars de la transmission. Le lien conjugal se construit et repose sur les failles de la filiation de chacun des partenaires.
Ce qui est sans doute à l’œuvre dans la rencontre, et sur le mode le plus inconscient, ce sont les résonances des aspects transgénérationnels au sein des lignées de chaque partenaire. Le choix de la vie commune avec tel ou tel partenaire s’effectue sur la collusion des aspects transgénérationnels des deux lignées, sur un mode inconscient. A la base de tout lien il y a les pactes dénégatifs (Kaës, 1993). Mais parfois cela entraîne la destructivité au sein du lien.
Ces souffrances de la transmission, nous les rencontrons dans toutes les familles et les couples à des degrés variés. Certaines demandes arrivent même déjà centrées sur cette problématique. Nous pensons alors que le transgénérationnel, en toile de fond dans chaque famille, peut faire retour, à l’occasion d’un événement vécu comme traumatique par le groupe familial, occasionnant des souffrances individuelles et groupales créant ainsi des symptômes. Les histoires douloureuses familiales sont toujours encryptées car traumatiques. Le transgénérationnel, formé de cryptes, fantômes, secrets familiaux, non dits, véritables trous dans l’enveloppe généalogique, fait partie de la transmission et résonne dans le lien de couple.
L’intergénérationnel, est constitué de ce qui se transmet, s’élabore, se fantasme entre les générations et qui permet à chaque humain de se raconter l’histoire de ses origines, «coexiste» avec les histoires cachées, indicibles traumatismes, parfois liées à l’Histoire. Ce tissu familial est toujours empreint de déchirures, et c’est ce qui permet l’accès à la fantasmatique. Mais parfois, si les trous sont trop grands, la béance bloque tout accès à la fantasmatique (le vide affleure). Ainsi Evelyn Granjon (1983-1984; 2002; 2005) parle d’enveloppe généalogique, tissage de transgénérationnel d’intergénérationnel.
Mais dépassant cette différence entre le trans au travers des liens de et l’inter, entre les liens, René Kaës (2008), quant à lui parle d’alliances inconscientes qui organisent le lien intersubjectif et l’inconscient des sujets. Il distingue les alliances inconscientes défensives (le pacte dénégatif: il ne saurait être question de ce qui lie, la communauté de déni, le contrat pervers et les alliances offensives aliénantes), qui sont sans doute héritières du transgénérationnel et les alliances inconscientes structurantes qui impliquent le renoncement à la réalisation directe des buts pulsionnels.
Les crises familiales et du couple peuvent néanmoins être structurantes lors de ces moments où justement l’histoire familiale se remet au travail: au passage de l’état amoureux à la vie commune, au moment des naissances (au devenir parent), à l’adolescence des jeunes, au départ des grands enfants, puis au devenir grands-parents, aïeul, et enfin au moment de la mort.
Mais des crises déstructurantes peuvent aussi figer le fonctionnement familial: des événements (maladie, deuil, accidents) qui font trauma, réveillent tous les autres, sortant les fantômes des placards, ouvrant la «boîte de Pandore», figeant le fonctionnement fantasmatique familial et du couple.
C’est alors que le transgénérationnel est à l’œuvre dans la crise du couple qui se défonde ce sur quoi il s’était fondé, inconsciemment, la déliaison étant au premier plan et la temporalité figée (le couple fonctionne alors en cercle vicieux, sans issue possible, ni ensemble, ni séparé, sur le mode de la relation narcissique paradoxale (J. P. Caillot, G. Decherf, 1989).
Le socle inconscient du couple repose sur les négatifs de la transmission.
En conséquence, le travail de la thérapie de couple doit s’ouvrir sur un travail familial et transgénérationnel, afin que chaque sujet puisse retrouver son individualité articulée sur l’espace commun: être en quelque sorte sujet du couple et de la famille, sans s’y noyer, se dégager du transgénérationnel qui induit la répétition et les fonctionnements en prévalence de positions narcissiques. Nous proposons donc un choix d’objet transgénérationnel à l’œuvre dans le lien conjugal, sur un mode inconscient.
