Résumé
La crise dans le couple
L’on propose la position du thérapeute en tant que tiers qui peut fonctionner comme intermédiaire pour aider à comprendre les changements, les confusions, les malentendus et les frustrations que présentent les couples en crise, en opérant dans la trame de liens conjugale. L’on aborde l’état d’illusion initiale, les idéaux qui mettent en évidence les clés qui sont à l’œuvre pour investir l’ « élu », qui ont été reçues par transmission généalogique familiale. L’on révise la recherche de fusion, la confusion donnée par la symbiose, les identifications projectives réciproques, la revendication mutuelle de la nécessité de changement de l’autre, la désillusion qui survient lorsque se désarticule l’assujettissement. L’on signale la possessivité et la dominance dans le lien d’alliance, le profil de l’appareil psychique familial de chaque partenaire, le sens des contextes macro, microfamilial et conjugal ainsi que le socioculturel. L’on réfléchit sur le besoin d’analyser l’interfantasmatisation qui circule à travers la réalité psychique transsubjective familiale et l’intersubjectivité, les identifications aliénantes, le poids et l’équilibre de la bisexualité psychique vis-à-vis du complexe fraternel. L’on souligne l’importance des vicissitudes de l’attachement dans le lien conjugal, le besoin de récupérer la capacité de se surprendre et la curiosité face à ce qui est nouveau dans le couple. L’on mentionne des formes de violence dans le couple qui consulte et finalement l’on propose l’espace thérapeutique comme un espace transitionnel et intermédiaire, en l’accompagnant d’un un exemple clinique.
Mots-clés: trame de liens conjugale, illusion, fusion, confusion, désillusion, assujettissement, appareil psychique familial, contextes, interfantasmatisation, bisexualité psychique, complexe fraternel, attachement, espace thérapeutique transitionnel et intermédiaire
Summary
Crisis in the Couple
The author describes the therapist’s position as a third party that may intermediate in order to clarify changes, confusions, misunderstandings and frustrations presented by couples in crisis, which are operating in the interweave of the conjugal link.
The therapist discusses the initial state of illusion and the ideals that define codes that work towards cathectization of the “chosen one”, which have been received from the family’s genealogical transmission.
Another area for revision is the search for fusion, confusion generated by symbiosis, reciprocal projective identifications, mutual demands concerning the need for the other to change, and the disillusion felt when subjection is dismantled.
Possessiveness and domination in the alliance link are pointed out, as well as the profile of the family psychic apparatus of each partner and the significance of contexts: macro- and micro-familial and sociocultural.
There is reflection on the need to analyze the interfantasies that circulate throughout trans-subjective family psychic reality and intersubjectivity, alienating identifications, and the weight and balance of psychic bisexuality in relation to the fraternal complex.
The author emphasizes the importance of vicissitudes of attachment in the conjugal link and the need to recover the capacity for amazement and curiosity regarding what is new in the couple. She also mentions forms of violence in the consulting couple, and in conclusion, defines therapeutic space as a transitional and intermediate space. She provides a brief clinical example.
Keywords: conjugal link interweave, illusion,fusion, confusion, disillusion, subjection, family psychic apparatus, contexts, interfantasies, psychic bisexuality, fraternal complex, attachment, transitional and intermediate therapeutic space
Resumen
Crisis en la pareja
Se plantea la posición del terapeuta como tercero que puede intermediar para aclarar los cambios, confusiones, malos entendidos y frustraciones que presentan las parejas en crisis, operando en el tejido vincular conyugal.
Se aborda el estado de ilusión inicial, los ideales que denotan las claves que obran para investir al “elegido”, las que se han recibido por transmisión genealógica familiar.
Se revisa la búsqueda de fusión, la confusión dada por la simbiosis, las recíprocas identificaciones proyectivas, el mutuo reclamo de la necesidad de cambios del otro, la desilusión que sobreviene al desarticularse el a-sujetamiento.
Se señala la posesividad y dominancia en el vínculo de alianza, el perfil del aparato psíquico familiar de cada partenaire, la significación de los contextos macro, microfamiliar y conyugal como el sociocultural.
Se reflexiona acerca de la necesidad de analizar la interfantasmatización que circula por la realidad psíquica transubjetiva familiar y la intersubjetividad, las identificaciones alienantes, el peso y equilibrio de la bisexualidad psíquica en relación con el complejo fraterno.
Se destaca la importancia de las vicisitudes del apego en el vínculo conyugal, la necesidad de recuperar la capacidad de asombro y la curiosidad ante lo nuevo en la pareja.
Se mencionan formas de violencia en la pareja que consulta y finalmente se expone el espacio terapéutico como espacio transicional e intermediario, acompañado de una breve ejemplificación clínica.
Palabras claves: tejido vincular conyugal, ilusión,fusión, confusión, desilusión, asujetamiento, aparato psíquico familiar, contextos, interfantasmatización, bisexualidad psíquica, complejo fraterno, apego, espacio terapéutico transicional e intermediario
ARTICLE
LA CRISE DANS LE COUPLE
IRMA MOROSINI
Ce numéro traite de la crise dans le couple.
Aborder un tel sujet est nécessaire car il nous convoque à penser, entre tous, aux thèmes auxquels nous sommes confrontés dans notre quotidien en tant que thérapeutes de famille et de couple. Il s’agit de questionnements et de problématiques qui surgissent en nous, thérapeutes, à partir du moment où nous sommes présents, à partager les souffrances qui circulent entre les partenaires qui viennent nous consulter, pour trouver un peu de soulagement et aussi une « solution » possible qui provienne du regard professionnel.
Nous savons qu’ils nous permettent de nous pencher sur ce qu’ils montrent progressivement de l’intimité de leur trame conjugale, si nous sommes capables d’être absolument respectueux de ce qu’ils manifestent, ainsi que de ce que nous pourrions entrevoir et qui se trouve au-delà de ce qu’ils communiquent consciemment.
Le couple qui demande de l’aide est en train de traverser une crise. Cette crise peut être récente ou de longue date, mais éprouvant au moment de la consultation une rupture de certaines conditions de base essentielles pour le lien, et donc, mettant en évidence une tolérance diminuée et une confiance blessée, ce qui s’exprime par une irritabilité élevée, des reproches, avec des fantasmes, et parfois des actions concrètes, de nuisance vis-à-vis du partenaire.
Quelque chose dans l’actuel de ce qu’ils racontent et montrent a réussi à rompre le supposé équilibre antérieur, et ils viennent à nous en demandant un changement.
Un premier pas vers la recherche de ce changement est la démarche de solliciter une consultation, d’avoir recours à un tiers professionnel qui puisse fonctionner comme médiateur pour clarifier les confusions, discriminer les parties emmêlées, traduire pour défaire de possibles malentendus ; il s’agit, essentiellement, d’une expectative placée en dehors d’eux-mêmes.
