REVUE N° 19 | ANNE 2018 / 2
Introduction au numéro :
« Aspects de la technique dans la psychanalyse contemporaine avec le couple et la famille »
Timothy Keogh[*], Daniela Lucarelli[**], Irma Morosini[***]
Le développement de la théorie et de la technique dans le travail psychanalytique avec les couples et les familles a des origines lointaines, liées à l’histoire de la psychanalyse, mais aussi à d’autres modèles plus axés sur la dimension relationnelle et sociale du fonctionnement psychique. Cependant, depuis environ soixante ans, des études cliniques spécifiques et des observatoires sur le fonctionnement fantasmatique et relationnel du couple et de la famille ont commencé à se développer dans le monde entier, avec des contributions toujours plus importantes. Le travail a été axé selon l’orientation théorique sur divers aspects: sur les dimensions interpersonnelles, sur le caractère groupal de la famille ou sur la relation entre l’intrapsychique et l’interpersonnel. Le travail sur les interactions au sein de la famille ou sur les relations entre les membres a néanmoins été considéré par tous comme la base du changement. L’objectif de l’AIPCF est de comparer les différents modèles, de vérifier les possibilités d’intégration et de contamination mutuelle leur permettant de dialoguer entre eux, puisque nous pensons que chaque modèle peut illustrer un niveau de fonctionnement et de compréhension différent et qu’il est enrichissant, dans la pratique clinique, d’utiliser ce qui correspond le mieux à nos besoins cliniques et à notre pensée théorique. Comme nous le savons, en psychanalyse, la théorie est étroitement liée à la technique. Connaissance et thérapie: c’est le binôme inséparable des événements que l’on peut appeler psychanalytiques.
Quelles ont donc été les répercussions sur la technique des différentes orientations théoriques? Et quelles transformations, au cours de cette longue période, ont eu lieu dans les choix techniques des psychanalystes dans le travail avec les couples et les familles? Quels sont les choix de cadre, quel usage peut-on faire des phénomènes de transfert, quel modèle interprétatif est utilisé ou quelle intervention est privilégiée?
Actuellement, à une époque où nous sommes de plus en plus confrontés à la souffrance et à l’incertitude dans les références d’appartenance et à une désorientation qui affecte les individus, les couples et les familles au niveau social et culturel, nous assistons à une transformation des structures familiales et à une modification des caractéristiques des liens du couple.
En tant que psychanalystes de couple et de famille, nous sommes donc appelés à identifier de nouveaux outils thérapeutiques à travers une attitude constante de recherche et de questionnement sur les problèmes que pose la pratique clinique.
Les articles que nous proposons dans ce numéro, en raison de la diversité des références aux modèles théoriques et aux interventions, offrent un éventail de propositions et de choix théoriques et techniques qui peuvent nous aider à avoir une vision plus large de l’état actuel de notre domaine d’intérêt.
Dans son article Intervenir-Interpréter, Janine Puget nous invite à élargir notre écoute de la clinique et à identifier de nouveaux conflits. Pour cela, de son point de vue, il est nécessaire d’élargir notre cadre théorique et de penser en termes de deux logiques hétérologues: celle qui traite des aspects internes du patient et de l’activation stimulée par le transfert et celle propre au lien, c’est-à-dire, ce qui se passe entre deux sujets avec altérité et un caractère d’extranéité.
Partant de l’observation des changements morphologiques significatifs dans la famille et du développement de nouveaux dispositifs tels que le psychodrame familial et la thérapie multifamiliale, Philippe Robert aborde le thème des Questions techniques en thérapie familiale psychanalytique et rappelle quels sont les invariants cliniques et techniques qui reposent essentiellement sur le cadre et le processus réaffirmant que ce qui doit rester intangible est la prise en compte de l’Inconscient dans la configuration des liens conjugaux et familiaux.