Soulignons également l’importance du fraternel dans le lien de couple, suite aux travaux de René Kaës (2003) à propos du complexe fraternel et de Rosa Jaitin (2006) sur l’inceste fraternel. A partir du complexe de l’intrus et la jalousie de Jacques Lacan (1938), qui montre l’intrus comme représentant de l’autre, obstacle à la réalisation des désirs du sujet, Kaës parle des triangles rivalitaires et de la valeur fondatrice de la violence fraternelle avec la prohibition d’un caractère social du fratricide.
Au travers de la dynamique transféro-contretransférentielle et intertransférentielle, en psychanalyse du lien de couple, nous reconfigurons ces empreintes pour les rendre supportables.
De nouvelles modalités de liens familiaux peuvent donc s’agencer différemment pour permettre de moins souffrir. Ainsi les histoires respectives de chacun deviennent tolérables, «suffisamment potables», et peuvent servir de base pour construire une nouvelle histoire, celle du couple.
Nous sommes aussi à l’écoute de la violence sociale qui infiltre les liens familiaux, dans nos sociétés contemporaines (stress pouvant aller jusqu’au suicides au travail, licenciements, mutations), car la famille est articulée sur le contexte socio-culturel; de même dans les cas d’immigration qui impliquent la déchirure de l’enveloppe culturelle.
Esquisse d’une métapsychologie du Lien (Joubert, 2005)
Nous pouvons dire que le lien fonctionne d’abord dans le registre de l’Originaire (Aulagnier, 1975):
- Sur le plan topique, le pictogramme assure l’union ou le rejet (fusion ou arrachage); il s’agit des états du lien et de la transmission de vécus sensoriels, d’affects (cliniquement, parfois les affects sont gelés). Nous sommes en deçà de la représentation. Au niveau du groupe familial, on observera donc une indifférenciation des liens. Nous rencontrons souvent au sein de la famille une confusion entre le couple et la position parentale (par exemple, le mari appelle sa femme “maman”, et vice-versa), aussi la parentalité confuse montrée par E. Darchis et G. Decherf (2005). Willy (1975) parle de collusion.
- Sur le plan dynamique, il y parfois une aconflictualité due à l’indifférenciation et une grande violence originaire sous-jacente, faite de violence fondamentale.
- Sur le plan économique, une grande quantité d’énergie sera dépensée par les sujets afin de lutter contre les différenciations et les séparations. Ils apparaissent souvent vidés de leur énergie, chacun luttant pour sa survie. Thanatos est à l’œuvre dans les fantasmes de mort collective. Comme dans le mythe, de Tristan et Yseult, pour être enfin unis, il faut mourir ensemble.
La distorsion du lien, sous le primat de l’identification projective.
Nous sommes dans l’identification projective, dans des angoisses de morcellement et persécutrices. Nous pouvons dire que le lien est sous le primat de la pulsion d’emprise. Nous constatons souvent dans les familles des alliances des uns contre les autres; au sein des couples des fonctionnements dans le dénigrement ou l’idéalisation, voire la confusion. Ces modalités de penser sont “tordues”, mais permettent de fonctionner et sont une étape vers le processus de différenciation. Melanie Klein (1927) a montré que les angoisses d’intrusion permettaient la constitution précoce de la psyché, signant ainsi un début de différenciation dedans-dehors. Nous rencontrons parfois des familles ou des couples qui fonctionnent sur un mode perversnarcissique dans une pulsion d’emprise. Il est fréquent d’entendre une femme se plaindre de la tyrannie de son mari, et vice versa, mais sans pouvoir s’en détacher.
Cela peut aller jusqu’à la tyrannie dans le lien (Ciccone, 2003).