Cette expectative, qui échoit sur le thérapeute et son équipe, les informe sur le besoin d’établir d’emblée des règles possibles pour pouvoir s’écouter, et pour réussir à ce que les signalements qui vont aider les partenaires du couple à comprendre ce qui leur arrive puissent ainsi circuler entre tous, car, arrivés à ce point, il semblerait qu’ils ne veulent ou ne peuvent plus le faire par eux-mêmes.
Il s’agit parfois de quelque chose de ponctuel qui s’est passé entre eux : une infidélité, un geste ressenti comme un trahison au pacte tacite de loyauté ; mais quelques fois, il n’existe pas d’évènement que l’on puisse détecter facilement comme étant la cause de la crise, parce qu’il s’agit de la trame du lien qui s’est subtilement déchirée avec le temps qui passe, ce qui n’a pas été remarqué en son temps, pendant que ce déchirement avait lieu.
La constitution d’un Couple
En général, avant de se connaître, chacun des futurs partenaires possède des expectatives alimentées par des fantaisies et enrichies par un état d’illusion qui concerne la rencontre avec un autre. Ces expectatives portent en elles certains idéaux formés à partir de contenus reçus par transmission généalogique familiale. Des mots, des gestes, des épisodes, des scènes internalisées, des valeurs, l’identification de ce qui est propre et ce qui est étranger ; voilà les clés qui, appropriées lors du processus de formation du psychisme et instituées dans chaque identité subjective et intersubjective, rendent compte des outils propres de chaque position dans le monde.
Ceci constitue le monde de l’ « illusion » qui enveloppe la rencontre avec celui/celle que l’on pense et sent être l’élu, et, à partir de cette base, chacun effectue un certain découpage de l’autre, et établit comment il/elle va l’investir et le positionner, aussi bien dans le contexte intérieur de la réalité psychique que dans l’entourage de la réalité extérieure.
Pour l’exprimer de manière métaphorique : lorsque, dans l’espace de « l’entre-deux », circulent certains fils qui correspondent à la trame de lien de chacun des possibles partenaires, ces fils semblent s’attirer en fonction de certaines ressemblances, et se tissent ensemble avec ceux qui sont similaires chez l’autre. Les partenaires sont ainsi encouragés à continuer avec cette trame, en développant ce tissage et en donnant lieu à une nouvelle trame qui leur est propre, qui mérite un nouvel espace, au sein duquel le couple souhaite se ressembler jusqu’à la fusion, être un, « la moitié » qui complète le tout, symbolisée, par exemple, par la demie médaille que beaucoup de fiancés s’offrent, et dont chacun porte une moitié.
L’idéal de fusion, -rendu lumineux par la nostalgie narcissique de la fusion avec la figure de la mère protectrice, continente, toujours pleine, disposée, qui garantie la vie-, détermine la confusion qui accompagne et caractérise la fusion de la symbiose du couple. Le partenaire croit qu’il connaît pleinement l’autre, c’est son miroir, mais il méconnait que dans ce miroir il y a surtout du propre projeté qui lui sert à investir l’autre, et l’autre à son tour a fait de même, et tous deux ignorent réciproquement aussi bien leur propre opération que celle de l’autre. Et c’est ici la source où abreuve tant de malentendus, qui vont surgir progressivement au fur et à mesure que l’illusion du départ cèdera sa place à une connaissance plus réelle, et que ce qui appartient à chacun pourra apparaître dans la scène de la vie en commun, en dégageant des contenus qui existaient déjà mais qui étaient ignorés.
Combien de couples expriment douloureusement le sentiment de surprise et de contrariété dont ils souffrent, en manifestant, lors de la consultation : « comme tu as changé, tu n’étais pas comme cela ; la personne avec laquelle je me suis marié/ée n’était pas comme ça », tout en souhaitant –et voici une autre cause importante de difficultés- qu’avec le traitement, le partenaire change à nouveau, et redevienne ce que chacun croyait que l’autre était avant la crise.
Bien que la vie, avec ses circonstances au fur et à mesure de son déroulement, convoque des changements déterminés par l’âge, par l’évolution de la famille, par le poids et la distribution des responsabilités, par les schémas rigides qui régissent parfois cette distribution, les exigences du quotidien imposent un rythme constant.
Ce rythme crée des formes, des temps, des styles, les pratiques d’une routine que les deux partenaires partagent, qui s’établissent graduellement et qui, du fait qu’ils appartiennent à la sphère de ce qui est vécu dans l’espace de « l’entre deux », sont ressentis comme des marques propres à l’entourage familial et conjugal qu’ils constituent eux-mêmes.
Cependant, le malentendu dont je parle plus haut ne fait pas allusion aux changements du processus de vie en commun. Ce malentendu est en relation avec la désillusion et avec le courage de découvrir ce qui correspond réellement à l’autre du fait de son histoire.
René Kaës nous explique que dans le processus de construction d’une trame en commun, et faisant partie de l’intersubjectivité elle-même, chaque sujet est « assujetti » à l’autre, et fondamentalement, « au désir de l’autre », qui conditionne le propre désir, et tant que ce processus est soutenu entre deux, l’illusion se maintien. Mais l’illusion tombe lorsque la réalité psychique partagée s’efface suite à des gestes, des actes et des mots qui peuvent dévaster le
« nous »idéalisé.
La possessivité – dominance dans le lien
Les partenaires soutiennent le lien d’alliance qui est supposé les assujettir aux désirs et besoins inhérents à la trame inconsciente de l’autre, processus qui s’accomplit généralement en réciprocité afin qu’il se maintienne dans le temps.
Comme l’exprime si bien Kaës : « Les sujets de ces ensembles se trouvent doublement assujettis, comme sujets de l’inconscient et comme sujets de l’ensemble. »
En tant que membres d’une famille (micro-famille et famille élargie), chacun des conjoints a reçu, par transmission transgénérationnelle, des formes d’assujettissement les uns avec les autres et entre les autres, avec des mécanismes qui accentuent les contenus destinés à être refoulés, les pactes de loyauté, les évènements à être niés et/ou désavoués par rapport à certains aspects de la réalité ; des formes qui reproduisent progressivement une carte qui parcourt les interdits et les permissions, les obligations et les convenances.
Ce processus imprime dans le psychisme de chaque enfant qui entre dans la famille une réalité intersubjective propre à l’ensemble auquel il appartient, auquel il doit répondre pour faire partie de cet ensemble et qui constitue l’Appareil Psychique Familial.
