REVUE N° 11 | ANNE 2012 / 1

L’ interprétations dans les thérapies psychanalitiques de couple et de famille : la touche finale

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La interpretación en las terapias psicoanalíticas de pareja y familia: el toque final

Después de haber abordado las analogías y las diferencias entre las terapias psicoanalíticas de grupo y de familia, el autor encara la manera en la que la técnica de la terapia psicoanalítica de grupo (TPG) se aplica las terapias psicoanalíticas de pareja y familia (TPPF), particularmente a propósito de la interpretación y de sus objetivos. Los terapeutas de pareja y de familia hacen frecuentemente construcciones, la evocación verbal de las producciones grupales son un ejemplo. Es el « toque final » que sintetiza cada intervención; esaquello que favorece la mutación en TPPF, equivalente a la que deseaba Strachey para la interpretación en psicoanálisis individual.  

 Palabras claves: interpretación grupal, construcción, reconstrucción, vínculo filial, reconocimiento mutuo.


L’ interprétations dans les thérapies psychanalitiques de couple et de famille : la touche finale.

Après aborder les analogies et les différences entre les thérapies psychanalytiques de groupe et de famille, l’auteur parle de la manière dont la technique de la thérapie psychanalytique de groupe (TPG) s’applique aux thérapies psychanalytiques de couple et famille (TPCF), notamment à propos de l’interprétation et de ses buts. Les thérapeutes de couple et de famille font fréquemment des constructions, le rappel verbal des productions groupales en étant un exemple. C’est la « touche finale » qui synthétise chaque intervention ; c’est qui favorise la mutation en TPCF, équivalente à celle qui souhaitait Strachey pour l’interprétation en psychanalyse individuelle.

Mots-clés : interprétation groupale, construction, reconstruction, lien filial, reconnaissance mutuelle


Interpretation in couple and family psychoanalytic therapies: the final touch

After having explored the analogies and differences between group psychoanalytic therapy and family psychoanalytic therapy, the author discusses the way the group psychoanalytic therapy (GPT) applies to couple and family psychoanalytic therapy (CFPT), especially when it comes to interpretation and its goals. Couple and family therapists often create constructions, verbal recollection of group productions being one example. It’s the « final touch » which synthesizes each intervention; this is what helps mutation in CFPT, equivalent to what Strachey wished for in individual psychoanalysis interpretation.

Keywords:  group interpretation, construction, reconstruction, filial link, mutual acknowledgement


ARTICLE

L’interprétation dans les thérapies psychanalytiques de couple et de famille : la touche finale.

ALBERTO EIGUER

Analogies et différences

De mon point de vue, les analogies et les différences entre les thérapies psychanalytiques de groupe (TPG) d’un côté, et de famille et de couple (TPCF) d’un autre côté, dépendent de la nature de l’objet d’étude. La famille est un groupe naturel et particulier : elle a une histoire propre et trans-générationnelle qui joue un rôle déterminant dans son fonctionnement ; ses membres ont des fonctions spécifiques, père, mère, enfant, et ils instaurent des liens filial, fraternel et de couple. La famille diffère des autres groupes naturels comme l’institution ou artificiels comme la thérapie de groupe. Aucun autre groupe ne se propose la conception et la formation d’un enfant et n’offre une place semblable à la transmission. Sa structure de fonctionnement inconscient, ses défenses, fantasmes partagés, mythes, sont établis avant toute prise en charge thérapique. Mais dès la mise en route d’une thérapie en présence d’un ou plusieurs thérapeutes, une régression se produit de sorte qu’une nouvelle réalité inconsciente se développe où le groupe thérapeutes-famille montre des équivalences avec tout autre groupe thérapeutique. Les thérapeutes analysent la famille et sont en même temps insérés dans un fonctionnement groupal. Le transfert et le contretransfert contribuent à former un nouveau lien intersubjectif.

