REVUE N° 9 | ANNE 2011 / 1
EDITORIAL DE LA DIRECTEUR
ANNA MARIA NICOLÒ
Ce numéro est consacré à la notion de lien. D’autres numéros ont étudié la souffrance des liens ou la violence dans les liens, alors que celui-ci explore la pertinence même du thème, un des sujets qui intéressent le plus aujourd’hui le monde scientifique de la psychanalyse de la famille et du couple.
Comme vous pourrez l’observer en lisant les articles ci-après, les hypothèses explicatives de ce nouveau concept sont nombreuses. Les auteurs présents s’efforcent tous de le repenser en le reconceptualisant, d’en comprendre la portée scientifique et la correspondance clinique. Cette notion n’en demeure pas moins très complexe et ses implications restent en grande partie inconnues. Et on saurait cacher l’existence de zones confuses, de nombreuses répétitions, de tentatives de donner de nouvelles dénominations à des acquis anciens et éprouvés.
Notre monde ne semble pas pouvoir, non plus, échapper à la mode et le thème du lien est sûrement un thème en vogue. Il faut néanmoins reconnaître à quel point ce concept peut être révolutionnaire s’il est employé correctement dans divers dispositifs (individuel, familial, institutionnel et de formation des intervenants).
Le problème est que le thème du lien n’est pas présent dans la métapsychologie et que, comme l’évoque Kaës, il est paradoxal par rapport à la pensée psychanalytique classique car il nous conduit à envisager l’existence d’une réalité psychique sans sujet, située hors de celui-ci.
La question est complexe et, à la base, il y a le problème de savoir s’il existe un psychisme et un inconscient situés hors du sujet. Les auteurs de ce numéro pensent que l’inconscient peut être observé dans l’interpsychique et le transpsychique qui sont le vrai topique de notre étude ou, comme je préfère le dire, dans l’interpersonnel, un terme dans lequel on peut également inclure le corps des individus concernés, leurs comportements et leurs interactions.
J’insiste depuis longtemps sur le fait que réfléchir, observer, diagnostiquer et soigner en partant de ce point de vue nous change radicalement et que cela change également notre conception de la pathologie pour y inclure les défenses intrapsychiques, mais aussi interpersonnelles, nos projections, mais également les modifications que nous déterminons dans l’autre ou vice-versa, et surtout l’existence d’un produit tiers co-construit par les individus en interaction.
A l’instar de certains auteurs qui se sont occupés de psychanalyse familiale, je propose d’appeler «liens» les relations réciproques et mutuelles interdépendantes qui existent entre les membres d’un couple et d’une famille et qui sont co-construites entre les membres, en devenant un objet tiers qui les conditionne. Je considère que ce terme nous permet de mieux décrire la nature bilatérale ou multilatérale de ces relations, qui prévoient l’utilisation de l’autre moins comme objet de la projection que comme interagent en ce qu’il est sujet de la réalité. Un autre en partie inconnaissable ou inconnu, sur lequel nous agissons et que nous utilisons, et par lequel nous sommes également agis et utilisés.
Un domaine qui nous permet de voir plus clairement ces aspects est ce qui se produit dans les situations plus graves. C’est le cas des familles psychotiques où l’agir prévaut sur le penser, le parler ou le représenter, où il existe une sorte de court-circuit de la conscience qui fait que le sujet qui reçoit la projection se sent en réalité changé ou amené à des comportements, à des vécus ou à des émotions et les agit sans s’en apercevoir.
Les liens, on les étudie et on les vit, et on est plongé dans les liens qu’on contribue à construire.
Une revue, également, est un lien avec les lecteurs, entre les rédacteurs et avec les auteurs, un lien entre les différents moments d’une histoire qui change tout en maintenant sa continuité.
Avec la fin de cette année et avec ce numéro, qui est le fruit de l’effort éditorial d’Ezequiel Jaroslavski, s’achève mon activité de direction de cette revue.
Une revue qui est née en même temps que la fondation de notre association à Montréal. Lors du premier conseil de direction de cette dernière, j’ai été chargée des services éditoriaux; la première initiative que j’ai prise a été de fonder une revue qui fût l’expression de la pluralité des idées et des personnes provenant de divers endroits de la planète et de différentes formations qui s’étaient réunies pour fonder l’AIPCF. Le comité de rédaction reflétait cette approche et la revue que je dirige a eu pour objectif, dès le départ, d’être un lieu d’échange et de confrontation. Elle s’est dotée peu après d’un comité de lecture chargé de faire une évaluation anonyme; les numéros ont commencé à paraître, reprenant souvent les thèmes des congrès internationaux, mais abordant aussi des thèmes nouveaux et originaux ou des thèmes brûlants. Cette activité intense a pu être réalisée grâce au travail désintéressé de nombreuses personnes, des rédacteurs aux lecteurs et au secrétariat de rédaction dirigé par Francesca Enuncio que je tiens à remercier. On ne saurait, toutefois, nier qu’en dépit des efforts déployés, il reste encore beaucoup de travail à faire. Bien que regrettant d’abandonner une entreprise que j’avais conçue moi-même au départ et que j’ai contribué à fonder avec le premier noyau de rédacteurs, j’ai décidé de renoncer à diriger la revue. D’autres engagements professionnels ne me permettent pas actuellement de continuer. Je pense, par ailleurs, que la possibilité de se relayer aux postes de responsabilité est une garantie de la créativité de cette entreprise, de son développement et de son enrichissement.
Je suis donc sûre que, après ces cinq premières années pionnières, la revue jouera un rôle de plus en plus significatif et important dans le monde scientifique et culturel qui intéresse non seulement notre société, mais aussi tous ceux qui étudient ces dispositifs. Je lui et je nous souhaite qu’elle devienne l’équivalent de l’agora grecque, lieu d’échanges et d’enrichissement démocratique, lieu central de la polis, qui a tant marqué l’histoire des idées.