Mais en même temps, chaque sujet cherche une certaine différenciation vis-à-vis de l’ensemble, et défend de manière autonome ses propres drapeaux qui, malgré tout, gardent toujours un fond qui est inhérent au groupe matriciel.
L’individuel qui concerne la subjectivité singulière, marque la relation qui se tisse avec l’autre en tant que partenaire avec un sceau caractéristique de possessivité, celle-ci étant plus évidente dans certains couples que dans d’autres. Cette possessivité établit des circuits de dominance qui font partie aussi bien de la période d’obnubilation du moment où l’on tombe amoureux, que de celle de la lutte pour la prédominance, qui caractérise les mobilisations à la recherche de la différenciation et de l’autonomie.
Il est important de considérer cet aspect lorsque nous recevons un couple en consultation car, si ces tendances respectives à dominer l’autre comme appartenance et manière de le subjuguer peuvent se circonscrire en domaines, il est possible qu’au début du traitement le thérapeute puisse travailler sur la perception et l’acceptation de ces domaines, pour que chacun des conjoints puisse sentir qu’il ne perd pas trop d’espace et qu’il n’est pas écrasé par ce qui est « trop différent » chez l’autre. Et ce, jusqu’au moment où ils pourront comprendre les avantages d’une plus grande discrimination entre eux.
Dans ce monde d’expériences que le couple partage se définit un style qui va le caractériser, une manière d’être dans l’ensemble, qui s’exprime par des façons de parler, de quoi ils parlent avec les autres, qu’est-ce qu’ils passent sous silence ou négligent même entre eux, les gestes et les attitudes qu’ils prennent, ce qui répercute sur l’harmonie-dispute, avec ses boutons rouges qui peuvent être appuyés par chacun des partenaires.
Dans l’acmé de la crise, ces formes créées par consensus explicite et implicite se brisent, et les deux partenaires dénoncent cette rupture. Dans l’inter-jeu de dominance de l’un par l’autre, ce qui au début a été un dévouement idéalisé et une certaine satisfaction du fait de la vulnérabilité, dans et avec l’autre, chacun entrainé par le désir et la tendresse réciproque, se transforme ; les deux sentiments se bifurquent de telle sorte que l’on pourrait dire qu’ils n’ont jamais été, et ne sont pas, dans la réalité psychique et dans l’environnement visible des deux partenaires.
Des contextes à considérer
Il n’existe pas une histoire de couple pareille à une autre (malgré certains processus qui sont communs et sous-jacents à ce type de lien), et c’est ce qui donne lieu aux difficultés que les thérapeutes doivent affronter à chaque consultation, car ce qui a servi dans un cas ne sert pas dans l’autre. Ce qui nous renvoie à la spécificité de chaque lien et au besoin de le comprendre dans un contexte plus large qui implique tenir compte de trois contextes qui s’entrelacent et que mettent en relief les groupes de référence et d’appartenance de chacun :
- Le contexte macrofamilial : il est indispensable de connaître les parcours de la transmission transgénérationnelle qui s’accordent avec la généalogie de chaque partenaire, avec l’investissement correspondant et la position (à lui et à elle) dans l’arbre généalogique familial.
- Le contexte conjugal et microfamilial : ce qu’ils se transmettent entre eux et à leurs enfants, en créant leur propre histoire de liens.
- Le contexte socio-culturel auquel ils appartiennent, et dont ils partagent, adoptent et transmettent les règles.
Ces espaces internes ont chacun leurs vicissitudes, leurs recoins, leurs sentiments, leurs images, et sont fondamentalement différents pour chacun –même si parfois, certains partenaires, qui valorisent tout particulièrement la ressemblance entre eux, cherchent à les montrer comme similaires- , et sont racontés par leurs protagonistes avec des nuances qui surprennent l’autre partenaire, lorsque l’un parle et l’autre l’écoute pendant la séance.
Il s’agit là d’une variable presque constante qui opère dans le contexte de la thérapie de couple et qui requiert du thérapeute une attention suffisamment flexible et avertie sur ces manifestations, c’est-à-dire, sur la possibilité que face au récit d’un des partenaires, surgisse le reproche de l’autre qui semble ne jamais avoir su que son conjoint ressentait ceci ou cela.
Être conditionné réciproquement à être chacun une possession connue de l’autre, et en partant d’un contrat initial d’assujettissement (qui implique la particularité de l’accord du choix conscient, avec sa contrepartie inconsciente vis-à-vis du désir non connu de l’autre), peut donner lieu à des situations complexes et douloureuses, ainsi qu’à quelques unes au profil pervers.
De l’illusion initiale aux désillusions successives
Le récit de chaque partenaire lors de la consultation contient en général des différences substantielles, aussi bien au sujet de ce qui les a unis que de ce qui les a séparés. La plainte est partagée mais le contenu diffère. Le registre et l’estimation de quels ont été et comment ont été les moments fondateurs de l’illusion varient également de l’un à l’autre.
Ceci nous permet de comprendre que ce qui autrefois constitua le roman amoureux de l’histoire partagée, à force de partage a commencé à se rompre en morceaux, pour finalement devenir parfois assez fragmenté. Le roman commence à dévoiler des aspects discordants qui l’éloignent de la vision initiale romantique du « nous sommes fait l’un pour l’autre », et surgit le besoin de ce que Freud a signalé en son temps sur le fait de récupérer la fidélité envers soimême.
Il est intéressant, dans le travail en psychanalyse de couple, de pouvoir accéder au récit du roman, traverser l’historisation construite par les deux partenaires, démystifier les contenus qui les ont rigidifiés dans un cercle vicieux sans sortie visible, et pouvoir collaborer avec les partenaires pour sauver ce qu’il peut encore y avoir d’important dans le couple. Ecouter ce qui les a amenés à la consultation, pour vérifier combien le désir de se retrouver persiste, quel est le poids de ce qu’ils ont vécu et construit ensemble, et si cela octroie pour eux de la validité à leur histoire singulière en tant que couple.
Tel est le travail qui nous situe face à la possibilité de différentes issues : la réparation ou la séparation, et en ce qui concerne cette dernière, envisager si cette séparation sera provisoire ou définitive, en essayant qu’elle se déroule dans les meilleurs termes possibles.
Dans le récit concernant leur début comme couple, nous avons besoin de connaître ce qui les a attiré l’un de l’autre, comment ils se sont présentés: leurs goûts et intérêts, leur histoire et forme de vie, leurs priorités, limites, valeurs, et comment à partir de cela chacun a formé une image qu’il/elle a complété, en accord avec ses propres intérêts et son histoire, -en essayant de s’ajuster l’un et l’autre presque à la manière du soulier de « Cendrillon ». Tous deux ont certainement oublié, ou méconnaissaient, que, comme dans l’histoire de Cendrillon, ici aussi il existait un passé qui ne brillait pas autant que dans la partie la plus belle du conte.