Aussi bien la famille que le groupe thérapeutique se fixent des buts précis ainsi que des moyens pour les atteindre. Tous les deux trouveront des raisons qui justifieront leur existence ou leur aménagement. Ils ont des idéaux qui partagent tous leurs membres. Ces buts, moyens, sens, idéaux sont certes dans chaque cas de nature différente mais ils animent toujours des forces qui fédèrent leurs membres en développant une sorte de complicité de base et une l’intimité. Cette mentalité groupale ou groupalité favorise leur proximité émotionnelle et leur confiance réciproque (cf. Bion, 1956).

En conséquence, et en termes généraux, la méthode pour traiter une famille peut adopter les lignes techniques des groupes thérapeutiques. La convergence groupe – famille permet que les objectifs et les moyens de la TFP et de la TPCF visent à analyser les mécanismes inconscients de groupe, déterminants dans l’apparition des symptômes et des dysfonctionnements : leur prise de conscience par les membres de la famille déclenchera un changement. Pour ceux-ci, il sera question d’intégrer l’idée qu’ils forment un collectif où chacun est impliqué dans son fonctionnement. Une partie importante du processus sera consacrée à l’analyse des fonctionnements archaïques mis en jeu : perte de limites interpersonnelles, confusion d’identités, processus primaires, craintes primitives d’engloutissement, d’envahissement, d’abandon, de dépérissement, d’anéantissement.

Reconnaître les états émotionnels d’autrui

D’autres niveaux de fonctionnement groupal sont mobilisés pendant les séances, le niveau que j’appelle onirique, par exemple (A. Eiguer, 2013). Chacun souhaite réaliser en relation avec l’autre certains désirs individuels. Le groupe lui offrirait la possibilité de les satisfaire. Mais il y découvre un autre qui a les mêmes objectifs : la réalisation de son désir, peu importe sa nature ; il est un sujet désirant, qui mobilise son fonctionnement mental avec des aspirations semblables. Une sorte de rencontre de sujets désirants a lieu : cela est probablement à l’origine de sentiments hostiles ou affectueux, de mépris ou d’empathie, de désaffectation ou de communion. L’intersubjectivité traverse des orages et des tempêtes…

Dès lors que ce champ intersubjectif se consolide, il favorise les attachements réciproques ; chacun est en quête de la reconnaissance de sa singularité, de son intériorité. En constatant qu’autrui a des besoins semblables, il finira par admettre que s’il souhaite être reconnu par autrui, il sera amené à s’intéresser à lui. Le mot clé est être concerné.

La reconnaissance deviendra mutuelle.

Je peux énumérer d’autres fonctionnements intersubjectifs, mais je préfèrerai rappeler qu’en famille ses membres ont déjà orchestré depuis longtemps ces fonctionnements alors que les participants à une TPG ne se connaissent pas et ils sont amenés à bâtir leur intersubjectivité par l’effet de leur régression lors du processus.

Un père, une mère, leur rejeton se reconnaissent mutuellement assez vite après le changement profond que provoque la naissance. Puis ils identifient leur famille, leur parentèle et leurs généalogies. Différents mouvements y contribuent : la désignation de chacun, le pointage et l’interprétation. Mais la vie en commun permet de mieux caractériser les fonctions et les attributions de chacun. Ces mécanismes ont un équivalent dans le processus de la thérapie lors des présentations des participants au groupe. Toutefois ils ignorent l’importance de leur portée symbolique. Cela scelle leur union, leurs alliances (R. Kaës, 2009)…

Dans les cas de la TPG et des TPCF, il est donc intéressant que les participants travaillent sur cette groupalité qui se développe à leur insu. Les membres de la famille n’en ont aucune conscience. Ils sont en général surpris et gênés de l’apprendre car habituellement et, notamment s’ils sont en conflit ouvert, ils se vivent comme des adversaires et n’aiment pas que l’on les voit comme des personnes dont les vécus sont proches ou que leurs désirs convergents et se nouent. Celui qui accuse ou se plaint d’autrui n’est pas moins porteur de ces mêmes difficultés, animosités ou négligences qu’il ne tolère pas chez autrui. L’analyse assez précoce de ces dénominateurs communs permettrait que l’on puisse accompagner cette régression et favoriser l’installation du processus. Le mot clé est « groupaliser ». Cela devient même une tactique qui prend forme lors les interventions des thérapeutes : l’identification de ce fonctionnement groupal laisse perplexe ceux qui sont en conflit. « Si mes fantasmes coïncident avec ceux de l’autres, si nos désirs ont des buts convergents, je me bat contre moi-même en combattant l’autre. » Vous y voyez l’une des raisons des guerres… On déteste son ennemi par sa ressemblance avec soi. C’est le narcissisme des petites différences (S. Freud, 1914). On préfère le voir comme un rival parce que l’on craint être confondu avec lui.