Damian McCann, dans l’article Un thérapeute à la recherche du couple: une intervention thérapeutique brève avec un couple adoptif homoparental, examine la technique contemporaine du travail psychanalytique de couple en rendant compte d’une intervention limitée dans le temps (20 séances) auprès d’un couple d’homosexuels qui cherchent à adopter un nourrisson. Il aborde la nécessité de mettre l’accent sur l’objectif du traitement qui doit être clair dans ce type de travail et souligne l’importance de l’utilisation du contre-transfert pour atteindre les buts identifiés du traitement, notamment l’impact de l’adoption sur la relation du couple, leur crise de couple et l’impact de l’orientation sexuelle et de genre sur le fonctionnement du couple. Le résultat thérapeutique est lié au travail avec les défenses individuelles de chaque membre du couple. Le Dr McCann souligne également la nécessité de confronter les points de vue hétéronormatifs lorsque l’on travaille avec des couples homosexuels.
Hanni Mann-Shalvi, dans son article Approches contemporaines de l’encapsulation et de la dispersion des traumatismes: le traumatisme de l’Holocauste comme obstacle à l’intimité des couples, fait référence aux mécanismes qui interviennent chez un couple qui a reçu par transmission intergénérationnelle les effets d’un traumatisme grave et qui, en raison d’un conflit intrapsychique, peut générer des altérations intersubjectives chez le couple. Il met l’accent sur la thérapeutique du holding lorsque, par encapsulation défensive, les sentiments sont bloqués. Le matériel clinique qu’il présente est commenté par les deux autres auteurs (Timothy Keogh et Caroline Sehon).
Marthe Barraco de Pinto et Muriel Orlue apportent leur expérience du travail avec le couple dans l’article Quelques aspects techniques dans la thérapie psychanalytique de couple. Les auteurs, se référant à l’enseignement de J.-G. Lemaire, réaffirment l’importance de la définition du cadre avec règles, créé par les références théoriques internes du thérapeute, en appui sur son analyse personnelle. Une attention particulière est accordée aux niveaux de communication les plus indifférenciés et les plus primaires. Le thérapeute s’appuie sur les actes du langage et sur l’aspect illocutoire de la parole et de ses effets parfois manifestes sur le visage de l’autre. Sont également pris en compte des outils de médiation dont on peut faire usage, entre autres, le génogramme.
Dans son article intitulé Le groupe de psychanalyse multifamiliale: recommandations pour sa coordination, Norberto Mascaró Masri raconte son expérience centrée sur son vécu en soulignant l’importance de créer un climat émotionnel adéquat, favorisé par les coordinateurs; son engagement génère confiance et ouverture sur la possibilité “de développer ce qui est sain afin de guérir ce qui est malade”. Il passe en revue les aspects du transfert multiple propre aux interdépendances réciproques, précise le cadre et les recommandations aux thérapeutes coordonnateurs.
L’article de Juan González Rojas et Paloma de Pablos Rodriguez Espace psychique et la temporalité dans le “groupe familial”, la convergence des biographies dans le contexte d’un hôpital de jour. Lien de mémoire et relation avec l’inconscient fait part de leur expérience avec des groupes multifamiliaux dans lesquels l’exercice de chroniques écrites a établi un lien de mémoire dans le groupe des patients et des thérapeutes. Il traitent les temps dans l’histoire intersubjective et leur dimension en fonction des espaces, explorant les fantasmes et la figurabilité scénique en lieu et place des actes. L’accès à cette figurabilité sert d’enveloppe pour signifier une certaine reconnaissance et un certain soutien inter et intrasubjectif.
Dans La terreur qui vient du futur, Gemma Trapanese et Santa Parrello, à travers la présentation de matériel clinique relatif au traitement d’une famille suivie en cothérapie, soulignent l’importance d’explorer la fantasmatique qui occupe le champ du cadre psychanalytique familial. L’attention portée à l’appareil psychique groupal permet d’identifier les pactes et les défenses collusifs, et les mouvements transféro-contretransférentiels sont considérés comme essentiels pour la lecture des processus transformatifs. Une attention particulière est accordée à la transmission transgénérationnelle de la douleur mentale.