Cette belle partie de la rencontre avec un être que l’on peut investir avec une part de ce qui est propre, et la « découverte », l’heureuse surprise, du fait que l’autre s’ajuste au modèle anticipé, permet de retrouver quelque chose de l’idéalisation du lien primaire, et même évoquer ce qui a été admiré et rejeté du couple des propres parents, ainsi que les circuits parcourus pour leur ressembler ou pour se différencier d’eux.
Avec le récit partagé et écouté durant la séance de thérapie de couple, l’on récupère les moments qui ont donné lieu à l’illusion sur le monde intime, exclusif, l’enthousiasme provoqué par le fait d’avoir quelqu’un avec qui partir, ancrer, tout partager, aller au-delà de la honte, mettre à nu tout son être, se donner et prendre en retour, en faisant circuler le désir à travers l’autre, en permettant le libre cours des fantaisies sexuelles, en harmonisant la tendresse, en réduisant les dettes et les culpabilités historiques, en pouvant compter sur cette affect qui semblerait permettre de compenser tout ce qui lui a précédé ou pourrait exister.
Lorsque ce temps de bonheur a commencé à se flétrir parce que les expectatives se frustraient, un autre différent surgit, celui qui donnait quelque chose de différent de ce qui était attendu, quelqu’un qui réclame ce qui ne correspond pas, et ainsi les partenaires créent entre eux une scène d’affrontements et de distance. Il est difficile de comprendre qu’aucune des deux scènes n’est complètement vraie, la désillusion surgit alors chez les partenaires et le couple se disloque.
C’est là un bon moment pour que les partenaires du couple se mettent d’accord pour faire une consultation, car ce qui a été parcouru ensemble jusque là n’est pas tellement excessif pour que tous les nœuds qui soutiennent l’illusion se soient défaits.
Il existe des couples qui connaissent plus clairement les différences qui existent entre eux, ce qui garantit une plus grande durabilité du lien obtenu. Par contre, ceux qui s’efforcent à maintenir un lien symbiotique, caractérisé par des renoncements significatifs successifs et réciproques, mettent en danger soit le lien conjugal, soit l’évolution de leur propre subjectivité.
Idéaliser l’autre, lui remettre entre les mains le propre projet de réalisation personnelle, et que l’autre l’accepte et ne stimule pas le fait que les projets de tous deux soient possibles –même si cela implique un plus grand effort de leur part – équivaut à construire un immeuble qui aurait besoin constamment de la présence de tuteurs, qui ne peuvent être ôtés car il y aurait risque de dés-étayage.
Dans ces cas-là, le tuteur est représenté par l’effort de celui/celle qui soutient, avec son renoncement personnel et son silence sur ce fait. Lorsque il/elle en parle, il exprime qu’il s’agit d’une décision choisie par lui même, il ignore parfois qu’elle a été auto-imposée. Tous ceux qui assistent à cette réalité se taisent au sujet de ce qu’ils voient.
Dans la clinique de couple, la présence du thérapeute en tant que tiers qui écoute, regarde, partage, lui permet de devenir le dépositaire d’une confiance nécessaire qui va permettre que graduellement il puisse aider les partenaires à découvrir si le désir de faire perdurer le couple existe encore.
Dans certains cas, une place différente de tiers est occupée par la figure de « l’amant » de l’un des partenaires ou des deux, cherché et placé à cet endroit par le couple pour provoquer des jalousies, montrer l’intérêt qui subsiste encore chez l’autre, qu’ils ont besoin de récupérer, en arrivant à se « pardonner » lorsqu’ils redécouvrent l’impétuosité de la passion qu’ils croyaient perdue. De toute façon, ce « modus operandi » révèle un jeu risqué qui met en évidence des mécanismes conjugaux qui doivent être révisés en analysant le besoin qu’a un des partenaires, ou qu’ont les deux, d’installer le tiers, qui semble être un sauveur mais qui est aussi et fondamentalement un bourreau. Ce tiers ne fait que mettre en acte des besoins conflictuels des deux partenaires.
Analyse de l’inter-fantasmatisation dans le couple
La réalité psychique de chacun dans le couple transporte son propre fardeau qui provient de la réalité psychique trans-subjective familiale. Par là passent les fantasmes, les secrets, les mandats, les pactes, les contrats, sur la partie qui a été dite ou dite à moitié, sur celle qui a été passée sous silence mais en quelque sorte dénoncée, et sur celle qui, définitivement, a été encryptée jusqu’à ce que quelqu’un l’exhume à travers les symptômes d’une maladie physique ou une psychose.
Comprendre quels sont les fantasmes qui circulent au niveau intrapsychique et qui opèrent dans l’intersubjectif du lien familial requiert de la part du thérapeute de couple une lecture croisée avec son équipe des vicissitudes du transfert avec chaque membre du couple, avec le lien que suscitent les deux partenaires, le contre transfert de chaque thérapeute et le récit de l’inter-transfert à l’intérieur de l’équipe elle-même. Ce travail intense cherche à rendre plus objectifs ces fantasmes fuyants dans le but de les rendre visibles, afin de pouvoir désarticuler les identifications aliénantes.
Il s’agit de ce que chacun craint, ce qu’il désire, ce que les autres ont désiré pour lui ou pour elle, comment ils sont arrivés jusqu’à l’ici et maintenant comme porteurs du poids de ces impositions, renforcées par transmission et par auto-installation.
Lorsque la scène proposée par le couple le permet, les thérapeutes se posent et posent des questions sur les secrets que chacun transporte, certains connus et par la propre décision, et d’autres -ceux de l’histoire transgénérationnelle-, sans le savoir… Qu’est-ce qui existe et que l’on ne connait pas, mais qui pourtant a tant de poids ? Quelles sont les défaillances dans les fonctions du couple qui mettent en évidence ce qui manque lorsqu’il s’agit pour chacun d’être soimême ?
Ces processus sont à la base des désaccords dans le couple, ce sont ceux qui se prononcent sur celui qui se développera le plus parmi les partenaires, qui accèdera aux plus grandes réussites, qui part d’une base plus solide, qui dispose de meilleurs modèles, dose d’amour et reconnaissance, qui apporte le plus au couple, qui fait plus d’effort…ces situations marquent des reliefs, en traçant une véritable carte orographique qui délimite des niveaux différents qui provoquent de la souffrance.
La bisexualité psychique et le complexe fraternel
La bisexualité psychique intervient elle aussi dans cet inter-jeu fantasmatique. Pour le thérapeute, il est indispensable de comprendre comment son féminin à lui s’articule avec son masculin à elle et vice-versa, et même, au sein de son propre panorama subjectif, accéder à découvrir le degré d’acceptation de deux parties en lui-même. Lorsque celles-ci rivalisent ou sont refoulées, cela rend plus difficile de trouver le chemin qui permettra de les reconnaître comme nécessaires et pouvoir les harmoniser.