En effet, le lien fait peur : les sujets redoutent de perdre leur ascendant ou leur suprématie sur l’autre, de se faire dominer par lui et finalement de disparaître (W. R. Bion, 1956).

Mais d’un autre côté, lorsque les sujets sont en conflit, chacun, en surestimant sa différence, se croit dispensé de tenir compte de la singularité d’autrui. Ce n’est pas la haine qui nous fait trouver une place et une singularité, mais plutôt la reconnaissance mutuelle. Notre véritable différence prend son sens dans l’acceptation de notre dépendance envers l’autre.

En thérapie, les membres du groupe cherchent également à ce que le thérapeute les reconnaisse et en même temps qu’il devient le témoin de leurs vécus et avatars de leurs histoire. Mais ils vont identifier également le travail qui s’opère dans l’intériorité subjective du thérapeute. Avant de s’identifier à ce fonctionnement et l’adopter. Quoique dans tous les cas reconnaitre n’est pas mieux connaître autrui ; probablement, c’est accepter qu’une partie de lui nous restera définitivement méconnue.

Les différences

A différence des autres groupes, la famille développe des fonctions spécifiques comme celle du père, de la mère et de l’enfant, et des liens filial, fraternel et de son couple. Il est certes connu que dans tout autre groupe ses membres reproduisent des fonctionnements qui ressemblent à ceux de leur famille, mais c’est un déplacement psychique alors qu’en famille ceux-ci existent de manière naturelle. Un participant à un groupe peut se vivre comme s’il était l’enfant du thérapeute, mais il ne l’est pas. De même, dans la famille, une fonction se déploie amplement ; en groupe thérapeutique, partiellement. En groupe, c’est un désir inconscient qui se met en route ; en famille, c’est à la fois, un désir, un besoin, une demande, qui ne se contentent pas de leur satisfaction symbolique. Un père devrait s’assumer.   

Les thérapeutes de famille et de groupe n’analysent pas ces fonctionnements et leurs avatars dysfonctionnels pareillement. Un exemple de groupe thérapeutique : Un de ces participants peut se plaindre qu’un autre ne réponde pas à son attente qu’il agisse comme son grand frère. Dans son interprétation, le thérapeute peut intégrer cela à des mécontentements consonants apparus chez d’autres participants et proposer que ce sont les expressions d’une attente idéalisée de camaraderie avec un frère, puis souligner qu’elle prend racine dans une forte rivalité. Mais en thérapie familiale psychanalytique, cela ne peut être pareil. Dans son cas, l’analyste va prendre en compte la réalité psychique du groupe famille, son historique, d’autres déceptions concernant les attentes idéales dans les générations actuelles ou anciennes. Ces déceptions sont ressenties beaucoup plus douloureusement concernant ce que l’on attend d’une (bonne) entente entre frères et sœurs. L’analyste mettra l’accent sur ce qui a favorisé l’idéalisation : promesse de solidarité sans failles, dévouement envers d’autres…

En famille, la réalité symbolique des liens est présente.

La touche finale

Pour interpréter en thérapies de groupe ou de famille, nous tenons compte de la chaîne associative produite par les participants aux séances et leurs productions psychiques collectives. Cette dimension me semble commune aux deux techniques. Nous énonçons des interprétations. Mon sentiment est que souvent ce sont des constructions. Il nous arrive d’intervenir sur la défense, les fantasmes, le transfert. Toutefois le fait de rassembler un matériel hétéroclite et de lui attribuer une signification commune en proposant une synthèse qui fait ressortir un élément dynamique central, souvent rattaché au passé, nous renvoie au travail de la reconstruction et de la construction. La groupalité est souligné comme pour englober l’ensemble ; c’est la touche finale de l’intervention du thérapeute.