Dans l’article de Greco intitulé Grandir sans père: le travail psychanalytique avec la dyade mère célibataire et enfant, le lecteur trouvera deux exemples cliniques forts d’enfants grandissant dans des familles monoparentales où le père est absent. La “rôle responsiveness” est utilisée comme un concept théorique pour expliquer comment ces enfants portent le désir de la mère que l’absence d’un père soit normalisée jusqu’à ce que le développement et la curiosité de l’enfant ne le permettent plus. L’auteur suggère l’intérêt d’une approche thérapeutique qui nécessite de reconnaître d’abord les besoins de la mère et qui y parvient en utilisant le contre-transfert comme moyen d’entrer en contact avec l’enfant intérieur de la mère. Sur le plan technique, les présentations cliniques illustrent également l’utilisation d’un dessin d’enfant pour symboliser ce qui a été émotionnellement non représenté.
Dans son article, Le rejet est meilleur que la nostalgie: un couple limite avec des lésions traumatiques, Carl Bagnini décrit les défis techniques du travail avec un couple borderline qui présente des problèmes d’intimité de longue date ainsi que des difficultés individuelles d’addiction à l’alcool et d’hostilité dans une famille où leurs filles portent les besoins non satisfaits de dépendance du couple. La difficulté à établir un contact avec le couple illustre les conséquences d’un traumatisme transgénérationnel non métabolisé (révélé dans le matériel de la séance présentée) que l’auteur estime fréquent chez les couples avec une psychopathologie grave. Il discute des défis associés posés au thérapeute dans une relation thérapeutique avec un tel couple qui, comme pour le patient borderline individuel, doit limiter les attentes thérapeutiques.
Dans les Notes de Lecture, Elizabeth Palacios propose une présentation détaillée du livre The Linked Self in Psychoanalysis. The Pioneering Work of Enrique Pichon Rivière de R. Losso, L. de Setton, D. Scharff qui, pour la première fois, présente la pensée et l’œuvre de Pichon Rivière aux lecteurs anglophones.
[*] Psychanalyste didacticien de la Société Australienne, membre du Committee on Couples and Family Psychoanalysis of the International Psychoanalytic Association; de l’Association Internationale de Psychanalyse de Couple et de Famille et du comité editorial de la Revue de l’Association Internationale de Psychanalyse de Couple et de Famille, chercheur de l’Association Internationale de Psychanalyse et maître de conferences à la Faculté de Médecine de l’Université de Sydney. timothykeogh@bigpond.com
[**] Psycologue, psychanalyste, membre Ordinaire de l’IPA/SPI, experte IPA en psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent, membre du CA de l’AIPCF (Association Internationale de Psychanalyse de Couple et Famille), directrice de la Revue AIPCF, président de la Section Couple et Famille de l’EFPP (European Federation for Psychoanalytic Psychotherapy), professeur et superviseur au PCF (cours de Postspécialisation et recherche clinique en psychothérapie psychanalytique du couple et de la famille de Rome), professeur et superviseur à l’Istituto Winnicott iW à Rome, membre fondateur de la SIPsIA (Société italienne de psychothérapie psychanalytique de l’enfance et de l’adolescence) à Rome, membre du comité de rédaction de la revue “Interazioni” (Franco Angeli, Milan, Italie), auteur de nombreux articles sur la psychanalyse des enfants et des adolescents et de couple et famille. daniela.lucarelli@gmail.com
[***] Diplôme en psychologie (UBA), directeur du psychodrame, spécialiste en psychanalyse familiale et de couple, professeur titulaire à l’Université de Buenos Aires et à l’Université catholique d’Argentine aux niveaux du premier et du second cycle, membre à part entière et fondateur de la section Psychodrame de l’IAGP, membre titulaire et fondateur de l’AIPCF, membre fondateur de l’Association argentine des psychanalystes de famille et de couple, membre du comité de rédaction et du bureau de rédaction du magazine en ligne “Psychanalyse et intersubjectivité”, membre du conseil d’administration de l’AIPCF, membre du comité de rédaction du magazine AIPCF, auteur de publications dans des livres et des revues spécialisées, secrétariat général de l’AIPCF de 2016 à 2018 et se poursuit. irmamorosini@hotmail.com