Le complexe fraternel, qui opère dans l’espace intrapsychique et intersubjectif de chaque partenaire, joue un rôle important d’organisateur dans la transmission et l’installation de cette bisexualité psychique. Aussi bien dans le cas de ceux qui ont des frères et des sœurs que dans celui des enfants uniques, pour lesquels, même s’ils n’y a pas de fratrie, il existe dans ce manque une surcharge donnée par l’unicité et le poids parental accordé à ce fait. Il y a là des marques qui proviennent du complexe fraternel de chacun des parents respectifs, avec leurs transmissions trans subjectives et l’accumulation d’expériences transmises, avec leurs registres singuliers.
Avec la fratrie s’établit le premier espace psychique d’un « entre » et un « nous ». Cet espace interne et intersubjectif se déplace à travers l’intergénérationnel du lien. Ce lien, positionné sur un même plan horizontal, informe sur le sens que les différences de genres ont pour la famille, sur les implications d’être né avec tel ou tel sexe, et sur les expectatives que proposent et parfois imposent certaines conduites et qui prétendent donner une orientation à certains sentiments.
Chaque récupération de subjectivité dans l’ensemble de la fratrie requiert d’un véritable travail psychique pour éluder la fusion et la confusion, sans cesser d’appartenir et en cherchant en même temps à renforcer cette alliance nourrissante. Dans le lien entre frères et sœurs est récréé une partie des expériences de l’attachement précoce avec ses caractéristiques. Ces vicissitudes se présentent à nouveau au moment de l’installation du lien conjugal, qui est un temps où certaines formes de cet attachement se rééditent, ce qui est mis en évidence à travers les manières qu’utilise le couple pour se réclamer, s’exiger, s’assumer l’un l’autre et se séparer, et dans les répliques qu’il déploie vis-à-vis des enfants.
Dans la clinique de couples se présentent des situations où se manifeste un besoin évident d’établir la fixité du masculin comme différent et même opposé au féminin. L’on remarque qu’en travaillant ces qualités, qui parfois se manifestent comme en affrontement constant, surgissent des données passées sous silence sur la condition homosexuelle d’un parent très proche, père ou frère, qui est accompagnée par une situation de conflit de longue date dans l’histoire familiale et qui est restée occulte dans une zone d’ombre. Ces situations provoquent des difficultés pour l’expression de sentiments qui peuvent être situés du côté du « féminin », comme la tendresse, la protection et le soin ; des attitudes telles que le fait de prendre soin de manière attentionnée, et des habitudes comme l’ordre et la propreté. Une partie de ces traits de comportement s’installent à partir de ce qui est transmis lors de l’attachement précoce de la mère à son enfant, et à partir des différences au sein de la fratrie.
L’importance de l’attachement dans le lien conjugal
L’attachement entre la mère et son enfant, ainsi que celui que ressent et transmet le père à son fils/fille, ébauchent des formes qui perdurent toute la vie. Nous rencontrons des couples avec des modèles d’attachement très divers. La tendresse peut être complètement déplacée, et par exemple nous voyons comment un membre du couple exprime un soin attentionné et significatif envers les animaux, mais pas envers les enfants. Cela surprend et déplait au partenaire, qui a pensé par exemple que l’amour pour les animaux de sa femme se redirigerait et se développerait lors de l’arrivée d’un enfant en commun. Lorsqu’il se rend compte qu’il n’en est pas ainsi surgit un véritable questionnement et des discussions entre eux. En travaillant le sujet apparaissent des scènes qui font allusion à des vécus douloureux et « oubliés » de l’attachement précoce, des déplacements de la tendresse, des apprentissages de formes équivalentes avec des traductions complexes et des mandats – certains explicites et d’autres implicites- sur le poids de ces sentiments.
Le couple peut, par jalousie, tirailler les enfants, se disputant pour montrer un plus grand attachement que l’autre envers l’enfant. Cela les affronte, les sépare en tant que couple, l’enfant n’est pas situé comme le fruit de l’amour partagé mais comme un trophée personnel. L’enfant doit alors devenir celui qui doit compenser chacun des partenaires pour ce qui manque dans le lien, qui à son tour est le résultat de ce qui manque dans leurs propres histoires familiales transgénérationnelles.
Préférer avoir des garçons ou que tous les enfants soient des filles est lié également à cette histoire où les vécus douloureux ont marqué ces soit disant « choix ». Par exemple, dans un couple que j’ai reçu, lorsque la femme raconta en séance qu’elle était enceinte, tout de suite après elle exprima vivement qu’elle souhaitait avoir « seulement des filles », ce qui surprit et déplut à son époux qui lui, souhaitait un garçon pour transmettre son nom de famille.
Ce qui paraissait une confrontation entre eux et que l’époux comprenait comme un rejet personnel de sa personne en tant que homme, travaillé à partir de l’histoire transgénérationnelle, montra une donnée intéressante sur le fait que sa femme était la seule femme de la fratrie, sœur de frères adorés et privilégiés dans l’attachement de la mère. Ses frères, en tant que garçons, allaient avoir les meilleures possibilités dans le monde social. Toutes les occasions pour les études, le travail, l’héritage, les attitudes, les affects, le temps, sa mère les leur avait accordés avec le consentement du père, et donc elle craignait que si elle avait des garçons, elle allait les rejeter comme cela lui était arrivé avec ses frères, qu’elle ne voyait plus depuis longtemps.
Dans les cas où l’un des conjoints manifeste de l’attachement insécure, il tente de retenir l’autre par crainte de le perdre. Tout facteur extérieur est ressenti comme une menace, même les propres enfants, en récréant ainsi plus le modèle d’une relation mère-enfant que conjugale. Lorsque le conjoint partage également ce modèle, il existe un certain équilibre entre les deux besoins affectifs compensatoires, mais il n’en va pas de même si par contre le conjoint a un modèle d’attachement sécurisé et une bonne et harmonieuse base du complexe fraternel.
La capacité de se laisser surprendre
En s’écoutant dans leurs récits en tant que couple, si les partenaires peuvent reconnaitre que ce que chacun ne sait pas de l’autre peut être une partie intéressante qui les stimule à se regarder, à s’écouter, à chercher de nouvelles formes de contact, cela aide à mettre au travail la sensorialité et la pensée de chaque membre du couple, qui pourra traiter et incorporer les nouvelles données.