Freud (1937) propose deux notions, la reconstruction et la construction. Dans la reconstruction, l’analyste prend en considération différents souvenirs du patient sur une longue période de sa vie et propose une synthèse en soulignant leurs relations et un sens. Dans la construction, l’analyste part aussi des associations du patient mais afin de leur donner une cohérence il se permet d’ajouter des éléments inédits qui lui semblent cohérents avec l’ensemble, à l’exemple de l’archéologue qui reconstruit la forme d’un vase antique à partir des quelques petits morceaux. La confirmation que ces interprétations sont vraisemblantes viendra du patient.

Dans le cas de la construction, plus fréquemment que dans celui de la reconstruction, l’analyste se sert de ses intuitions, mais le recours à l’intuition ou à la déduction dépendent du fonctionnement psychique de l’analyste pendant la séance traversé par ses vécus personnels et par leur mise à un travail d’autoanalyse ; ces vécus inspirent finalement ses choix interprétatifs. L’interprétation n’est pas le produit d’un travail intellectuel, mais de sa subjectivité en résonance avec celle de ses patients. Pour toutes ces raisons, je pense utile d’ajouter aux formes de contretransfert couramment décrites, un contretransfert supplémentaire, qui prend en compte les productions de l’imagination de l’analyse, même son travail mythopoïétique (Eiguer, 2013).

En outre, on admet actuellement que ces deux techniques, construction et reconstruction, s’appliquent en dehors de l’histoire du patient à ses souvenirs récents.

Voyons deux exemples de thérapies.

Comment configurer la construction

La famille G. vient me voir pour aborder les difficultés de l’aîné âgé de 3 ans (Pierrot) qui est devenu capricieux, désobéissant, agissant, violent, après la naissance du second, âgé aujourd’hui de 8 mois (Jeannot). L’aîné est atteint d’une luxation congénitale de la hanche, qui a nécessité plusieurs opérations et soins. Il a eu une amélioration nette de son état physique : les parents parlent avec beaucoup d’émotion des soins entrepris, de l’angoisse qui les a habités, des souffrances physiques de l’enfant. Celui-ci me paraît bien se développer, il parle déjà assez correctement, semble éveillé et disponible au travail psychologique. Présent à l’entretien, Jeannot est souriant, sage et sensible. Il ne présente pas de problème physique. Au départ, Pierrot aurait bien accepté l’arrivée de son frère mais ensuite il est devenu violent envers lui. A l’entretien, il se montre plutôt indifférent envers Jeannot et supporte mal que l’on lui prête intérêt.

La mère confirme que cette attitude est de plus en plus manifeste. Elle explique que Pierrot a été mis en valeur et très protégé pendant ses deux premières années. Très inquiets, ils ont toujours accepté ses caprices et ils l’ont entouré d’un maximum de tendresse lui évitant la moindre contrariété. Malgré ses progrès physiques récents, ils se disent ne pas être encore totalement rassurés.

Ce que nous démontrera le processus de la thérapie est que Pierrot n’en demandait pas tant et qu’un malentendu s’est instauré de telle sorte qu’il a compris que s’il était privilégié par tant de soins et que, si ses parents étaient si attentifs avec lui, c’était qu’il était un « enfant adorable », surtout pour la mère. En vérité, il ne souffrait pas de sa différence ; le stigmate, c’était les parents qui le ressentaient. Lui il se considérait un enfant exceptionnel et il prenait probablement la kinésithérapie comme des caresses un peu appuyées. Quand Jeannot est né, ce fut la douche froide : il y avait un autre enfant dans la maison ; sa venue au monde démantelait sa théorie.