- Sur le plan topique, ces modalités de lien fonctionnement encore dans le registre de l’Originaire; au niveau transgénérationnel, un fonctionnement idéologique peut s’installer: ainsi, telle femme souhaiterait que son mari ressemble aux hommes de sa famille, ou tel homme veut que sa femme transmette les valeurs de sa propre lignée etc. Il peut y avoir aussi projection de la “faute” ou de la “tare” sur les lignées respectives.
- Sur le plan dynamique, il y a une conflictualité à tonalité persécutrice (reproches réciproques incessants), parfois meurtrière, (haine destructrice) pouvant aller jusqu’à l’emprise inanitaire du sujet sur l’objet (cfr Berenstein et Puget, 1984).
- Sur le plan économique, les sujets sont encore “vidés de leur énergie” tant l’identification projective est à l’œuvre. On est encore sous le primat du quantitatif, on peut parler de fonctionnement sado-masochiste moral.
L’accès à la position dépressive et à la transitionnalité dans le lien.
L’accès à la position dépressive et à la transitionnalité dans le lien, grâce à l’étayage sur le cadre thérapeutique dans la dynamique transféro-contretransférentielle et inter-transférentielle
Melanie Klein (1927) a montré que la position dépressive était une position structurante dans le psychisme. Sur le plan du fonctionnement du couple, nous percevons à ce moment là qu’il devient possible de penser les séparations. Le lien à l’autre se structure et les différenciations commencent à apparaître. C’est le moment où la transmission psychique entre les générations peut s’élaborer. Un début de représentation devient possible; on peut parler à ce moment là d’une présymbolisation du lien, le couple étant alors accessible aux interprétations transférentielles; cela ouvre la voie au fonctionnement du préconscient. La famille ou le couple, en racontant son histoire, passe des fonctionnements transgénérationnels aux fonctionnements intergénérationnels. La mythopoïèse familiale s’élabore dans le groupe thérapeute(s)-patients. Le lien généalogique prend de l’épaisseur. C’est en référence à D.W. Winnicott (1969) que nous parlons de transitionnalité du lien, permettant une souplesse, un échange.
- Sur le plan topique nous sommes à l’articulation du registre primaire et secondaire, le préconscient fonctionne et “s’épaissit”.
La mythopoïèse familiale articule alors le registre du primaire et du secondaire et permettra aussi l’accès aux processus tertiaires, s’ouvrant sur les contes, les mythes, les légendes et l’histoire contextuelle. Le couple peut prendre plaisir à évoquer le passé, chacun racontant son histoire. L’appareil psychique du couple fonctionne, son tissu mythique prend de l’épaisseur. On s’achemine vers un fonctionnement groupal névrotique, sous le primat de l’Œdipe.
- Sur le plan dynamique la conflictualité (amour-haine) peut se représenter et se verbaliser; les conflits deviennent alors structurants.
- Sur le plan économique, nous voyons apparaître du plaisir à fonctionner psychiquement et à vivre, des solutions peuvent être trouvées (continuer le chemin ensemble ou se séparer), chacun étant repositionné dans son rôle et dans ses fonctions. C’est une ouverture vers les possibles.
Bien sûr, tous ces fonctionnements inconscients décrits là sont à l’œuvre dans tous les couples, mais ce qu’il est important d’entendre, c’est la position prévalente. Les positions narcissiques entraînent une grande souffrance du lien que la thérapie permettra d’alléger. Ainsi, nous passerons des fonctionnements en collage rupture ou pervers narcissiques à des fonctionnements plus différenciés ou chacun, tout en gardant son espace individuel pourra s’articuler sur l’objet-couple. Nous avons alors proposé une métapsychologie du lien, sous forme de tableau, à partir de notre clinique familale.
Transformation des modalités de lien en thérapie familiale psychanalytique
Position narcissique paradoxale | Position schizoparanoïde et
narcissique-phallique |
Position dépressive et oedipienne | ||
Modalités du lien | Indifférenciation.