Il existe des couples qui ne peuvent pas ou n’acceptent pas que l’autre ait de nouveaux intérêts, « mais si tu ne faisais pas ça », « toi, avant, tu n’aimais pas ça, pourquoi ça te plait maintenant ? » Et il est possible qu’en réalité il/elle aimait cela, mais ils ont évité de le faire pour ne pas mettre l’autre en colère, ce qui implique une soumission tacite à l’image construite. Tous deux cherchent à maintenir intacte une forme pré-ajustée qui doit se conserver comme si le temps ne passait pas. Le temps et les expériences nous modifient, il est donc impossible de prétendre que chacun puisse rester « figé » dans le temps.
Reconnaitre les propres changements aide à voir et à accepter les changements de l’autre. Ensuite, se sera le travail du psychisme que de comprendre quelle place occupent ces changements, pourquoi ils sont présents, pour quoi faire, quelles situations et quels sentiments ils convoquent dans le couple, en respectant qu’il existe des zones d’intimité propres que restent interdites à la curiosité de l’autre. Le thérapeute travaille également sur ces possibilités d’invasions mutuelles, qui déclenchent une bonne partie des crises dont souffre un couple et les conduit à demander de l’aide en espérant que dans l’espace thérapeutique ils retrouveront leurs illusions des premiers temps.
La tentative de récupérer cette illusion est accompagnée d’une certaine négation des changements éprouvés et des marques laissées par ce qui a été vécu ; ceci déclenche avec fréquence des sentiments de frustration intenses, qui donnent souvent lieu à des comportements violents entre les membres du couple.
Le couple ne tolère pas que les changements s’installent en déplaçant l’idéalisation d’un autre temps, « avant tu n’étais pas comme ça »,… à quel « avant » se réfèrent-ils, à avant leur vie en commun, ou à cet avant que chacun d’eux à dessiné à travers leurs identifications projectives sur l’autre ?
Comprendre cela implique du temps et du travail, une disposition à reconnaitre et à dénouer les parties impliquées de chacun dans l’autre, et avoir envie de pénétrer dans la trame psychique propre pour découvrir à partir de là les caractéristiques qui se rééditent dans le lien conjugal.
Les formes de violence dans le couple qui consulte
Dans de nombreux couples, les actes violents sont la manière que trouve l’un des partenaires pour manifester sa colère face à la rupture de l’illusion de fusion, d’appartenance, ou du fait que l’un des membres cherche à sortir de la sphère de dominance.
La pression exercée pour maintenir les choses telles qu’au stade initial, comme si elles figuraient dans un contrat originel – au moins, dans l’esprit de l’un des partenaires- fait que lorsque l’on entrevoit la tentative de modification de cet état « idéal » des choses, l’autre partenaire puisse réagir en frappant celui qui veut se libérer. C’est généralement l’homme qui assume cette position envers la femme, mais il existe aussi des cas où la situation est inversée.
Souvent, l’homme s’installe dans le rôle de celui qui donne les coups, non seulement parce qu’il peut le faire, mais aussi à cause du plaisir que cela lui donne, puisqu’il sent immédiatement qu’il a le pouvoir de l’action, c’est lui qui freine l’autre, il arbore la faculté d’exercer l’humiliation et de faire sentir la honte à l’autre, qui éprouve de la rage mais aussi beaucoup de culpabilité. Cette culpabilité –qui est historique- freine la femme dans son besoin de se détacher, et il lui faut du temps et du travail pour comprendre ses sources.
Parfois surgissent des remords, et celui qui a frappé semble se repentir, mais en général cela ne fait que décrire un circuit où n’existe aucun processus de réflexion, il s’agit simplement d’un « jusqu’à la prochaine occasion ».
Nous devons également faire allusion aux autres formes de violence, les plus fréquentes du point de vue des statistiques et exercées par les deux genres, qui sont celles qui font subir au lien un abus psychologique. Cet abus est présent dans l’abus physique, mais peut aussi exister sans la présence de coups. C’est l’abus à travers les mots, les gestes, les attitudes, les regards qui dénigrent l’autre, le critiquent, le déprécient et le méprisent.
Dans ces formes d’abus, qui en général profitent de la présence d’un tiers en tant que témoin –puisque cette présence accorde une plus grande réalité à la blessure narcissique de l’autre- nous retrouvons aussi une réplique de transmissions des positions de genre, des prises de positions par rapport à la bisexualité, des ambigüités qui permettent d’attaquer l’autre avec ce qui est intolérable chez soi.
Lorsque l’un des membres du couple est un pervers, nous notons dans le travail thérapeutique qu’il ne valide rien de l’histoire conjugale. Il n’y a pas d’investissement de l’autre, même au temps du supposé choix initial. Pas de vestiges d’illusion. Il existe le besoin de détruire mais sans un registre de gain ou de perte. L’autre soutient et complète ce circuit, pour une raison qui lui est propre. Chacun, comme dans la chanson de « Antón Pirulero[1] », s’occupe de son propre jeu et le porte pour une quelconque raison passée sous silence et non choisie, mais préférable à d’autres scénarios qu’il/elle pense et ressent comme plus invalidants. Tel est leur fantasme.
L’espace thérapeutique comme un espace transitionnel et intermédiaire
Pour travailler avec les conflits et les souffrances qu’apportent la famille et le couple, je pense qu’il est nécessaire de transformer l’espace thérapeutique en un espace transitionnel (D. Winnicott) et intermédiaire (A. Eiguer), où la contenance et les possibilités que cet espace offre engendrent des occasions pour les récits, l’expression de sentiments, la mise en scène d’une histoire, les vécus et leurs registres. Quant à l’équipe thérapeutique, leur objectif est d’essayer d’accéder à une discrimination entre tout cela, en créant un espace pour les fantaisies secondaires et en facilitant la compréhension de ce qui est en train d’opérer dans le couple par exemple par transmission transgénérationnelle familiale.
La proposition, accordée au début du contrat de travail, inclut l’importance de tacher de comprendre, en travaillant en équipe, ce qui est resté occulte mais agissant à partir de la mémoire collective parentale et familiale.
Nous présentons des techniques et des ressources utiles à ces fins, telles que : des mises en scènes psychodramatiques (travail avec des images statiques et dynamiques), des jeux, des dessins, des représentations plastiques comme les modelages et les collages, l’utilisation de masques pour des représentations plus complexes et aussi de marionnettes, pour aborder des thèmes liés au sexe et à la violence. Lorsque nous considérons cela nécessaire, et avec l’accord préalable du couple, nous avons recours à la possibilité de filmer la séance qui a pour but que les partenaires puissent se voir et se reconnaitre tels qu’ils sont vus par le regard de l’autre.