Dans nombre de familles, un enfant unique est en désarroi après la naissance d’un cadet, mais ici l’affaiblissement des géniteurs a conduit à altérer leur relation à Pierrot dès le début de sa vie ; ils ont oublié de le traiter en enfant comme les autres avec tendresse et rigueur selon chaque situation. En outre, d’après ce qu’ils m’ont fait entendre, la blessure psychique avait été déterminante dans le projet de « faire un second ». Ils se considéraient comme des parents condamnés, voire maudits. Portaient-ils une tare génétique qu’ils allaient transmettre à leur descendance ? Il fallait le savoir au plus vite.

La conception de Jeannot et sa naissance ont bouleversé totalement la donne familiale. Pierrot se vengeait à sa façon en devenant insupportable et par la même occasion détestable. Malgré une amélioration nette dès les premiers entretiens, ont persisté des haines et des déceptions entre les membres de la famille pendant un certain temps. Ce qui a pu favoriser l’apparition d’un comportement plus coopérant chez Pierrot ce fut l’analyse des attitudes rigides chez chacun des membres de la famille, qui stimulaient son agitation et son opposition.

Voici une interprétation-construction. Lors d’une séance familiale, j’ai souligné que tout cela provoquait une souffrance insupportable chez la mère, désorientée pour comprendre pourquoi l’enfant avait tellement changé depuis un an. J’ai aussi fait appel à la responsabilité de chacun, qui était concentré plus sur sa souffrance personnelle que sur l’état émotionnel de l’autre. Par exemple, ne pouvant plus supporter la situation, les parents se montraient trop réactifs sans chercher à écouter ce que Pierrot voulait leur dire. J’ai ajouté de mon côté que Pierrot ne semblait pas vouloir « reconnaitre la détresse de ses parents », et que Jeannot (encore un nourrisson), par son air étranger à tout cela, paraissait ignorer que sa famille était déchirée. Malgré leur jeune âge, les enfants ont dû entendre mon message : par la suite un mouvement de rapprochement s’est manifesté chez Pierrot. J’ai cru important d’inclure Jeannot dans mon interprétation afin que cela soit écouté par les autres, alors que je voyais que les parents l’hyper-protégeaient déjà.

La suite a montré une diminution de l’agitation chez Pierrot.

Au début de l’interprétation, j’ai évoqué les communs dénominateur groupaux, l’absence d’empathie et ensuite la difficulté à assumer sa responsabilité envers l’autre. J’ai parlé d’affect (la souffrance de la mère et des autres), de défense en signalant l’hyperréactivité des parents inquiets, en fin de la représentation que chacun pouvait se faire des autres.

La construction était dans la manière de présenter les choses en ajoutant un élément que je ne pouvais pas bien connaître, l’état psychologique du nourrisson par exemple. Par la manière dont Freud (1937) présente la construction il paraît agir en véritable groupaliste dans la forme et dans le contenu aussi : dans les exemples d’analysants adultes qu’il propose dans son article, il évoque divers personnages significatifs inter-fonctionnant. Ils sont certes absents à la séance d’analyse individuelle mais il y est question de leur interrelation qui tour à tour évoque des sentiments chez l’enfant. Leurs comportements s’articulent et se combinent jusqu’à permettre à Freud une compréhension inédite et synthétique de ce que le patient a vécu. Chez Freud, la dimension du temps est présente pour faire remarquer les causes-effets : ce qui précède pouvant déterminer la suite.

Dans mon exemple, je souligne indirectement que l’hostilité à la suite de la naissance de Jeannot a perturbé le sens des liens au point de mettre entre parenthèses les alliances réciproques. Chacun vivait autrui comme un intrus ou un étranger. L’intrusion d’un nouveau-né, ce n’est pas l’affaire de Pierrot mais celui de tous ; la famille a vécu le démantèlement de son identité.

Dans une séance ultérieure, je me suis référé aux malentendus consécutifs au constat du handicap de Pierrot, en mettant l’accent sur la douleur et l’angoisse d’avenir éprouvées.

La touche finale permet donc que la participation de la groupalité au trouble soit mise à jour. La souffrance collective renforce les angoisses et les défenses mais aussi la famille est atteinte dans son sein (le démantèlement du soi familial, la colère et la déception face à la famille idéale et bien-portante).

