REVUE N° 13 | ANNE 2013 / 1
ÉDITORIAL
DAVID BENHAIM, EZEQUIEL A. JAROSLAVSKY
L’idée de faire un numéro sur la crise de couple est née d’un colloque organisé par David Benhaïm et Serge Arpin à Montréal en mai 2012 sous les auspices du 80e congrès de l’Acfas, Association francophone pour le savoir. L’argument se lisait comme suit : « Dans la mesure où la psychanalyse prétend être une réponse au malaise psychique de la modernité, sa découverte ne s’est pas limitée à l’exploration de la vie intrapsychique du sujet ni à la cure individuelle. Elle a connu, au cours d’un siècle d’existence, des innovations dans le champ de ses pratiques et a élargi, malgré de solides résistances épistémologiques et institutionnelles, la connaissance de l’inconscient en cernant des phénomènes psychiques qui ne pouvaient qu’échapper à la cure individuelle. Parmi ces innovations, l’extension de la méthode psychanalytique à l’étude des groupes constitue une de ses conquêtes les plus fécondes dans la mesure où elle a rendu possible l’analyse et le traitement des couples et des familles. Le groupe constitue un paradigme méthodologique qui rend possible l’analyse des ensembles intersubjectifs et l’émergence de formations et de processus psychiques inconscients spécifiques, inaccessibles autrement. Le passage d’une perspective intrapsychique, centrée exclusivement sur le sujet à une perspective intersubjective, l’élaboration de nouveaux concepts comme ceux d’appareil psychique groupal, de lien, d’intersubjectivité, d’alliances inconscientes, d’illusion groupale permettent l’exploration et le traitement de la vie psychique des groupes, des couples et des familles. Dans ce contexte, nous voudrions interroger une clinique de la crise de couple, comprendre, en en dégageant quelques mécanismes essentiels, comment le couple entre en crise. Que se passe-t-il, dans une perspective intersubjective, pour qu’un couple qui semble fonctionner de façon plus ou moins harmonieuse se transforme silencieusement en un couple en crise ? Que nous apprend le passage de la lune de miel à la crise ? De quoi cette dernière est-elle constituée ? Telles sont quelques-unes des questions qui orientent notre réflexion.» Le programme était constitué de deux volets : le premier, de la psychanalyse à la littérature et le second de la psychanalyse au cinéma. Nous reproduisons ici quelques uns des textes présentés à ce colloque.
Dans L’exigence de travail psychique d’un couple face à la crise, Serge Arpin décrit la constitution de l’objet-couple, de ses organisateurs ainsi que des différentes fonctions qu’il acquiert, fonctions qui dans la crise, viennent à manquer ou disparaissent.
Le texte Les limites du couple postmoderne de Nellie Hogikyan se propose, selon ses propres termes, « d’explorer des pistes de réflexions au sujet de la crise de couple en tenant compte des limites de l’identité postmoderne telle que présentée dans le film récent d’Anne Émond, Nuit # 1 (Québec 2011).»
La crise de couple, De l’amour au désamour de David Benhaïm oppose la conception freudienne de l’amour centrée sur le sujet amoureux à celle qui prend la dyade amoureuse comme unité. Ce texte montre comment à l’illusion couplale qui unit et soude la dyade, la crise vient substituer la désillusion amoureuse.
La crise de couple dans Thèra de David Benhaïm analyse le roman de la romancière israélienne Zeruya Shalev dont la trilogie, Vie amoureuse[1], Mari et femme[2], Thèra[3], traduite en français et publiée chez Gallimard, met en scène la décomposition du couple et de la famille modernes.
À ces textes du colloque sont venus s’ajouter ceux d’auteurs qui, soucieux d’explorer la crise du couple, nous apportent de nouvelles pistes qui élargissent et enrichissent notre réflexion.
Dans le texte Scènes, crises et hostilité dans le couple, avec qui se réconcilie-t-on?, Anne Loncan délimite d’abord le terrain du conflit, examine ensuite ses paramètres, détermine ses degrés d’intensité ainsi que sa temporalité pour poser la question du sens pour le couple. Cette démarche l’amène ensuite à aborder le conflit du couple contemporain tel qu’il s’externalise en thérapie pour enfin envisager ses issues potentielles.
Crise de couple, couples en crises, société contemporaine en crise d’Éric Smadja propose d’abord une double interrogation sur l’essence du couple et sur la notion de crise. Sa perspective sociopsychanalytique l’amène à faire une lecture de la société occidentale et de ses modèles conjugaux qui jette un éclairage différent sur la crise du couple dans la société contemporaine.
Bisexualité psychique en thérapie de couple d’Élisabeth Gontier, Michèle Gersant et Philippe Robert est un travail clinique qui, selon les termes mêmes des auteurs, interroge « les effets de la prise en compte de la bisexualité psychique dans le transfert, le contre-transfert et l’intertransfert : dans quelle mesure la combinaison de l’enveloppement maternel et de la fermeté paternelle (Ciccone) peut-elle soutenir une restructuration des liens du couple en favorisant chez les deux partenaires l’expression de la bisexualité psychique, définie comme tension vers ce que l’on n’est pas (Danon-Boileau) ?»
Crisis en la pareja d’Irma Morosini aborde la question de la constitution du couple, de l’illusion initiale, des idéaux personnels et transgénérationnels qui sont à la source de l’élection d’objet ainsi que la désillusion qui résulte lorsque le lien se délite. L’auteur pose également le problème du thérapeute comme tiers dont la fonction est d’aider le couple en crise à sortir de ses confusions, de ses malentendus et de ses frustrations.
Dans Traición conyugal, relación virtual y terapia psicoanalítica de pareja, Isabel Cristina Gomes et Lidia Levy abordent un problème spécifique de la société contemporaine: les relations virtuelles et la trahison virtuelle. Ce problème, selon les auteures, suscite une demande croissante de thérapie psychanalytique de couple. Elles illustrent la question par deux vignettes cliniques.
Ce numéro contient une innovation qui vise à transformer la revue en instrument de consultation et de travail pour les psychanalystes de couple et de famille ainsi que pour les étudiants désireux de se familiariser avec les concepts spécifiques de ce champ de la psychanalyse : l’élaboration d’un vocabulaire propre à la psychanalyse de couple et de famille : Ezequiel Jaroslavsky développe un premier concept : le contrat narcissique.
Enfin dans la rubrique de présentation et commentaire de livres, David Benhaïm analyse l’ouvrage d’Éric Smadja, Couples en psychanalyse.
David Benhaim
Ezequiel A. Jaroslavsky
Codirecteurs
Revista AIPCF
[1] Shalev, Z., (1997 [2000]) Vie amoureuse, Gallimard, Folio n0 4140, 351 pages
[2] Shalev, Z., (2000 [2002]) Mari et femme, Gallimard, Folio n0 4034, 498 pages
[3] Shalev, Z., (2005 [2007]) Thèra, Gallimard, Folio n0 4757, 667 pages