Ces ressources nous ont permis de dégager plus clairement la chaîne associative de liens, aider le couple à comprendre de quoi il s’agit, et mettre en place certains processus nécessaires pour qu’ils puissent lier leurs émotions et comprendre leurs sens chez eux et chez leur partenaire.
La fonction du thérapeute en tant que psychanalyste de couple est celle d’essayer d’être contenant à tout moment ; quant aux ressources, en rendant plus objectif ce que l’on tente de montrer, elles permettent une forme d’interprétation qui en fonction de leur style est plus efficace pour mettre en évidence le désaveu, et qui est généralement mieux acceptée par le couple. Le cadre de travail propose des séances hebdomadaires avec la fréquence d’une séance par semaine au début de la thérapie, qui peuvent ensuite s’espacer à deux séances par mois, avec une durée d’une heure et demie.
Il existe des couples avec lesquels il est très difficile de travailler et qui décident (l’un ou les deux partenaires), après quelques séances, d’interrompre le processus. Il ne s’agit pas de deux personnes qui assistent à des entretiens en demandant de l’aide pour comprendre et agir sur ce qu’il leur arrive, mais plutôt d’un « malade » et de quelqu’un qui « le supporte ». Lorsque le thérapeute insiste sur le fait que la lecture va se centrer sur les places que tous deux établissent et maintiennent, le traitement cesse de les intéresser et ils s’en vont. Lorsque, par contre, le couple accepte de travailler sur le terrain de ce qui se rapporte aux liens sans trop de préjugés, l’on accède à des modifications dans le lien qui, grâce à leur persistance dans le temps, nous permettent de penser qu’il s’agit de véritables modifications psychiques.
Bref exemple clinique
Il s’agit d’un jeune couple qui est marié depuis cinq ans. L’épouse demande par téléphone la consultation, elle réfère que son mari a été adressé par le service des allergies de l’hôpital auquel ils assistent. Lors du premier entretien ils arrivent ensemble et ponctuellement, tous deux impressionnent très bien physiquement, on pourrait presque dire qu’ils ressemblent à des « mannequins » de télévision, élégants, très bien habillés, avec une certaine recherche dans leur manière de se conduire.
Face à la question posée par la thérapeute sur le motif de la consultation, surgissent deux textes différents. Les deux partenaires se superposent au moment de parler et continuent comment si de rien n’était, aucun ne s’arrête lorsqu’il entend l’autre qui a commencé à exposer ce qu’il/elle croit être les raisons de leur présence devant la thérapeute. Cette donnée montre une certaine discordance entre ce qui commence à apparaître dans la dynamique du couple et la première impression au sujet de leur image.
Ils sont invités à prendre chacun leur temps pour présenter le motif, en leur signalant qu’il y aura du temps pour tous les deux. Le mari décide de commencer à parler et signale qu’il ne se passe rien avec eux, il n’y a que le fait qu’il a eu de nouveau une éruption cutanée[2] et que le médecin l’a envoyé pour une consultation. Elle dit alors qu’il ne s’agit pas seulement de cela, qu’elle croit qu’ils ne s’entendent plus comme avant et que c’est peut-être cela qui irrite son mari. Cette différence de regard et de disposition de la part de chacun étant esquissée dès le début du travail, des interrogations surgissent qui mettent en relief le « de nouveau ». Nous nous informons sur ce symptôme qui semble récurrent. En effet, le mari, que nous appellerons Pablo, réagit avec une éruption lorsque les choses ne sont pas comme il les souhaite.
Nous travaillons avec cette image de l’ « enfant – jeune homme – homme capricieux », qui occupe tous les espaces avec des récits, des scènes, des temps, des suppositions, ce qu’il fait comme s’il s’agissait d’un jeu où l’on chevauche entre la plainte manifeste et un grand plaisir latent envers cette place choisie et défendue.
Devant la façon de faire de son mari, elle, que nous appellerons Karen, adopte une autre forme de réponse –un jeu qui consiste à couper court à ses interventions à chaque occasion, pour lui faire face avec des raisonnements qui, bien que lucides, n’ont rien à voir (nous le découvrirons peu à peu) avec les arguments de base.
Arrivés à ce point, la thérapeute décide de changer cette scène qu’ils semblent bien gérer car elle leur est connue, en les dirigeant vers la fiction (représentation de psychodrame). Nous leur demandons de penser à un personnage qui puisse les motiver, chacun va le créer d’une manière totalement libre et ensuite il le représentera dans le contexte dramatique. Mais lorsque chacun présentera son personnage, il ne sera pas vu par son conjoint. Ensuite entre les deux et jouant la scène ensemble, ils essayeront de découvrir qui est chacun.
Ils acceptent la consigne, très amusés. La partie plaisante de la représentation s’exprime à travers différentes situations pour chacun d’eux, mais cela fait partie de nos hypothèses en tant qu’équipe thérapeutique. Il s’agit là d’une autre ressource technique qui vise des objectifs théoriques : obtenir du matériel authentique à travers l’humour.
Le mari termine rapidement de construire son personnage et le présente comme « le petit prince rebelle ». Elle présente ensuite son personnage et raconte qu’elle sera une bestiole, « l’abeille reine ». Les thérapeutes sont très frappés par les coïncidences malgré les dissidences apparentes car, même en pouvant supposer une correspondance quelconque, les images proposées par chacun d’eux raccourcissent bien évidemment le temps de nos recherches.
La représentation est réellement comique, car chaque partenaire trouve quelque chose de différent de ce à quoi il s’attendait, ils sont surpris et vexés. Il ne peut pas jouer ses plaintes avec une bestiole qui le dérange plus qu’il ne la dérange, lui. Il pourrait l’écraser mais elle réussit à l’éviter, elle l’irrite. Avec son voltigement elle est toujours plus loin, assez inaccessible, elle possède un cortège mais en même temps elle ne peut pas faire grand-chose avec ce personnage qui ne fait que protester.
Il est intéressant d’analyser, à la fin de la représentation, ce qu’a ressenti chacun, car ils partageaient sans le savoir l’impuissance de ne pouvoir atteindre l’autre, la plainte infructueuse et irritante, adressée et engendrée dans d’autres contextes. Karen –qui veut devenir mère depuis qu’elle s’est mariée- n’arrive pas à tomber enceinte, et dit qu’elle comprend que la place choisie dans la fiction lui révèle d’autres situations qu’elle devrait réviser, et que Pablo ne peut participer avec elle dans cette révision car ses intérêts sont encore liés à l’enfant qu’il a été. Pablo persiste à continuer une carrière universitaire qui s’avère chronique et interminable, et il est maintenu économiquement par sa femme.