Le travail de construction est concomitant de notre auto-analyse contretransférentiel. Ici je suis arrivé à voir plus clair après ma prise de conscience de la difficulté dans laquelle me met personnellement une « tare » héréditaire. Quand je l’ai compris, j’ai pu mieux écouter la détresse des parents.

En fin la spécificité familiale de ce cas se fait sentir dans la stigmatisation de la faille génétique. Son analyse est incontournable.

L’approche de cette famille est marquée en somme par la question filiale. J’ai le sentiment que c’est fréquent en TFP. Dans l’exemple suivant, c’est aussi le cas. L’origine du lien filial nous livre des secrets sur des dysfonctionnements persistants…

Une thérapie psychanalytique d’une famille adoptante

Dans le cas d’une famille où la fille adoptée (Carine, née aux Philippines) avait des difficultés scolaires, les parents étaient désarmés pour l’aider. Ils lui conseillaient de travailler plus sans veiller toutefois à l’interroger sur les raisons de ces difficultés. Elle ne suivait pas les recommandations de ses parents, qui la mettaient en rage. Assez réguliers dans leur scolarité et devenus des professionnels brillants, les parents avaient été surpris par cette situation, dépourvus de modèle alternatif à celui qui leur avait réussi. Ils savaient que pour avancer il fallait être assidu aux cours, persévérant pour finir ses devoirs, et se priver éventuellement de sorties et même de distractions jusqu’à ce que les résultats scolaires soient satisfaisants. Ils avaient du mal à reconnaitre que leur fille était facilement fatigable, peu concentrée et empressée par contre d’aller retrouver ses copains, ce qui lui donnait des satisfactions plus concrètes et immédiates que ses études. Honteuse de ses notes, Carine vivait comme blessantes les critiques de ses professeurs.

Parents et fille montraient une formidable incapacité à s’entendre. La fin de l’année arrivant et le redoublement devenant inévitable, les parents ont décidé à contrecœur de l’inscrire dans une pension pour l’année suivante, la consultant néanmoins. Ce que l’adolescente a accepté ajoutant que cela allait lui permettre de se libérer de l’emprise « étouffante » de ses parents et de leur « harcèlement » pour qu’elle travaille. Les conflits étaient en effet très vifs ; les désaccords nombreux. La démarche d’admission en pension n’a pas révélé de dissension.

Mais dès le début de l’année, l’adolescente a demandé à revenir à la maison : ses parents lui « manquaient », ses amis aussi. Les séances de thérapie familiale étaient d’une rare violence.

En effet personne n’avait compris que, si on l’excluait du foyer, la fille revivait ce qui entourait son adoption. L’écho inconscient de l’abandon qu’elle avait subi quand elle avait quelques mois restait bien plus vif que l’on ne pouvait l’imaginer. L’idée qu’elle avait été rejetée, expulsée, semblait s’imposer. Partir de la maison, un nouveau rejet ? Une fois en pension, elle a exprimé un attachement surprenant à la maison familiale, en parlant de ce qu’elle pouvait y faire, de son espace, des repas agréables en famille. Les conversations avec ses parents lui faisaient défaut durant la semaine, alors même que jusque-là son discours n’avait jamais fait allusion à un quelconque bien-être dans la maison.

Au contraire, l’année précédente elle avait vanté la maison de ses amis, la valeur irréprochable des parents de ceux-ci et leur capacité de compréhension. Et même pendant cette année de pension elle reprenait à l’occasion ces arguments.

Les parents de Carine dissimulaient à peine leur douleur et leur déception. Une mère, un père adoptant se vit souvent fragile devant des comparaisons de cette nature. Un parent adoptif doute facilement qu’il ait bien rempli sa fonction, allant jusqu’à se demander si l’enfant n’aurait pas mieux vécu avec ses géniteurs.