Ecrasement (états du lien) prévalence des liens narcissiques |
Distorsion
Identification projective réciproque Prévalence des liens narcissiques |
Différenciation
Souplesse (structure du lien) intrication des liens narcissiques et objectaux libidinaux |
|
Métapsychologie du lien.
Plan topique |
Registre de l’Originaire
(pictogramme assurant l’union ou |
Passage par l’acte , somatisations | Symbolisation
Registres primaire et secondaire articulés avec les processus |
|
le rejet) | tertiaires (mythes sociétaux) | |||
Plan dynamique | Aconflictualité ou violence
fondamentale Fantasme proche de l’agir ( de mort collective) |
Emprise-persécution
Tyrannie du lien |
Conflictualité possible | |
Plan économique | Epuisement déliaison Primat de Thanatos | Epuisement , déliaison, clivage | Intrication d’Eros et de Thanatos
Principe de plaisir |
|
Liens transférentiels | Transfert sur le cadre (ou matriciel)
Collage ou rejet (déni de la dépendance) |
Attaques du cadre et diverses alliances | Transfert sur le processus et
transfert objectal sur les thérapeutes |
|
Transmission psychique
(Liens généalogiques) |
Transgénérationnel
(en deçà du représentable) |
Transgénérationnel au premier plan, massif | Transgénérationnel et Intergénérationnel entrecroisés
Mythopoïèse familiale (permettant l’accès au roman familial) |
Tous ces niveaux de fonctionnement sont intriqués entre eux. Ce qui est pathologique, c’est la régression et la fixation. Nous distinguons ce qui est du registre de l’archaïque, présent en chacun de nous, et ce qui est pathologique, c’est à dire la régression et la fixation, ce qui se fige à un moment donné, par exemple la temporalité figée dans certaines familles.
Ainsi ce qui se transmet, c’est la manière d’être en lien, les modalités du lien, qui sont aussi façonnées par les contenus de la transmission (nous avons vus que lorsqu’ils sont traumatiques, cela fait le lit du transgénérationnel). Cela nous a donc amené à réfléchir sur le rapport contenant-contenu: le contenu façonne le contenant qui constitue une peau pour le dit contenu…ils sont donc indissociables, le fond et la forme se mêlent dans le tableau.
En conclusion et perspectives
La souffrance dans le lien est massive lorsqu’il y a indifférenciation, ou projections massives empêchant tout espace potentiel pour la créativité. Lorsque chacun dans la famille prévoit d’avance les réactions et comportements de l’autre, lorsque les autres sont figés dans des imagos, alors il n’y a plus d’espace pour l’inconnu, la surprise, la créativité. La psychanalyse du lien permet de travailler sur l’écart possible, le potentiel de créativité, de transformation, dans le lien de couple comme de filiation.
L’espace du lien toujours empreint de projections, mais plus souples, moins massives, permettra alors une potentialité de créativité, car l’autre pourra répondre de là où il est, de sa réalité psychique à lui; de ce fait l’inconnu pourra surprendre. La crise de ce fait paraît souvent soudaine et de type battement d’aile d’un papillon, l’issu est toujours incertaine.
Au sein du travail thérapeutique, nous privilégions la rencontre, dans l’ici et maintenant des séances.
Les liens familiaux sont infiltrés également de violence sociale, dans nos sociétés contemporaines soumises au profit.
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[1] Résumé pour l’intervention au 4 éme Congrès International de Buenos Aires, Juillet 2010: «Souffrance dans les liens et ses transformations en psychanalyse de couple et de famille» www.aipcf.net; www.aippf.net/CongresoInternacionalBuenosAires.
[2] Docteur en psychopathologie clinique, Maître de Conférences à LYON 2, psychopathologie clinique, Psychanalyste de groupe, de couple et de famille (membre SFTFP, SFPPG, AIPCF). christianejoubert@netcourrier.com