Je ne souhaite pas m’étendre sur les détails de ce traitement qui a duré quatre ans. Mais pour résumer, je peux dire qu’au fur et à mesure que le temps passait et que l’espace thérapeutique devenait plus fiable, des situations familiales douloureuses et complexes commencèrent à apparaître, qui permirent de comprendre les revendications de Pablo. Ce qu’il réclamait était en relation avec une vieille problématique liée à l’attachement, avec une mère qui le retenait, l’utilisait et le disqualifiait, et un père étranger jusqu’à ce moment-là à la présence de son fils. Les sœurs (il était le seul garçon de la fratrie) avaient toutes des couples homosexuels. Aucune femme qui ne fut choisie par la mère ne pouvait faire partie du cercle familial, qui était constitué comme un clan. La présence de la mère dans ce clan était d’une terrible force.
Karen, de son côté, provenait d’une famille aristocratique, avec du succès, un niveau social, économique et culturel élevé, avec des membres très sélectifs vis-à-vis de leur entourage ; elle affichait deux diplômes universitaires, un poste important de cadre dans une multinationale, et participait de l’assemblée directive d’une grande entreprise familiale. Pour une telle famille être mère était un impératif, même si après l’éducation de l’enfant était déléguée à des assistants et des nounous.
Lorsque tous deux comprirent quelles étaient les batailles personnelles qu’ils livraient dans la scène du couple, ils purent travailler ces places à partir de l’inter jeu de la bisexualité psychique, car lui, il semblait être l’enfant éternel, et elle, elle agissait comme le soutien masculin de référence ; les différentes vicissitudes de l’attachement dans chacune de leurs histoires marquaient également une évolution différente des besoins affectifs de chacun d’eux, ainsi que les formes d’exercer la violence qui de manières diverses semblaient reproduire d’autres violences subies et non élaborées.
Le travail au sein de l’espace thérapeutique abordé comme intermédiaire et transitionnel leur permit d’accéder à se reconnaître dans leurs luttes respectives, identifier le sens de celles-ci, et essayer de les soutenir, lui pour « grandir » et devenir plus sur de lui, et elle, pour se dégager de la perfection irréelle qu’elle s’imposait.
Traducción al Francés: Dra. Monique Guthmann
Bibliographie
ANDRE-FUSTIER, F. y AUBERTEL, F. (1998): La transmisión psíquica familiar en suspenso. En: EIGUER, A et al: Lo generacional : abordaje en terapia familiar psicoanalítica. Buenos Aires. Amorrortu. 123-168 ANZIEU, D (1996) : Créer – Détruire ». Dunod, 1996.
BERNARD, M. (1999): Vínculo y relación de objeto. En Rev. Virtual Psicoanálisis e Intersubjetividad. N° 1. 2006
BOWLBY, J. (1988): Una base segura: Aplicaciones clínicas de una Teoría del apego. Barcelona. Paidós. 1989.
CAILLOT, J-P. (2008): La Posición Narcisista Paradojal. En Rev. Virtual Psicoanálisis e Intersubjetividad. N° 3. 2008.
DUEZ, B. (2007): Escenas de Familia: Las funciones discretas de las escenas de familia en la constitución del sujeto. En Revista Virtual Psicoanálisis & Intersubjetividad. 3.
EIGUER, A et al: (1984) La thérapie psychanalytique du couple, Dunod, 1984. Traducc. Italiana, Roma, Borla, 1985.
EIGUER, A. (2010): El compartir y el dominar en la pareja contemporánea. Clinica y análisis grupal, 2010, Madrid, N° 104, 33.
EIGUER, A. (1987) El parentesco fantasmático, Buenos Aires, Amorrortu, 1990.
JOUBERT, C. (2008): Los efectos de la transmisión psíquica transgeneracional sobre el vínculo de alianza. En Revista Virtual Psicoanálisis & Intersubjetividad. 4. www.intersubjetividad.com.ar
KAES, R. (2007) Un singular plural. Buenos Aires. Amorrortu. 2010.
KAES, R. (2008) Le complexe fraternel. Paris. Dunod. 2008.
LEMAIRE, J. (1979): La pareja humana, su vida, su muerte, su estructura. México, Fondo de Cultura Económica, 1986.
LUCARELLI, D.; TAVAZZA, G. (2007): Antiguas nuevas formas familiares: Problema de desligadura y religazón en la psicoterapia psicoanalítica de la pareja. En Revista Psicoanálisis & Intersubjetividad. 2.
MC DOUGALL, J. (1996) Las mil y una caras de Eros. La sexualidad humana en busca de soluciones. Paidós, Buenos Aires, 1998.
MONTEVECCHIO, B. (1993): Repetición transgeneracional. Entre la historia y el mito. Rev. de Psicoanálisis. Número Especial Internacional. 2, 119.
MOROSINI, I. (2013): La envoltura Psíquica. Reseña Conceptual. En Revista virtual Psicoanálisis & Intersubjetividad. 7. www.intersubjetividad.com.ar
M’ UZAN, M. de (1977): Del arte a la muerte. Itinerario Psicoanalítico. Gallimard. 1978 pp 130 – 138
NICOLO, A. M. (2006): La Folie a deux: hipótesis – modelo de un funcionamiento interpersonal. En Revista virtual Psicoanálisis & Intersubjetividad. 1. www.intersubjetividad.com.ar
NICOLÒ A.M. (2007). Una familia recuerda: defensas transpersonales y traumas en la familia, En Revista Virtual Psicoanálisis & Intersubjetividad.1. www.intersubjetividad.com.ar
NICOLÒ A.M. (2008). Nuevas formas de genitorialidad? Reflexiones a partir de un caso de procreación asistida, En Revista Virtual Psicoanálisis & Intersubjetividad, 3, www.intersubjetividad.com.ar
NICOLÒ A.M. (2008). Las raíces generacionales de la violencia en los jóvenes, En Revista Virtual Psicoanálisis & Intersubjetividad. 4. www.intersubjetividad.com.ar
PEREZ TESTOR Carles (2006). Parejas en conflicto. Barcelona, Paidós.
PEREZ TESTOR Carles (2008). Violencia de pareja en la colusión obsesiva, Revista internacional de psicoanálisis de pareja y familia, www.aippf.net 2
RUFFIOT, A. (1984). Le couple et l’amour. De l’originaire au groupal, En Ruffiot A. et al. La thérapie psychanalytique du couple, Dunod, Paris.
WINNICOTT, D (1971): Realidad y Juego. Gedisa. Barcelona. 1979.
[1]Chanson d’un jeu enfantin où chacun fait semblant de jouer un instrument, et échange son jeu avec celui qui mène la chanson.
[2] N. du T. : Jeu de mot intraduisible. En espagnol, l’auteur utilise le mot « brotarse » qui renvoie au double sens d’une éruption cutanée qui se manifeste et à celui d’une personne qui subit une décompensation psychique.