Les parents avaient une connaissance claire du milieu d’origine de leur fille et savaient intellectuellement combien leur fille aurait été malheureuse si elle n’avait pas été adoptée. Mais leur découragement était grand leur faisant craindre de s’être trompés dans leur choix. La fille me paraissait injuste et même perverse tellement elle cherchait à les affaiblir, tout cela en principe pour pouvoir revenir à la maison. Ses promesses de bien travailler voulaient appuyer ce vœu, mais cela ne faisait que réveiller leur méfiance dans la mesure où c’était exactement le contraire qu’elle avait affirmé quelques mois auparavant.

La situation s’est un peu calmée lorsqu’ils ont compris que leur maison représentait plus qu’une enveloppe douillette et sécurisante : elle était le témoin de l’arrivée de Carine, de son accueil, des moments charnière qui les avaient unis, des instants de bonheur et d’incertitude passés ensemble, d’amour et d’hostilité. Telle qu’une mère, la maison la sécurisait et la rassurait : Carine était digne de recevoir l’amour d’une mère, la protection d’un père. La maison était le témoin de l’alliance qu’ils avaient contractée fondant leur groupe familial. Sans ce repère, l’alliance pouvait se dissoudre.

Conclusion

En commençant je vous ai proposé que la différence entre la TPG et les TPCF est liée à la nature du groupe. Au fil de la recherche, il s’est avéré que cette différence implique des conséquences importantes pouvant conduire à des dérives importunes : les TPCF traitent, de manière privilégiée, de la situation des liens de filiation, fraternel, de couple et entre les sujets et leurs ancêtres, en essayant de résoudre leurs dysfonctionnements. Elles appliquent dans ce but nombre de notions groupalistes, comme l’alliance inconsciente, l’inter-fantasmatisation, les affects partagés, mais cela reste des moyens. En revanche, du point de vue technique et pratique, les notions de groupe sont très pertinentes et efficaces.  

Dans les faits, certains thérapeutes psychanalytiques de couple et de famille tendent à ignorer ces analogies et différences ; ils désaffectent le champ groupal et reviennent à une pratique d’interprétations individuelles quoique l’instauration d’un cadre groupal et son rappel lors du processus sont maintenus : règle de la participation aux séances de tous les membres de la famille, par exemple.

De l’autre côté, certains TPG ignorent les aspects singuliers de la famille ; dans la séance groupale, ils tendent par exemple à minimiser les différences entre le fraternel et le filial ; ils affirment que les membres du groupe fonctionnement comme des frères pour dire qu’ils s’orientent vers l’indifférenciation. Mais la fraternel n’est pas uniquement cela. Parmi les virtualités du fraternel, j’observe qu’entre frères et sœurs se développe une culture de pensée alternative ; ils développent ensemble des positions critiques par rapports aux adultes, dont à leurs parents, qui à la longue leur conduit de s’autoriser à avoir des avis personnels sur les choses et le monde.

Des thérapeutes de groupe peuvent réduire l’asymétrie entre thérapeute et membres du groupe à un simple problème de hiérarchie négligeant, par exemple, la différence entre un instructeur et un père. En fin, ils prêtent peu d’attention au trans-générationnel.

Ces dérives risquent de réduire la portée du matériel des séances et en conséquence de mener à faire fausse piste, voire de passer à côté de questions importantes. Seulement en admettant leurs spécificités, les TPG et TPCF pourront bénéficier de leurs apports réciproques.


Bibliographie

Bion W. R. (1956), Expériences dans les petits groupes, tr. fr.  Paris, PUF.

Eiguer A. (2008) Jamais moi sans toi, Paris, Dunod.

Eiguer A. (2013) Le psychanalyste comme témoin, Paris, Dunod.  Freud S. (1914) Pour introduire le narcissisme, tr. fr. in La vie  sexuelle, Paris, PUF, 1969.

Freud S. (1937) Constructions dans l’analyse, tr. fr. in Résultats,  dées, problèmes, 1985, 269-281.

Kaës R. (2009) Les alliances inconscientes, Paris, Dunod.


Revue Internationale de Psychanalyse du Couple et de la Famille

AIPPF

ISSN 2105-1038